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Les normes natalistes entravent l’Afrique subsaharienne

Erithrée. J. Kefauver, A. Hagos/USAID

La plupart des pays d’Afrique subsaharienne aspirent à devenir rapidement des pays émergents à croissance forte, inclusive et durable. Cependant, l’importance des investissements démographiques, en santé, éducation, logements, etc. qu’ils doivent continuer à faire constitue un des obstacles majeurs pour cet objectif. En effet, comme nous l’avons vu dans nos précédentes data visualisations (ici et ), la fécondité y reste presque partout supérieure à 4 enfants par femme. En comparaison, pour les pays émergents, elle est aujourd’hui d’environ 2 enfants par femme (entre et 1,5 et 3 enfants).

Le maintien d’une forte fécondité en Afrique subsaharienne depuis les années 1960 est le résultat de facteurs socio-économiques et culturels. La faiblesse des niveaux d’instruction, d’urbanisation et du statut de la femme dans la plupart des pays sont des facteurs défavorables à une maîtrise consciente de la fécondité. Aussi, les sociétés africaines continuent de valoriser les familles nombreuses et les femmes ayant beaucoup d’enfants. La persistance de ces normes « natalistes » s’est traduite par une résistance à une utilisation de la contraception.

Révolution contraceptive

L’utilisation de la contraception en Afrique subsaharienne reste faible. Selon les résultats des dernières enquêtes, elle est, dans la moitié des pays, égale au plus à 20 % parmi les femmes mariées ou vivant maritalement. En revanche, elle se situe entre 60 % et 85 % dans la majorité des pays en développement ayant achevé leur transition de la fécondité : les femmes de ces pays ont donc réussi à maîtriser consciemment la taille de leur famille. Ce qui leur a permis d’entrer sur le marché du travail et d’être plus autonomes. Ces femmes ont ainsi réalisé en 30, 40 ans ce qu’on a appelé leur « révolution contraceptive ».

La faible utilisation de la contraception en Afrique subsaharienne est fortement corrélée à la faiblesse de la demande du côté des femmes. En effet, dans la moitié des pays, moins de 50 % d’entre elles ont exprimé un besoin en contraception. Contre 70 à 90 % des femmes dans la majorité des autres pays en développement. La faible demande peut s’expliquer par le fait que de nombreuses femmes ne sont pas encore pleinement conscientes de leurs droits en la matière. On encore que les pressions du conjoint, de la famille et de l’environnement dans lequel elles vivent les empêchent d’exercer ces droits. Par ailleurs, la faiblesse des programmes de planification familiale dans la plupart des pays peut décourager les femmes de l’utiliser.

Mais surtout, la faiblesse de l’utilisation de la contraception et de la demande correspondante apparaît liée aux normes natalistes toujours dominantes. En effet, dans la plupart des pays, les femmes ont indiqué un nombre idéal d’enfants supérieur à quatre, contre deux à trois dans la plupart des autres pays en développement. À noter que les nombres idéaux d’enfants en Afrique subsaharienne diminuent lentement. Mais restent toujours élevés parmi les jeunes femmes, y compris celles ayant suivi des études secondaires.

Dans ce contexte, les femmes d’Afrique subsaharienne considèrent logiquement la contraception comme un moyen de réaliser leur nombre idéal d’enfants toujours élevé, en espaçant mieux leurs grossesses. Ainsi, dans la moitié des pays, plus de 65 % de la demande en contraception cible ce besoin d’espacement. À l’inverse, dans la majorité des autres pays en développement, 65 % et plus de la demande l’est dans un objectif de maîtrise de la taille de la famille.

La contraception est surtout pour les Africaines un moyen d’espacer des naissances nombreuses

Relation entre la demande en planification familiale (en % sur l’axe vertical) et la demande en espacement des naissances de la part des femmes, dans 71 pays en développement. Etoiles rouges pour l'Afrique subsaharienne; trianges jaunes pour Asie et Afrique du Nord; Carrés verts pour Amérique latine; Ronds bleus pour Europe. L’Afrique subsaharienne veut une contraception pour simplement espacer les naissances sans en réduire le nombre. Source : Enquêtes DHS 1994–2014.

L’accélération de la transition démographique, en particulier de la transition de la fécondité, n’est donc pas acquise. C’est pourtant l’une des conditions préalables à remplir pour pouvoir bénéficier d’un dividende démographique et atteindre l’émergence.

Pour enclencher une telle accélération, il est nécessaire de faire sauter le verrou que constituent actuellement les normes natalistes qui caractérisent toujours les sociétés d’Afrique subsaharienne. Cela est possible au travers une refonte totale des programmes actuels d’information et d’éducation sur la planification familiale généralement centrés sur la santé de la mère et de l’enfant.

Ces programmes devraient selon nous être recentrés sur l’ensemble des adaptations auxquelles les femmes et les couples sont aujourd’hui contraints dans un contexte de changement rapide des sociétés africaines. Elles devraient aussi mettre davantage l’accent sur le futur espéré par les couples pour leurs enfants en termes d’éducation et d’insertion sociale dans des sociétés en pleine mutation.

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