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La pieuvre, invertébrée malicieuse. Vladimir Wrangel/Shutterstock

Les pieuvres sont super-intelligentes… mais ont-elles une conscience ?

Inky, la pieuvre sauvage, s’est échappée de l’Aquarium national de Nouvelle-Zélande. Apparemment, elle s’est faufilée à travers une petite ouverture de son réservoir et des empreintes de ventouses montrent qu’elle s’est frayée un chemin vers un tuyau d’évacuation des eaux se déversant dans l’océan.

Bien joué, Inky ! Ton courage nous donne l’occasion de réfléchir au degré d’intelligence des céphalopodes. En fait, ils sont très intelligents. Jennifer Mather, experte dans ce domaine, a passé des années à les étudier. Selon elle, ils ne démontrent pas seulement leur aptitude à décrypter de nombreuses caractéristiques de leur environnement, mais ils passent d’une phase d’exploration vers quelque chose qui ressemble à un jeu, si on leur donne l’occasion.

Par exemple, Jennifer Mather raconte comment deux pieuvres ont utilisé plusieurs fois leurs jets d’eau pou faire sauter un objet vers un conduit situé à l’opposé de leur réservoir. Ce qu’elle décrit comme « l’équivalent aquatique d’un jeu de ballon ». Qui plus est, comme l’explique Jennifer Mather, les céphalopodes résolvent les problèmes avec inventivité. Ainsi, quand elles s’attaquent à des coquillages, les pieuvres utilisent souvent toute une gamme de tactiques pour détacher la viande de la coquille, avec un va-et-vient de techniques : ouvrir le coquillage en le tirant, en écailler le bord, ou en percer la paroi. Une vraie démarche d’essais et erreurs !

Les céphalopodes, certes, ne sont pas les seuls à faire preuve d’intelligence. C’est le cas aussi d’autres espèces non-humaines. Dans leur genre particulier, beaucoup de machines le sont aussi et certaines surpassent les hommes les plus intelligents dans nos jeux les plus compliqués. Vous devinez probablement la question suivante. Cela signifie-t-il que nombre de non-humains – les pieuvres, les corbeaux, les singes, les machines – sont dotés d’une conscience ? Et si oui, comment y répondons-nous ?

L’humain Lee Sedol contre la machine intelligente AlphaGo. Bepo Live/YouTube

Ce genre de questions provoque beaucoup d’intérêt. Rien que le mois dernier, un des primatologues les plus influents, Franz de Waal, a publié une étude consacrée à l’anthropomorphisme et à la conscience des chimpanzés ; des philosophes et des scientifiques ont débattu de la conscience des intelligences artificielles et de la possibilité pour les machines de devenir conscientes d’elles-mêmes sans que nous nous en rendions compte ; enfin, le neuroscientifique Michael Graziano a soutenu que les théories actuelles de la conscience sont « pires qu’erronées » tout en prédisant que nous aurons construit une machine consciente dans les 50 ans à venir.

Cependant, il est difficile de savoir quel type de vie mentale possèdent les animaux non-humains et si elle ressemble quelque peu à la nôtre. Si c’est le cas, avons-nous tort de les manger ? Ou bien, prenons en considération les robots : ils pourraient très bien développer une activité mentale qui leur soit propre. Nous ne sommes guère préparés à reconnaître si – ou quand – cela va intervenir, même si nous pourrions être amenés, éventuellement, à avoir des obligations morales envers ces machines.

Ce que j’ai lu de mieux ces temps-ci sur la conscience et chez les non-humains, c’est une nouvelle, « The Hunter Captain », du philosophe et écrivain David John Baker. Il s’agit d’êtres d’une race étrangère qui, pour la première fois, rencontrent un humain. Selon leurs neurosciences à eux, cet humain est dépourvu de la structure neurale spécifique qui engendre la conscience. Comme tous les autres animaux qu’ils ont rencontrés, y compris les animaux parlants qu’ils tuent de façon violente avant de les manger, l’homme n’est qu’intelligent, mais privé de conscience. En tant que tel, il n’a pas de statut moral, il est destiné à être pourchassé, ou asservi. Comme on peut l’imaginer, l’être humain s’y oppose. S’ensuit une discussion entre l’alien et l’homme sur la philosophie de l’esprit.

La nouvelle de David John Baker met en scène les deux points clefs de décisions auxquelles nous sommes confrontés quand nous nous soucions de la conscience chez les non-humains.

Le premier pose la question de savoir si la conscience serait la base indispensable pour gagner un statut moral : à savoir ce que vous avez en vous qui crée une obligation de vous traiter d’une façon particulière (interdiction de vous faire du mal, respect de vos droits). Même si la conscience constitue le point essentiel, il n’est pas évident de savoir où tracer la ligne de démarcation : d’aucuns disent que la valeur morale exigeun type de conscience associée à la sensation de douleur et de plaisir (la conscience des phénomènes) ; d’autres pointent celle qui est associée à la connaissance de soi-même.

Le second point concerne la nature de la conscience et on se demande s’il suffit d’un certain type d’intelligence, ou d’un certain niveau d’intelligence. Auquel cas, quel degré d’intelligence faut-il manifester, et comment le mesurer ? Même si la seule intelligence n’est pas suffisante pour garantir la conscience, il pourrait être psychologiquement impossible pour nous, les humains, d’affronter un être hautement intelligent sans ressentir l’envie irrépressible de le savoir conscient. Devons-nous faire confiance à ce besoin ?

L’intelligence, c’est s’adapter à son environnement. chostett/Flickr, CC BY-NC

Regardons, à nouveau, du côté des pieuvres. En se basant sur des signes comportementaux, on peut dire qu’elles sont intelligentes. Mais rien n’est moins évident que de savoir à quel point elles le sont, et même si cette question est pertinente. L’intelligence des pieuvres se forme, en partie, en fonction de leurs besoins – leur type de pensée et de besoins dépend de l’histoire de leur évolution de leur environnement et de leur conformation. En fonction de ces facteurs, on peut estimer que les pieuvres sont hautement intelligentes. La conscience pourrait être intimement liée aux particularités de l’intelligence proprement humaine. Mais compte tenu du peu que nous savons de la conscience, il semble imprudent, à l’heure actuelle, de souscrire à cette explication.

D’autres points méritent que l’on s’interroge. Les pieuvres ressentent-elles la douleur ? Apparemment oui, même si les sceptiques peuvent vous expliquer qu’elles ne font jamais que réagir à des stimuli comme si elles avaient mal. Mais ont-elles conscience d’éprouver cette douleur ? On ne sait pas.

Il n’existe que très peu de consensus sur ces questions difficiles. Mon but a été de s’y confronter. Car nous avons tous, c’est évident, à décider ce qu’il faut en penser. Nous interagissons déjà avec des animaux certainement dotés de conscience et, à des degrés divers, d’intelligence. En outre, pour beaucoup d’entre nous, dans un futur proche ou lointain, c’est à des machines probablement conscientes à des degrés divers d’intelligence que nous aurons à faire. Contrairement à Inky, la pieuvre sauvage, les questions sur la conscience chez les non-humains ne vont pas s’effacer comme cela.

En collaboration avec le blog Practical Ethics de l’université d’Oxford

This article was originally published in English

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