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L’euro en campagne

L'emblème de l'euro à Francfort. Metropolico.org / Flickr, CC BY-SA

La campagne présidentielle française donne lieu à un débat inédit dans son intensité : la France devrait-elle ou pas sortir de la zone euro ? Ce débat présuppose que l’euro a nui à l’économie et à la société française et, effectivement, selon les tenants d’une sortie de la France de la zone euro, l’euro aurait de nombreux défauts, dont ceux d’avoir contribué à un ralentissement économique et à des pertes de pouvoir d’achat pour les ménages français. Est-ce effectivement le cas ? La période d’adoption de l’euro par la France révèle-t-elle des performances moindres, égales ou meilleures que celles obtenues au cours des périodes précédentes ?

Une étude en cinq séquences entre 1981 et 2015

Pour y répondre, nous avons rassemblé les indicateurs macroéconomiques habituels : produit intérieur brut, inflation, chômage, taux d’intérêt, pouvoir d’achat du revenu disponible, croissance des salaires réels, endettement public, taux de prélèvements obligatoires et de dépenses publiques, productivité, solde courant, taux de change effectif, investissements directs étrangers (IDE), et créations nettes d’entreprises.

Nous distinguons cinq sous-périodes : 1981–1991 ; 1992–1998 ; 1999–2015, et cette dernière scindée en deux : 1999–2007 et 2008–2015 pour illustrer le contrecoup éventuel de la crise financière internationale sur l’économie française. Les années quatre-vingt sont marquées par la politique de désinflation compétitive lancée en France à partir de 1983 et par le « Tournant de la rigueur. La période de convergence maastrichtienne en vue de l’adoption de l’euro intervient entre 1992 et 1998. En 1999, la France adopte l’euro avec dix autres partenaires et en 2002, pièces et billets en euros sont mis en circulation. En 2008 intervient la crise financière internationale qui sera suivie d’une forte récession en 2009, puis d’une seconde récession dans la zone euro à partir de la fin 2011 jusqu’au début 2013.

1981–1998 : préparer, puis réaliser la convergence

Au cours des années quatre-vingt, l’objectif pour la France est de briser la spirale inflationniste prix-salaires, afin de réduire son écart d’inflation vis-à-vis de ses partenaires commerciaux et par conséquent de garantir la stabilité du régime de changes du Système monétaire européen (SME). Cette politique doit, in fine, aboutir à la convergence des politiques macroéconomiques en Europe, notamment monétaires. Cette période voit le taux d’inflation moyen se réduire par rapport aux valeurs à deux chiffres qu’il avait pu avoir dans les années soixante-dix tandis que le chômage augmente modérément au début des années 1980, pour se stabiliser tout juste au-dessus de 8 % au début des années 1990. La croissance économique, quant à elle, se réduit tendanciellement depuis le début des années 1970, pour atteindre un rythme annuel moyen de 2,5 % entre 1981–1991.

Les années 1992–1998 sont marquées par deux évènements majeurs : la période de convergence des économies membres de la future Union économique et monétaire (UEM) et la réunification allemande et ses conséquences macroéconomiques. Cette période témoigne de la réussite de la phase de désinflation entamée une dizaine d’années auparavant, avec une baisse spectaculaire de l’inflation en deçà de 2 % en rythme annuel. Elle s’accompagne cependant d’une remontée du taux de chômage qui dépasse 10 % de la population active, en moyenne sur la période, ainsi que de l’accroissement de l’endettement public, le plus fort de toute la période 1981–2015, dont la moitié peut être imputée au seul effet de l’écart critique entre le taux d’intérêt réel et le taux de croissance.

L’euro et la croissance

L’euro est régulièrement accusé d’avoir nui à la croissance économique française. Les performances de l’euro sur la croissance française sont certes plus faibles qu’avant l’adoption de l’euro (1,3 % contre 1,8 % pendant la période de convergence), mais elle se concentre essentiellement lors de la phase qui suit la crise financière internationale. En effet, le taux de croissance moyen tombe à 0,5 % entre 2008 et 2015 alors qu’il avait connu entre 1999 et 2007 un rythme annuel moyen très proche (2,3 %) de celui observé entre 1981–1991 (2,5 %), bien avant la phase de convergence maastrichtienne. Les performances en termes de taux de chômage, jamais mirobolantes, sont aussi meilleures entre 1999 et 2007 qu’entre 1992 et 1998. Là encore, les retombées négatives sur la France de la crise financière détériorent le marché du travail français après 2008.

Il semble donc difficile d’affirmer d’emblée que l’euro a significativement grevé la croissance économique française, pas plus qu’il n’a fait exploser le chômage. Par ailleurs, il faut également porter au crédit de la monnaie unique européenne une plus grande stabilité macroéconomique de 1999 à 2007, comme en témoigne la plus faible volatilité à la fois de l’inflation et de la croissance, par rapport aux années pré-1999.

Quel effet sur le pouvoir d’achat ?

En matière de pouvoir d’achat, la progression du pouvoir d’achat du revenu disponible brut (RDB) des ménages a légèrement ralenti depuis l’adoption de l’euro, avec une croissance annuelle moyenne de 1,6 % entre 1999 et 2015 contre 1,7 % entre 1992 et 1998. Mais là encore, il apparaît que cette plus faible croissance s’explique en très grande partie par les conséquences de la récession de 2009, puis des politiques d’austérité budgétaire engagées à partir de 2011. En effet, le pouvoir d’achat du RDB des ménages a progressé au rythme annuel moyen de 2,5 % entre 1999 et 2007.

Quant à la progression du salaire horaire réel, il apparaît que l’euro ne s’est absolument pas traduit par une modération salariale avec, au contraire, une progression de 1,3 % en rythme annuel moyen entre 1999 et 2015 (et en particulier, 1,7 % entre 1999 et 2007). Une fois encore, il semble difficile de rendre l’euro coupable d’une baisse du pouvoir d’achat et de la rémunération horaire des salariés.

La question de l’endettement public

Les taux d’intérêt longs (à 10 ans) ont fortement baissé, il est donc moins coûteux de s’endetter pour les États, les entreprises ou les particuliers

Sur le plan budgétaire, la France est entrée dans l’UEM avec une dette publique brute (au sens de Maastricht) de l’ordre de 60 % du PIB et un déficit public inférieur à 3 %, conformément aux conditions de convergence définies par le Traité de Maastricht. La baisse des taux d’intérêt à long terme, conséquence directe du processus d’adoption de l’euro, a permis à la France de bénéficier d’une baisse du « service » de la dette publique, sans précédent depuis les années 1980. Or la baisse des taux d’intérêt accroît, toutes choses égales par ailleurs, la soutenabilité de la dette publique.

Il faut également souligner que la période 1999–2007 de l’euro a coïncidé avec une quasi-stabilité du ratio d’endettement public (seulement 0,6 % de croissance du ratio dette publique/PIB), pour la première fois depuis 1981.

Coûts de transaction et attractivité

L’euro s’est construit comme étape naturelle vers un renforcement du marché unique européen. Afin de donner toute son ampleur à ce projet, il fallait que les coûts de transaction soient les plus bas possible. Le maintien de monnaies nationales allait évidemment à l’encontre de cet objectif : les conversions coûteuses entre monnaies nationales ont tendance à freiner le commerce international, de même que les couvertures financières face au risque de change. Adopter une monnaie unique, c’était le moyen de réduire ces coûts de transaction et de favoriser le développement du commerce intra-zone euro. Et en effet, le taux de change français par rapport aux partenaires commerciaux de la France (le taux de change effectif exprimé en termes nominaux ou réels) a vu sa volatilité progressivement décroître depuis les années 1990.

À l’inverse, le solde du compte courant français se dégrade légèrement : excédentaire avant 1999, peu ou prou à l’équilibre entre 1999 et 2015, il est en déficit de l’ordre d’1 point de PIB en moyenne depuis 2008. Ce déficit intervient dans une phase de ralentissement de la productivité du travail, dont le taux de croissance après avoir été sensiblement supérieur à celui du salaire réel avant l’adoption de l’euro lui est maintenant peu ou prou équivalent.

En matière d’attractivité de la France, cependant, l’euro ne semble pas avoir été un poids pour l’économie française, bien au contraire. Les flux nets entrants d’investissements directs étrangers (IDE) ont progressivement augmenté dans les années 1990 puis 2000, avant de voir leur croissance diminuer légèrement après la crise de 2008.

Au total, des effets plutôt positifs

Quant aux créations nettes d’entreprises, enfin, la période post-euro se distingue singulièrement de celle qui l’a précédée : le nombre de créations nettes d’entreprises (les créations moins les défaillances) a augmenté en moyenne de 8 % par an depuis 1999, contre -0,3 % entre 1992 et 1998. En corrigeant ces chiffres de l’augmentation conséquente du nombre d’entreprises crées en France en 2009 en raison de la mise en place du statut d’autoentrepreneur, le nombre de créations nettes d’entreprises a augmenté en moyenne de 3 % par an depuis 1999, soit de 6,4 % entre 1999 et 2007, et de -1,3 % après la crise financière.

Dans les faits, les performances de l’économie française depuis l’adoption de l’euro sont plutôt positives, eu égard aux périodes précédentes, et si l’on tient compte de l’impact de la crise financière de 2008. A minima, nous pouvons dire que l’euro n’apparaît pas être responsable, en soi, ni d’un ralentissement de la croissance économique, ni d’une perte de pouvoir d’achat pour les ménages, ni d’un déficit de compétitivité. À l’inverse, il semble que nous pouvons porter au crédit de l’euro une plus grande stabilité des prix et de la croissance économique, et une plus grande attractivité du territoire français jusqu’au déclenchement de la crise financière.

Un système à réformer

Est-ce à dire que l’euro est la meilleure chose qui soit arrivée à la France depuis 1981 et que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Certainement pas. Ce bilan factuel ne nous dit pas si la situation française aurait été meilleure si d’autres choix avaient été faits – nous ne procédons pas à une analyse contrefactuelle – et il ne nous indique pas non plus si la situation française aurait été meilleure si les politiques économiques qu’on mène au nom de l’euro avaient été différentes.

C’est là un point certainement important dans les débats autour de l’euro. L’euro en soi n’est certainement pas une malédiction, mais l’organisation des politiques économiques dans la zone euro n’est certainement pas optimale. Les deux questions les plus importantes sont donc, préalablement à celle de sortir ou non de la zone euro et de l’Union européenne, de savoir, d’une part s’il existe des alternatives à l’organisation actuelle des politiques européennes et, d’autre part, si ces alternatives sont crédibles, c’est-à-dire si elles sont susceptibles d’être effectivement appliquées.

Les projets de réformes existent (assouplissement des règles budgétaires, capacité budgétaire pour la zone euro, assurance-chômage européenne, etc.) : il reste à en évaluer les effets et, s’ils sont jugés positifs, à provoquer des initiatives politiques pour les mettre en œuvre. Il faudra donc plus de coordination qu’aujourd’hui. De toutes les façons, avec ou sans euro, il faudra bien que des initiatives politiques coordonnées voient le jour au niveau européen pour organiser le fonctionnement de nos économies, à moins d’espérer une escalade dans les confrontations. Autant donc que ces coordinations interviennent dans le cadre de la zone euro qu’après son éclatement : elles n’en devraient être que plus faciles à réaliser.

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