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Des enfants syriens s'amusent alors qu'ils attendent leur cours d'immersion française, à Montréal. Les immigrants ne forment pas un bloc homogène au Québec, et si certains rejettent la Loi 21, d'autres l'approuvent. La Presse Canadienne/Ryan Remiorz

Loi sur la laïcité: quel impact sur l'immigration actuelle et future?

Quel impact aura le projet de Loi 21 sur la laïcité de l'État auprès des immigrants, actuels et futurs au Québec?

Mes recherches démontrent que les immigrants et les minorités ehtnoculturelles ne forment pas de blocs monolithiques, pas plus que la majorité francophone, par ailleurs.

Mais tout d'abord, remontons un peu aux sources de cette loi controversée.

De la naissance du Mouvement laïque québécois dans les années 1960 en passant par la déconfessionalisation des commissions scolaires catholique et protestante à la suite d’un amendement constitutionnel en 1997, de vifs débats ont marqué le cheminement de la société québécoise vers l’adoption d’une Loi sur la laïcité de l’État, de façon analogue à ce qui s’est passé dans le cas de la Charte de la langue française en 1977 (Loi 101).

La nation québécoise, reconnue comme telle par une motion adoptée par la majorité des membres du Parlement fédéral en 2006, constitue dorénavant un cas particulier au sein de la fédération.

La spécificité du Québec dans son parcours vers la laïcité de l’État

Depuis 2006, les controverses ont d’abord porté sur les accommodements raisonnables tout en débordant largement sur la question identitaire.

Ainsi, en 2006, les juges de la Cour suprême du Canada accréditaient le port du kirpan dans les établissements scolaires québécois, à l’encontre des décisions de la juridiction québécoise. Ce jugement a mis le feu aux poudres, alors que d’autres revendications suivaient, largement médiatisées : musulmanes exigeant une femme médecin dans les hôpitaux; musulmans exigeant un inspecteur masculin pour les examens de conduite automobile ; Juifs hassidiques exigeant qu’un YMCA de Montréal givre les vitres de son gymnase pour ne pas apercevoir des femmes en tenue d’entraînement; demandes de congés supplémentaires lors de fêtes religieuses ou de lieux de prières dans les universités; filles séparées des garçons pour les cours de natation, etc.

Divers sondages réalisés depuis ont montré l’appui grandissant d’une large majorité de la population en défaveur des accommodements raisonnables et en faveur de la laïcité de l’État. Selon l’un d’entre eux réalisé en 2007: « La très grande majorité des Québécois (83%) croient que les immigrants devraient respecter les lois et les règlements du Québec même si cela va à l’encontre de certaines croyances religieuses ou pratiques culturelles. Chez les membres des communautés culturelles, 74% sont du même avis ».

Pour répondre aux préoccupations de l’opinion publique, le gouvernement du Québec (Parti Libéral) a alors mis sur pied la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles en 2007 dont le mandat était de formuler des recommandations afin que les pratiques en question « soient conformes aux valeurs de la société québécoise en tant que société pluraliste, démocratique et égalitaire ».

En 2013, le gouvernement de Pauline Marois (Parti Québécois) présentait un projet de Charte des valeurs qui ne sera jamais adopté. En 2017, l’Assemblée nationale adoptait la loi 62 proposée par le gouvernement de Philippe Couillard (Parti Libéral), mais son article sur la prestation de services à visage découvert est suspendu par les tribunaux.

La Coalition avenir Québec a été élue en octobre 2018 en grande partie grâce à son projet de mettre fin aux tergiversations précédentes. Le 28 mars dernier, le ministre de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion du Québec, Simon Jolin-Barrette, a donc présenté le projet de Loi sur la laïcité de l'État.

Le projet de loi modifie la Charte des droits et libertés de la personne afin d’y inscrire que les libertés et droits fondamentaux doivent s’exercer dans le respect de la laïcité de l’État:

Il n'y a plus Les libertés et droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de la laïcité de l’État, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.

Le projet affirme que la nation québécoise a « des valeurs sociales distinctes » — ce sont les mots de la Cour suprême dans le jugement Nadon — « et un parcours historique spécifique l’ayant amené à développer un attachement particulier à la laïcité de l’État ».

Le ministre Québécois de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion, Simon Jolin-Barrette, présente le projet de loi 21 sur la laïcité de l'État, le 28 mars 2019, à l'Assemblée nationale. La Presse Canadienne/Jacques Boissinot

Bref, qu’en cette matière, cette nation peut aspirer à un modèle différent de celui du reste du Canada.

Le Mouvement laïque québécois n’a pas manqué de se réjouir : « Nous réclamions depuis 38 ans une loi affirmant le caractère laïque de l’État, et ce sera enfin chose faite. Les libertés fondamentales devront désormais s’exercer dans « le respect de la laïcité ».

Quel impact aura la loi sur l’immigration à venir et en place?

Dans ce domaine plusieurs nuances s’imposent.

Le projet de loi et son adoption éventuelle ne ralentiront pas les courants migratoires à l’échelle internationale. Les pays européens qui ont adopté un modèle de laïcité n’ont pas vu diminuer les entrées régulières et irrégulières, bien au contraire comme en témoigne la crise migratoire.

Par contre, point intéressant, on pourrait penser que le Québec pourrait constater une diminution d’un certain type d’immigrants. En effet, lors d’une enquête terrain réalisée dans les années 1990, j’ai obtenu le témoignage de dirigeants d’associations ethnoculturelles concernant la migration en cours à l’époque, à partir de la France vers le Québec: il s’agissait de Juifs sépharades de tendance orthodoxe qui estimaient avoir plus de liberté au Québec qu’en France pour afficher leurs convictions et signes religieux.

À la même époque, des observateurs issus du Maghreb s’inquiétaient de l’arrivée de réseaux musulmans intégristes en provenance du Maghreb. Ceci a changé la donne des débats sur la laïcité.

Quant à l’impact sur les immigrants et minorités vivant au Québec, les opinions sont mitigées. Il n’y a pas de blocs monolithiques. Un sondage Léger récent démontre que 67% de la population est favorable à la laïcité de l’État (75% des francophones, 46% des non-francophones). À Montréal, 63% de la population est en faveur de l’interdiction du port des signes religieux au sein de l’État, 68% en faveur de l’interdiction aux enseignants.

Manifestation à Montréal, dimanche le 7 avril, contre le projet de loi 21 sur la laïcité. La Presse Canadienne/Graham Hughes

Si certains citoyens issus des minorités accusent le gouvernement de la CAQ de racisme et de discrimination envers les femmes portant le hijab en particulier, plusieurs considèrent au contraire que les employés de l’État doivent afficher un devoir de réserve en ce qui concerne leur religion aussi bien que leurs convictions politiques, au nom du principe de la non-hiérarchie des droits individuels.

Ils et elles y gagneront quant à l’accès à l’emploi. En effet, selon des sondages et des enquêtes dont j'ai pris connaissance pour mes recherches, plusieurs estiment que le port de signes religieux est un obstacle à l’embauche et à la promotion sur le marché primaire et secondaire du travail, en dehors des ghettos ethniques d’emploi traditionnels. Cet argument ressort d’enquêtes effectuées auprès d’employeurs, soucieux de ménager leur clientèle sans pourtant se considérer eux-mêmes comme racistes.

À l’instar du mouvement féministe, des commissions scolaires ou de certains syndicats qui en appellent au retrait du projet de loi et à la désobéissance civile, les associations de défense des droits des minorités sont divisées. Il n’y a pas à leur propos de positions binaires.

Ainsi l’Association des musulmans et des Arabes pour la laïcité, la Table de concertation contre le racisme systémique, la Coalition inclusion Québec, s’organisent . En faveur du projet de loi sur la laïcité de l’État, on trouvera l’Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité (AQNAL) aux côtés du Mouvement laïque québécois (MLQ) ou de l’organisme Pour les droits des femmes (PDF) au sein desquels militent des Québécois et Québécoises de culture musulmane et laïcs.

Nombreux en effet sont les citoyens et analystes qui ont constaté le retour du féminisme islamiste et du voile islamiste dans leurs pays d’origine et qui témoignent de l’expansion de l’idéologie wahhabo-salafiste dans la société québécoise, comme l'a expliqué Ferid Racim Chikhi lors d'un colloque en juin 2018.

Car la société québécoise n’est pas un isolat à l’abri des courants de pensée internationaux. Elle est interconnectée, comme je l’écrivais récemment. Et multiple.

Tout comme le sont les nouveaux arrivants qui proviennent de pays parfois déchirés par des systèmes de valeurs et de coutumes hétérogènes.

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