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Les dirigeants autochtones du Canada s’inquiètent du fait que les aides promises par le gouvernement fédéral pour aider les Premières Nations, les Inuit et les Métis à faire face aux retombées de le Covid-19 pourraient ne pas suffire. Le chef national de l’Assemblée des Premières Nations, Perry Bellegarde, deuxième à partir de la droite, est accompagné de dirigeants de Premières Nations lors d’une conférence de presse à Ottawa, le 18 février. LA PRESSE CANADIENNE/Sean Kilpatrick

Les Premières Nations face aux épidémies : des risques accrus

Les formes historiques et contemporaines de colonialisme prédisposent les Premières Nations à des risques accrus en lien avec la pandémie de Covid-19.

Après avoir mis en œuvre des mesures strictes pour se protéger, affirmant ainsi leur souveraineté sur leurs territoires, les Premières Nations ont été largement épargnées jusqu’à présent des éclosions qu’elles craignaient. La menace posée par la possibilité d’une deuxième vague demeure toutefois très réelle.

En tant que chercheuses et spécialistes des droits de la personne et des droits des peuples autochtones, nous soutenons que la décision historique du Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) de 2016, dans la cause opposant le gouvernement fédéral à la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations et l’Assemblée des Premières Nations, établit la norme juridique pour le Canada dans la prestation et le financement de services pour contrer la Covid-19. Or, les mesures de financement adoptées jusqu’à présent par le Canada pour contrer les risques d’éclosion ne respectent pas cette norme.

De la peste blanche à la Covid-19

Le 15 novembre 1907, la manchette du Evening Citizen à Ottawa s’intitulait : « Les écoles aident la peste blanche : des morts surprenantes révélées chez les Indiens – une inattention absolue aux nécessités de la santé. »

L’article décrivait les constats de l’agent de santé des Affaires indiennes, le Dr Peter Bryce, quant au lien entre les inégalités dans le financement des soins de santé destinés aux « Indiens » et les taux de mortalité alarmants des élèves des pensionnats. Au cours du siècle qui a suivi, de nombreuses autres voix crédibles, comme le Vérificateur général du Canada ainsi que la Commission de vérité et réconciliation ont dénoncé l’inégalité dans les services publics aux Premières Nations et proposé des solutions pour y remédier. Le Canada n’a pas agi.

Le défaut du Canada d’adopter des mesures adéquates a engendré des disparités, notamment dans l’accès au logement, aux soins de santé et à l’eau potable. Ces inégalités ont pour effet d’accroître les risques encourus par les Premières Nations lors de crises sanitaires telles la pandémie de Covid-19.

Des consignes difficiles à respecter

Par exemple, alors que les autorités de santé publique considèrent le lavage des mains comme le moyen le plus efficace de prévenir la transmission de la Covid-19, de nombreuses communautés des Premières Nations vivant dans les réserves n’ont toujours pas accès à de l’eau propre et salubre. La crise chronique du logement aggrave aussi la situation. Près du quart (23,1 %) des membres des Premières Nations vivant dans des réserves habitent des logements surpeuplés, ce qui empêche les familles de suivre les consignes de santé publique concernant la distanciation physique et l’isolement des malades, en plus de mettre en danger les femmes et les enfants victimes de violence domestique.

Ces iniquités structurelles, auxquelles s’ajoute la discrimination dans l’accès aux soins de santé, à des aliments sains et abordables et à des infrastructures de télécommunication efficaces, limitent considérablement la capacité des Premières Nations à réagir aux crises sanitaires.

Ce qu’en disent les droits de la personne ?

La pandémie pose des défis distincts et imprévus dans les collectivités des Premières Nations du Canada. Pourtant, il y a des leçons précieuses à tirer des expériences passées. La décision de 2016 du TCDP, portant sur les services gouvernementaux destinés aux enfants de Premières Nations, clarifie la norme juridique à laquelle le Canada doit se conformer pour s’acquitter de ses obligations en vertu de la la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP).

Premièrement, la décision établit que le Canada doit offrir suffisamment de financement pour permettre une offre de services qui tienne compte des besoins et des particularités culturelles, historiques et géographiques des différentes communautés. Deuxièmement, les coûts supplémentaires associés à la réponse aux nouvelles crises de santé publique ne peuvent être compensés par la réduction des services et des programmes existants destinés aux Premières Nations.

Enfin, les mesures prises dans le contexte de la pandémie s’avéreront invariablement inutiles si elles ne sont pas accompagnées par des stratégies efficaces pour remédier de manière globale aux inégalités dans les services et programmes gouvernementaux destinés aux Premières Nations.

Des mesures inéquitables

Au moment d’écrire ces lignes, les mesures déployées par le Canada visant spécifiquement à limiter la propagation de la Covid-19 dans les collectivités des Premières Nations du Canada représentent moins d’un pour cent du financement pour limiter les impacts de la Covid-19 du gouvernement fédéral, bien que les Premières Nations représentent près de 5 % de la population du Canada. Autrement dit, les mesures n’atteignent même pas le modeste standard de l’égalité formelle.

De plus, le gouvernement fédéral n’a toujours pas annoncé de mesures visant à corriger les inégalités systémiques vécues par les collectivités des Premières Nations qui les prédisposent à des risques accrus en lien avec la pandémie de la Covid-19. Comme le Dr Bryce le soulignait il y a maintenant 113 ans, les interventions efficaces en matière de soins de santé publics pour les Premières Nations doivent inclure des mesures correctives et une égalité réelle dans la prestation des services publics. L’un sans l’autre est voué à l’échec.

Le chef national de l’Assemblée des Premières Nations, Perry Bellegarde, lors d’une conférence de presse à l’Amphithéâtre national de la presse à Ottawa, le mardi 18 février 2020. LA PRESSE CANADIENNE/Sean Kilpatrick

Depuis des décennies, le Canada est au fait des inégalités dans le financement des services et des programmes pour les Premières Nations, mais il n’a pas agi. Selon une preuve déposée au TCDP, en 2005, le gouvernement fédéral estimait qui offrait au moins 22 % moins de financement aux Premières Nations pour les services destinés aux enfants par rapport au financement offerts aux autres enfants. Au lieu de cela, il a incité les Premières Nations à faire preuve de patience alors qu’il apportait des modifications négligeables aux services gouvernementaux inéquitables qui leur sont destinés. En effet, le TCDP a dû rendre neuf ordonnances après sa décision historique de 2016 afin d’inciter le Canada à respecter ses obligations juridiques envers les enfants des Premières Nations.

Dans la cause opposant Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations et l’Assemblée des Premières Nations contre le gouvernement du Canada, le Tribunal des droits de la personne a statué qu’il est illégal pour le Canada de faire passer les considérations financières avant l’intérêt supérieur des enfants des Premières Nations. La décision fait écho à ce que les peuples des Premières Nations affirment depuis longtemps : la discrimination en tant que politique fiscale est la manifestation du racisme et du colonialisme enracinés dans la société canadienne.

S’il y a une chose que nous avons apprise de la réponse du Canada à cette crise, c’est que les divers paliers de gouvernement peuvent agir rapidement pour offrir des milliards de dollars de programmes sociaux et de soutien économique lorsqu’ils sont jugés prioritaires. Si l’égalité réelle n’est pas considérée comme un objectif politique immédiat dans les programmes et services gouvernementaux, les politiques colonialistes du Canada auront de nouveau des conséquences prévisibles et fatales pour les peuples des Premières Nations.

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