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L’urgence à s’adapter redessine la lutte contre le changement climatique

« Exbury Egg », la maison flottante imaginée par le designer Stephen Turner. exburyegg.me

La signature de l’Accord de Paris en décembre 2015 a marqué une étape importante en matière de coopération internationale. Succès diplomatique, puisque signé par quasiment tous les pays de la planète, il est le résultat d’une volonté commune – qui s’est construite petit à petit depuis l’Accord de Kyoto en 1995 – d’aller dans le même sens : celui de la « décarbonation » de nos économies et de nos modes de vie pour un futur soutenable.

C’est aussi le sens donné à l’objectif politique de limiter le réchauffement global de la planète à « moins de +2 °C, voire +1,5 °C » à l’horizon de la fin du siècle (par rapport à la fin du siècle précédent). À ceci près que pour associer cet objectif à un futur « soutenable », il manque encore diverses pièces du puzzle.

Décarboner les économies  et appréhender les impacts

Tout d’abord, quelle est notre capacité, d’un pays à l’autre, à transformer nos économies au point qu’elles deviennent neutres en carbone ? C’est la question de la mise en œuvre des engagements des pays, point-clé des négociations climatiques post-2015 qui ont repris en mai dernier à Bonn, Allemagne.

Ensuite, et même si la perspective du « moins de +2 °C » nous éloigne considérablement de scénarios catastrophes comme celui du +4 °C représenté par l’un des scénarios du GIEC, quels seront ses impacts ? La science est en effet très claire : même si l’on arrête d’émettre des gaz à effet de serre dès maintenant, des latences dans les processus atmosphériques et océaniques expliquent que des impacts surviendront quand même, voire pour certains telle l’élévation du niveau de la mer, se poursuivront au-delà de ce siècle. Sur ce point de la mesure des risques d'impacts dans un monde à +1,5-2 °C, la science est en marche, notamment dans la perspective de produire un rapport spécial du GIEC.

Enfin, c’est la dernière pièce manquante du puzzle  que met en avant un article récemment paru dans la revue Science : quelle(s) preuve(s) avons-nous de notre capacité à être adaptés à un réchauffement global de « moins de +2 °C » ? Autrement dit, cet objectif ne peut être qualifié de souhaitable qu’à la condition que les sociétés soient adaptées aux impacts inévitables d’un tel réchauffement. C’est une idée forte qui émerge de l’Accord de Paris, même s’il ne la formule pas si explicitement.

La nécessité de mesurer les progrès d’adaptation

Ne pas découpler les trajectoires mondiales d’atténuation et d’adaptation sur le XXIe siècle suppose d’être en capacité de mesurer les progrès dans un domaine comme dans l’autre. Sur l’atténuation, de nombreux travaux ont été développés dans ce sens depuis plusieurs années, et les « contributions nationales volontaires » (INDCs en anglais) que les pays ont fourni en amont de la COP21 en sont un des achèvements.

En revanche, sur l’adaptation, on part de beaucoup plus loin. D’une part, parce que jusqu’à la COP21, le sujet adaptation n’a quasiment été abordé dans les négociations climatiques que sous l’angle du financement : schématiquement, combien les pays du Nord doivent-ils donner aux pays du Sud pour que ces derniers s’adaptent aux impacts climatiques des activités industrielles des premiers ? D’autre part, parce que la science de l’évaluation de l’adaptation n’en est qu’à ses balbutiements.

Le point remarquable ici, c’est que l’Accord de Paris encourage de manière très claire la communauté internationale à développer un « objectif global d’adaptation » et à réaliser un « bilan global » (global stocktake) sur les progrès en matière d’adaptation. Une telle impulsion devrait permettre d’accélérer les travaux ici et là, et d’apporter en l’espace de quelques années une réponse à la question précédente : sommes-nous, humanité, sur la voie de l’adaptation ?

Il reste des obstacles à lever, comme celui de la définition d’indicateurs de mesure de l’adaptation à l’échelle nationale, sachant que de tels indicateurs doivent à la fois respecter le principe des « circonstances nationales » – c’est-à-dire vraiment refléter les spécificités des territoires, quitte à être différents d’un pays à un autre – et être robustes d’un point de vue scientifique – c’est-à-dire répondre effectivement aux impacts.

L’exercice est rendu complexe notamment par le fait que, puisque nous sommes dans un cadre de négociations politiques, il faut réussir à trouver un compromis entre tensions politiques et objectifs scientifiques. Toutefois, comme c’est le cas dans le domaine de l’atténuation, même un panel d’indicateurs imparfaits sera utile pour aller de l’avant.

Anticiper les barrières politiques

Un autre obstacle consiste en l’émergence possible de réticences de divers pays, qu’ils soient pauvres ou riches, à faire état publiquement de leurs efforts d’adaptation. Un pays en développement qui montrera des efforts significatifs aura peut-être peur de se voir amputé de prochains financements internationaux dédiés à l’adaptation, d'autres pays étant jugés plus « prioritaires ». Un pays développé craindra quant à lui, peut-être, les critiques de ses collectivités locales et de son opinion publique à l’égard d’efforts que ceux-ci jugeront insuffisants.

Mais comme pour le domaine de l’atténuation, qui a lui aussi dû affronter (et affronte encore) de nombreux obstacles, il est indispensable de dépasser ces barrières politiques. Une raison majeure est que, outre le temps qui presse, la mal- ou la non-adaptation d’un pays donné pourra avoir des répercussions sur d’autres pays, limitrophes ou plus distants. C’est l’une des conséquences de la mondialisation. Ce sont, par exemple, les migrations internationales après des catastrophes naturelles, ou la fluctuation des marchés agricoles internationaux suite à de fortes intempéries.

Cette « interdépendance » au-delà des frontières nationales doit être pleinement reconnue à l’échelle internationale, ce que commence à faire l’Accord de Paris. Et cela doit amener à un renouvellement des « intentions » de coopération : faire état des progrès nationaux en matière d’adaptation ne doit pas être vu comme une nouvelle manière de distinguer les bons des mauvais élèves, au Sud comme au Nord, mais d’abord comme une opportunité d’appréhender la question de l’adaptation à l’échelle globale, ce qui notamment est une nécessité, on l’a vu, pour juger les efforts d’atténuation à la lumière de la « réelle soutenabilité ».

Ce ne sont que des mots, direz-vous, et en un sens vous avez raison ; à ceci près qu’ils sont sous-jacents à l’Accord de Paris qui, lui, est juridiquement contraignant. Ce texte n’est qu’une brique, mais une brique qui, désormais, existe et sur laquelle on peut, générations futures oblige, construire.

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