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L’irrésistible essor des podcasts d’information

Unsplash/Daniel Robert Dinu, CC BY-SA

Nous menons depuis un an une recherche pour le programme Obcast (Observatoire du podcast) financé par la DGMIC (direction générale des médias et des industries culturelles) depuis août 2021, au sein du laboratoire Carism (université Paris Panthéon-Assas). Il s’agit d’établir une cartographie des podcasts natifs d’information, une sociologie de leurs producteurs, une étude de leurs modèles économiques et une sémiologie de ces contenus. Pour cela nous avons élaboré une vaste bibliographie, une banque documentaire, construit une large base de données portant sur plus de 1 200 titres de podcast. L’heure est venue de partager les premiers résultats de ce programme mobilisant une dizaine de chercheuses et chercheurs.

Podcasts journalistiques un nouveau Far West ?

Tout comme l’internet représentait à la fin des années 2000 un Far West incertain, que les médias cherchaient à conquérir en l’arpentant à coup d’expérimentations, nous sommes convaincus que le podcast représente un nouveau mode d’expression journalistique, avec à ce stade, son lot d’innovations et d’expériences avortées, de promesses fécondes et d’illusions, de stratégies délibérées de médias et de bidouillages à initiative personnelle. Autant d’incertitudes qui justifient de mettre ce support journalistique sous observation, durant plusieurs années, pour voir s’il arrive à se frayer un chemin dans l’offre d’information médiatique, de dynamiser la production journalistique, en trouvant son, ou plus probablement ses modèles d’équilibre économique.

Une base de données de plus de 70 000 épisodes avec 215 producteurs

Ce projet a construit une base de données portant sur les podcasts natifs d’information donc produits par des médias et des sociétés de production spécialisées, avec un regard journalistique. Les podcasts de replay d’émissions et de fiction ont été exclus de la collecte, ainsi que les podcasts amateurs et de marques.

Notre base est constituée à ce jour de 1 214 podcasts natifs, soit 70 049 épisodes ayant été publiés entre novembre 2002 et juillet 2022 et repérés sur les plates-formes d’écoute ou directement sur les sites des médias. Ces podcasts sont produits par 195 médias, studios de production dédiés ou plates-formes (94 podcasts). L’étude présentée ici ne s’appuie que sur une base de 1 119 titres de podcasts et 191 producteurs.

Les acteurs impliqués dans la création de podcasts natifs ont produit en moyenne 6,2 titres de podcast (avec un ou plusieurs épisodes). Soulignons aussi que 168 titres de presse magazine (72 % des titres recensés par l’ACPM) et 22 titres de presse quotidienne régionale (PQR) n’ont produit aucun podcast (43 %).

Nombre de podcasts produits par catégorie de producteur. Author provided

On distingue par ailleurs deux variables relatives à la quantité produite. D’une part, des producteurs faisant feu de tout bois, ayant initié de nombreux titres de podcasts et d’autre part, des producteurs plutôt extensifs, déployant de nombreux épisodes à l’intérieur d’un seul et même titre. Ainsi, Slate a lancé un nombre important de titres de podcasts et occupe la deuxième place du classement général (la première sur la seule catégorie pure players). Il quitte en revanche ce classement lorsque l’on regarde le nombre d’épisodes produits.

En termes de nombre d’épisodes, la PQR et la PQN rivalisent avec les labels et les studios spécialisés dans la production de podcasts.

Les 10 plus gros producteurs en nombre de titres de podcast. Author provided
Les 10 plus gros producteurs en nombre d’épisodes. Author provided

Du côté de la presse quotidienne nationale, le plus gros producteur est L’Équipe, à la fois en termes d’initiatives (17 titres de podcast lancés) et de quantité d’épisodes (1904). Le Monde est le deuxième producteur avec 15 titres pour 296 épisodes, quand Les Échos et Le Figaro produisent tous deux 6 titres pour respectivement 1223 et 1179 épisodes.

En presse magazine, les principaux initiateurs de podcasts natifs sont Le Point (13 titres de podcast), Elle (11), Les Inrockuptibles (10) et Ça m’intéresse (10). Les plus gros producteurs sont en revanche, Ça m’intéresse (1261 épisodes produits), Capital (1 208), L’Express (426) et GEO (417). En presse quotidienne régionale, enfin, L’Indépendant (45 titres, 1678 épisodes), Ouest France (32 titres, 1751 épisodes) et Le Dauphiné Libéré (16 titres, 2876 épisodes) prennent la tête du classement.

Une quantité de titres homogène sur les différentes plates-formes d’écoute

Les plates-formes sont aujourd’hui le principal mode d’accès aux podcasts selon Jeremy Morris.

Celles-ci peuvent être généralistes et offrir plusieurs types de contenus, quand d’autres sont spécifiquement dédiées au podcast, comme Castbox. La présence des 1 120 titres sur les différentes plates-formes témoigne d’une certaine homogénéité de la diffusion : chacune des plates-formes indexées offre environ 80 % des titres recensés : 81 % pour Deezer, 84 % pour Castbox et Spotify, 87 % pour Apple podcast et… 90 % pour Google podcast ; 68 % des titres de podcasts sont présents sur les 5 plates-formes.

2017-2018, ou l’explosion mal maîtrisée du podcast d’information en France

Depuis le mois de septembre 2017, de nouveaux podcasts ont été créés chaque mois, pour un nombre de 20 titres par mois en moyenne entre septembre 2017 et juillet 2022. C’est en effet à partir de 2017 que l’offre de podcasts d’information se déploie, et ce de manière exponentielle les années suivantes (107 lancements en 2018, 225 en 2019, 297 en 2020, 392 en 2021). Les six premiers mois de 2022 ont vu naître 128 titres de podcasts, ce qui laisse présager d’un maintien de cette tendance, à défaut d’une accélération de la croissance.

Le tournant 2017-2018 concerne l’ensemble des acteurs du secteur. De façon plus ou moins attendue, les producteurs précoces sont d’abord Arte Radio, avec les premiers podcasts produits en 2002, suivie de la PQN avec Libération et le podcast « Silence on joue ! » (2007) et le 56kast (2013). Les studios dédiés à la production de podcasts se créent et lancent leurs premières productions à partir de 2016 seulement.

Néanmoins, la durée de vie chaotique des podcasts témoigne d’un engouement pour la production de podcasts pas toujours bien maîtrisée. En effet, 52,5 % des titres annoncés comme réguliers ont été interrompus. 486 titres de podcasts (55 %) ne durent pas plus d’un an, et 194 (22 %) pas plus de 2 mois. Enfin, 206 titres (18 %) font montre d’une périodicité irrégulière, en dépit de l’annonce d’un format « mensuel », par exemple. Ces podcasts de périodicité irrégulière sont principalement produits par la presse magazine et la presse quotidienne régionale (plus de la moitié des podcasts irréguliers à elles deux), là où les studios ne sont concernés qu’à hauteur de 8 %.

Part des types de producteurs dans les titres de périodicité irrégulière. Author provided

Cela illustre des stratégies expérimentales de lancement dans le format podcast, au gré des initiatives individuelles. En effet, les premières analyses d’une enquête en cours auprès de journalistes et services marketing des médias traditionnels semblent démontrer que les podcasts sont plus souvent créés sous l’impulsion de journalistes que d’une stratégie élaborée par la direction (logique bottom-up). Ces initiatives peuvent aboutir avec plus ou moins de temps et de moyens à la création d’un service et/ou d’un poste dédié au podcast au sein de la rédaction. Il semble, d’après nos premières observations, que la presse quotidienne régionale, en particulier, ait de grandes difficultés à stabiliser ses productions, faute de moyens conséquents et de formation adaptée.

Une place privilégiée pour quelques rubriques-phares, notamment la culture

Le classement des titres podcasts selon leur rubrique donne largement la culture en tête avec 279 occurrences. Viennent ensuite la politique (108) et le sport (106). Au milieu du classement des rubriques se trouvent les faits divers (71), l’économie (73), l’actualité générale (70), l’histoire (58), les « tranches de vie » (soit les témoignages d’anonymes, 56 occurrences), et la santé (50). Arrivent enfin, avec de plus faibles occurrences les sciences (38), l’écologie (34), les podcasts sur le journalisme (32) et enfin la religion (14) et les rubriques « inclassables » (13).

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Dans cette offre podcast extrêmement diversifiée, la dominante culturelle, pourtant souvent peu présente dans les médias généralistes, est sans doute le résultat à souligner en priorité.

Le paysage des podcasts natifs d’information révèle ainsi une grande disparité en termes de durée de vie comme de rubriques, mais une forte concentration en termes de formats.

Les formats classiques du journalisme à l’honneur

Sur l’ensemble des 1 119 podcasts d’information de notre corpus, 66 % correspondent à trois formats principaux : en premier lieu le documentaire/reportage (1 312 occurrences), suivi par l’interview/entretien (274) et arrive en troisième position la chronique (157). Suivent le récit, (102), les émissions (107), le portrait (79), le débat et la captation (respectivement 46 et 17 occurrences). Ces différents formats peuvent être regroupés selon deux catégories : d’une part les formats conversationnels, correspondant au modèle radiophonique du direct et requérant un minimum de compétences techniques ; de l’autre, les formats requérant un plus ample travail d’écriture, le recours à des sources variées et des intervenants pluriels.

Répartition des formats (en %). Author provided

Ces premiers résultats quant aux formats les plus fréquemment adoptés dans les podcasts natifs d’informations méritent toutefois d’être affinés selon deux critères : celui de la famille médiatique concernée d’une part et celui de leur périodicité d’autre part.

En effet, si l’on observe de manière plus fine les formats adoptés, on constate que la répartition se fait d’une manière étonnamment homogène en fonction du média producteur concerné. En effet, l’hypothèse d’une inventivité dans les podcasts natifs qui viendraient bouleverser les schémas journalistiques préétablis est contredite par les données préliminaires de la cartographie de notre Observatoire du podcast.

Les formats privilégiés par les podcasts produits par des médias de presse écrite restent le documentaire, l’interview et la chronique qui concentrent à eux trois 66 % des occurrences (respectivement 28 % ; 24,5 % et 13,5 %).

Périodicité : des différences marquées entre médias traditionnels et studios

Deuxième élément à prendre en compte : la périodicité. On a distingué dans le codage cinq périodicités : quotidienne, hebdomadaire, mensuelle, irrégulière, et les séries ou unitaire (nombre d’épisodes clos). Il en ressort que la périodicité la plus fréquemment adoptée est la série ou l’unitaire (38 %), suivie de l’hebdomadaire (20,2 %), et les fréquences irrégulières(13 %).

Répartition des périodicités de parution (en %). Author provided

Les podcasts quotidiens (ou plurihebdomadaires) ne représentent ainsi que 11 % de l’ensemble du corpus, mais selon une répartition très nette en fonction du média concerné : sur les 128 titres de podcasts quotidiens ou plurihebdomadaires, 71 % sont produits par des médias traditionnels, en particulier la presse papier (PQN, PQR, presse gratuite d’information et presse magazine) qui produit 50 % de l’ensemble des podcasts quotidiens.

Répartition des podcasts quotidiens par types de producteur. Author provided

L’idéal du récit et de la biographie

Dans les résumés de chaque podcast de notre base, on observe massivement la présence du champ lexical de la narration et de la biographie : « vie » (573 occurrences), « raconte/raconter » (202), « histoires » (152), « récit » (54), ou encore « témoin/témoignage » (58). Si les podcasts s’appuient sur des genres journalistiques stabilisés, c’est dans l’angle adopté, l’énonciation et la mise en récit de l’actualité que la nouveauté se joue.

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