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Les Jeux olympiques, et après ?

Regarder les JO c'est bien, pratiquer soi-même c'est mieux… (Course de nouvel an dans la campagne Irlandaise). Peter Mooney/Flickr, CC BY-SA

La tradition philosophique antique prête à Pythagore un apologue fameux, dans lequel il comparait la vie à des Jeux : les uns viennent concourir, les autres regarder, les derniers commercer. Et il en tirait la supériorité de celui qui contemple sur celui qui s’affaire, que ce soit pour la gloire ou pour le lucre :

« De même que certains s’y rendent pour concourir, d’autres pour faire du commerce, alors que les meilleurs sont ceux qui viennent en spectateurs, de même dans la vie, les uns naissent esclaves et chassent gloire et richesses, les autres naissent philosophes et chassent la vérité ».

Pratiquer soi-même

Les Jeux olympiques contemporains ont peu à voir avec les Jeux du monde antique, et les contextes historiques et anthropologiques moins encore, au point qu’une reprise philosophique contemporaine de cette comparaison pourrait légitimer un renversement complet de perspective, et amener à dire, au moment où s’achèvent les Jeux olympiques de Rio, qu’il est bien de regarder les Jeux, mais qu’il est encore mieux de pratiquer soi-même les activités sportives, et que les plus sages sont moins ceux qui, spectateurs passifs, suivent les épreuves devant leur poste de télévision, que ceux qui pratiquent activement, depuis le quidam jusqu’au médaillé olympique.

L’on peut bien sûr comprendre, et dans une bonne mesure partager, la fascination pour la beauté des sports olympiques et des athlètes, leur habileté, leur force, leur énergie à lutter et à vaincre, mais cette fascination est positive surtout dans la mesure où elle est susceptible de conduire les individus ordinaires que nous sommes à pratiquer à notre tour comme les héros que nous admirons, et à prendre finalement conscience de la part d’héroïsme qui réside en chacun de nous.

Sportifs de divan ?

Il se vérifie, c’est un fait, qu’à la suite des grandes compétitions sportives, et des Jeux olympiques en particulier, le nombre d’inscrits dans les fédérations sportives, d’enfants et d’adolescents en particulier, augmente sensiblement. Cela donne quelque raison de considérer qu’une relation positive et vertueuse entre spectacle sportif et pratique sportive existe, ce dont on ne peut que se réjouir.

Mais l’effet global des Jeux olympiques sur les pratiques sportives reste assez éphémère aussi bien pour les jeunes générations que pour les adultes. C’est ce que souligne Andrew Zimbalist, l’auteur de l’essai récent Circus Maximus, en commentant les effets supposés des JO de Londres en 2012 sur la pratique sportive des jeunes générations anglaises. Celle-ci, en réalité, entre 2012 et 2013… a plutôt fléchi !

D’inquiétantes statistiques

Par ailleurs, l’on observe, au fil des ans, qu’un nombre croissant d’enfants connaît des problèmes de surpoids, voire d’obésité, liés à une alimentation trop riche en graisse et en sucres et à une trop faible activité physique : selon une étude très récente due à l’association United European Gastroenterology, un tiers des enfants européens de 6 à 9 ans sont désormais en surpoids ou obèses, 20 % en France (1,7 millions), dont 3,5 % (soit 400 000) en situation d’obésité… Ces enfants éprouvent des difficultés à courir et à pratiquer des activités sportives, difficultés qui entretiennent ce faisant une spirale négative de prise de poids et de problèmes de santé, parfois lourds.

Enfin, s’il peut sembler que le nombre d’adultes pratiquant une activité physique ou sportive est convenable : selon des statistiques de 2014, 43 % des Français de 15 ans et plus déclarent faire du sport au moins une fois par semaine, ce nombre traduit en réalité un fléchissement inquiétant de la pratique sportive : il s’élevait en effet à 48 % en 2009 !

Pourcentage des Européens qui ne font jamais d’exercice ou de sport. Étude Eurobaromètre 2014

Pire : le nombre de Français déclarant ne jamais faire de sport est passé de 34 % en 2009 à 42 % en 2014 (avec des profils sociologiques assez dessinés : demandeurs d’emploi, ouvriers, femmes au foyer, retraités)… Et un dernier chiffre est particulièrement éloquent : 29 % des Français déclarent ne jamais pratiquer aucun sport ni avoir une quelconque activité physique, telle que la marche

L’homme a forgé son humanité par la course

Pourtant, les bienfaits de la pratique sportive sur la santé et l’équilibre général sont incontestables. L’exercice de son corps est formateur aux plans physique et spirituel, et produit un effet euphorisant, souvent intense.

En réalité, il n’y a là rien d’étonnant si l’on prend appui sur la thèse soutenue par les anthropologues Dennis Bramble et Daniel Lieberman, selon laquelle l’homme (dès l’Homo erectus) a forgé son humanité à travers la pratique de la course à pied d’endurance, une capacité d’endurance qui l’a distingué d’à peu près tous les animaux terrestres.

L’évolution, affaire de course à pied plutôt que de cerveau (Daniel Leiberman)

Une série d’adaptations et d’évolutions physiologiques (passage à la station debout avec en particulier le développement du tendon nuchal pour stabiliser la tête, du tendon d’Achille et de la structure en arche du pied produisant un effet de rebond à l’impact, de l’allongement des membres et du développement des fessiers – le grand gluteus qui nous distingue des singes –, le développement des glandes sudoripares sur tout le corps permettant de réguler en continu notre température corporelle) a rendu les premiers hommes aptes à la pratique de la course d’endurance longue, ce qui leur a permis non seulement de survivre, mais d’évoluer et de se développer, grâce à la pratique collective de la chasse à l’épuisement.

L’alimentation carnée rendue possible par cette évolution a également conduit au développement considérable du cerveau et des capacités intellectuelles de l’Homo.

De la sorte, l’humanité de l’homme s’est véritablement forgée dans cette pratique de la course longue et de la chasse à l’épuisement, une pratique dont témoignent aujourd’hui encore quelques peuples ou tribus, américains et africains en particulier. Ces thèmes ont récemment été popularisés par le livre à juste titre célèbre désormais de Christopher McDougall, Born to Run, une plongée saisissante et haute en couleurs dans l’univers des Tarahumaras opérée à travers le prisme de la course à pied et du trail.

Faits pour courir

Or, si nous sommes faits pour courir, le fait est que nous ne courons pas tous, ou plutôt que nous ne courons plus tous, car, enfants, nous avons souvent couru autant que marché. La raison la plus évidente de cela est que nous ne sommes plus contraints de courir désormais pour survivre, pour nous nourrir, nous protéger.

Pour la plupart d’entre nous, courir, et plus largement pratiquer des activités physiques sportives, est devenu une activité purement gratuite. Ce qui ne veut pas dire inutile car, sans verser dans une vision excessivement normative, il est un fait que notre constitution réclame l’accomplissement d’un certain nombre d’activités physiques, certaines nécessaires, d’autres moins, mais en tout cas conformes à cette nature qui est la nôtre, et capables d’en révéler les potentialités, que souvent nous ne soupçonnons pas.

Au bas mot, la santé de notre corps appelle son activité, et l’étude mentionnée ci-dessus à propos du nombre croissant d’enfants en surpoids est de ce point de vue très préoccupante, car elle suppose des habitudes alimentaires suffisamment déséquilibrées pour rendre des enfants inaptes à la course et plus généralement à la pratique des sports. Or, nous considérons à juste titre que l’enfant, pour son développement, mais aussi sa socialisation, doit courir, jouer, faire du sport. Il doit pouvoir pratiquer et s’exercer, que ce soit dans le cadre privé ou dans le cadre de l’institution éducative. De même, l’adulte qu’il deviendra ne peut que tirer bénéfice, pour son hygiène de vie et sa santé, à cette pratique régulière, qui peut aller de modérée à très intensive, et qui permet à chacun de jouir pleinement de sa nature de vivant.

Une question d’équilibre… et de vivre-ensemble

Et en réalité, l’enjeu n’est pas seulement celui de l’hygiène et de la forme physique. Il est plus largement celui de l’équilibre général de ces corps vivants, sentants et pensants que nous sommes, dans leur rapport à eux-mêmes et à leur milieu. L’exercice physique, notamment lorsqu’il est pratiqué en extérieur, est formateur aux plans physique et intellectuel. Il instruit sur soi à travers le mouvement et l’effort, sur ce que nous nous révélons capable d’accomplir et d’endurer, il contribue à dénouer les nœuds affectifs, à aiguiser nos sens et à stimuler notre intelligence, à développer enfin un lien intégratif et respectueux avec le milieu naturel. En un mot, il contribue décisivement à la construction et à l’épanouissement de la personnalité.

Alors que la grande fête médiatique mondiale des Jeux olympiques s’achève, le véritable enjeu du sport reste donc à rappeler : que le plus grand nombre d’entre nous pratique des activités physiques et sportives, individuellement ou collectivement, car elles sont à tous égards le meilleur gage d’une vie épanouie et apaisée, respectueuse de notre milieu de vie.

Sur le plan physique et intellectuel, elles sont autant d’expériences enrichissant une connaissance dense de soi, du monde et des autres, et permettent d’acquérir la vertu d’endurance, si essentielle pour la mise en œuvre d’un projet de vie réussi. Sur le plan du vivre-ensemble, elles conduisent à une compréhension de l’existence plus tolérante et respectueuse des autres et de notre environnement, à une vision foncièrement écologique et philanthrope du devenir humain.

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