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Macron et l’Iran : les défis de la diplomatie de l’exigence

Manifestation pro-gouvernementale à Téhéran, le 30 décembre 2017. Hamed Malekpour/AFP

En déclarant, en août 2017, qu’il fallait « en finir avec le néoconservatisme mal digéré » de la politique étrangère de son pays, le président Macron a ouvert la voie à une nouvelle diplomatie française sur la question iranienne. La fausse alternative mise en avant par les présidents Sarkozy puis Hollande entre « la bombe ou le bombardement de l’Iran » avait déjà été démentie dans les faits par le courage diplomatique du Président Obama.

En effet, c’est le président démocrate américain qui a démontré l’impasse idéologique et diplomatique du « néoconservatisme à la française » sur la question iranienne. Un « néoconservatisme » qui est le fruit du soutien apporté par les élites politiques aux intérêts du complexe militaro-industriel et aux préférences stratégiques de la « nucléocratie » française.

La « menace nucléaire iranienne » devient donc, à partir de 2007, centrale pour la définition d’une nouvelle diplomatie française au Moyen-Orient. La relation bilatérale franco-iranienne dans les domaines culturel, économique, politique est alors sacrifiée pour atteindre l’objectif de _containment _(endiguement) nucléaire de l’Iran. Selon Paris, il faut éviter ce que l’on appelle alors, sans jamais le prouver, le risque d’une prolifération nucléaire régionale en cascade à la suite de la nucléarisation de l’Iran.

Cette rupture de 2007 est aussi visible dans la politique régionale de la France. Il s’agit de limiter les conséquences négatives pour la relation transatlantique de l’opposition de Paris à la guerre d’Irak de 2003. Cette volonté de se rapprocher de l’Administration Bush junior au Moyen-Orient est visible dès 2004. Cependant, au-delà du contexte international, il existe une dynamique proactive dans la nouvelle posture diplomatique française avec la définition d’une stratégie au Moyen-Orient qui correspond à la mise en application d’une grille de lecture « néoconservatrice » des dynamiques régionales.

Ainsi, depuis 2007, ce « néoconservatisme tricolore » a été placé au centre des choix diplomatiques de Paris dans le golfe Persique, notamment avec l’ouverture d’une base militaire à Abu Dhabi annoncée au lendemain de l’élection du président Sarkozy en janvier 2008. Plus encore, en 2009, dans le contexte du « Mouvement Vert » en Iran, le Président Sarkozy a même déclaré : « Le peuple iranien mérite mieux que ses dirigeants actuels. »

Ces déclarations posaient alors la question d’un soutien français à une stratégie de changement de régime en Iran, alors que le président Obama faisait preuve, pour sa part, de prudence pour ne pas alimenter la propagande de la République islamique d’Iran contre les États-Unis.

« Les changements en Iran ne viendront pas de l’extérieur »

Les manifestations qui ont eu lieu en Iran du 28 décembre 2017 au 5 janvier 2018, ont donné lieu à une division du travail plus classique entre les diplomaties américaine et française. Le président américain a tweeté en soutien aux manifestants en Iran alors que la France, par la voie de son ambassadeur à l’ONU, François Delattre, soulignait qu’il appartenait « aux Iraniens et à eux seuls d’engager un dialogue pacifique » pour une sortie de crise. De même, la France estimait que « les changements en Iran ne viendront pas de l’extérieur, ils viendront du peuple iranien lui-même. »

Manifestation à Téhéran, le 30 décembre 2017. STR/AFP

Enfin, Paris juge nécessaire de séparer les dossiers pour éviter la confusion que souhaite créer l’Administration Trump entre l’accord sur le nucléaire (JCPOA), le programme balistique iranien, la politique régionale de Téhéran et la question du non-respect des droits humains par la République islamique.

La diplomatie française propose ainsi de négocier avec l’Iran de nouveaux compromis sur chaque différend situé hors du champ du JCPOA. En ce sens, on observe une continuité dans la gestion du dossier iranien avec la période dite « néoconservatrice à la française » de la politique étrangère de Paris (2007-2017). La priorité de la France dans la gestion du dossier iranien demeure bien les programmes nucléaire et balistique.

Revirement hexagonal

Cependant, on assiste à un premier ajustement de la doctrine de Paris après 2015. Jusqu’à la victoire diplomatique du président Obama avec la conclusion du JCPOA en juillet 2015, le prisme nucléaire bloquait toute autre proposition de définition des intérêts nationaux français s’agissant des relations avec Téhéran.

Les impératifs économiques, géopolitiques (stabilisation de l’Irak, de la Syrie et de l’Afghanistan) ou de sécurité énergétique (notamment concernant le secteur des hydrocarbures) ne faisaient plus figure de critères permettant de définir, de manière équilibrée, avec le dossier nucléaire, la stratégie française vis-à-vis de l’Iran.

Avec la signature de l’accord de 2015, la France est contrainte, une première fois, d’adapter sa stratégie iranienne en fonction du nouveau cadre juridique défini à l’initiative de Washington. Le revirement de la diplomatie hexagonale est habillé par des éléments de langage mettant en avant le rôle « en pointe » de la France pour parvenir à un « meilleur » accord. Pourtant, c’est bien le président russe Vladimir Poutine qui est remercié publiquement par le président Obama après la signature de l’accord de Vienne du 14 juillet 2015.

Par ailleurs, sous l’impulsion des grandes entreprises françaises et du Medef, la diplomatie française fait preuve d’un plus grand réalisme, ouvrant la porte à des coopérations économiques souhaitées par le président Rohani, élu en 2013 à Téhéran. Le commerce bilatéral s’élève à 3,18 milliards de dollars entre janvier et octobre 2017, en augmentation de 112 % par rapport à la même période de l’année précédente.

Double piège

Néanmoins, depuis l’arrivée au pouvoir de l’Administration Trump, la nouvelle position d’équilibre de la France se heurte à plusieurs obstacles. D’abord la polarisation régionale en cours complique la posture du « en même temps » privilégiée par le président Macron. En effet, dans un contexte de tensions exacerbées entre Ryad et Téhéran, la diplomatie française a-t-elle vraiment encore les moyens de rester au-dessus des rivalités régionales ?

Prière, le 5 janvier 2018, à la mosquée Khomeini, à Téhéran. Atta Kenare/AFP

Ensuite se dessine la perspective d’un rétablissement des sanctions extraterritoriales américaines liées au nucléaire après le 12 mai 2018, date butoir fixée par le président Trump pour la révision du JCPOA à ses partenaires européens. Si les États-Unis sortent de l’accord, la France et l’Union européenne (UE) prendront-elles des mesures contre les sanctions américaines avec le risque d’un conflit commercial transatlantique que cela induit ?

De plus, la répression consécutive aux manifestations populaires en Iran, qui a fait 25 victimes et des milliers d’arrestations, complique la politique d’ouverture de Bruxelles, mettant en évidence les tensions entre les intérêts économiques et les valeurs européennes en matière de droits humains.

Enfin, la France et l’UE doivent éviter le double piège de suivre les États-Unis dans leur stratégie de changement de régime depuis l’étranger contre la République islamique ou de s’aligner sur la stratégie russe de soutien aux partisans d’un système politique (nezâm) dirigé par l’ayatollah Khamenei.

La voie du milieu

Pour dépasser ce dilemme, l’UE et la France ont fait le choix de soutenir le président Rohani. Mais, là encore, il faut se garder de faire le jeu des factions islamistes qui cherchent à instrumentaliser les puissances européennes dans leur confrontation avec Washington. Ainsi le conseiller du Guide suprême, Ali Akber Velayati déclarait récemment :

« Je conseille au Président français d’essayer de suivre l’approche du général de Gaulle et d’avoir une politique semi-indépendante [par rapport aux États-Unis] ».

Cependant, en dépit de l’escalade irano-américaine, la voie du milieu recherchée par le président Macron doit être poursuivie dans une stratégie de double indépendance vis-à-vis de Washington et de Moscou. L’UE et la France, acteurs économiques majeurs en Iran, ont les moyens de mettre en œuvre une diplomatie originale mêlant exigence sur les droits humains et poursuite des coopérations économiques avec le secteur privé iranien.

Au moment où la colère économico-sociale s’exprime en Iran, la réponse de la « communauté internationale » ne peut se réduire à un choix entre le soutien russe à un régime autoritaire et la politique de Washington dite de « chaos constructif » qui semble marquer un retour aux fondamentaux idéologiques des néoconservateurs américains.

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