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Maladie d’Alzheimer : savoir, ou ne pas savoir ?

Chacun connaît, de près ou de loin, la maladie d’Alzheimer et son principal symptôme, la perte progressive de la mémoire. L’une des questions qui vient à l’esprit, face à cette pathologie grave pour laquelle il n’y a pas de traitement disponible, est celle-ci : si j’étais atteint, un jour, de la maladie d’Alzheimer, est-ce que je préférerais le savoir le plus tôt possible, ou le plus tard possible ? La réponse est forcément très personnelle. Elle peut aussi, chez une même personne, varier au fil du temps. Mais il est bon, avant de se positionner, de connaître les avantages et les inconvénients de ce diagnostic.

Bien souvent, la démarche diagnostique est initiée par le médecin traitant, lorsque le patient se plaint de trous de mémoire, confond les saisons ou se perd dans le supermarché. Repérées par la personne elle-même ou un membre de l’entourage, ces perturbations des fonctions supérieures font suspecter des troubles cognitifs. Dès lors, la question de rechercher ou non un diagnostic précoce se pose, comme dans certains cancers, mais avec des problèmes éthiques et pratiques spécifiques.

Quel pourrait être l’intérêt, pour une personne, de recevoir un diagnostic de la maladie d’Alzheimer, alors que celle-ci n’a pas encore de retentissement sur son autonomie ? Il en existe plusieurs. Le diagnostic permet de planifier des soins dits « de support » pour aider le patient dans son quotidien, notamment une rééducation cognitive et physique. Celle-ci permet de limiter les effets des symptômes les plus invalidants, par exemple les problèmes de langage ou d’équilibre.

Eviter les accidents et les escroqueries

Être informé de sa maladie permet aussi de mettre en place, avec l’aide l’entourage, des stratégies de prévention de certains risques, comme les accidents domestiques, ceux de la circulation, les escroqueries ou les spoliations. La personne diagnostiquée peut aussi décider de participer à des projets de recherche thérapeutique, pour tenter de retarder l’évolution vers une démence. Elle peut aussi choisir d’intégrer une étude épidémiologique, pour aider les chercheurs à connaître l’évolution naturelle des troubles.

La personne peut également prendre le temps de rédiger des directives anticipées précisant ses souhaits pour sa fin de vie. Celles-ci pourront être mises en application au stade le plus avancé de la maladie, en cas d’incapacité d’exprimer ses volontés.

Dans l’état actuel de la pratique médicale, l’intérêt du diagnostic précoce est cependant limité, en raison de l’absence de traitement efficace. Par ailleurs, le diagnostic peut être à l’origine d’une anxiété qui peut être dommageable pour la qualité de vie. Il expose aussi la personne à des risques de stigmatisation, voire de discrimination, altérant sa vie sociale et l’exercice plein et entier de ses droits de citoyen.

Pas d’effet sur la survenue de la dépendance

Il n’existe pas de preuves scientifiques étayant l’intérêt d’un diagnostic précoce pour limiter les complications de la maladie, contrairement aux espoirs entretenus à ce sujet. En particulier, les rares études ayant évalué l’impact du diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer n’ont pas montré que celui-ci permettait de retarder la survenue de la dépendance et l’entrée en institution médicalisée.

Enfin, il faut savoir que le diagnostic de la maladie d’Alzheimer est un diagnostic « probabiliste ». Cela signifie que celui-ci est souvent incertain, particulièrement aux stades précédant la démence, malgré les performances croissantes des tests neuropsychologiques et de l’imagerie du cerveau. C’est pourquoi il convient de l’annoncer avec précaution, car il peut être erroné.

Une personne, dûment informée des limites de ce diagnostic, peut tout à fait le juger utile pour son cas personnel. Une deuxième question se pose alors, notamment dans les familles comptant des personnes touchées par cette maladie : faut-il attendre de présenter des symptômes pour le solliciter ? En effet, le développement des lésions de la maladie d’Alzheimer dans le système nerveux central ne produit, pendant de nombreuses années, aucun symptôme. Puis la maladie devient un peu symptomatique et ce, pendant plusieurs années, avant de retentir progressivement sur l’autonomie de la personne atteinte.

Plus le diagnostic est précoce, plus il risque d’être erroné

Il est théoriquement envisageable de diagnostiquer la maladie à ces trois stades, avant l’apparition des symptômes, au stade peu symptomatique et au stade démentiel. Cependant, le niveau d’incertitude et le risque d’erreur augmentent avec la précocité du diagnostic. C’est pourquoi les experts préconisent plutôt un diagnostic « au moment opportun », c’est-à-dire ni trop précoce ni trop tardif.

Pas trop tôt, donc. Mieux vaut attendre que les premiers symptômes soient apparus. En effet, le dépistage de la maladie tel qu’il peut être pratiqué en milieu hospitalier est basé sur l’examen du liquide céphalo-rachidien recueilli par une ponction lombaire, avec l’introduction d’une fine aiguille dans le bas du dos. En plus de son coût élevé pour l’assurance maladie, cet examen peut entraîner des complications. Surtout, il ne préjuge pas de la vitesse à laquelle les symptômes pourront se développer ultérieurement. C’est pourquoi il n’est pas recommandé chez un patient n’ayant aucun symptôme évocateur de la maladie, en dehors de certains cas particuliers.

Pas trop tard, non plus. Le diagnostic, s’il est souhaité, devrait être établi si possible avant la phase de démence. De cette façon, le patient est en mesure de participer pleinement à la définition de son plan de soins.

Des tests simples dans le cabinet du généraliste

L’appréhension, légitime, de recevoir un diagnostic de maladie d’Alzheimer ne doit pas dissuader une personne de consulter en cas de difficultés de mémoire. D’autant que toutes ne sont pas liées à une maladie neurodégénérative. Le médecin généraliste dispose de tests simples d’évaluation des troubles cognitifs, utilisables dans son cabinet. Si ces tests sont négatifs, il est possible d’être rassuré – en surveillant néanmoins l’évolution des symptômes au fil du temps.

Dans le cas contraire, le médecin doit d’abord s’assurer que la personne ne souffre pas d’une dépression, ou de l’effet indésirable d’un médicament, deux explications possibles de ces symptômes. Il peut ensuite examiner le patient et lui prescrire un bilan sanguin et une imagerie cérébrale, afin de vérifier s’il s’agit ou non d’une autre cause, comme l’hypothyroïdie ou l’hydrocéphalie.

Images du cerveau par IRM. Ake Sak/Shutterstock

En l’absence d’une origine précise, le médecin traitant adresse le patient en consultation mémoire à l’hôpital pour un bilan neuropsychologique approfondi. Là encore, d’autres causes que la maladie d’Alzheimer peuvent être mises en évidence ou confirmées, notamment des petits accidents vasculaires dans le cerveau passés inaperçus. La maladie d’Alzheimer est certes la cause de démence la plus fréquente, mais sa médiatisation a tendance à occulter d’autres explications possibles.

Partager la décision à deux, voire à trois

Dans tous les cas, la personne doit donner son consentement à la démarche diagnostique. La décision, on l’a vu, est difficile à prendre, et plus encore pour une personne diminuée par ses troubles cognitifs ou des pathologies chroniques liées à l’âge. La notion de « décision partagée » entre le patient et le médecin prend ici tout son sens. La responsabilité de la décision n’est pas portée seulement par l’un, ou par l’autre, mais par les deux, souvent avec l’appui de l’entourage. C’est une forme de consentement de plus en plus utilisée dans les maladies chroniques, en cas de choix diagnostique ou thérapeutique important.

La maladie d’Alzheimer a ceci de particulier que c’est parfois le médecin qui repère les symptômes évocateurs. En l’absence de situation dangereuse pour le patient ou son entourage, il doit demander dans la mesure du possible l’avis de la personne, et celui de son principal aidant.

La grande majorité des adultes en bonne santé se déclarent favorables à connaître le diagnostic, en cas de signes évocateurs d’une maladie d’Alzheimer. Mais l’expérience des médecins indique que les personnes âgées et leur entourage optent assez souvent pour une attitude attentiste, montrant peu d’empressement à savoir.

En Grande-Bretagne, une politique volontariste de diagnostic précoce des troubles cognitifs a été conduite ces dernières années. Elle s’est basée sur la formation et l’incitation financière des médecins généralistes, assorties d’un développement des consultations « mémoire ». Elle a été source de plusieurs controverses et ne semble pas avoir atteint ses objectifs, en termes de nombre de patients diagnostiqués précocement.

Cette voie est celle dans laquelle s’engage la France, où l’implication des médecins généralistes dans le diagnostic précoce est encouragée. Il apparaît essentiel que cette stratégie soit accompagnée par une évaluation de la fréquence, de la prise en charge et du devenir des patients ayant reçu un diagnostic précoce de troubles cognitifs. Autrement dit, que la preuve soit apportée de ses bénéfices pour les patients et que son coût pour la société soit mesuré, avant de poursuivre.

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