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Les start-up, moins cool qu’elles n’en ont l’air

La réalité des start-up est loin de l'image cool et détendue qu'elles véhiculent. Shutterstock

Comment font les start-up pour obtenir des taux de croissance du chiffre d’affaires qui atteignent parfois 4 chiffres, autrement dit pour générer de l’hypercroissance ? Pour répondre à cette question, nous sommes allés à la rencontre d’une quarantaine d’entre elles en France, aux États-Unis, en Chine et en Israël, parmi lesquelles BablaCar, Criteo, Coursera, Deezer… Nous avons également rencontré les acteurs de l’« écosystème start-up » : représentants d’accélérateurs tels que Hax Accelerator ou financeurs (BPCE, BPI ou investisseurs en capital-risque, business angels, etc.).

Ces échanges nous ont permis de brosser un tableau des start-up finalement beaucoup plus contrasté que l’image que nous en avions initialement, positive et séduisante.

Une heuristique de l’hypercroissance

Les réponses obtenues démontent notamment l’idée reçue selon laquelle le secret qui permettrait aux start-up d’atteindre des performances hors de portée des entreprises classiques serait la « culture start-up », qui fait la part belle au « cool ». Nous avons au contraire découvert que les résultats des start-up s’articulent autour de cinq éléments beaucoup plus classiques : la vision, la culture de l’entreprise, la gestion des ressources humaines (RH), les indicateurs-clés de performance (key performance indicator, ou KPI) et le financement.

Ces fondamentaux de la croissance sont applicables à tous les types d’entreprises, toutefois l’usage qu’en font les start-up est différent. Ces entités se focalisent en effet sur ces composants, de manière parfois quasiment obsessionnelle, comme l’avouent certaines de nos enquêtés. Autrement dit, les performances hors normes des start-up reposent davantage sur une gestion millimétrée, maniaque, que sur la généralisation des tables de ping-pong et des sweat-shirt à capuche dans les locaux…

L’importance de la vision fondatrice

Le facteur premier de la réussite, celui qui est mis en avant par la quasi-totalité des fondateurs que nous avons interviewés, c’est la vision. Tout part généralement d’une intuition permettant de casser la chaîne de valeur d’une activité et de s’y installer comme un acteur désormais incontournable. Les start-up attaquent les « legacy » (les entreprises déjà bien implantées dans une industrie donnée) avec la volonté de les désintermédier. Cette vision s’accompagne généralement d’une ambition totalisatrice qui différencie les start-up des PME classiques, plus modestes dans leurs objectifs, ainsi que l’exprime Karsten Popp, qui fut vice-président senior d’Autodesk, un logiciel de conception 3D :

« Nous sommes passés avec Autodesk de quelques milliers de dollars de revenus à plusieurs milliards, le tout en moins de sept ans. Si tu veux racheter Autodesk et ses 8 000 collaborateurs, tu dois débourser 25 milliards, soit autant que si tu voulais acheter Renault, qui compte plus de 100 000 personnes. Pourquoi ? Ce n’est pas qu’une question d’innovation. Autodesk a adopté une vision très ambitieuse – « Ce qui n’a pas été fait par Dieu dans cette maison a été fait par Autodesk » – qui ne concernait plus seulement quelques architectes, mais des millions d’utilisateurs, créant ainsi le mouvement des makers qui s’est développé partout dans le monde. Ce changement de vision nous a ouvert de nouveaux horizons ».

Une culture partagée pour solidifier un squelette en hypercroissance

Cette vision détermine la culture de l’entreprise, perçue par les responsables des start-up comme un élément clé de leur univers. En effet, lorsque l’on double de taille tous les ans, ce ne sont pas les processus et les hiérarchies qui préservent l’organisation, mais l’existence d’une culture partagée. Attention toutefois : cette culture risque de scléroser le système si elle s’avère trop rigide, trop envahissante ou trop focalisée sur certains composants au détriment d’autres (créativité, service au client, etc.). Tout est question de mesure, entre fidélité au modèle et évolutions nécessaires.

« Ne fous pas en l’air la culture », c’est le conseil que donnait en 2012 le co-fondateur de PayPal, Peter Thiel, à Brian Chevski, fondateur d’Airbnb, dans laquelle il venait d’injecter 150 millions de dollars.

La gestion RH, le nerf de la guerre

De cette vision et cette culture, et de l’hypercroissance qui en résulte, découlent ensuite des modalités spécifiques de gestion des RH. Au démarrage de la start-up, le choix par les fondateurs de leurs premiers salariés constitue un enjeu stratégique majeur. Les fondateurs d’Airbnb aiment ainsi raconter qu’ils ont pris six mois pour recruter leur premier salarié… Cette attention méticuleuse portée au recrutement ne s’étiole pas avec la croissance, et certains assument le fait que, chez eux, le recrutement tient parfois davantage d’un concours de talent du type de l’émission télévisée The Voice que d’une procédure de sélection classique. On est bien loin, ici, des processus standardisés mis en place par des entreprises plus installées.

Certaines start-up choisissent de se doter de personnes dédiées à la recherche de talents. Ainsi, comme l’explique Laure Wagner, porte-parole et membre fondatrice de l’équipe de BlaBlaCar :

« Si le recrutement était initialement effectué par les responsables d’équipe, il est aujourd’hui l’affaire de l’équipe de “talent acquisition”, composée de cinq personnes. C’est indispensable pour une entreprise qui embauche jusqu’à 30 personnes par mois. »

Des KPI pour comprendre et baliser la croissance

Dans un contexte d’hypercroissance demandant réactivité et prises de décision rapides, la gestion des indicateurs devient primordiale. Tous nos enquêtés nous ont indiqué recourir à des métriques très abouties, qu’ils suivent en continu, comme nous l’a confié Aurélien Hérault, chief data and research officer chez Deezer, plateforme de musique en ligne :

« Au début, c’était des intuitions, maintenant ça s’est professionnalisé avec de nombreux KPI pour mesurer l’engagement des utilisateurs. On sait désormais établir des corrélations entre quelqu’un qui s’inscrit et quelqu’un qui convertit à la fin. On suit en parallèle toutes ces métriques. »

Pour certains, ce suivi est devenu quasiment permanent, avec une observation toutes les heures des taux de transformation, du churn etc. Au point où cela peut impacter la totalité de la vie du dirigeant. Yann Boquillod, fondateur d’AirVisual, plateforme qui visualise la qualité de l’air en temps réel, avoue :

« Tous les matins en me réveillant, le premier truc que je fais, c’est de regarder le nombre d’utilisateurs de notre produit, ce qu’ils disent de notre application, et je vérifie que les serveurs tournent bien ! »

Si ces outils de pilotage existent aussi dans des PME ayant des chiffres d’affaires du même ordre, l’importance qui leur est accordée n’est en rien comparable.

Financer le futur

Pour faire de l’hypercroissance, la plupart de ces startups sont contraintes de rentrer dans une démarche de croissance financée en se projetant dans le futur. Julien Hervouët, PDG et fondateur de iAdvize, leader européen de la relation client, explique :

« L’année dernière, on a levé 14 millions d’euros auprès d’Aven Capital. Le financement permet et sert la croissance accélérée. C’est le carburant du véhicule. Sans ce financement, il n’y a pas d’accélération possible. Dit autrement, il s’agit de vivre et de se dimensionner comme on devrait être dans un an. »

La stratégie des start-up n’est pas de consolider ses positions et de viser l’obtention d’un résultat net immédiat. Elles choisissent plutôt de croître encore et toujours, en recourant à des ressources externes pour financer de l’acquisition client et développer leurs capacités. Les choses vont tellement vite qu’il faut courir plus vite que les autres… En malmenant parfois au passage certains fondamentaux économiques tel que la rentabilité immédiate de l’entreprise. Là où une entreprise legacy serait heureuse d’obtenir un taux de croissance annuelle de 4 % avec une marge opérationnelle de 30 %, les start-up recherchent la croissance à tout prix en la finançant par le recours à des tierces parties.

Au final, loin du mythe de la start-up innovante et cool où il fait bon vivre, l’étude que nous avons conduite nous a montré des entreprises totalement focalisées sur la réalisation des objectifs les plus ambitieux possible. Elles appliquent pour les atteindre des méthodes de management qu’aucune entreprise legacy n’oserait même envisager.


Article co-écrit avec Martin Lauquin. Pour en savoir plus : N. Minvielle, M. Lauquin, N. Caruso (2018) « Accélération », Diateino.

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