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Lire l’histoire des montagnes dans un grain de sable

Traces de fission dans des cristaux d’apatite. M.Zattin/University of Padova, CC BY-NC-ND

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (du 5 au 13 octobre 2019 en métropole et du 9 au 17 novembre en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « À demain, raconter la science, imaginer l’avenir ». Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.


Les montagnes nous paraissent immobiles et immuables. Pourtant, les mouvements tectoniques, les séismes, la pluie et les glaciers les déforment, les construisent et les dégradent. Par exemple en Patagonie, où nous menons nos recherches, le réchauffement climatique entraîne une accélération de l’écoulement des glaciers et donc une modification de l’érosion des montagnes.

Mais qu’en était-il par le passé ? Et comment est-il possible de reconstituer ces reliefs aujourd’hui disparus ?

Le rôle clé des apatites

Cristaux d’apatite. M.Zattin/University of Padova, CC BY-NC-ND

En réalité, les montagnes ne disparaissent jamais vraiment. Les différents grains qui composent leurs roches sont séparés par l’érosion puis dispersés au loin par les vents, les glaciers et les rivières. Ces grains de sable s’accumulent en contrebas des massifs montagneux ; ils conservent ainsi les traces de l’histoire des montagnes dont ils sont originaires.

Ils enregistrent d’abord le moment où la roche s’est formée, à plusieurs kilomètres sous la surface de la terre et, par conséquent, à des températures plus élevées. Ils gardent ensuite des marques qui témoignent de la déformation de ces roches. Certains grains, comme les cristaux d’apatite, sont particulièrement utilisés pour retracer l’histoire de ces reliefs disparus. Il s’agit de cristaux de phosphate de calcium hexagonaux qui contiennent une infime quantité d’uranium.

L’uranium se retrouve dans la structure cristalline des apatites durant leur cristallisation en profondeur, plusieurs millions d’années avant la formation et l’érosion des reliefs.

L’uranium est un élément chimique naturellement instable qui se désintègre spontanément par fission. Lorsque cette réaction a lieu à l’intérieur du cristal, une marque appelée « trace de fission », de l’ordre de 16 micromètres, va se créer. La fission spontanée de l’uranium a alors lieu régulièrement dans les apatites, lors de toute son histoire : pendant la formation des chaînes de montagnes, ou autres déformations importantes, qui vont permettre aux roches de remonter vers la surface.

Dans la région Aysén, au Chili, l’un des glaciers du Mont San Lorenzo. Marie Cath Genge, CC BY-NC-ND
Vue sur le lac Colhué-Huapi depuis la chaîne plissée de San Bernardo, dans la Province de Chubut en Argentine. Marie Cath Genge, CC BY-NC-ND

Les traces de fission cicatrisent en fonction de la température et totalement pour des températures supérieures à 120 °C, ce qui correspond à environ 4 km de profondeur. À l’inverse, elles ne cicatrisent que très peu à basses températures. La limite inférieure est donc généralement établie à 60 °C (∼ 2,5 km de profondeur) même si elle n’est pas encore bien définie. Entre 120 et 60 °C – correspondant à peu près à l’intervalle entre 2,5 et 4 km de profondeur – les traces cicatrisent partiellement et donc leur taille diminue. On appelle cet intervalle la « zone de recuit partiel ». Toutes les informations apportées par l’analyse du nombre de traces de fission et leur longueur dans les apatites concerneront alors cette fenêtre de température.

C’est pourquoi on parle ici de « thermochronologie basse-température ». Il s’agit d’une méthode développée dans les années 1970, qui permet d’étudier l’évolution thermique d’une région en calculant des âges correspondants à des températures données. La température et la profondeur étant étroitement liées (puisque la température augmente en moyenne de 30 °C par kilomètre en profondeur), et l’échantillon étant prélevé en surface, il est possible de déterminer le taux d’exhumation des roches.

Il était une fois la vie d’une montagne. (InspirActions/YouTube, 2015).

Lire les grains de sable

Deux types d’analyse sont aujourd’hui menées sur ces traces.

La première consiste à compter le nombre de traces dans un grain. On irradie l’échantillon avec un détecteur externe qui va enregistrer la quantité restante d’uranium dans chaque grain. On peut alors en déduire l’âge auquel l’apatite est entrée dans la zone de recuit partiel, entre 120 et 60 °C.

La seconde méthode repose sur la mesure de la longueur des traces de fission. Si la « cicatrisation » des traces de fission est plus lente une fois dans cette fenêtre de température, elle existe cependant toujours. Si le cristal remonte rapidement, alors les traces seront longues, car elles n’auront pas eu le temps de cicatriser. Au contraire, des traces courtes vont indiquer un long passage dans cette fenêtre, et donc une remontée lente.

À partir des traces de fission, on peut donc dater le refroidissement et savoir s’il a été rapide ou non. Ces données thermiques sont ensuite converties en profondeur puis des contraintes sont ajoutées en fonction de la géologie de la zone d’étude. Avec ces données, obtenues sur quelques grains, on peut alors retracer l’évolution des montagnes.

Vue sur le Cerro Castillo, dans la région Aysén, au Chili. Marie Cath Genge, CC BY-NC-ND

Combiner les méthodes

Ces analyses ne sont pas toujours possibles : il arrive que les apatites subissent un réchauffement à une température supérieure à 120 °C. Toutes les traces vont alors cicatriser. On dit que le système est remis à zéro. Cela se produit après le dépôt des grains de sable au pied des montagnes.

En effet, les grains peuvent être enfouis, parfois à des kilomètres de profondeur. Ils atteignent donc à nouveau cet intervalle de température, voire le dépassent. À ce moment, toutes les traces qui racontaient l’histoire des montagnes vont disparaître. En revanche, si la roche remonte de nouveau à la surface, suite à une déformation importante, les traces de fission nous permettront de comprendre l’histoire, plus récente, des paysages qui se trouvent non loin des montagnes. Ainsi, on peut distinguer des époques de subsidence ou d’exhumation pour des régions données. On parle ici de la méthode « source-to-sink », qui signifie littéralement « de la source au bassin » ; elle vise à étudier l’évolution des systèmes de dépôts adjacents aux chaînes de montagnes.

Il existe enfin d’autres méthodes de thermochronologie, basées sur d’autres grains (ex. zircons) ou d’autres éléments chimiques (ex. Hélium). Chacune est caractéristique d’un intervalle de température différent. En combinant ces diverses approches, on peut donc se faire une idée assez précise du chemin qu’a parcouru le grain depuis sa cristallisation. C’est ainsi qu’à l’aide de quelques grains, nous pouvons reconstituer l’histoire des montagnes !

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