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Vue d'architecte de la plateforme d'innovation The Camp, à Aix-en-Provence. Tous droits Golem Images pour thecamp et Corinne Vezzoni & Associés

Les plateformes d'innovation comme outils de politique publique : repenser le rôle des collectivités locales

Le concept de plateformes d’innovation permet d’aller au-delà des catégories d’espaces de coworking, de makerspaces, ou d’incubateurs. Portés par des associations ou par des entrepreneurs, ces nouveaux lieux d’innovation foisonnent dans notre pays, ce qui représente une particularité française en Europe.

Ils combinent le plus souvent une variété d’activités et de services qui peuvent inclure l’incubation, le prototypage, le coworking ou, encore, des activités comme l’expérimentation sur des usages et le conseil. Ces espaces sont également caractérisés par la mise en place d’un lieu totem (endroit facilement identifiable où rencontrer les acteurs clés de l’écosystème) et d’une communauté qui vise à développer de liens de collaboration. Le développement de ces plateformes d’innovation accompagne l’évolution des modes de travail et l’introduction de nouveaux modèles d’innovation.

Les plateformes d’innovation sont aussi la source d’un renouvellement des politiques locales. C’est le sujet de cet article, basé sur une étude récente cofinancée par le Innovation Factory et Bpifrance le Lab, dans laquelle nous avons analysé et comparé une quinzaine de lieux d’innovation en France.

Du triple à la quadruple hélice : un nouveau paradigme pour les politiques locales

L’économie de la connaissance a entraîné une transformation des politiques d’innovation. Les chercheurs du domaine parlaient depuis une vingtaine d’années de la dynamique de la « triple hélice », ou les actions des pouvoirs publics, des entreprises et des universités se combinent pour favoriser l’innovation. Le concept a été étendu pour devenir la quadruple hélice, et intégrer de manière systématique les acteurs de la société civile : citoyens, associations et média.

Appliqué au territoire, ce concept permet de mettre en perspective deux enjeux clés :

  • Construire des dispositifs d’action locale fondés sur de nouvelles collaborations qui peuvent aller jusqu’à de la co-construction entre acteurs de la quadruple hélice.

  • Chaque acteur de la quadruple hélice se voit endosser en partie les missions des autres acteurs : l’université développe sa mission liée au développement économique local tandis que les entreprises s’impliquent dans des projets d’attractivité du territoire et de développement d’écosystèmes de startups. Les collectivités locales ne sont plus seulement des financeurs et des régulateurs, mais orchestrent les dynamiques locales, voire contribuent à la production de nouveaux services.

Les plateformes d’innovation illustrent parfaitement les modalités d’interaction variées qui existent au sein de la quadruple hélice. Si elles sont souvent portées par des associations ou des entrepreneurs, leur émergence et leur développement résultent généralement d’efforts communs entre collectivités locales, universités, entreprises et société civile. Chaque acteur est intégré à des degrés divers dans la construction des projets.

L’exemple lyonnais

À Lyon Tuba est un exemple de ces interactions vertueuses. Sa mission est de gérer l’expérimentation de nouveaux services urbains fondés sur le digital et les données ouvertes (open data). Impulsée par la Métropole de Lyon et la région Rhône Alpes au début des années 2010, elle a impliqué plusieurs grandes entreprises qui se sont engagées dans cette initiative, alors même que les contours de la plateforme n’étaient pas encore clairement définis. La co-construction entre acteurs publics et privés porte sur les thématiques à aborder en commun et les modalités concrètes de collaboration, ainsi que la construction des expérimentations dans des espaces urbains.

Aujourd’hui, des personnes issues des universités, des startups, des collectivités locales et de grandes firmes sont impliquées au quotidien dans cette démarche. Tuba donne même la parole aux citoyens via l’animation d’un café communautaire qui permet les rencontres entre entreprises, universitaires et citoyens sur les thèmes de la rénovation urbaine.

De nouveaux rôles pour les collectivités locales

Partout, les politiques locales soutiennent le développement des plateformes d’innovation par divers moyens : subventions, appels d’offres, facilité d’accès à des bâtiments gérés par les collectivités locales. Leur intervention se fonde a priori sur des outils traditionnels de soutien au développement des activités locales. Une analyse plus poussée permet de montrer une évolution plus profonde de leur rôle.

Comme le montre le graphique ci-dessous, cinq rôles ont pu être identifiés pour les collectivités locales. Ils dépendent à la fois de la relation entre acteurs de la quadruple hélice et du degré d’implication des collectivités locales dans la construction de la stratégie de la plateforme. Ces différents rôles peuvent évoluer au cours du temps, en fonction des trajectoires locales de développement.

Les différents rôles des collectivités locales. Author provided

Le haut de la pyramide décrit des cas où les collectivités locales occupent le rôle de leader dans les dispositifs mis en place. Elles occupent un rôle clé dans le financement, dans l’orientation stratégique et dans les missions confiées à la plateforme. C’est le cas notamment de Euratechnologies (Lille).

Ensuite, les collectivités locales peuvent occuper un rôle de partenaire des plateformes d’innovation. Les collectivités locales deviennent un partenaire stratégique parmi d’autres. Elles contribuent au financement, à la définition des orientations stratégiques et des services mis en place par la plateforme. Tuba (Lyon) Liberté Living Lab) (Paris) ou thecamp (Aix-en-Provence) illustrent ce cas. Ces plateformes sont le plus souvent pilotées par des entrepreneurs (thecamp, Liberté Living Lab). Les collectivités locales deviennent souvent des utilisateurs potentiels des services des plateformes.

Troisième rôle : les collectivités locales définissent un mandat avec délégation pour la plateforme. Dans ces cas précis, les collectivités locales soutiennent financièrement la plateforme sur une mission clé pour le développement du territoire, comme la transformation digitale des écosystèmes locaux. Les collectivités locales définissent l’objectif général, mais laissent les acteurs de terrain être les architectes du contenu des services à construire. C’est par exemple le cas de Alsace Digitale (Strasbourg).

Le quatrième positionnement, quant à lui, correspond au cas où les collectivités locales se comportent principalement comme des utilisateurs d’une plateforme d’innovation. Elles mobilisent les services des plateformes pour renouveler leurs propres services. C’est le cas par exemple de You Factory (Lyon) dont les collectivités locales utilisent les services de prototypage.

Enfin, les collectivités locales peuvent limiter leurs interactions à des relations occasionnelles avec la plateforme, par exemple des activités de networking, ou la location du lieu. Les effets sur le développement de la plateforme et sa stratégie sont faibles. C’est le cas de The Corner (Brest) ou de Bel Air Camp (Lyon-Villeurbanne).

Dans tous les cas, l’installation dans la durée d’une plateforme d’innovation sur « son » territoire requiert de construire progressivement une interaction vertueuse avec les collectivités locales. Plus ces dernières soutiennent l’activité des plateformes d’innovation (sans prescrire leur contenu), plus elles facilitent la construction de leur légitimité sur le territoire. À terme, l’alignement stratégique entre ceux qui gèrent les plateformes et les collectivités locales se révèle un gage de réussite des projets. En revanche, le soutien public ne doit pas uniquement susciter des effets d’aubaine pour des plateformes qui ne trouveraient pas leurs usagers et communautés, et contribueraient ainsi peu au renouvellement des modèles d’innovation.

Pourquoi une telle diversité de rôles pour les collectivités locales ?

La diversité des rôles des collectivités locales s’explique en grande partie par trois dimensions :

  • La nature et la qualité des relations préexistantes entre les acteurs de la quadruple hélice qui existent sur chaque territoire, et en particulier le degré de confiance entre les acteurs.

  • L’alignement entre les différents intérêts des acteurs de la quadruple hélice, mais, aussi, des horizons temporels qui structurent leurs priorités.

  • La capacité organisationnelle des collectivités locales à avoir une vision systémique du développement de leur territoire.

Les plateformes d’innovation constituent aussi bien un outil pour le développement de l’entrepreneuriat, l’innovation et l’éducation que pour l’accompagnement des changements de modes de travail et la réinsertion professionnelle. Les collectivités locales peuvent ainsi dépasser l’approche en silos pour construire leur politique locale. Elles doivent être proactives pour construire de nouvelles activités et expérimenter de nouveaux services.

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