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Des femmes, des jeunes, des militants et des anciens afghans se rassemblent lors d'un rassemblement pour soutenir les pourparlers de paix et le gouvernement de la république à Kaboul, en Afghanistan. Une femme se lève.
Des citoyens afghans lors d'un rassemblement organisé à Kaboul en mars 2021 pour soutenir les pourparlers de paix entre les talibans et le gouvernement. Haroon Sabawoon/Anadolu Agency via Getty Images

Les talibans « n’ont pas changé » d’après les femmes assujetties à leur régime extrémiste

Les talibans règnent désormais en maître absolu en Afghanistan, vingt ans après avoir été chassés du pouvoir par l’armée américaine.

C’est ce que craignaient le plus les 15 militantes que nous avons interviewées depuis un an, dirigeantes communautaires et politiciennes afghanes, dans le cadre d’une initiative internationale axée sur la défense et la protection constitutionnelle des droits des femmes en Afghanistan. Pour assurer la sécurité des participantes à notre étude, nous avons choisi de ne pas mentionner leur nom, ou de nous en tenir à leur prénom. Elles étaient extrêmement sceptiques sur le fait que les talibans aient pu changer.

« Toute réforme des talibans semble impossible », nous a affirmé une militante de Kaboul, âgée de 40 ans. « Ils prônent une idéologie fondamentaliste, en particulier en ce qui concerne les femmes. »


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De la soumission au Parlement

De 1996 à 2001, les talibans ont régné sur l’intégralité de l’Afghanistan. Si l’ensemble de la population a dû se plier aux interdictions découlant de leur interprétation conservatrice du Coran, ce sont les femmes qui en ont le plus souffert.

À l’époque, les femmes n’étaient pas autorisées à sortir de chez elles sans un chaperon mâle, et devaient porter une burqa les recouvrant de la tête aux pieds. Il leur était interdit de se rendre dans les centres de santé, fréquenter l’école ou travailler.

Deux femmes afghanes portant des burqas de styles différents passent devant un soldat de la milice fondamentaliste talibane armée
Kaboul sous le règne des talibans, octobre 1996. Saeed Khan/AFP

En 2001, les États-Unis ont envahi l’Afghanistan, renversé le régime des talibans et travaillé avec les Afghans à mettre en place un gouvernement démocratique.

L’occupation américaine du pays visait officiellement à mettre la main sur Osama ben Laden, le cerveau des attentats du 11 septembre à New York, réfugié en Afghanistan avec l’aval des talibans. Mais les États-Unis ont aussi invoqué les droits des femmes pour justifier leur occupation.

Une fois les talibans chassés du pouvoir, de très nombreuses femmes ont intégré la vie publique, y compris dans les sphères du droit, de la médecine et de la politique. Les femmes représentent aujourd’hui plus du quart des parlementaires afghans. Déjà en 2016, plus de 150 000 femmes avaient été élues à des postes locaux.


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Rhétorique et réalité

L’an dernier, après 20 ans de présence en Afghanistan, les États-Unis ont signé un accord avec les talibans, s’engageant à retirer leurs troupes du pays à condition que les talibans coupent les ponts avec al-Qaida et entament des pourparlers de paix avec le gouvernement. Cet accord est évidemment désuet aujourd’hui, alors que les talibans règnent en maître sur tout le pays.

Les talibans avaient alors affirmé dans le cadre des pourparlers engagés, - et réaffirmé ces jours-ci - vouloir accorder aux femmes des droits « conformes à l’Islam ».

Cela dit, selon les femmes que nous avons interviewées, les talibans rejettent toujours la notion d’égalité des sexes. « Même si les talibans ont appris à apprécier Twitter et les réseaux sociaux à des fins de propagande, leurs actions sur le terrain montrent qu’ils n’ont pas changé », nous a récemment affirmé Meetra, une avocate.

L’équipe de négociateurs des talibans ne comptait aucune femme, et, à mesure que leurs combattants locaux s’emparaient de districts, les droits des femmes y régressaient.

Une institutrice du district situé dans la province septentrionale de Mazâr-e-Sharif, tombé au printemps aux mains des talibans, nous a raconté : « Au début, en voyant les interviews des talibans à la télé, nous avons cru qu’il existait un espoir de paix, que les talibans avaient peut-être changé. Mais je les ai vus de près, et ils n’ont absolument pas changé. »

Dans les zones sous le contrôle des talibans, il n’était pas rare d’entendre les haut-parleurs des mosquées claironner que les femmes doivent désormais porter la burqa et être accompagnées d’un chaperon mâle en public. Ils brûlent les écoles publiques, les bibliothèques et les laboratoires d’informatique.

« Nous détruisons ces lieux et mettons en place nos propres écoles religieuses pour former les talibans de demain », a expliqué un combattant local à la chaîne France 24 en juin 2021.

Dans les écoles religieuses pour filles dirigées par les talibans, les élèves apprennent en quoi consiste le rôle « approprié » des femmes, selon leur interprétation stricte du Coran. Il consiste essentiellement en l’accomplissement de tâches domestiques.

Pour beaucoup d’Afghans, la manière d’agir des talibans prouve que ceux-ci rejettent les principes de base de la démocratie, dont ceux de l’égalité des sexes et de la liberté d’expression.

Une histoire d’égalité

De nombreux pays musulmans ont peu à peu progressé vers l’égalité des hommes et des femmes. C’est le cas de l’Afghanistan, où les femmes luttent depuis un siècle avec succès pour obtenir de nouveaux droits.

Dans les années 1920, la reine Soraya d’Afghanistan a pris part au développement politique du pays au côté de son époux, le roi Amanullah Khan. Militante des droits des femmes, elle a veillé à ce que les femmes bénéficient non seulement d’une formation traditionnelle axée sur les arts ménagers et la religion, mais aussi d’une éducation moderne axée sur les sciences, l’histoire et d’autres domaines.

Le roi Amanullah Khan et le reine Soraya Tarzi Hanim arrivent à une gare ferroviaire
La reine Soraya Tarzi Hanim et le roi Amanullah Khan œuvrant ensemble au développement de l’Afghanistan en 1928. ullstein bild/ullstein bild via Getty Images

Dans les années 1960, des femmes figuraient parmi les rédacteurs de la première véritable Constitution de l’Afghanistan. Ratifiée en 1964, elle a instauré l’égalité des droits entre hommes et femmes ainsi que des élections démocratiques. En 1965, quatre femmes ont été élues au Parlement afghan, et plusieurs autres sont ensuite devenues ministres.

Les femmes afghanes ont manifesté contre toutes les atteintes à leurs droits. En 1968, par exemple, lorsque les conservateurs ont tenté d’adopter une loi leur interdisant de partir étudier à l’étranger, des centaines d’étudiantes ont manifesté à Kaboul et dans d’autres villes.

Le statut des femmes afghanes a continué de s’améliorer sous les régimes socialistes de la fin des années 1970 et des années 1980, soutenus par les Soviétiques. Pendant cette période, le Parlement a encore renforcé l’éducation des filles et rendu illégales les pratiques préjudiciables aux femmes, comme celles qui consistaient à les offrir en mariage pour mettre fin aux conflits entre tribus ou encore à forcer les veuves à épouser le frère de leur mari décédé.

À la fin de l’ère socialiste, en 1992, les femmes participaient pleinement à la vie publique en Afghanistan. En 1996, l’ascension des talibans a mis un terme aux progrès accomplis, temporairement.

De jeunes hommes et femmes marchent dans un parc de Kaboul
La vie quotidienne à Kaboul en 1988, un an avant l’éclatement de la guerre civile. Patrick Robert/Sygma via Getty Images

Une république résiliente

L’ère post-talibans a montré la résilience des femmes afghanes après le terrible recul de leurs droits. Elle a aussi mis en lumière le souhait des citoyens de voir mis en place un gouvernement plus démocratique et réactif.

Les talibans n’étaient pas en mesure de s’emparer du pouvoir par les urnes. En effet, dans le cadre d’un sondage mené en 2019 par The Asia Foundation, seuls 13,4 % des répondants ont exprimé une certaine sympathie pour eux.

C’est la raison pour laquelle les talibans ont imposé leur autorité au peuple afghan par la force des armes, comme ils l’avaient fait dans les années 1990. De nombreuses femmes craignent que l’Histoire ne se répète…

This article was originally published in English

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