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L’UNEF menacée de dissolution : ce n’est pas une première

Le 16 mars, participation de militants de l'UNEF à une manifestation contre la précarité étudiante, accentuée par la crise sanitaire. Bertrand Guay/AFP

L’Union nationale des étudiants de France (UNEF) est depuis quelques semaines au centre de polémiques qui ont dépassé les limites de l’Université pour devenir des enjeux politiques entre gauche et droite, mais aussi à l’intérieur de la gauche.

Rappelons-en rapidement la chronologie. Début mars, à Grenoble, l’UNEF locale reproduit sur son fil Twitter une photographie d’une inscription – qui n’émane pas de l’UNEF – ornant un mur de l’Institut d’études politiques. Deux noms d’enseignants sont accolés aux mots « démission » et « l’islamophobie tue ». L’image est rapidement retirée et le bureau national se démarque de sa section locale qui s’est fait le relais de cet affichage, en qualifiant l’initiative de « maladroite et dangereuse ». Mais l’affaire est déjà devenue médiatique, dans un contexte marqué par l’assassinat de l’enseignant Samuel Paty d’une part, et de la dénonciation d’un « l’islamo-gauchisme » universitaire.

Quelques jours plus tard, Mélanie Luce, présidente de l’UNEF, invitée sur Europe 1 pour parler de la situation étudiante, particulièrement de la précarité, est fortement interrogée sur la tenue à l’UNEF de réunions dont les « blancs » seraient exclus. Mélanie Luce explique qu’il y a des réunions en non-mixité – sans parler d’exclusion – qui se tiennent deux à trois fois par an dans le syndicat.

Mélanie Luce, présidente de l’UNEF, répond aux questions de Sonia Mabrouk sur Europe 1, le 17 mars 2021.

Aussitôt des députés et sénateurs, notamment des partis Les Républicains et Rassemblement National, demandent la dissolution de l’UNEF, le ministre de l’Éducation nationale dénonçant ce type de réunions qui, d’après lui, « ressemblent au fascisme ». L’on exhume alors d’autres incidents qui ont peu de lien entre eux : le voile porté par Maryam Pougetoux, présidente de l’UNEF Sorbonne en 2018 fait scandale, considéré comme contradictoire avec la laïcité dont se réclame le syndicat étudiant, la demande d’interdiction des Suppliantes d’Eschyle en mars 2019 à la Sorbonne, demande soutenue par l’UNEF, des déclarations après l’incendie de Notre-Dame émanant de deux responsables, l’une d’Amiens, l’autre de Rennes, qui ont très rapidement quitté l’UNEF et avaient d’ailleurs été désavoués par le bureau national.

Au total, six incidents en quatre ans, dans quatre établissements universitaires pour toute la France, provoquent des demandes de dissolution, qui ont juridiquement peu de chances d’aboutir en l’état du droit, et de suppression des subventions, menace bien plus crédible. Toutefois, depuis la loi Jospin de 1989, les subventions de l’État étant attribuées aux organisations nationales en fonction du nombre de sièges obtenus au CNESER et au CNOUS, le fondement juridique d’une telle suppression sur ce chapitre budgétaire sera difficile à trouver.

Menaces de dissolution : les précédents

Ces menaces marquent-elles un tournant dans l’histoire du syndicalisme étudiant ? En réalité, l’UNEF a déjà été confrontée à des menaces de dissolution au cours de son histoire, depuis sa création en 1907. Sous Vichy, l’UNEF était mal vue par le régime de la Révolution nationale tant l’association étudiante était marquée « Troisième république ».

Le projet de « Jeunesse unique » avec une « Corporation étudiante », porté par les partis collaborationnistes de Doriot et Déat, aurait abouti à fusionner de manière autoritaire toutes les organisations de jeunesse et d’étudiants. Ce projet va échouer par la résistance de l’Église catholique, mais aussi des autres confessions, soucieuses de conserver leurs mouvements de jeunesse propres d’une part, et la réticence des autorités d’occupation, la division de mouvements affaiblis leur convenait bien. L’UNEF sauve ainsi son autonomie en négociant des compromis.

La reconstruction syndicale de l’UNEF donne un coup de fouet à l’organisation, qui regroupe après la Libération 25 % des étudiants. Elle s’engage au fur et à mesure contre la guerre en Algérie après 1956. En 1960/1961, la dissolution de l’UNEF, « syndicat unique de la classe étudiante », (l’UNEF syndiquait un étudiant sur deux) est envisagée par le Premier ministre, Michel Debré. Déjà, le président de Gaulle, rompant avec la tradition antérieure, avait à son accession au pouvoir en 1958 répondu vivement à une lettre du président de l’UNEF à propos de la situation universitaire par une fin de non-recevoir : « Je ne saurais admettre que le président de l’UNEF vienne, à cet égard, me parler de carence ».

Organisant la grande mobilisation étudiante contre la suppression des sursis militaires, l’UNEF devait être punie pour avoir osé rétablir des liens avec les étudiants algériens et leur union (l’UGEMA, dissoute par le gouvernement français en 1956), en rendant public un communiqué commun UNEF/UGEMA en juin 1960. Le ministère demanda à l’UNEF d’adopter une charte de l’apolitisme, à défaut il se chercherait « d’autres correspondants ».

La menace fut suivie d’exécution, les pouvoirs publics soutinrent la scission minoritaire de la FNEF qui se fit attribuer d’office 3 des 11 sièges que l’UNEF détenait Centre national des Œuvres. Son président, Dominique Wallon, fut interdit de passer le concours de l’ENA. La subvention annuelle ainsi que celle du festival culturel étudiant furent supprimées.

Après mai et juin 1968, c’est la crise de l’UNEF, et sa scission en 1971, qui amène la question devant les tribunaux. Le précédent de la mise sous administration judiciaire de l’AFGES (nom de l’UNEF à Strasbourg) après la prise du pouvoir par le Situationnistes en 1967 ne fut finalement pas imité par les tribunaux parisiens. Il est vrai qu’en 1979 toutes les parties avaient renoncé à continuer la procédure.

Questions d’influence

En 1961, la scission de la FNEF met fin à l’exception unitaire que constituait le syndicalisme étudiant dans le syndicalisme français, alors que l’UNEF est à son zénith, syndiquant presque un étudiant sur deux. Privée de « grain à moudre » par l’ostracisme gouvernemental à son encontre, la fonctionnalité syndicale traditionnelle s’amenuise alors que l’université se massifie.

En 1968, avec 50000 adhérents revendiqués, l’UNEF ne regroupe que 10 % des étudiants. Le chiffre décroît : en 1971, les deux UNEF ne rassemblent pas plus de 20000 adhérents, entre 1980 et 1984, l’UNEF indépendante et démocratique, présidée par J-C. Cambadélis, compte en moyenne 10000 à 11000 adhérents pour un million d’étudiants, en 2007, au congrès du centenaire, l’UNEF réunifiée depuis 2001, qui sort victorieuse du conflit du CPE (Contrat première embauche) en compte 13000.

Manifestation contre le contrat première embauche en 2006. Jack Guez/AFP

Nous ne disposons que des chiffres officiels de l’UNEF actuelle, qui proclame 30000 adhérents, ce qui en tout état de cause ne change guère la proportion de syndiqués constatée depuis 40 ans, entre 1 et 2 %. Quant à la FAGE, le système est différent, puisque ce sont des associations qui adhèrent à la FAGE, sans que leurs membres le sachent forcément. Elle affirme avoir autour de 200000 inscrits dans ses associations membres, mais aux élections universitaires ou aux CROUS elle récolte au maximum 100000 voix.

En effet, si le nombre d’adhérents est un indicateur, il n’est pas le seul permettant de mesurer l’influence d’un syndicat. Celle-ci peut être électorale puisque, depuis la loi Faure de 1968, les étudiants peuvent voter pour désigner leurs représentants dans les institutions universitaires. Or, la participation électorale est faible, variant entre 10 à 20 % de moyenne nationale depuis une quarantaine d’années, alors que les étudiants votent beaucoup plus aux élections présidentielles ou législatives.

L’influence se manifeste sur un autre terrain aussi, dans les mobilisations, par les discussions et décisions des assemblées générales de grévistes, et les coordinations des délégués élus par ces assemblées.

Jusqu’aux années 1960, l’UNEF et ses AGE (sections locales) étaient multifonctionnelles : rôle de représentation auprès des autorités, dimensions revendicatives, lieux de sociabilité gérant divers services : cafétérias, ciné-clubs, polycopiés ; la division et les changements institutionnels ont changé la donne. Représentativité, changements des conditions de travail, redéfinition d’identités collectives : en réalité, les syndicalismes étudiants sont confrontés aux mêmes problèmes généraux que ceux du syndicalisme français.

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