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La suppression du numerus clausus doit s'accompagner de mesures incitant les médecins à repeupler les déserts médicaux. Guillaume Souvant / AFP

Les médecins, une ressource stratégique

En analyse stratégique, le diagnostic est constitué de deux phases indissociables. La première, l’analyse externe, a pour objectif d’identifier les éléments de l’environnement qui ont une influence sur l’activité. La seconde, l’analyse interne, met en évidence la « capacité stratégique », à savoir les atouts intrinsèques d’une organisation.

Appliquée (certes succinctement) au domaine de la santé, cette méthode apporte un autre éclairage sur les transformations du système de santé. Elle souligne le caractère hautement stratégique de la ressource médicale. Il ne suffira pas, pour repeupler les déserts médicaux, de seulement supprimer le numerus clausus.

La toile de fond : les déserts médicaux

18 % de la population française habite un désert médical, soit près d’un Français sur cinq ! Dans le même temps, le nombre de médecins généralistes libéraux devrait diminuer jusqu’en 2025, de même que celui des spécialistes en accès direct (ophtalmologues, gynécologues ou psychiatres).

Cette situation pose en termes simples une réalité complexe : comment inciter des praticiens, de moins en moins nombreux, à s’installer sur des territoires manifestement peu attractifs ?

Au-delà de la question des effectifs se pose donc la question de leur répartition spatiale et des fameux « déserts médicaux » contre lesquels le gouvernement entend lutter. L’expression « désert médical » désigne une zone dans laquelle l’accès aux soins est très difficile pour les individus qui y résident. Ce concept s’applique à l’ensemble des professionnels de santé et pas seulement aux médecins.

Les déserts médicaux ne correspondent pas systématiquement à des zones rurales, mais également à des quartiers urbains sensibles et même des centres-villes, où l’accès à un médecin ne pratiquant pas de dépassement d’honoraires est parfois impossible.


Supprimer le numerus clausus, LA solution ?

Si rien n’est fait, avec la baisse du nombre de médecins généralistes libéraux, l’augmentation du nombre de remplaçants et le renforcement de l’exercice de groupe, le problème des déserts médicaux va encore s’accentuer dans les années à venir. Puisque les variations de la démographie médicale sont en partie dépendantes de celles du numerus clausus, qui limite le nombre d’étudiants pouvant poursuivre des études de médecine, que peut-on espérer de sa suppression ?

Le numerus clausus très bas que nous avons connu pendant plus de quinze ans a entraîné une baisse préjudiciable du nombre de praticiens, qu’il faut désormais augmenter. Mais considérer que sa suppression permettrait de répondre au manque de médecins dans les territoires en souffrance serait une erreur ! En effet, le déficit de généralistes libéraux est lié à trois critères. Au numerus clausus, certes, mais également à une transformation sociétale (les jeunes médecins travaillent moins d’heures que ceux de la génération précédente) et aux disparités d’accès aux soins. Supprimer le numerus clausus ne répartira donc pas mieux les médecins sur le territoire.

Repenser l’accès aux soins

Le Plan Santé ambitionne de lutter contre les déserts médicaux en transformant de manière globale notre système de santé. De nouvelles pistes sont esquissées : accroître plutôt le temps médical que le nombre de médecins grâce notamment à la télémédecine, la coordination entre médecins, infirmiers, kinés, le développement de nouvelles compétences pour les infirmiers ou les pharmaciens…

Mais il s’agit aussi d’inciter les praticiens à s’installer sur des territoires considérés comme peu attractifs. Chaque territoire tente des réponses plus ou moins convaincantes : les « maisons de santé », de leur vrai nom « maisons de santé pluridisciplinaires » (ou MSP) ont fleuri partout en France – on en compte un millier aujourd’hui. Elles permettent à des professionnels de santé libéraux de se regrouper en un même lieu, et semblent particulièrement plébiscitées par les jeunes médecins. Car la question se pose bien ainsi : comment un territoire peut-il s’avérer attractif aux yeux d’un médecin ?

Comment attirer les médecins

Les primes à l’installation d’abord. De nombreuses aides existent, notamment, depuis 2016, celle visant les jeunes médecins s’installant en « zone sous dotée ».

À celles-ci s’ajoutent des dispositifs spécifiques locaux. Le Conseil Régional Auvergne Rhône Alpes prévoit ainsi une « prime d’engagement à l’installation prioritaire pour les futurs médecins généralistes », constituée d’une aide financière de 10 000€ pour les étudiants en médecine de la région qui acceptent de travailler pendant au moins deux ans en zone prioritaire, c’est-à-dire dans un désert médical dûment identifié comme tel.

D’autres formules existent :le département de Saône-et-Loire a ainsi annoncé le recrutement de 30 médecins généralistes, tout en leur offrant la possibilité de travailler à temps partiel à l’hôpital.

Mais, de la même façon qu’on ne peut pas faire boire un âne qui n’a pas soif, ces mesures incitatives semblent bien dérisoires. Une approche purement quantitative est donc vouée à l’échec. Car le fond du problème est ailleurs : ce n’est pas tant le nombre de médecins qui compte, que leur envie d’aller exercer en libéral, a fortiori en milieu rural ou en zone urbaine défavorisée.

Les médecins, une denrée rare

Les établissements de santé se font la guerre, et ce n’est pas nouveau, pour attirer les médecins les plus renommés, gage d’une réputation de haut niveau, donc d’une patientèle toute acquise. En analyse stratégique, le filtre VRIN est couramment utilisé pour déterminer le caractère stratégique (ou non) d’une ressource. Si la ressource est à la fois valorisable, rare, inimitable et non substituable, elle est considérée comme stratégique.

Selon ces critères, quoi de plus stratégique que les médecins ? Ils sont à la fois valorisables (puisque ce sont eux qui génèrent les recettes), rares (du fait du numerus clausus, et d’autant plus dans certaines spécialités), inimitables (même si les robots se mettent à la médecine) et non substituables (seuls les médecins sont habilités à fournir certains gestes techniques ou à prescrire des médicaments).

Exemple de l’hôpital d’Ussel.

Pourtant, dans les hôpitaux, graal de tout praticien, 1 poste sur 4 n’est pas pourvu, avec bien entendu de fortes disparités selon les spécialités. Or, lorsqu’un hôpital peine à recruter, c’est sa survie même qui est en jeu, l’obligeant à nouer des partenariats avec d’autres établissements et à imaginer une véritable stratégie territoriale. Cette dernière passe notamment par sortir de l’affrontement stérile entre médecine de ville et médecine hospitalière. Il s’agit, autrement dit, de concevoir de véritables « parcours patient » dans lesquels chaque professionnel de santé a sa place.

C’est donc vers des coopérations territoriales durables que doit s’orienter notre système de santé. Il doit être à la fois centré sur le patient et valorisant pour ses forces vives. Au premier rang desquels les médecins.

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