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Les mathématiques en partage : voyage à travers les textes (1)

« Il Ritratto di fra’ Luca Pacioli con un allievo », attribué à Jacopo de’ Barbari. Wikimédia

Nous entamons avec ce texte de présentation une série d’articles à partir des conférences « Un texte, un mathématicien » organisées par la Société mathématique de France et la Bibliothèque nationale de France. Ce mercredi (grand auditorium de la BNF à 18h30) Marie-Claude Arnaud, de l’université d’Avignon, évoquera le mathématicien Jürgen Moser avec « Jürgen et les tokamaks ». Nous en publierons un aperçu demain jeudi.

Expliquer des mathématiques au grand public, et en particulier à des lycéens : telle est l’ambition du cycle « Un texte, un mathématicien » depuis sa création en 2005. Le pari qu’avaient fait à l’époque les organisateurs (la Société mathématique de France, la Bibliothèque nationale de France et le petit comité de mathématiciens de la SMF et conservateurs de la BnF que j’ai animé jusqu’en 2013) était risqué, car les mathématiques suscitent universellement, mais de manière particulièrement forte dans notre pays, des sentiments mélangés : beaucoup de vénération, mais aussi beaucoup de crainte et parfois une vraie détestation. Onze ans, 45 conférences, et pas loin de 15 000 auditeurs plus tard, des salles combles et passionnées : le pari est réussi.

Les mathématiques s’écartent des autres sciences par le rôle essentiel qu’y jouent les textes ; contrairement aux sciences expérimentales de la nature, où les articles et livres décrivent une réalité extérieure et un dispositif expérimental, interprétés par les scientifiques, le texte mathématique constitue à lui seul la totalité de ce qui a été produit par le mathématicien : un mathématicien est un écrivain !

Les neufs chapitres de l’art mathématique, texte chinois daté de 1000 ans avant J.-C. Wikipédia

De plus, les textes mathématiques ont une durée de vie bien plus longue que la plupart des textes scientifiques : il n’est pas rare qu’un mathématicien utilise dans ses travaux des articles ou des livres ayant plusieurs dizaines d’années – et ce pour des motifs d’utilité directe et non de contextualisation historique ; aussi, dans les bibliothèques scientifiques, le transfert des journaux mathématiques vers la réserve se fait au bout de 50 ans ou plus, alors que dans d’autres domaines des sciences, cela se fait bien plus rapidement.

C’est à partir de cette analyse que nous avions choisi le titre du cycle et son format : puisqu’il s’agissait d’organiser des conférences de mathématiques à la BnF, il était naturel de rendre hommage aux bibliothèques en mettant en avant le rapport des mathématiciens à l’écrit. Ainsi, pour « Un texte, un mathématicien », le comité d’organisation demande à une mathématicienne ou un mathématicien réputés, connus pour la qualité de leurs conférences, de choisir un texte datant de quelques dizaines à quelques centaines d’années, ayant influencé profondément le domaine. La conférence part de ce texte et de son auteur, puis trace sa trajectoire jusqu’aux recherches d’aujourd’hui.

Mais la règle donnée fournit aussi une méthode permettant d’établir un vrai contact avec le public non-initié, contact qui ne va pas de soi lorsqu’il s’agit d’exposer des mathématiques. Parce que nous mathématiciens ne disposons pas, au moins pas de manière immédiate, des arguments rhétoriques ou des métaphores qui sont accessibles aux scientifiques des autres disciplines. Les mathématiques ne permettent ni d’expliquer le mystère du vivant, ni de promettre la guérison du cancer, ni de raconter le Big Bang ! Et si nous mathématiciens sommes souvent éblouis et émus par la beauté des théories mathématiques, cette émotion est difficilement partageable. Partir d’un texte et de son auteur, de la vie de cet auteur, c’est, pour commencer, énoncer une évidence, que les mathématiques sont faites par des humains, et, que rappeler, comme Shylock : « Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ? Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? » permet de briser la glace.

Il n’y a pas que l’auteur du texte qui ait une vie : ce qu’il a créé, ou contribué à créer, se déploie au cours de l’histoire avec sa propre logique, ce qui est fascinant même si on n’accède pas aux détails techniques qui ne sont pas l’objet de l’exercice. Enfin, il n’y a pas que l’auteur, il y a le conférencier, en chair en en os, qui dévoile son humanité, son admiration, son intégrité de chercheur, sa soif de faire partager.

Le parvis de la BNF. Jean-Pierre Dalbéra/Flickr, CC BY

En organisant le cycle, nous voulions qu’elles touchent un public très jeune de lycéens. Faire aimer et partager la science, susciter des vocations scientifiques, donner à quelques futurs chercheurs un premier contact avec la recherche d’aujourd’hui est une belle entreprise, qui a été élaborée en partenariat entre la BnF, la SMF et l’association Animath. Des classes d’élèves de Première et Terminale participent aux conférences ; lorsque c’est possible, une conférence préparatoire, donnée par un doctorant ou un post-doctorant, est organisée dans leur lycée quelques jours avant la conférence sur le site François-Mitterrand de la BnF. Le jour dit, les lycéens, entre 100 et 150, accompagnés par leurs enseignants, visitent la BnF, salle de lecture et exposition, avant de pénétrer dans le très impressionnant grand auditorium de la BnF, avec les autres participants adultes.

Certaines des conférences sont redonnées par leurs auteurs en province. Les films des conférences précédentes sont disponibles ici.

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