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L’évolution du sport féminin : où placer la limite entre hommes et femmes ?

Alex Morgan et Cristina Ferral pendant un match de football. Jamie Smed / Wikimedia, CC BY-SA

Le 12 janvier 2018, la volleyeuse Tiffany Abreu devient à 33 ans, et après cinq matches disputés, la meilleure attaquante du championnat brésilien, l’une des compétitions féminines les plus relevées au monde. Cette joueuse n’est pourtant pas répertoriée dans les archives et les statistiques de la compétition pour une raison simple : elle n’y avait jusqu’alors jamais participé. De fait et jusqu’en 2013, cette athlète jouait en Superliga, 1re division du championnat de volley-ball masculin, sous le nom de Rodrigo Abreu. Entre les deux dates, elle réorganise sa vie en accord avec l’identité de genre qu’elle avait toujours ressentie et opère sa transition. Un parcours psychologique, médical et parfois chirurgical complexe mais désormais accompagné selon des protocoles précis sur la plupart des continents.

La question qui surgit dans le débat public à cette occasion soulève un problème insuffisamment examiné par les instances sportives et qui se présente sous un jour nouveau. En effet, l’histoire personnelle et sociologique (la découverte du sport puis de la compétition, l’apprentissage technique complexe, l’émergence, l’espoir d’accéder au plus haut niveau puis la consécration après des années de patient travail) tout cela ne correspond plus chez cette sportive à son histoire physiologique, qui lui confère des différences de vitesse et de hauteur (au filet, au contre, ou sur les attaques aux 3 mètres) telles que les meilleures joueuses du Brésil (pourtant championnes du monde et championnes olympiques) se trouvent démunies par la puissance de leur nouvelle adversaire, interrogeant les autorités sportives internationales.

Le volley-ball brésilien n’est pas la seule discipline mise en émoi par une telle situation : le judo féminin toutes catégories, l’athlétisme féminin (les médaillées olympiques du 800 mètres à Rio posent la question des situations d’intersexuation dans le sport), nous imposent de mieux comprendre ces phénomènes car, au-delà des médailles olympiques, plus d’une centaine de records nationaux des courses de fond et demi-fond sont actuellement détenus par des athlètes présentant cette particularité, qui concerne aussi un nombre croissant de compétitions amateurs.

En 2016, le CIO (Comité international olympique) a autorisé certaines personnes en situation d’intersexuation, nées hommes mais ayant effectué une transition de genre, à participer à des compétitions féminines, à la condition de contrôler leur taux de testostérone (mais seulement de testostérone). Or si cette molécule induit les effets principaux associés aux différences hommes-femmes, de très nombreux autres mécanismes participent aussi à la diversité des situations biologiques. Comme nous l’avons expliqué dans un article précédent.


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Deux écueils majeurs doivent être évités dans ce débat, trop souvent marqué par le refus d’observer lucidement la complexité des choses : éviter la discrimination, au sein du sport, des personnes qui choisissent de mettre leur corps en harmonie avec leur perception d’eux-mêmes mais éviter que cette tolérance n’aboutisse à un déséquilibre tel que le sport féminin et tous les efforts faits en faveur de son développement depuis des décennies ne s’écroulent.

Les performances sportives

Comme les performances masculines, les performances sportives féminines sont désormais quasiment fixées. En moyenne les records mondiaux féminins se situent à environ 90 % de ceux des hommes. Ces différences sont associées à celles de taille et de masse musculaire.

Historiquement elles pouvaient aussi être attribuées à divers facteurs sociaux tels qu’un recrutement moins large, un entraînement moins organisé ou moins encadré, voire de plus grandes difficultés à s’entraîner. En accord avec ces hypothèses, la deuxième moitié du XXe siècle a montré une diminution progressive des écarts de performance avec les hommes, parallèlement à l’évolution de la situation des femmes dans la société et au développement de cultures moins inégalitaires. Cependant, et bien que les femmes participent désormais aux plus grandes compétitions en nombre équivalent, la réduction de l’écart de performance entre les deux sexes a cessé depuis plus de vingt ans.

Il existe donc vraisemblablement des facteurs biologiques qui limitent les performances féminines autant que les performances masculines, à un écart d’environ 10 %, désormais invariant. Il faut d’ailleurs noter que l’existence de catégories différentes pour les hommes et les femmes dans les compétitions sportives n’a apparemment jamais été remise en question. Le sexe ou le genre des athlètes inscrites dans les compétitions féminines a par contre fait l’objet de controverses dans un certain nombre de cas.

Le genre d’un individu et les différents aspects de son sexe (phénotypique, hormonal, gonadique et génétique) sont habituellement corrélés mais des discordances peuvent se produire (sexe phénotypique en désaccord avec le sexe chromosomique ; sexe gonadique ou hormonal en désaccord avec le sexe génétique dans le cadre de variations du développement sexuel). Se pose alors la question de savoir quel aspect doit déterminer l’acceptation d’un athlète dans les compétitions féminines. Il semblerait logique que la réponse à cette question soit déterminée par le ou les facteurs qui apportent un avantage au niveau des performances.

Testostérone et performances sportives

Une concentration élevée de testostérone procure un avantage certain, comme l’attestent les différentes formes de dopage aux androgènes régulièrement détectées. Il est cependant difficile à l’heure actuelle de savoir si le sexe chromosomique en tant que tel est susceptible de procurer un avantage sportif. En d’autres termes un sujet XY est-il plus performant qu’un sujet XX indépendamment des hormones qui lui sont normalement associées à l’instant « t » ? Rien ne le prouve à l’heure actuelle, ce qui justifiait initialement les décisions des autorités sportives d’accepter l’inscription dans les compétitions féminines d’athlètes intersexués (aux caractéristiques intermédiaires entre les spécificités masculines et féminines).

Cependant, le rôle potentiel des effets organisateurs précoces des stéroïdes n’a pas été considéré dans cette optique. Par exemple, une transition homme vers femme (telle que celle de Bruce Jenner, champion olympique 1976 du décathlon, devenu Caitlyn Jenner), pour une personne qui n’est donc plus exposée à des concentrations élevées de testostérone (un traitement anti-androgène est souvent prescrit sur le long terme) s’accompagne-t-elle d’un avantage lié au fait qu’elle y a quand même été exposée pendant toutes les phases antérieures de sa vie (adolescence, enfance et vie intra-utérine) ? Ces éléments devront être pris en compte dans les décisions prochaines en les faisant reposer sur un corpus d’études solides, mettant en avant et analysant ces possibles impacts.

Qu'est-ce qu'une femme ? Qu'est-ce qu'un homme ?

Le sexe et le genre ne sont pas des notions monolithiques. Le phénotype d’un individu dépend d’une chaîne d’évènements qui conduisent du sexe chromosomique au sexe phénotypique, à l’identité de genre et à l’orientation sexuelle de l’adulte. Ces différents aspects sont étroitement corrélés chez la majorité des sujets mais de nombreuses discordances peuvent résulter de fluctuations de l’environnement, de variants génomiques ou de variations hormonales durant les étapes du développement. Leur impact spécifique sur le phénotype adulte est souvent difficile à évaluer. Au niveau sportif, les stéroïdes sexuels (dont la testostérone) ont un effet activateur positif direct sur les performances mais les effets organisateurs potentiels de ces mêmes stéroïdes ne sont que peu ou pas connus. Il en va de même des effets génétiques directs potentiels. Le déterminisme multifactoriel des capacités sportives reste complexe et encore partiellement incompris.

C’est pourtant dans ce contexte incertain qu’il faudra décider, en connaissance de certaines causes et ayant entendu la voix de chacun, et éviter les discriminations de toute sorte. En l’absence d’un cadre éthique et d’une réflexion approfondie, les autorisations de sportifs intersexués dans la catégorie de leur choix, voire les trafics humains que l’on pressent déjà, seront-elles fatales au sport féminin ?

Ou bien verra-t-on certaines institutions proposer une troisième catégorie sportive, « neutre », comme la législation l’envisage déjà en Australie, en Inde, en Allemagne ou à New York ?

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