À l’époque où Hollywood n’en était qu’à ses balbutiements, des puits de pétrole pompaient déjà dans les quartiers de Los Angeles. Un siècle plus tard, des milliers de puits actifs parsèment encore la ville.
Souvent implantés à quelques mètres seulement des maisons, des écoles ou des parcs, ces puits peuvent rejeter gaz et produits chimiques irritants et toxiques (benzène…) dans l’air. Aujourd’hui, après quasiment une décennie d’organisation au niveau des collectivités et d’études démontrant les effets néfastes sur la santé des personnes vivant à proximité de ces forages, la longue histoire du forage urbain à Los Angeles touche à sa fin.
Lors d’un vote unanime le 24 janvier 2023, le Conseil des superviseurs du comté de Los Angeles a voté l’interdiction de toute nouvelle extraction de pétrole et de gaz et la suppression progressive des opérations existantes. Cette décision faisait suite à un vote similaire du conseil municipal un mois plus tôt.
La ville a fixé une période d’élimination progressive de 20 ans, tandis que le comté n’a pas encore fixé de calendrier.
En tant que chercheurs en santé environnementale, nous étudions les impacts du forage pétrolier sur les communautés environnantes. Nos résultats sont clairs : ils montrent que les personnes vivant à proximité d’exploitations pétrolières urbaines souffrent de taux d’asthme plus élevés que la moyenne, de respiration sifflante, d’irritation des yeux et de maux de gorge. Dans certains cas, l’impact sur les poumons des résidents est pire que de vivre à côté d’une autoroute ou d’être exposé à la fumée secondaire tous les jours.
Quand Los Angeles était une forêt… de derricks
Il y a plus d’un siècle, la première industrie à connaître un essor à Los Angeles était le pétrole.
C’était alors une ressource abondante, présente en surface ou peu s’en fallait. Dans la Californie du début du XXe siècle, l’extraction des minéraux était régie par des lois disparates ; pour le pétrole, le premier à forer ramassait la mise et les droits d’exploitation. Cela a marqué le début d’une période de forage effréné, avec la multiplication anarchique des puits et équipements associés.
Au milieu des années 1920, la cité des Anges était ainsi l’une des plus grandes régions exportatrices de pétrole au monde.
Une décennie plus tard, les installations pétrolières étaient tellement omniprésentes que le Los Angeles Times les décrivait, en 1930, comme « des arbres dans une forêt ».
Si la classe ouvrière a d’abord soutenu cette industrie parce qu’elle promettait des emplois, elle s’y est ensuite opposée lorsque leurs quartiers ont commencé à en être victimes – des « villes sacrifiées sur l’autel du pétrole ». Dès les années 1920, les premières pollutions sont observées. Certains sont les témoins d’explosions, de déversements de pétrole ainsi que de dommages à plus long terme pour la terre, l’eau et la santé.
Les tensions autour de l’utilisation des terres, les droits d’extraction et les chutes ultérieures des prix du pétrole dues à la surproduction ont finalement abouti à des restrictions sur le forage. S’est alors mise en place une pratique d’« autorégulation volontaire » des compagnies pétrolières pour limiter pertes financières et nuisances humaines, avec par exemple le développement de technologies de réduction du bruit. L’industrie a commencé à vanter ces approches volontaires pour détourner la réglementation gouvernementale.
De plus en plus, les compagnies pétrolières ont aussi cherché à camoufler leurs activités. Par exemple, en installant leurs infrastructures d’exploitation à l’intérieur de bâtiments, derrière de grands murs ou sur des îles artificielles au large de Long Beach – ou par tout autre moyen leur permettant de se fondre dans le paysage. Toujours présent, le forage pétrolier était désormais caché à la vue de tous.
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Depuis les années 2000, l’industrie pétrolière connaît un nouvel essor. Les progrès des techniques d’extraction ont en effet permis d’accéder à des gisements jusque-là complexes à atteindre… ce qui a entraîné une relance des activités. Certains secteurs ont été particulièrement touchés par cette réaccélération de l’extraction. Les habitants de South Los Angeles et d’autres quartiers situés dans des champs pétrolifères ont ainsi remarqué de fréquentes odeurs chimiques, des saignements de nez chez les enfants et maux de tête.
Les conséquences pour la santé
Aujourd’hui, on compte plus de 20 000 puits actifs, inactifs ou abandonnés, répartis dans un comté de 10 millions d’habitants.
Près d’un tiers des résidents vit à moins de 2km d’un site actif, quand il n’est pas sur le pas de leur porte. Environ 75 % des puits de pétrole ou de gaz actifs sont situés à moins de 500 mètres de zones d’« utilisation sensible des sols », telles que les habitations, les écoles, les garderies, les parcs ou les résidences pour personnes âgées.
Or la ville de Los Angeles ne prévoit aucune zone tampon ou de retrait entre l’extraction pétrolière et les habitations.
Malgré plus d’un siècle de forage pétrolier, il n’y avait jusqu’à récemment que peu de recherches sur ses effets sur la santé. Travailler avec des agents de santé communautaires et des organisations locales nous a permis de mesurer l’impact des puits de pétrole sur les résidents, en particulier sur ses quartiers historiquement noirs et hispaniques.
La première étape de notre enquête a consisté à mettre en place un porte-à-porte dans le secteur situé à proximité des puits du champ pétrolier de Las Cienegas (South Los Angeles), situé au sud et à l’ouest du centre-ville. Nous avons interrogé 813 personnes, habitant 203 foyers. Ensuite, nous avons mesuré la fonction pulmonaire de 747 résidents à long terme, âgés de 10 à 85 ans, vivant à proximité de deux sites de forage.
Près de la moitié de nos interlocuteurs, soit 45 %, ne savaient pas que des puits de pétrole étaient exploités à proximité. 63 % ne savaient pas comment contacter les autorités réglementaires locales pour signaler des odeurs ou des risques environnementaux.
Nos constats en termes de santé pour ces populations sont clairs :
L’asthme les touche plus fréquemment que chez les résidents de l’ensemble du comté de Los Angeles.
Leur fonction pulmonaire est plus faible. Plus une personne vit près d’un site de forage (actif ou récemment mis à l’arrêt), plus sa fonction pulmonaire est faible, même après ajustement d’autres facteurs de risque – tabagisme, asthme, proximité d’une autoroute, etc. Les individus vivant jusqu’à 1 km sous le vent d’un site de forage sont plus touchés en moyenne que ceux vivant plus loin et contre le vent. L’impact est similaire à celui d’une autoroute ou, pour les femmes, d’être exposées au tabagisme passif. Pour établir ces résultats, nous avons étudié deux critères : la capacité pulmonaire (quantité d’air que l’on peut expirer après une profonde inspiration) et la force pulmonaire (avec laquelle on peut expirer). Toutes deux sont des indicateurs de maladies respiratoires, de décès dus à des problèmes cardiovasculaires ou de tous les décès précoces en général.
Nos travaux montrent donc une relation significative entre vivre près de puits de pétrole et détérioration de la santé pulmonaire.
Nous avons également trouvé des preuves que les contaminants liés au pétrole, y compris les métaux toxiques comme le nickel et le manganèse, pénètrent dans le corps humain. La contamination locale peut donc parfaitement frapper les communautés vivant à proximité des installations pétrolières.
Grâce à un réseau de surveillance installé dans le sud de Los Angeles, nous avons pu identifier la pollution spécifiquement liée au pétrole dans les quartiers proches des puits.
Nos capteurs situés à moins de 500 mètres des sites pétroliers ont mesuré l’émission de brefs pics de polluants atmosphériques et de méthane (puissant gaz à effet de serre). Lorsque la production de pétrole sur un site est arrêtée, nous observons par contre des réductions significatives de toxines (benzène, toluène, n-hexane…) dans l’air des quartiers adjacents.
Ces produits chimiques sont des irritants, des cancérigènes et sont connus pour être toxiques pour la reproduction. Ils sont également associés à des étourdissements, des maux de tête, de la fatigue, des tremblements et une irritation du système respiratoire, y compris des difficultés à respirer et, à des niveaux plus élevés, une altération de la fonction pulmonaire.
Des populations à risques
Une large proportion des dizaines de puits de pétrole actifs dans le sud de Los Angeles se trouvent dans des communautés historiquement noires et hispaniques, qui ont été marginalisées pendant des décennies. Ces quartiers sont déjà considérés comme faisant partie des plus pollués, avec les résidents les plus vulnérables de l’État, et devant faire face à de multiples facteurs de stress environnementaux et sociaux.
Le calendrier de la ville pour l’élimination progressive des puits existants est fixé à 20 ans, ce qui suscite des inquiétudes quant aux effets sanitaires persistants pendant cette période. Ces quartiers ont besoin d’une attention soutenue pour réduire les effets déjà mesurés. Et la ville elle-même a besoin d’un plan pour une transition juste et un nettoyage des champs de pétrole au fur et à mesure de la transition vers de nouvelles utilisations.