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Manuel Valls dans les sables mouvants d’« On n’est pas couché »

Manuel Valls sous tension, samedi, soir sur France 2. Youtube

En perte de vitesse dans les sondages, désormais délaissé au profit d’Emmanuel Macron pour représenter la gauche dans le cas d’une élection présidentielle (voir le dernier sondage Odoxa-Le Parisien-Aujourd’hui en France, dimanche 17 janvier), le premier ministre cherchait samedi soir dans sa participation à « On n’est pas couché » un sursaut.

Il y a trouvé plutôt des sables mouvants. L’émission de Laurent Ruquier sur France 2 est en effet une tribune importante et prisée des politiques. Avec une audience de plus de 20 %, elle est en tête sur cette tranche horaire de deuxième partie de soirée. Surtout, elle attire un public bien différent de celui des émissions politiques traditionnelles (comme des « Paroles et des actes ») plus âgé et en général très éduqué. Venir à « On n’est pas couché », c’est donc, pour les politiques, la possibilité de toucher les jeunes et un public un peu plus populaire, cibles préférant en général zapper la politique.

Mais venir à une émission d’infotainment, surtout lorsqu’on est un représentant de l’État, c’est prendre des risques. Ainsi, durant l’élection présidentielle de 2012, ni François Hollande, ni Nicolas Sarkozy ne s’y sont rendus. Le Président Hollande ayant toujours jusqu’à présent, refusé de s’y rendre, tout comme son prédécesseur.

Au contraire, Manuel Valls est un habitué de l’émission comme le lui a rappelé Laurent Ruquier. Elle lui permet de toucher un large public, dans un format différent et plus attractif pour le grand public que « Des paroles et des actes et surtout de donner une image plus sympathique de lui-même, alors qu’on lui reproche souvent son austérité, voire sa dureté. D’ailleurs ses précédentes prestations s’étaient plutôt bien passées.

Toutefois, l’objectif avait cette fois-ci changé. Délaissant tout humour, Manuel Valls a voulu se présenter en gouvernant sérieux, voire austère, prêt à exercer la magistrature suprême. Comment expliquer sinon le long moment accordé aux relations internationales, secteur dans lequel le premier ministre est toujours écarté, sauf en cas de cohabitation, depuis les débuts de la Ve République ?

Les risques de l’infotainment

Mais cette stratégie rendait les risques d’autant plus importants. Fragilisé dans l’opinion, son dos était plus accessible aux poignards venus de toutes parts. Et les talk-shows (ou émissions conversationnelles) qui font se croiser politiques et artistes de toutes sortes, mélangeant ainsi information et divertissement (ce que les Anglo-Saxons appellent « infotainment »), favorisent ce type d’échanges musclés et dangereux pour les politiques.

En effet, face à un artiste, souvent venu faire sa promotion, et pouvant comme Jérémy Ferrari, ici, se faire une réputation en s’affrontant au premier ministre, la répartie est complexe. Répondre violemment – ce que n’a pas fait Manuel Valls – c’est prendre le risque de s’aliéner le public de la vedette, en général, bien plus populaire que le politique. En outre, l’artiste attaque en général sur un sujet où il est sûr d’avoir le soutien du grand public et ainsi de bénéficier d’applaudissements nourris, et sur un ton plus passionnel que réfléchi.

Le premier ministre Manuel Valls sous le feu de l’humoriste Jeremy Ferrari.

Comment rester audible après une tirade passionnée, alors qu’on doit expliquer que la situation est plus complexe qu’il n’y paraît ? C’est tout le piège qui s’est refermé hier sur le premier ministre.

Piège en deux temps pour Manuel Valls qui a vu l’assaut d’un Jean d’Ormesson toujours débatteur mordant. L’académicien, sur son ton guilleret et amical, lui a ainsi asséné les mots les plus durs en renvoyant la déchéance de nationalité à un gadget et analysant la droitisation du gouvernement. En quelques phrases, il avait dit ce que tout le monde pensait, et ce que les deux « snipers » n’avaient osé dire. Là encore, la situation est délicate. L’homme incarne la sagesse même et connaît une popularité proportionnelle à son âge, impossible donc de l’attaquer.

Un piège donc, mais pas nécessairement incontournable. « On n’est pas couché » n’est pas le linceul définitif de tous les politiques. Pour en sortir vivant, et même grandi, il faut s’adapter au ton de l’infotainment. Cela nécessite une capacité à sauter d’un sujet à un autre, ainsi qu’à se servir de son humour, voire même d’autodérision. François Bayrou et Henri Guaino, habitués de l’émission en sont toujours ressortis sans dégâts irréparables. Le ministre des Sports, Patrick Kanner, alors inconnu du grand public, avait en novembre fait une belle prestation, se payant le luxe de renvoyer Yann Moix dans les cordes. Même Martine Aubry, en 2011, s’était montrée plus à l’aise.

On le voit, « On n’est pas couché » n’est pas le meilleur lieu pour se bâtir une image de présidentiable et de gouvernant solide. Manuel Valls semblait pourtant prêt à parler au plus grand nombre, mais il ne l’a pas fait avec le bon ton.

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