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Lorsque l’orpaillage pousse à l’exode depuis le cœur du Sahel

Migrants en partance pour un site d’orpaillage. Issa Aboud Yonlihinza

Aujourd’hui, la question de la migration focalise les esprits. Elle nourrit les débats politiques, académiques et ceux de la société civile.

Au Sahel, elle a longtemps été perçue comme un élargissement de l’espace de vie. Dans la région de Téra au Niger, espace témoin dans la région des crises alimentaires et de pauvreté, la migration vers les zones d’exploitation minière est considérée comme une stratégie de survie.

Localisation de Tera, au Niger. Issa Abdou Yonlihinza, Author provided

Mais, si la mine contribue à l’économie locale et pallie ainsi les insuffisances des productions agro-pastorales fortement dépendantes des aléas climatiques, ses conséquences sociales et environnementales sont parfois irréversibles.

Les mines d’or du Sahel

Pratiqué sur les formations birimiennes (roche sédimentaire), l’orpaillage est pratiqué dans plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest. Au Niger, l’industrie minière, longtemps caractérisée par la production mono-minérale de l’uranium, est portée désormais sur une diversification de l’exploitation des ressources du sous-sol.

Orpailleurs en activité. Issa Abdou Yonlihinza, Author provided

Le Liptako nigérien, une région historique et de socle dont sa spécificité est liée à la présence d’une roche, située dans la partie sud-ouest du Niger, s’étendant au Burkina Faso, au Bénin et au Mali – s’est trouvé en bonne place dans cette nouvelle donne d’autant plus que des indices probants depuis les années 70 que la région repose sur d’importantes richesses minières.

C’est ainsi que suite à la famine de 1984 consécutive aux mauvaises récoltes de 1983, le gouvernement nigérien a voulu pallier l’exode rural vers Niamey la capitale, et les pays côtiers (Ghana, Togo et Côte d’Ivoire). Pour y parvenir, il incita les autorités locales (coutumières et administratives) à favoriser l’intensification de la pratique de l’orpaillage qui a déjà commencé dans la région.

Sur le plan démographique, la région de Téra est caractérisée par une population qui double tous les 15 ans et dont 61,27 % a moins de 20 ans. Pour une population jeune et de plus en plus nombreuse, l’emploi devient une préoccupation sur un marché très étroit. Les sites d’exploitation artisanale de l’or deviennent dans ce cas, une opportunité d’emploi pour les jeunes chômeurs.

Enfin, la hausse du cours de l’or sur le marché international a incité les populations locales à s’intéresser de plus en plus à la pratique de l’orpaillage sur plusieurs sites et sur des distances de plus en plus larges.

L’or : bénédiction et fléau

L’orpaillage a suscité une intensification de la mobilité dans la zone de Téra, entraînant un brassage socioculturel important entre différentes ethnies et des bouleversements structurels et fonctionnels. Le système des échanges s’est monétarisé, remplaçant progressivement le troc traditionnel.

l’augmentation des revenus des personnes pour une population essentiellement constituée d’agriculteurs et de pasteurs avant l’arrivée de l’or.

On a vu s’installer une modification des modes de consommation, également suscitée par l’avènement de nouveaux produits, tels que le téléphone portable, les glaces, soda, vêtements de type occidental, créant de nouveaux marchés et opportunités pour les commerçants venant de villes.

Par ailleurs, la monétarisation a transformé certains aspects de la vie sociale et culturelle. Par exemple, dans les cérémonies de mariage, les dons en nature sont désormais de plus en plus remplacés par de l’argent.

L’exploitation de l’or a aussi réveillé des rivalités communautaires latentes ou jusqu’alors inconnues liées par exemple à des revendications foncières dès que l’or est découvert dans une localité. C’est le cas des rivalités entre communautés et villages Sonray et Gourmantché à propos du contrôle d’un site du nom de Tchaka, situé à la lisière des deux villages. Ces deux communautés s’en disputent la propriété. La gestion d’un autre site du nom de Komabangou a aussi déclenché une vive tension entre les chefferies de deux cantons(Dargol et Kokorou).

Une lourde empreinte écologique

Pour augmenter la production aurifère, plusieurs produits chimiques potentiellement nocifs pour l’environnement sont utilisés : le mercure, le cyanure, les acides, les détergents et les explosifs.

Boues séchées à base de cyanure et d’acide sulfurique. Issa Abdou Yolinhinza, Author provided

Les dégâts se traduisent par la contamination des sols et la destruction du couvert végétal.

La présence de centaines, voire de milliers d’orpailleurs sur un même site, s’accompagne d’une coupe abusive de bois. La conséquence immédiate est la disparition de certaines espèces animales en raison de la destruction des abris qui sont pour eux des sources de nourriture et de reproduction.

Ici, les espèces les plus touchées sont les souris, les rats, les reptiles (lézards, serpents, etc.). Les insectes et les vers de terre ne sont pas épargnés. À cela s’ajoute le développement du braconnage et des nuisances sonores dues aux incessants va-et-vient des voitures et motos sur les sites d’orpaillage.

Site d’orpaillage. Issa Abdou Yolinhinza, Author provided

La technique d’amalgamation consiste en la récupération de l’or dans le minerai par l’utilisation du mercure. Elle comprend une phase de distillation généralement réalisée à ciel ouvert sur les sites d’orpaillage. Durant l’opération, une bonne partie du mercure s’échappe dans la nature sous forme de vapeurs et pollue l’air.

Enfin, l’exploitation de l’or entraîne un pompage excessif de l’eau nécessaire en quantité importante au lavage du minerai et à la consommation humaine qui est accrue sur les sites : il y a donc une forte altération de la nappe phréatique.

Ici, le cas du village de Komabangou est édifiant. Aujourd’hui, c’est le plus grand site d’orpaillage de la région de Téra. Quand il a ouvert en 1999, le village ne comptait que 200 habitants. En 2004 c’est-à-dire 5 ans après, il en comptait 25 000 habitants.

Un site qui attire mais qui n’offre pas un futur stable

Nos investigations confirment le caractère massif de la fréquentation de ce site. Mieux, elles montrent la diversité des acteurs qui y convergent dans leurs origines géographiques. Une présence plus marquée des originaires de Téra se confirme avec 64,75 %. Si cette prédominance des ressortissants du département va de soi, il est très intéressant de noter que c’est tout Téra qui est représenté à Komabangou. On y retrouve des populations venues de tous les cantons, soit, selon mes propres recherches : 8,10 % de Gorouol, 18, 91 % de Kokorou, 57,14 % de Dargol et 9,26 % de Diagourou.

La réputation du site de Komabangou ayant dépassé les frontières du département de Téra, il accueille aussi des populations venues de toutes les régions du Niger. Parmi les personnes interrogées, 18 % sont des Nigériens d’autres régions. Au-delà des limites du Niger, l’or de Komabangou crée un appel d’air pour plusieurs nationalités ouest-africaines (Burkinabés, Maliens, Togolais, Nigérians et Béninois).

Mais les actions entreprises jusque-là par l’État du Niger n’ont permis d’offrir un espoir dans le mode de vie en milieu rural.

Cela est observable à travers la dégradation continue des conditions de vie.

En effet, au Niger, un profil de pauvreté qui définit les caractéristiques des individus et des ménages pauvres a été dressé. Dans ce profil, un ménage pauvre est un ménage où la consommation annuelle par tête est inférieure au seuil de pauvreté qui est de 182 635 FCFA (278 euros) par personne et par an. Ce milieu rural semble être le plus affecté par la pauvreté en ce sens où 63,9 % des plus pauvres du pays y vivent.

Or, si l’absence d’une véritable politique adaptée de développement rural se prolonge, il y a un risque que cette migration locale nourrisse la migration internationale qui fait l’actualité.

This article was originally published in English

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