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Les scandales alimentaires ne datent pas d’aujourd'hui

Publicité pour les conserves André Loison, 1911. Gallica BnF

Nous vous proposons cet article en partenariat avec RetroNews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France.


Le 1er août 1905, l’adoption de la loi sur la répression des fraudes en France s’inscrit dans la continuité de multiples polémiques auxquelles la presse a souvent pris part. En janvier 1902, par exemple, le quotidien Le Matin a mené une campagne retentissante contre le « lait frauduleux », et a même lancé une éphémère « Ligue de Défense de la vie humaine » :

« Contre le syndicat de la falsification et de l’empoisonnement, il faut dresser la Ligue de Défense de la vie humaine. Contre le groupement des malfaiteurs de tout acabit, il faut dresser le groupement des honnêtes gens de toute classe, depuis les plus fortunés jusqu’aux plus pauvres. […] Cette ligue n’aura pas d’autre mission que de prendre en main la défense de ses membres. Un échantillon quelconque de lait lui sera-t-il apporté par la grande dame qui descend de son coupé ou par l’humble ouvrière qui sera venue de loin, son enfant entre ses bras, l’échantillon sera analysé. S’il est mauvais, fût-il seulement d’un degré au-dessous de la normale, la Ligue poursuivra les coupables. »

Mais le vote de la loi ne suffit évidemment pas à améliorer sur-le-champ la situation. Au sein de la Confédération générale du travail (CGT), le secrétaire de la fédération de l’Alimentation, Amédée Bousquet, dénonce les falsifications les plus courantes à travers une série d’articles publiés dans La Voix du Peuple en août-septembre 1906. Tout y passe : le pain, le vin, le café, les gâteaux, les bonbons…

Henri Géroule, dans L’Humanité, lui emboîte le pas pour dévoiler les pratiques peu ragoûtantes de nombreux restaurants parisiens : restes de fruits de mer laissés par les clients réutilisés dans la prétendue « bisque d’écrevisse », cabillaud ou colin maquillé en barbue… Quant aux bouchées à la reine :

« Si le maître d’hôtel insiste, c’est qu’il a à écouler un vieux stock de veau froid et défraîchi, qui encombre le garde-manger et qui, haché menu, remplace avantageusement, pour la bourse du patron, les filets de volaille absents de votre bouchée. Ils lui donnent, accompagnés de quelques épluchures de champignons, un air vraiment royal. Il faut dire qu’une sauce épaisse recouvre cet amalgame d’un voile impénétrable. »

À la même époque, c’est l’industrialisation de la production de viande qui suscite de vifs débats aux États-Unis. En 1906, Upton Sinclair publie La Jungle, roman qui s’inspire de l’enquête qu’il a menée dans les immenses abattoirs de Chicago. Les conditions de travail et d’hygiène qu’il décrit choquent profondément l’opinion. Revenant sur ce best-seller, Le Petit Parisien signale les détails les plus répugnants :

« L’Américain qui achetait des conserves pouvait devenir cannibale sans le savoir. Lorsqu’un être humain tombait dans une des chaudières où se confectionnaient les horribles mixtures, on ne prenait point la peine de l’en retirer ; il devenait chair à saucisses. Un fonctionnaire du bureau de charité de Chicago assista, pour sa part, à deux incidents significatifs. Un enfant qui apportait à déjeuner à son père dans une usine fit un faux pas et s’en alla choir dans la cuve des conserves. Nul ne se soucia de lui, et, quelques semaines après, par une invraisemblable fatalité, le même sort était réservé au père lui-même. »

La polémique engendrée par La Jungle alerte jusqu’au président Theodore Roosevelt. Elle contribue à l’adoption du « Pure Food and Drug Act » en 1906, une loi destinée à protéger les consommateurs et à éradiquer les pratiques frauduleuses des « trusts » de l’agroalimentaire.

L’année suivante, la crise viticole que connaît la France place au cœur de l’actualité la question de la falsification du vin. « Sus à la fraude ! », lance Le Matin en se faisant le porte-voix des vignerons du Midi, le 13 mai 1907.

Un Service de la répression des fraudes vient alors d’être institué au sein du ministère de l’Agriculture, mais la tâche à accomplir est immense. Les astuces permettant de falsifier discrètement le vin sont tellement nombreuses que le chroniqueur Harduin y voit, dans Le Matin du 13 juillet 1907, la seule raison pour laquelle l’eau minérale est davantage conseillée par les médecins :

« Si les médecins proscrivent le vin, c’est que, probablement, ils redoutent la fraude et la considèrent comme la cause des maladies d’estomac dont souffrent leurs clients. Ils préféreraient peut-être ordonner à leurs malades de changer de marchand de vin, mais, comme le nouveau n’offrirait pas plus de garanties que l’ancien, ils trouvent plus expédient de recourir aux eaux minérales contenues dans des bouteilles, lesquelles sont, du reste, des réservoirs à microbes. »

Dans ces années 1900 où les modes de production, de distribution et de consommation connaissent de profonds bouleversements, se pose finalement une question qui reste toujours d’actualité : ces pratiques doivent-elles être considérées comme des dérives auxquels les pouvoirs publics peuvent mettre fin, ou sont-elles les conséquences inévitables d’un système soumettant l’alimentation à la loi du profit ?

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