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L’Université de Paris-Saclay : les défis à venir (2)

Vue aérienne du quartier de l'Ecole polytechnique et de l'ENSTA Paristech. Ecole polytechnique Université Paris-Saclay, CC BY-NC-SA

Pour sa rentrée 2015, la méga université de Saclay, grand projet à la française, a rempli un premier contrat avec succès : l’offre de formation. Alors qu’elle vient tout juste d’être créée, l’UPS propose vingt nouvelles écoles doctorales – treize propres et trois co-accréditées avec des institutions tierces –, chacune fédérant un ensemble d’équipes de recherche rattachées à diverses entités internes et qui prennent en charge la formation par la recherche.

Ces écoles sont regroupées dans un collège doctoral unique. La perspective est d’accueillir 6 000 doctorants voire plus. Par ailleurs et sur le modèle de Cambridge, l'université de Paris-Saclay (UPSaclay) est en train de créer huit schools, qui entre les différents établissements, organisent la formation et regroupent des masters dans un domaine scientifique – par exemple en biologie-médecine-pharmacie, en biodiversité-agriculture-alimentation environnement, en sciences fondamentales, en humanités, etc.

Au total, quarante-neuf masters mutualisés sont délivrés par la COMUE et non plus par tel ou tel établissement. Ils offrent 280 parcours-types enseignés en français et pour partie en anglais. En matière de recherche, l’ambition est de créer dix départements au niveau de l’UPSaclay permettant de coordonner une stratégie de site créant un écosystème de recherche qui se situe en amont du cluster. Des chiffres qui sont impressionnants.

Gouvernance

Ces résultats ont été rendus notamment possibles par l’évolution de la gouvernance à l’UPSaclay*. De 2007 à début 2014, le projet a été porté et défini par la Fondation de coopération scientifique qui chapeaute également la facette du cluster installé sur le campus Paris-Saclay. Les grands traits de la maquette ayant été définis, elle a ensuite passé la main à la COMUE proprement dite. Aujourd’hui, l’UPSaclay est administrée par un conseil de vingt-six personnes dont huit représentent les personnels scientifiques et administratifs, deux les étudiants, dix les établissements membres et six sont des personnalités externes. Il élit notamment le Président de la COMUE.

Par ailleurs, un conseil des membres de l’UPSaclay a une fonction exécutive pour préparer et mettre en œuvre les décisions. Enfin, un conseil académique de 220 membres joue un rôle consultatif, la majorité d’entre eux représentant les diverses catégories de personnels et les étudiants. Ces représentants tant au conseil d’administration qu’au conseil académiques sont élus au suffrage direct par leur collège respectif. Le premier président qui a été élu en juin 2015 est Gilles Bloch, directeur des sciences du vivant au CEA, institution par ailleurs membre d’UPSaclay. Il s’appuie sur une petite équipe exécutive avec pour principale mission de coordonner trois compétences : la recherche, la formation et les ressources.

De fait, ce qui est frappant tant dans les textes définissant les compétences exécutives que dans les discours tenus par les responsables à tous les étages de l’UPSaclay, c’est le recours quasi récurrent aux termes de consultation et de regroupement plutôt qu’à celui de décision. Par exemple, s’agissant de projets affichant la marque propre et relevant directement de la compétence de la seule UPSaclay, la part de la concertation consensuelle est importante entre les parties concernées, notamment entre les institutions membres de la COMUE, entre leurs directions, leurs départements propres, leurs activités respectives et leurs ambitions propres à chacune.

Hétérogénéité

Néanmoins, la marge d’action et d’initiative de l’UPSaclay en tant que telle est étroitement balisée dans les faits par l’hétérogénéité de ses composantes, de leurs statuts administratifs et de leurs réseaux d’anciens élèves. Surtout quand ces derniers représentent des élites influentes auprès des pouvoirs publics, avec leurs propres intérêts et ambitions de pouvoir, quand ce n’est pas leurs préjugés et rivalités. S’agissant de surcroît d’un milieu comme celui des institutions académiques, dont les performances reposent sur la façon dont leurs échelons de base se mobilisent et orientent leurs prestations de recherche et de formation, l’adoption par leur direction générale d’un style de gouvernance autoritaire n’est pas de mise. Tout doit passer par la concertation.

L’avenir à court et moyen terme n’est pas tracé de façon irréversible et la route à parcourir reste délicate pour l’UPSaclay. Avec plusieurs défis à relever. Trouver un consensus à propos du degré d’intégration institutionnelle à atteindre entre entités de l’UPSaclay n’est pas forcément facile. Certaines des institutions sont favorables à un modèle unique entièrement intégré, donc irréversible, qui verrait disparaître leur existence, sauf à garder leur marque quand elles possèdent déjà une notoriété nationale ou internationale présumée significative. D’autres préfèrent un partenariat confédéral limité aux seules activités doctorales et le cas échéant à des coopérations pluriannuelles en matière de recherche. Le fait étant que d’ores et déjà certaines parmi les plus petites ressentent comme un avantage de subir une pression croissante qui les amène à développer leur propre capacité de recherche.

En revanche, et c’est notamment le cas des sciences dites dures logées dans les entités les plus performantes, certains chercheurs et enseignants-chercheurs peinent parfois à comprendre la valeur ajoutée que peut leur apporter le fait de voir leur entité se fondre dans un ensemble comme l’UPSaclay. Notamment quand ils se sentent déjà solidement ancrés au coeur des meilleurs réseaux de leur communauté académique en Europe et ailleurs.

Boule de neige

L’effet de boule de neige financier doit également être relativisé comme source de motivation des entités membres de l’UPSaclay. Telle très grande école d’ingénieurs relevant du ministère de la Défense constate que la générosité financière manifestée par l’État – 1 milliard d’euros en capital équivalant à 10 % redistribués entre membres de l’UPSaclay – ne lui rapporte qu’entre 1 et 2 millions d’euros par an, soit environ 1 % de son budget annuel.

Un autre défi d’importance renvoie à la création d’un sentiment de communauté scientifique et d’identité partagée qui transcenderait les particularismes propres à chaque institution. Car le propre des universités les plus reconnues mondialement à commencer par Cambridge, Oxford et Harvard – c’est même le cas de l’École polytechnique fédérale de Lausanne – est de développer un très fort attachement sinon une forte loyauté de leurs enseignants et chercheurs à l’égard de la culture de leur « maison ».

Comment l’UPSaclay pourra-t-elle développer un affectio societatis qui transcende le quotidien de ses micromondes locaux, qu’ils soient disciplinaires ou institutionnels ? Un professeur de Polytechnique peut-il reconnaître un professeur de Centrale Supélec comme un égal et comme un membre de sa communauté ? Autrement dit, la raison ultime de l’UPSaclay de satisfaire un meilleur classement de la France dans le classement de Shanghaï apparaît-elle comme un levier suffisamment mobilisateur pour créer un sens de destin communautaire partagé ? Le projet d’UPSaclay est-il durable sans une ambition de nature scientifique qui fasse sens à son personnel académique ? Quelle place distinctive voudrait-on occuper dans l’avancement de la connaissance face à des concurrents étrangers ?

Dire que la vocation de l’UPSaclay est de sélectionner et de former des élites à l’instar de HEC ou de Polytechnique aide, mais n’est pas suffisant. Cela ne permet pas forcément d’attirer et surtout de retenir un noyau professoral de talents internationaux qui, par comparaison avec des universités leaders mondiaux américaines ou helvétiques, devrait être de 10 à 20 % supérieur. Enfin la question est posée de la place prise ou que prennent les sciences humaines et sociales dans le périmètre de l’UPSaclay dont l’ingénierie, les sciences naturelles et les sciences de la vie constituent incontestablement les points forts et durs.

De fait, il est difficile aujourd’hui de savoir comment Paris-Saclay gérera des projets de recherche multidisciplinaires tels que d’autres campus à haute visibilité le font à l’étranger. Car les problèmes tels que posent les avancées technologiques revêtent aussi des dimensions sociétales, éthiques, politiques et économiques auxquelles il incombe de s’ouvrir de façon résolue quand on veut devenir une référence mondiale. Il serait regrettable que chaque discipline se cantonne au fait de cultiver son pré-carré scientifique.

* Paris-Saclay fait partie des partenaires fondateurs de The Conversation France.

Jean-Claude Thoenig est le co-auteur avec Catherine Paradeise du livre « In Search of Academic Quality » paru en 2015 chez Palgrave, Londres.

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