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L’image de Jésus dans le Coran

Manuscrit persan du Moyen Âge représentant le prophète Mahomet conduisant Jésus, Moïse et Abraham à la prière. Wikimedia

Le Coran parle abondamment de personnages bibliques, d’Abraham, d’Isaac, de Moïse par exemple ; il évoque aussi, et à plusieurs reprises, Jésus et Marie. Rien d’étonnant à cela, surtout que le Coran est né dans un espace politique, culturel et religieux où vivaient depuis des siècles des juifs mais également des chrétiens. Ces derniers, syro-araméens, coptes et aussi romano-byzantins, formaient des Églises structurées avec leur hiérarchie et leurs théologiens.

Les querelles christologiques, c’est-à-dire la façon croyante de considérer la personne de Jésus, ont eu un long retentissement dans cet univers et ont créé des dissensions, des divisions et des conflits. On peut d’ailleurs en déceler plus d’un écho dans le texte coranique. En fait, le Coran ne parle nulle part de chrétiens mais des Naṣarā, nom ambigu qui fait allusion aux deux termes grecs : Nazaréniens et Nazôréens qui figurent dans plusieurs passages du Nouveau Testament. Cependant, malgré cette ambiguïté terminologique, le Coran sait distinguer entre chrétiens et juifs, et entre zoroastriens et manichéens.

Vies exemplaires de Jésus et Marie

En ce qui concerne Jésus, le Coran ne connaît pas le « Yasû’ » des chrétiens orientaux, ni le « Yeshua » des juifs. En revanche, il parle beaucoup de « ‘Isâ » fils de Myriam. Aussi, deux remarques s’imposent-elles d’emblée. D’une part, Marie apparaît comme indissociable de Jésus dans le texte coranique ; d’autre part, les éléments d’information sur l’un et l’autre proviennent majoritairement d’apocryphes.

Les textes qui évoquent Jésus et Marie sont d’une grande importance dans la foi populaire. On les trouve pour l’essentiel dans les sourates (chapitres) 3, 4, 5, 19, 23, 43 et 61 du Coran qui les évoquent avec respect et qui prennent soin de les présenter comme modèles à suivre, tant leurs vies sont exemplaires. Dès sa naissance, le Jésus coranique fait objet d’un miracle voulu par la puissance divine puisqu’il s’agit d’une naissance virginale. Il est un puissant thaumaturge qui accomplit miracles et guérisons.

La formule coranique d’« Al-Masîh Isâ ibn Maryam » sert souvent à désigner Jésus-Christ. Si l’on excepte les tentatives (désespérées) de faire dériver la forme ’Isâ d’une racine arabe, tout le monde reconnaît ici un nom emprunté. Le problème est bien sûr de déterminer de quel emprunt il s’agit exactement. L’une des explications les plus anciennes de l’origine du nom ’Isâ est de considérer qu’il ne s’agit pas du nom de Jésus, mais de la déformation du nom araméen Ésaü qui semble en effet le nom biblique le plus proche de la forme coranique de ’Isâ.

Signes et messagers

La notion de « âya » (signe), souvent employée par le Coran s’agissant de l’action de Dieu dans la nature ou dans l’histoire, concerne également Jésus et aussi sa mère Marie (Myriam). Sans doute faut-il penser à sa naissance miraculeuse. S’agit-il d’une réminiscence de l’Évangile selon Matthieu (Mt 11, 5) où, répondant à la question que lui fait poser depuis sa prison Jean le Baptiste, Jésus répond par un résumé de ses miracles ?

Les données coraniques relatives au Christ sont nombreuses : les unes concernent son entourage proche ; les autres, qui nous intéressent plus particulièrement, se rapportent à sa personne même. Dans plusieurs passages, il est présenté comme annonciateur de bayan (vérité). Ses disciples sont considérés comme des messagers (al-Hawâriyyoûn). Jésus s’adresse à eux, dans le Coran, par deux fois, comme en une sorte de refrain, dans une situation critique où il est confronté à l’incrédulité du Sanhédrin. En tant que croyants, ils se révèlent ses auxiliaires (Ansar allah). On a émis l’opinion que le terme arabe Ansar (auxiliaire) aurait été choisi par assonance avec Naṣarā (chrétiens). Dans ce cas, le choix du vocabulaire évoquerait une vision positive des chrétiens.

D’autres passages coraniques se rapportent à des faits évangélisques : l’un parle d’une table servie venant du ciel, alors que l’autre évoque le destin de Jésus. À la fin de la sourate 5, qui est intitulée « La Table servie » (al-Maidah), on raconte l’histoire qui correspond à ce titre comme une histoire des disciples. En ce sens, elle n’a pas de parallèle dans les Évangiles canoniques, mais le lien est fort clair avec les Évangiles apocryphes. Les disciples (ou les Apôtres) demandent à Jésus de faire venir du ciel une table servie, pour ainsi dire comme signe divin. Le miracle est accordé mais il n’est pas raconté. Toutefois, la réponse positive est accompagnée de la menace du châtiment le plus sévère auquel devrait s’attendre quiconque refuserait ensuite de croire. Ici certains grands Orientalistes ont donné à croire qu’il s’agit d’une reproduction coranique de l’eucharistie. On pourrait penser, plutôt, à un lien avec la multiplication miraculeuse des pains et des poissons relatée dans l’Évangile selon saint Matthieu (Mt 14, 13-21 ; 15, 32-38).

Mahomet accompagné de Jésus (manuscrit persan du XIVᵉ siècle).

Une polémique au sujet de la crucifixion de Jésus

La sourate 4 (versets 157-158) se rapporte au destin de Jésus. Le texte présuppose la connaissance du kérygme chrétien. C’est un texte polémique. Toutefois cette polémique ne vise pas le kérygme chrétien ; elle s’adresse aux juifs qui soutiendraient avoir tué et crucifié Jésus. On se demande comment cette polémique a pu naître. Si elle devait avoir un arrière-plan historique, des juifs se seraient vantés de cette mort. On peut imaginer qu’on ait opposé une affirmation de ce genre aux Judéo-chrétiens, lors d’une querelle intra-juive, dans le but de les provoquer. Dans ce cas, le Coran, qui rejette cette affirmation, prendrait parti pour les Judéo-chrétiens.

Une telle affirmation dérange l’historien, la crucifixion de Jésus passant pour une donnée des plus sûres, attestée aussi par des auteurs romains païens. Le Coran voudrait-il dire que ce sont d’autres qui ont crucifié Jésus ? Certainement pas ; la pointe de l’énoncé est dirigée contre les juifs. Le texte dirait donc qu’ils avaient bien l’intention de tuer Jésus. Mais ils n’ont pas réussi.

Chose importante pour notre propos, pour le Coran la croix et la résurrection de Jésus n’ont pas de signification liée au salut. Sans doute la crucifixion de Jésus n’a-t-elle pas eu lieu pour ce qui le concerne. D’après la sourate 19 (verset 33), il meurt de mort naturelle, et selon la sourate 5 (verset 117), il a été rappelé. S’il doit revenir à la vie, cela se fera lors du jugement dernier, lorsque tous les morts seront ressuscités (Coran 19, 33). Devient-il ainsi le rôle d’un Imam caché qui peut réapparaître à n’importe quel moment ?

Dans ce contexte, on peut rappeler que pour le Judéo-christianisme aussi, la signification de la crucifixion de Jésus passe à l’arrière-plan. Les controverses judéo-chrétiennes n’abordent pas la thématique sotériologique. Néanmoins, ce qui marque le plus nettement la christologie du Coran est qu’il refuse la dignité de fils de Dieu. Mais avant d’en discuter, il nous faut réunir les énoncés positifs du Coran à son sujet. En effet, le Jésus coranique est considéré comme prophète au même titre que Mahomet et les autres prophètes bibliques. Et ici prophète est à entendre dans le sens spécifique d’envoyé de Dieu.

La désignation de Jésus comme fils de Marie est également fréquente. Elle connote la naissance sans père, à laquelle le Coran se tient. Mais elle n’a pas de portée ecclésiologique dans le Coran qui connaît aussi le nom de Christ (Masîh).

Cependant les assertions négatives sur Jésus prennent aussi de la place. Elles concernent concrètement la foi trinitaire. Les assertions du Coran peuvent se diviser en trois groupes. Le plus fréquent des reproches faits aux chrétiens concerne l’affirmation que Dieu s’est donné un fils.

Les mystères mis à mal

À un deuxième niveau, le Coran rejette l’appellation de « fils de Dieu » donnée à Jésus mais accepte de le considérer comme l’Esprit de Dieu (Rouh al-Allah). Enfin, et à un troisième niveau, le Coran rejette l’affirmation selon laquelle Jésus serait Dieu. La christologie coranique consiste donc essentiellement en trois valeurs, présentées sous forme de négations absolues de la foi nicéenne.

Le Coran s’en prend donc à trois mystères constitutifs du christianisme en lien direct avec Jésus : la Trinité, au nom de l’absolue unicité divine ; l’Incarnation, au nom de la transcendance exclusive de Dieu ; et enfin la Rédemption, puisqu’il n’y a pas eu de sacrifice.

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