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Hip Hop Management

L’horreur stratégique. #ParisAttacks

Doubleday

C’est l’histoire d’un film. Parce que l’imaginaire hollywoodien fournit, on le sait, l’inspiration des vidéos postées par ISIS sur le web et, en particulier, la mise en scène des décapitations. C’est l’histoire d’un film, donc. Dont effectivement la mise en scène fait furieusement penser à ces vidéos qu’on a réussi à ne jamais voir mais dont on a tant entendu parler.

C’est l’histoire d’un film, dont le scénario, haletant, vous prend aux tripes. Où un serial killer incarné par Kevin Spacey tue. Sept fois. Comme les sept péchés capitaux.

C’est l’histoire d’un film qui finit mal. Le jeune flic est incarné par Brad Pitt, le vieux par Morgan Freeman. Kevin Spacey, l’assassin, se laisse prendre, à la fin. Puisque son but est presque atteint. Il ne reste que l’ultime étape.

Il est à genoux. Dans son habit orange. Dans un décor désertique. Il parle. Des minutes interminables. Insupportables. Oui, il a tué la jeune épouse de Brad Pitt. Oui, c’est bien sa tête, décapitée, qui est « in the box ». Morgan Freeman le confirme. Et oui, elle était enceinte. Le détective l’ignorait ? Quel dommage…

La scène est insoutenable. Le revolver du jeune policier sur le front du tueur en série. Le vieux policier le raisonne : il ne doit pas tuer. Ne pas laisser la colère, la soif de vengeance, l’emporter sur tout le reste. Sur son humanité. Sinon, c’est le tueur qui aura gagné. Tout gagné.

Les minutes s’allongent comme des semaines ; les hurlements du jeune flic sont insupportables, comme l’est sa douleur ; Brad Pitt joue à la perfection son rôle, Kevin Spacey aussi.

Jusqu’au bout on pense, on espère, que ce sont les conseils du vieux qui vont l’emporter. Qu’il va tenir. Et puis il tire. Et le meurtrier meurt. En ayant accompli son oeuvre : un meurtre, pour chacun des sept péchés capitaux. Sauf que le dernier, ce n’est pas lui qui l’a commis. C’est son adversaire. Avec sa vie normale, qu’il enviait tant. Puisque c'est le flic qui perd tout en entrant dans la folie même du tueur en série. Sous le feu de la colère. Comme une bascule, du côté obscur de la force.

Ce film, c’est Se7en. Et sa chute, c’est le drame paradoxal, si cher aux sciences du management en général et au management stratégique en particulier, dans lequel nous sommes collectivement engagés. Depuis le 7 janvier. Et désormais le 13 novembre.

Après avoir entendu, depuis ce jour désormais dramatique, le président de la République tenir un discours aussi belliqueux qu’un Georges W. Bush à son meilleur, je me dis que l’on peine décidément à tirer des leçons.

Parce que quand de simples films d’Hollywood vous en apprennent tant sur la logique de l’adversaire, sur l’origine de son pouvoir d’attraction, ainsi que sur les erreurs à ne pas commettre… Et que vous les commettez quand même… Alors…

Mettre hors d’état de nuire ISIS ? Certes… Faire la guerre aux armes qui traînent dans les cités ? Bien sûr… Mais que ne l’a-t-on donc fait plus tôt ?

Sanctuariser le budget de la Défense ? Recruter des magistrats ? Augmenter le nombre de policiers ? De gardiens de prison ? On ne peut s’empêcher de penser : que de sonnettes d’alarme tirées, dans le vide, depuis tant d’années… Effroyable.

Enfin, substituer au « pacte de stabilité » un « pacte de sécurité » plutôt que d’étrangler les populations pour mieux (re)-maquiller des dettes qui ne seront jamais remboursées au motif que nos banques et leur avarice, c’était tellement « stratégique »… Parfait. Enfin.

On notera toutefois que le plan en question n’inclut visiblement pas les gamins des banlieues et des campagnes, désespérés. Et pas davantage, ceux des classes moyennes en perdition qui verraient, paraît-il, dans l’aventure de la Syrie le « Sur la route… » romantique du nouveau siècle. Bref, une généreuse fondation David Lynch en France, c’est pas pour demain. Et c’est dommage, car elle aurait sans doute tant de choses à nous apprendre sur nous-mêmes.

Qu’on ne se méprenne pas : j’ai été saisi de ce silence, « cri de douleur resté dans la gorge » évoqué par l’immense Bernard Pivot. J’ai vu les images, les photos. Je pleure ceux qui sont morts. J’hurle avec les blessés. Je voudrais me tenir dans les bras de leurs familles. Je communie et je prie pour Paris.

Mais il est tellement triste de penser qu’ils pourraient être morts pour rien. Parce qu’on n’oserait avoir l’audace de tester cette hypothèse : et si les « terroristes » étaient tout simplement venus là, tuer, en ces endroits, un vendredi soir de fête, parce que nos vies “normales”, nos nuits parisiennes, ils nous les enviaient tant ?

Si cette hypothèse est juste, alors quel drame si les noms à la mémoire desquels nous nous sommes recueillis, les visages de celles et ceux qui souffrent aujourd’hui, ne fassent que justifier la suite de l’horreur, qui ne pourra évidemment être que pire.

Ceci, par choix délibéré ? On ne saurait l’imaginer. Par incompétence ? Peut-être. Par orgueil ? Parce qu’on n’aura pas voulu s’arrêter pour prendre la mesure de l’évènement ? Parce qu’on se sera rendu à Versailles vite, trop vite, de peur de se voir taxer de préférer la paresse et la gourmande luxure aux morts de la Patrie ? Qui sait…

Alors, pour finir, parce que la prochaine cible, cela pourrait bien être ce que nous avons de plus cher, notre plus grand bonheur – nos si fragiles enfants –, un poème. En implorant de concentrer tous les moyens moins sur la politique extérieure que sur la sécurité intérieure. Surtout en les protégeant, eux : nos enfants. Petits et grands.

C’est Booba, qui connaît parfaitement la psychologie de ces apprentis « terroristes », pour les avoir vus grandir et « partir » en vrille, qui vous le conseille. Je crois fermement qu’il a raison.

Et ceci, je ne me serais jamais pardonné si je ne vous l’avais pas, ici, ce soir, écrit. Parce que gouverner et être exemplaire, ce n’est pas chercher d’éternels boucs émissaires après. C’est comprendre pour agir, avant. Comme l’a enseigné une vie durant, l’immense René Girard.


“If–”

Par l'écrivain britannique et lauréat du Prix Nobel Rudyard Kipling, écrit en 1895 and publié pour la première fois dans Rewards and Fairies, 1910.

If you can keep your head when all about you
Are losing theirs and blaming it on you,
If you can trust yourself when all men doubt you.
But make allowance for their doubting too ;
If you can wait and not be tired by waiting.
Or being lied about, don’t deal in lies,
Or being hated, don’t give way to hating,
And yet don’t look too good, nor talk too wise.

If you can dream – and not make dreams your master
If you can think – and not make thoughts your aim
If you can meet Triumph and Disaster
And treat those two impostors just the same ;
If you can bear to hear the truth you’ve spoken
Twisted by knaves to make a trap for fools.
Or watch the things you gave your life to broken,
And stoop and build’em up with worn-out tools.

If you can make one heap of all your winnings
And risk it on one turn of pitch-and-toss,
And lose, and start again at your beginnings
And never breathe a word about your loss ;
If you can force your heart and nerve and sinew
To serve your turn long after they are gone,
And so hold on when there is nothing in you
Except the Will which says to them : “Hold on!”

If you can talk with crowds and keep your virtue,
Or walk with Kings – nor lose the common touch,
If neither foes nor loving friends can hurt you,
If all men count with you, but none too much ;
If you can fill the unforgiving minute,
With sixty seconds’ worth of distance run.
Yours is the Earth and everything that’s in it,
And – which is more – you’ll be a Man, my son !

Le poème a été traduit par André Maurois en 1918 :

Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;

Si tu peux être amant sans être fou d’amour,
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d’un mot ;

Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère,
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n’être qu’un penseur ;

Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral ni pédant ;

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,

Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
Tu seras un homme, mon fils

Voir également : Alain Caillé, « Une nouvelle traduction de “If- La Prière”, Rudyard Kipling (1910) », Journal du MAUSS, 9 mai 2012.

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