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L’Europe de la sécurité : le choix pragmatique de Paris

Un agent de Frontex, à la frontière gréco-turque. Rock Cohen/Flickr, CC BY-SA

Le 4 novembre 2016, à Paris, près d’un an après les attentats commis dans la capitale française, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve et le Commissaire européen chargé de la sécurité, de la lutte contre le terrorisme et contre le crime, le Britannique Julian King, ont confirmé, une tendance forte entre les deux parties : la volonté de renforcer encore et toujours la lutte contre le terrorisme.

A cette occasion, le ministre Cazeneuve s’est inquiété de la circulation des armes illégales, et a plaidé pour un encadrement accru à l’échelle de l’Union. Une manière de mettre à nouveau sous pression le Parlement européen, co-décideur avec le Conseil des ministres, pour l’adoption d’une directive visant à donner un nouveau tour de vis dans le contrôle des armes à feu.

Le discours du ministre Bernard Cazeneuve est rôdé : il avait dénoncé, il y a plusieurs mois, les tergiversations des députés européens refusant d’entériner la directive PNR intracommunautaire. Finalement, après bien des péripéties, le texte a été adopté en avril 2016 après que la France eut pesé de tout son poids dans le débat au Parlement européen. Depuis, elle fait partie des pays les plus avancés dans la mise en œuvre du texte.

La France fait indéniablement preuve de volontarisme politique en matière de lutte antiterroriste, donnant souvent l’impulsion au niveau européen. Trois exemples peuvent être mentionnés brièvement pour s’en convaincre :

1) la proposition d’une task-force visant à lutter contre le trafic de faux documents ;

2) le transfert substantiel d’informations sensibles à Europol sur certaines entités terroristes ;

3) l’appui décisif en faveur de la création au sein de l’agence européenne Europol de la Task Force fraternité, embryon du nouveau Centre européen de lutte antiterroriste (ECTC) d’Europol. Pour mémoire, l’ECTC – chargé de faciliter l’échange et l’analyse du renseignement – a été inauguré en janvier 2016 et son importance ne cesse de croître depuis dans le domaine de la coopération entre polices européennes.

Convergences de vue

Un constat s’impose d’emblée : il existe une convergence de vues entre les positions nationales et les institutions européennes. Vu du côté français, l’Union européenne opère le prolongement de la politique nationale en matière antiterroriste. Le ministre de l’Intérieur le sait bien : face à un phénomène transnationalisé, une action purement hexagonale est inefficace.

Qui plus est, les institutions de l’Union européenne sont de nature à fournir un appui nécessaire, ne serait-ce qu’au plan financier. Ainsi le GIGN a-t-il reçu plus d’un million d’euros de subventions en équipements aux fins de lutte antiterroriste grâce au Fonds européen pour la sécurité intérieure (FSI).

Vu du côté de Bruxelles, le soutien français est apprécié dans les efforts déployés en vue de l’édification d’une politique européenne dans des matières pour lesquels les États se montrent très sourcilleux (police, justice, renseignement, radicalisation).

Un mariage de raison

De part et d’autre, le rapprochement opéré est donc ardemment souhaité. Mais si mariage il y a, ce n’est pas par amour, mais par raison, chacun y trouvant son compte. La France fait preuve d’une europhilie de circonstance, largement disposée à exiger de l’Europe et de ses États membres un investissement dans la lutte antiterroriste à la hauteur des siens.

Patrouilles dans les rues de Paris. Petit_louis/Flickr, CC BY

Le Conseil des ministres de l’Intérieur s’emploie, quant à lui, à montrer qu’il est à la manœuvre, conscient que si la lutte antiterroriste est une priorité pour l’Europe, les intérêts des États ne doivent pas être négligés. Forte des résultats des sondages Eurobaromètre, reflétant une réelle volonté des citoyens pour davantage d’Europe en matière de lutte antiterroriste, la Commission européenne s’efforce, pour sa part, de faire avancer son projet d’« Union pour la sécurité » et de faire émerger une conscience européenne dans le champ de l’Europe de la sécurité.

Quant aux agences européennes, en premier lieu Europol, elles ne voient pas non plus d’un mauvais œil une action européenne dans ce domaine, bien au contraire. Elles en retirent des bénéfices en voyant leurs compétences s’accroître dans des matières pourtant sensibles aux yeux des États membres.

Une relation symbiotique

L’Europe de la lutte antiterroriste, qui naît véritablement et grandit après les attaques de Paris de 2015, est le résultat de considérations pragmatiques. Il s’agit, par exemple, de trouver des solutions concrètes au cloisonnement persistant entre le monde policier et celui du renseignement, car la mauvaise circulation entre services et entre États membres nuit à l’efficacité de la lutte. Les grands débats sur la souveraineté des États face à l’UE pèsent peu dès lors que l’un d’eux est confronté aux impératifs sécuritaires. Notamment lorsque des pays, comme la France ou la Belgique, sont victimes d’une attaque terroriste brutale, suscitant un choc au sein de l’opinion publique européenne.

L’Europe n’est rien sans les États (particulièrement dans un domaine tel que la sécurité), mais l’inverse est également vrai : les États ne sont rien sans l’Europe. Les propos du Commissaire Julian King reflètent parfaitement l’idée que l’antiterrorisme européen ne se construit pas contre l’antiterrorisme français, mais plutôt que l’antiterrorisme français se développe avec l’antiterrorisme européen :

« Cela fait presqu’un an que les attaques dévastatrices, choquantes du 13 novembre ont eu lieu Les citoyens européens demandent à l’Europe d’agir, et elle répond à cet appel. La première responsabilité pour les questions de défense et de sécurité appartient aux gouvernements. Mais l’Europe peut aider, soutenir, encadrer. »

Au fil du temps se créent des liens d’interdépendance toujours plus étroits, avec pour conséquence une intrication des administrations nationales et européennes formant des réseaux plus denses, notamment par l’entremise des agences comme Europol, sorte de nœud de la lutte antiterroriste. Les discussions de salon sur l’Europe versus les peuples qu’affectionnent certains hommes politiques et philosophes, sont bien éloignées d’une réalité marquée par une convergence très forte entre l’Union et ses États membres. Désormais, l’interdépendance est telle qu’elle oblige à revoir la vision binaire héritée du siècle dernier : l’UE et les États perçus comme deux entités séparées et hiérarchisées avec, pour faire simple, une Europe supérieure aux États pour les fédéralistes, des États au-dessus (voire en-dehors) de l’Europe pour les souverainistes.

Le défi de l’évaluation

Le discours nationaliste ou souverainiste prétendant que la lutte contre le terrorisme est seulement du ressort national fait parfois office de cache-sexe pour masquer des manquements aussi graves que condamnables. Il sert alors de paravent bien commode évitant que l’Europe ne vienne poser les questions qui dérangent.

Le professeur Henri Labayle le souligne à juste titre : « La classe politique entretient curieusement un véritable fantasme à propos de Schengen », tantôt loué pour ses vertus antiterroristes, tantôt vilipendé en tant que une passoire sécuritaire. Or, Schengen est l’arbre qui cache la forêt. Le véritable problème est que les États ne jouent pas vraiment le jeu du partage de renseignements, pourtant essentiel.

L’idée d’une évaluation à l’échelle européenne est donc utile, et même indispensable, car elle est de nature à mettre en évidence d’éventuelles erreurs. Pour l’heure, cette évaluation est déjà pratiquée dans le domaine de la surveillance par les États membres du tronçon des frontières extérieures de l’UE qui leur incombe. En revanche, l’évaluation des mesures nationales antiterroristes reste encore d’ampleur limitée et trop peu fréquente. Le Parlement européen avait déjà appelé, il y a quelques années, à une évaluation globale des politiques des États membres.

Métro sous surveillance. Serge klk/Flickr, CC BY-NC-ND

La Commission a affirmé le 12 octobre dernier qu’elle réalisera ce type d’exercice concernant les mesures européennes. Il s’agit d’un pas dans la bonne direction qui requiert désormais son extension aux États membres, afin d’identifier les meilleures pratiques parmi chacun d’eux certes, mais aussi les « lanternes rouges ». Il est question par exemple des États « passagers clandestins » du renseignement : ceux qui investissent peu dans leurs capacités de renseignement, profitant du partage des informations émanant de services dont les États de tutelle s’impliquent bien plus en produisant les efforts conséquents.

C’est précisément le cas de la France qui, même s’il y a à redire sur l’efficacité de la coopération en interne, s’engage clairement dans la création de capacités nouvelles de renseignement et dans un échange accru d’informations avec ses partenaires européens.

Ne plus payer pour les autres

Par conséquent, Paris a tout intérêt à la mise en place de dispositifs évaluatifs tels qu’ils existent dans d’autres enceintes internationales, comme le Groupe d’action financière (GAFI). Là encore, la souveraineté sur ces questions ne fait pas grand sens et les débats sur sa préservation sont dogmatiques. Car, au final, la France paye, d’une manière ou d’une autre, pour les conséquences des lacunes en matière de renseignement des autres, recouvertes de l’épais manteau de la protection des intérêts nationaux.

À ce sujet, le rapport parlementaire Fenech-Pietrasanta consacré aux attentats de novembre 2015 avait émis l’idée que la France a été victime indirecte des défaillances en matière d’échange de renseignements entre deux pays. Il indique notamment :

« Nonobstant sa volonté propre, la France est également tributaire de la qualité de la coopération entre pays tiers. La reconstitution du parcours de deux des terroristes ayant frappé au Stade de France, le 13 novembre 2015, en fournit une bonne illustration [puisque] notre pays a très directement souffert de la coopération défaillante entre deux autres pays, qui n’a pas permis d’intercepter la totalité du commando du Stade de France ».

Ainsi, l’idée d’une évaluation amenant les pays concernés à rendre des comptes est de nature à renforcer la collaboration entre États membres et éviter qu’à l’avenir, des attaques ne soient pas déjouées du fait d’un déficit de communication entre services de renseignement.

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