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Les troubles psychiatriques peuvent cacher des maladies rares

Les maladies rares provoquant des troubles psychiatriques sont parfois difficiles à mettre en évidence. Shutterstock

Myopathies, maladie des os de verre, amaurose congénitale de Leber, lupus érythémateux… Dans l’opinion, l’expression « maladie rare » évoque souvent des maladies dont les symptômes seraient avant tout physiques.

On sait cependant aujourd’hui qu’un grand nombre de ces maladies génèrent aussi des symptômes neurologiques ou psychiatriques. Les anomalies de l’interaction sociale et les comportements stéréotypés observés dans les troubles du spectre autistique sont par exemple présents dans un large éventail de maladies rares : X-fragile, mutation du gène ADNP, mutation du gène SHANK3…

Le corollaire de ce constat est que certains troubles psychiatriques pourraient aussi avoir pour origine des maladies rares non identifiées. Ainsi, on sait que plus de 1 000 gènes différents peuvent être impliqués dans les troubles du spectre autistique. Il est possible qu’une fraction non négligeable de ce trouble résulte de l’addition de nombreuses maladies rares.

En identifiant ces maladies, qui sont rares individuellement, mais nombreuses collectivement, on peut espérer préciser le diagnostic pour un grand nombre de patients.

Quand les maladies rares provoquent des troubles psychiatriques

Une maladie est dite rare lorsqu’elle concerne moins d’une personne sur 2 000. Plus de 7 000 affections correspondant à cette définition ont été décrites à ce jour, et cette liste s’allonge un peu plus chaque semaine. Aujourd’hui, au total, 3 à 4 millions Français sont concernés par l’une ou l’autre de ces maladies rares, dont la plupart (environ 80 %) ont une origine génétique.

Un certain nombre d’entre elles se traduisent par des troubles psychiatriques. Grâce aux avancées considérables réalisées dans le champ de la psychiatrie génétique, plusieurs sont désormais bien connues. C’est le cas par exemple de la délétion d’une partie du chromosome 22 (del22q11), qui ont 40 % de risque de développer une schizophrénie à l’adolescence.

Par ailleurs, certaines formes extrêmes de troubles psychiatriques sont en elles-mêmes des maladies rares. Par exemple, la schizophrénie se déclenche généralement entre 15 et 30 ans, mais elle peut parfois débuter dans l’enfance. Ces schizophrénies très précoces affectent environ 0,03 % de la population, bien loin des 1 % de la forme classique.

Mais les liens entre maladie rare et trouble psychique vont bien au-delà. On sait que certaines maladies métaboliques rares peuvent aussi se traduire par des symptômes psychiatriques. Ainsi, le déficit en créatine maladie rare dans laquelle la créatine, molécule permettant de fournir une réserve d’énergie au cerveau et aux muscles, est insuffisamment produite, peut entraîner des symptômes autistiques ou une déficience intellectuelle. Administrer aux patients la molécule manquante pourrait améliorer les symptômes.

Il arrive enfin que certaines maladies inflammatoires rares provoquent des dépressions ou de l’anxiété, ou encore que certaines maladies auto-immunes, voire certaines infections, engendrent des troubles psychiatriques. Pour preuve, le cas de ce jeune patient américain qui, atteint par une évolution atypique de la maladie des griffes du chat, a développé une schizophrénie. Après une longue et pénible errance diagnostique, son trouble psychiatrique a finalement pu être traité efficacement par des antibiotiques.


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Avant de poser un diagnostic de trouble psychiatrique et de prescrire un traitement, les médecins doivent donc s’assurer que ce trouble ne résulte pas d’une autre maladie, qui serait non psychiatrique. Une tâche singulièrement compliquée par la profusion des maladies rares existantes.

Le défi du dépistage

Le principal obstacle auquel font face les médecins est la quantité de maladies rares identifiées. Comment passer en revue l’ensemble des 7 000 affections répertoriées sans multiplier les examens inutiles pour le patient ?

Dans certains cas, il est possible d’identifier des symptômes non psychiatriques : par exemple, les patients avec délétion 22q11, à haut risque de schizophrénie, sont parfois repérés car ils souffrent également d’anomalie cardiaque. Cependant d’autres maladies rares ne s’expriment que par des symptômes psychiatriques.

La réalisation d’un bilan large systématique quand certaines caractéristiques sont présentes est une autre possibilité de dépistage : troubles psychiatriques résistants aux traitements classiques, formes précoces ou atypiques, formes familiales…

Enfin, l’arrivée de techniques d’analyse permettant de rechercher des anomalies génétiques à grande échelle pourrait permettre d’identifier efficacement et rapidement les patients dont les troubles sont dus à des maladies rares.

Des bénéfices médicaux et psychologiques

Identifier une maladie rare sous-jacente à un trouble psychiatrique présente des intérêts médicaux évidents. Savoir que l’on est porteur d’une délétion 22q11 offre par exemple l’opportunité d’intervenir précocement en cas de développement d’une schizophrénie à l’adolescence. Agir tôt est important, car ce trouble répond d’autant mieux au traitement que les symptômes sont pris en charge rapidement.

L’identification d’une maladie rare permet parfois aussi de mieux prévenir la survenue de complications. La délétion 22q11, qui augmente le risque de schizophrénie, s’accompagne notamment d’un taux de calcium anormalement bas durant les premières semaines de vie. Parfois, ce problème peut perdurer ou réapparaître, au cours des phases importantes de la croissance. Identifier la délétion permet de dépister du même coup le problème de calcium, qui serait passé inaperçu.

Dans certains cas, l’information sur la maladie rare fournit aussi des indications sur les façons d’adapter le traitement du trouble psychiatrique. Ainsi, une dépression causée par une maladie inflammatoire rare peut parfois bénéficier d’un traitement comme la kétamine, qui n’est habituellement pas utilisé en première intention. Le médecin peut aussi décider de changer de traitement s’il en existe un spécifique de la maladie rare concernée.

Outre les bénéfices purement médicaux, le fait de poser un diagnostic précis peut aussi s’accompagner de bénéfices psychologiques. Les familles ont parfois tendance à surévaluer le poids de l’environnement et de leur propre rôle dans l’apparition des troubles psychiatriques. Informer l’entourage et le patient sur les causes biologiques des troubles permet de les déculpabiliser, car personne n’est responsable de sa génétique. Le diagnostic peut alors être source de soulagement psychique.

De plus, alors que les troubles psychiatriques s’accompagnent souvent d’un déni, objectiver l’anomalie sous-jacente permet à certains patients de mieux accepter leur maladie. Et en réaffirmant la prépondérance de la biologie sur la responsabilité de l’individu, on peut espérer changer l’opinion des citoyens envers les maladies psychiatriques, qui restent encore trop stigmatisées.

Poursuivre les recherches en associant médecins, chercheurs, patients et familles

Répartition des centres de référence et les centres de compétences pour les maladies rares à expression psychiatriques. DefiScience

En France, la prise en charge des maladies rares à expression psychiatrique et la recherche sur le sujet sont assurées par la filière DefiScience. Celle-ci regroupe trois centres de références (CRMR) et plusieurs centres de compétences répartis sur le territoire.

Ces structures ont des missions de diagnostic et de soins mais aussi de recherche, de formation, de discussion entre les différents partenaires, les malades et leurs familles. Les médecins traitants et les psychiatres peuvent demander des avis aux psychiatres de ces centres. De plus en plus souvent, les projets de recherche mis en place dans les CRMR sont menées dans une perspective participative, les chercheurs travaillant avec les associations de patients et les familles.

Grâce à ces travaux, on peut espérer mieux appréhender les liens entre maladies rares et troubles psychiatriques, et ainsi mieux personnaliser les soins afin de traiter les causes plutôt que les symptômes. Les maladies plus fréquentes pourraient aussi bénéficier de ces recherches, à l’image de ce qui s’est passé pour la maladie d’Alzheimer : l’identification de gènes impliqués dans les formes familiales rares a permis de mieux comprendre la biologie des formes fréquentes.


Pour en savoir plus :
– les sites des CRMR de La Pitié Salpêtrière en pédopsychiatrie, du groupe hospitalier universitaire Paris Psychiatrie et Neurosciences à Sainte Anne et du Vinatier, à Lyon ;
– le site du programme européen COST Action 17130, mis en place pour promouvoir les tests génétiques et le conseil génétique en psychiatrie.

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