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Les sept situations stratégiques des PME françaises

Pour plus d'une PME-TPE sur trois, les aides publiques devraient concerner en priorité l’efficience organisationnelle. Thodonal88 / Shutterstock

Si de nombreuses recherches s’intéressent aux pratiques stratégiques et managériales des TPE-PME, la plupart se concentrent sur des domaines particuliers de comportement de ces petites structures, ou sur les caractéristiques de leurs propriétaires-gestionnaires. C’est ainsi qu’on étudie en général les gazelles, les licornes, les entreprises internationales dès leur création (« born global ») ou d’autres entreprises extraordinaires, mais finalement assez peu la très large majorité que constituent les autres entreprises.

À partir d’une collecte de données réalisée en 2013 par les chercheurs du laboratoire Coactis – Université Lyon 2 et Université de Saint-Étienne 2 –, soit un échantillon de près de 600 TPE-PME d’une grande diversité de tailles et de secteurs, nous avons mis en œuvre une méthode statistique permettant d’identifier des groupes d’entreprises qui, confrontées à des situations stratégiques proches, adoptaient des choix similaires en matière de développement. La classification finale comporte sept profils d’entreprises, qu’il nous semble important de prendre en compte dans la perspective d’un meilleur accompagnement par les collectivités publiques.

Y voir plus clair dans la richesse du tissu

Les PME « façonnières » sont des entreprises qui produisent à la demande plus souvent que la moyenne de l’échantillon. Elles ont un mode de fonctionnement plutôt à l’affaire, des objectifs à court terme et font la différence au niveau de leurs prix et de la fiabilité de leurs délais, enjeux sur lesquels les attentes de leurs marchés sont bien souvent très fortes. Elles estiment ainsi ne pas disposer d’avantage concurrentiel particulier et ne cherchent pas du tout à innover ni à s’internationaliser.

Les PME « orientées métier » évoluent très majoritairement dans le secteur de l’industrie manufacturière et semblent guidées par les particularités de leur métier plus que par n’importe quel autre facteur. Elles font partie des plus anciennes et des plus grandes, avec une part des ouvriers assez importante parmi les salariés. Les attentes du marché concernent les délais, la fiabilité des délais, la qualité et le prix des produits. Ces entreprises sont peu dynamiques d’un point de vue stratégique et en termes d’innovation ; un tiers d’entre elles sont sous-traitantes de grands donneurs d’ordres. Leurs systèmes d’information et leurs outils informatiques sont ainsi assez développés, et elles estiment généralement être totalement dépendantes de leurs clients – situation souvent vécue négativement.

Les PME « agitées » sont les plus petites, les moins structurées et parmi les plus jeunes de l’échantillon. Elles semblent un peu dispersées et impétueuses dans leur effort de développement. Deux tiers ne disposent pas d’équipe de direction et trois quarts de ces PME n’ont pas du tout mis en place de règles pour la plupart de leurs postes. Elles sont les moins outillées en systèmes d’information – qui ne sont pas envisagés comme pouvant améliorer la performance ou l’efficience de leur activité. Elles n’ont pas d’outil de formalisation de l’orientation stratégique ni de compétences commerciales ou marketing, et ne sont pas internationalisées. Une PME sur deux ne vend pas aux grandes entreprises. Elles s’adressent le plus souvent à des clients particuliers, fondent leur développement sur un meilleur rapport qualité/prix que la concurrence, et innovent peu.

Les PME « installées » évoluent majoritairement dans le secteur de l’industrie manufacturière, sont de taille moyenne et font partie des plus âgées. Elles fondent leur activité sur la réponse au besoin des clients ainsi que sur la qualité de leurs offres. Les attentes du marché sur ce dernier point étant fortes, ces entreprises mettent réellement l’accent sur l’aspect qualité, par l’innovation notamment. Deux tiers d’entre elles disposent également, entre autres responsables de services dédiés en interne, d’un responsable interne chargé de la QSE (Qualité, Sécurité, Environnement). Plus globalement, ces PME sont positionnées de manière moyenne sur de nombreux indicateurs retenus dans notre étude.

Les PME « entrepreneuriales » évoluent plus souvent que les autres dans des secteurs dits de service. Elles sont majoritairement de petite taille, très jeunes et n’emploient pas d’ouvriers. Elles évoluent sur des marchés de niche en phase de croissance et profitent de cette situation pour accélérer leur développement, grâce à l’exploration constante de nouvelles connaissances et un niveau assez élevé d’empowerment structurel (autonomisation) de leurs salariés. Cela leur permet d’innover en termes de produits/services comme en termes de marketing, et ainsi de répondre aux attentes du marché qui sont perçues comme étant très élevées sur ce volet de l’innovation. Elles sont plutôt bien intégrées dans les réseaux et leurs dirigeants sont confiants dans leur capacité à développer leur entreprise.

Les PME « dénaturées » sont des PME manufacturières principalement orientées BtoB et généralement sans clients spécifiques. Leur principale caractéristique est qu’elles possèdent de nombreuses spécificités des grandes entreprises. Elles sont très orientées vers l’international : quasiment toutes exportent mais aussi achètent leurs matières premières à l’étranger pour la grande majorité ; un tiers y recrute ou y a même délocalisé une partie de sa production. Ces PME font partie des plus grandes, des plus âgées et des plus structurées, disposant notamment de nombreux responsables de services dédiés en interne, et d’équipes de direction mixtes. Souvent sur des marchés de niche en phase de croissance, elles innovent beaucoup et inscrivent leur dynamique dans la mise en œuvre d’un plan de développement, utilisant pour cela de nombreux outils de formalisation et de planification stratégiques. Ces PME recherchent principalement la rentabilité au service de leurs actionnaires.

Enfin, les PME « participatives » placent les salariés au cœur de leur développement. Le niveau d’empowerment structurel y est extrêmement élevé, avec une délégation et une responsabilisation des salariés considérables. Entre autres compétences liées au développement de leur entreprise, les dirigeants de ces PME sont à très à l’aise pour définir les rôles et les responsabilités de leurs équipes, les manager et gérer les conflits. Leur stratégie est construite à partir de leurs ressources et compétences, dont les dirigeants estiment savoir tirer le meilleur parti. D’ailleurs, la gestion des ressources humaines et la responsabilité sociétale sont des données très importantes pour ces entreprises. Ces caractéristiques leur permettent d’innover plus que la moyenne.

Le principe d’empowerment structurel (le degré d’autonomisation des salariés) distingue certaines PME-TPE dans le tissu économique. Denis Klimov 3000/Shutterstock

Améliorer l’accompagnement

Les structures publiques pourraient utiliser cette classification pour orienter de manière plus fiable et plus rationnelle les TPE-PME entre les différentes aides et accompagnements qu’elles proposent. Seulement 18 questions sont en effet nécessaires pour déterminer un scoring sur chacun des profils, autrement dit un degré de prédominance de chaque situation stratégique pour une entreprise.

Une fois le profil déterminé, il serait alors plus facile d’orienter ainsi les entreprises :

  • les aides à la croissance individuelle des PME (en termes d’aide à l’investissement, de réduction des charges sociales, d’accès à la commande publique, etc.) gagneraient à bénéficier principalement aux PME « façonnières », aux PME « orientées métiers », aux PME « installées » ainsi qu’aux PME « entrepreneuriales », ces 4 classes représentant plus de 55 % des entreprises de la base étudiée ;

  • les aides à la mutualisation des ressources (en termes d’actions collectives, de partage de coûts, etc.) concerneraient essentiellement les PME « orientées métier », soit 10,5 % des entreprises interrogées ;

  • les aides à l’efficience organisationnelle (en termes d’aide au conseil, d’aide à l’innovation, de soutien à la R&D, etc.) bénéficieraient plus efficacement aux PME « agitées » ainsi qu’aux PME « installées », soit environ 35 % de notre échantillon ;

  • les aides à la compétitivité collective (en termes de soutien à la recherche collective au sein de pôles de compétitivité par exemple) profiteraient davantage aux PME « entrepreneuriales », soit près de 19 % des entreprises interrogées.

Les deux profils non évoqués ci-dessus pourraient faire l’objet d’une approche singulière. Une première question se pose quant à la pertinence de faire bénéficier les PME « dénaturées » (12 % des entreprises de la base) de tout ou partie des dispositifs de soutien aux TPE-PME, car elles se rapprochent beaucoup du fonctionnement des ETI, voire des grands groupes. Une seconde question renvoie au statut des PME « participatives » (qui représentent plus de 15 % des entreprises interrogées), qui pourraient faire l’objet d’un accompagnement ad hoc.


Cet article a été corédigé par Thierry Serboff, co-fondateur et associé de Lab’N’Biz, docteur et chercheur en sciences du management spécialisé en TPE-PME.

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