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Les médias font-ils l’élection ?

François Fillon en campagne, le 2 mars 2017, à Nîmes. Pascal Guyot/AFP

On a longtemps cru que les médias étaient tout-puissants dans les campagnes électorales. Cela venait de croyances relatives à la propagande du début et de la moitié du XXe siècle. Quand les premières études « scientifiques » ont commencé à se développer sous l’impulsion de Paul Lazarsfeld et son équipe (1944), on s’est rendu compte que les médias n’avaient que des effets limités en termes d’influence directe sur le comportement électoral.

Paradoxalement, c’est au moment où la propagande nazie donnait à plein qu’on s’est rendu compte que les effets des médias n’étaient que limités dans les démocraties représentatives comme les États-Unis. Il est apparu que l’électeur était politiquement avant tout comme il était socialement.

Effets indirects d’agenda

Mais, à partir des années 70, on a déplacé la question en s’intéressant plus particulièrement aux effets indirects des médias et, plus précisément, à leurs effets cognitifs, c’est-à-dire sur les connaissances et les représentations des électeurs. Ainsi a-t-on pu mettre en évidence des effets dits d’agenda par lesquels les médias désignent au public les problèmes qu’il doit considérer comme prioritaires.

D’autre part, des effets de cadrage ont été repérés par lesquels les médias construisent les objets politiques (les hommes, les programmes, les partis, etc…) et donc formatent les perceptions publiques. On a même décelé des effets d’amorçage par lesquels l’information des médias dictent les critères à utiliser pour évaluer les candidats ou les situations politiques.

On voit donc que des effets indirects puissants agissent durant les campagnes électorales qui ont la capacité d’orienter les électeurs sur des objets prioritaires : certains candidats, les « présidentiables » plutôt que d’autres souvent appelés « petits candidats ». Mais aussi sur des définitions dominantes de la situation politique : la France « rongée » par la fonction publique ou insuffisamment encadrée dans les hôpitaux, les écoles ou en matière de sécurité et de justice, par exemple. La visibilité est devenue quasiment tyrannique et les médias sont le vecteur le plus puissant de la visibilisation.

Poids des sondages et emballement médiatique

Les candidats jouent stratégiquement avec ces propriétés des médias pour rendre plus légitimes leurs propositions ou bien disqualifier les adversaires. Chaque candidat, même les plus jeunes, a un « capital politique » fait de réputation qu’il tient de son passé ou de son appartenance partisane et n’est pas totalement libre de proposer le programme qu’il souhaite. Ainsi, on a vu durant les primaires de la droite et du centre qu’un large consensus existait autour d’un programme économique libéral et d’un programme fortement sécuritaire. Mais on a vu aussi comment la critique de Nicolas Sarkozy à l’égard de « l’alternance molle » d’Alain Juppé a permis au troisième candidat, François Fillon, d’émerger et d’écraser finalement ses concurrents.

Le poids des sondages diffusés par les médias s’est ici avéré décisif en avalisant une poussée irrésistible des intentions de vote redoublant l’emballement médiatique. On voit ici que la question du poids des sondages est avant tout la question de leur diffusion médiatique.

La phase des primaires passées, on a été submergé par le feuilleton du Pénélopegate qui a mis à mal le profil public du vainqueur de la primaire de la droite pris dans la contradiction entre son image de probité revendiquée comme irréprochable et de la réalité d’une situation moralement inacceptable. On a pu évoquer à ce sujet l’existence d’un authentique « tribunal médiatique » faisant fi de la présomption d’innocence pour mettre en danger de non-qualification au deuxième tour de l’élection présidentielle le candidat présumé fautif.

Mais l’un des paradoxes de cette campagne réside dans l’impact très inégal de la révélation médiatique des emplois fictifs de Marine Le Pen au Parlement européen comparé à ceux présumés de la famille Fillon. Cet exemple montre bien que le poids des médias n’est pas homogène lorsque change l’identité partisane du protagoniste central.

L’heure du débat

Le débat télévisé programmé le 20 mars entre les cinq principaux candidats (Mélenchon, Hamon, Macron, Fillon et Le Pen) va donner lieu à un déchaînement d’annonces et de commentaires médiatiques où l’idée de la toute-puissance des médias aura sans doute la part belle. Il est vrai que dans une conjoncture électorale particulièrement fluide, le débat peut jouer un rôle non négligeable si l’un des candidats fait une gaffe ou adopte une conduite inadaptée.

Mais tout porte à penser que la prudence aidant, les candidats en position de se qualifier ne prendront que peu de risque, contrairement à ceux qui ont besoin de « renverser la table » pour avoir une chance de participer au second tour. Certes, la tripartition de l’espace politique ne sera pas favorable à Marine Le Pen qui sera isolée et devra faire face aux attaques cumulées des quatre autres candidats, mais qui sera toutefois protégée d’une trop grande agressivité par son « genre féminin ».

Certes, Emmanuel Macron, favori des sondages d’intention de vote, sera sans doute la cible commune de quatre adversaires qui auront des raisons différentes de former une coalition objective d’intérêts stratégiques. Certes, F. Fillon cherchera à montrer que son programme mérite de le qualifier pour le second tour. Quant aux deux autres candidats, ils auront, de plus, fort à faire pour marquer leurs différences et la singularité de leur offre électorale.

Visibilité différentielle

On connaît bien la distribution des préférences médiatiques des citoyens et on sait aussi qu’ils ont tendance à penser que l’influence des médias ne jouera que sur « les autres » : c’est ce qu’on appelle « l’effet troisième personne ». Il n’en demeure pas moins que le commentaire médiatique a posteriori d’un débat télévisé peut s’avérer déterminant pour la reconnaissance d’un vainqueur, comme l’a montré le cas Fillon en novembre 2016. Ce qui est en cause ici, c’est la circularité de l’information pour parler comme Pierre Bourdieu qui fustigeait l’imitation des médias dans la reproduction de leurs commentaires.

Au fond, une campagne électorale se joue principalement dans les médias et les quelques conduites de participation spontanée – assistance aux meetings, collage d’affiches, diffusion de tracts, porte-à-porte, etc. – reste l’apanage d’une toute petite quantité de citoyens ou militants. Certes, la participation en ligne (sur Facebook, Twitter ou YouTube) se développe rapidement mais n’implique que très faiblement ceux qui cliquent et s’en tiennent là pour exprimer leurs opinions. On peut même craindre qu’elle n’enferme les convaincus dans un comportement de consolidation continue de leurs convictions – ce qui à terme conduirait à une menace authentique pour le dialogue démocratique.

Au total, les effets les plus puissants des médias résident dans leur capacité à conférer une visibilité différentielle, un cadrage (une interprétation) discriminant et à orienter l’attention publique sur des objets préférentiels.

Il ne faudrait, cependant, pas oublier que les médias sont insérés dans des mondes sociaux auxquels leurs consommateurs appartiennent aussi et de cette expérience ils tirent des attitudes politiques parfois persistantes.

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