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L'affiche de l'exposition tokyoïte consacrée à la reine. Mori Museum

Marie-Antoinette, adulée à titre posthume

En ce moment se tient à la Conciergerie, à Paris, une exposition consacrée à Marie-Antoinette (Marie-Antoinette, métamorphoses d’une image), plus de deux siècles après son exécution. Comment expliquer la persistance de cette fascination, qui traverse les siècles sans s’émousser, et qui s’étend bien au-delà de nos frontières nationales ?

Une reine exécrée

De son vivant, Marie-Antoinette était la cible favorite de la colère populaire, la source de tous les maux. Les nombreux pamphlets qui se distribuaient alors sous le manteau lui prêtaient l’âme la plus noire, et la volonté farouche d’affamer le peuple pour laisser son pays d’origine, l’Autriche, conquérir plus aisément la France. La calomnie n’avait pas de limite : pendant son procès, on alla jusqu’à l’accuser d’avoir eu des relations incestueuses avec son petit garçon. Il fallait qu’elle souffre : Alors que son époux, Louis XVI, fut conduit à l’échafaud dans un carrosse sobre aux volets baissés, Marie-Antoinette, elle, n’eut droit qu’à une charrette crasseuse et découverte, assise dos au cheval, livrée ainsi sans restriction aux innombrables grimaces méprisantes, insultes et crachats.

Reconstitution de la cellule de Marie-Antoinette à la Conciergerie. Wikimédia commons/André Lage Freitas, CC BY-SA

En ce 16 octobre 1793, il aurait été bien difficile de trouver quelque citoyen pour la défendre, et plus encore, il aurait été fou d’imaginer que deux siècles après, elle continue d’exister dans la mémoire collective, non plus comme quelqu’un d’exécrable, mais comme une icône aux multiples facettes. Les faits sont là et ils sont tenaces : aujourd’hui, Marie-Antoinette fait vendre, dans tous les secteurs culturels : superproductions cinématographiques, livres, expositions, pièces de théâtre, BD, ouvrages pour enfants… jusqu’aux jeux vidéo, et ce, à l’échelle mondiale. Pas de fêtes de fin d’année sans que plusieurs nouveaux ouvrages lui soient consacrés.

Lavée de tout reproche

Dès le début du XIXe siècle, avec la Restauration des Bourbons sur le trône de France, les publications dédiées à Marie-Antoinette se multiplient. Pour les premières, il s’agit principalement d’ouvrages écrits par d’anciens proches, exilés à temps pour sauver leur tête. Pour eux, il était question de rétablir la vérité sur celle qu’ils avaient côtoyée au quotidien.

Marie-Antoinette par Elisabeth Vigée-Lebrun. Wikimédia commons, CC BY

À travers leurs nombreux récits, se dessine alors une femme, non pas exempte de défauts, mais tellement humaine : qui fuit l’étiquette contraignante de la cour et le difficile exercice du pouvoir, qui tente de multiplier les moments plaisants et légers (escapades au Petit Trianon en comité réduit) puis, plus tard, qui se consacre pleinement au bien-être de ses enfants. Nous entrons ainsi dans l’intimité de Marie-Antoinette.

La deuxième grande vague de publications a pour principale source la correspondance de Marie-Antoinette, et par chance celle-ci est particulièrement riche. Dès son arrivée en France, alors âgée de 14 ans, Marie-Antoinette entreprend une relation épistolaire très régulière avec sa mère, l’Impératrice Marie-Thérèse d’Autriche. Cette dernière, espérant conseiller sa fille pour le mieux, lui demande de lui livrer force détails sur son quotidien.

À ces échanges s’ajoutent les lettres quasi quotidiennes de Mercy d’Argenteau, diplomate rattaché au service de Marie-Antoinette, qui rapporte fidèlement à l’impératrice tous les faits et gestes de la jeune Dauphine. Toutes ces lettres furent conservées aux archives de Vienne, et c’est grâce à ces précieux documents que nous savons, par exemple, que Marie-Antoinette jeune adolescente était proprement scandalisée par les mœurs dissolues de Louis XV, et qu’au nom de l’honnêteté, elle se refusait à adresser la parole à la maîtresse du roi.

Lettre de Marie Antoinette à Madame Elisabeth. Wikimédia commons

Beaucoup plus tard seront découvertes des copies de lettres qu’elle écrivit à Fersen, ce qui nous renseigne en particulier sur son ressenti pendant la période révolutionnaire. Enfin, dernière pièce remarquable à citer : les minutes de son interminable procès qui mettent à jour une femme épuisée par les épreuves, mais dont le courage et la dignité forcent le respect.

La voix de la reine

À travers l’ensemble de ces documents, c’est la voix de Marie-Antoinette elle-même que nous entendons. Soudain, ses agissements ne sont plus librement interprétés, mais sont au contraire saisis à la lumière de ses propres réflexions. Rétrospectivement, il est possible de dire qu’elle a commis des erreurs, mais à lire ses raisonnements, nous voyons que son intention première ne fut jamais noire.

Ainsi, c’est de sa bouche que nous apprenons la raison pour laquelle elle refuse de fuir seule quand elle le peut encore : elle veut partager le sort de son mari, si funeste doive-t-il être, et ne conçoit pas un instant de bonheur si elle est loin de ses enfants. Nous voyons ainsi plusieurs personnages se dessiner : une princesse encore enfant, une femme qui entend vivre à sa guise, une mère dévouée, et enfin une martyre de la Terreur.

Marie-Antoinette en mère dévouée et aimante. Allociné/Ad Vitam

Les ressorts de la fascination

Toutefois, considérer que toutes les personnes qui s’intéressent à Marie-Antoinette connaissent sa biographie sur le bout des doigts, et que cela explique la fascination qu’elle exerce est certainement une erreur. Sans les mépriser, il est peu probable que Madonna ou Rihanna aient lu ses correspondances avant d’avoir envie de s’habiller « comme Marie-Antoinette ».

La chanteuse Rihanna, inspirée par Marie-Antoinette. Compte Twitter de Rihanna

En fait, chacun retient ce qu’il veut d’elle : Sofia Coppola se concentre sur son existence à Versailles dans son blockbuster éponyme (2006) ; Robert Hossein, pour sa pièce « Je m’appelais Marie-Antoinette » (1993), retrace les grands moments de son procès et laisse le public choisir le verdict ; Stefan Zweig, dans sa biographie (1932) s’attarde sur sa psychologie de femme, alors que le jeu vidéo « Marie Antoinette et les disciples de Loki » (2012) ne garde d’historique que le contexte.

Il ressort alors que cette fascination vient de l’univers qui s’est cristallisé autour de son nom, l’art de vivre de l’Ancien Régime déclinant : une mode vestimentaire féminine qui commençait à rechercher davantage d’élégance et de féminité, ou encore l’extrême courtoisie qui régnait dans les échanges (du moins, dans la haute aristocratie).

Une version pop de Marie-Antoinette.

L’époque de Marie-Antoinette est celle des cocons raffinés, de la douceur de vivre, de la recherche de l’intimité, du développement de l’amitié, et d’un retour rousseauiste à la nature. La fin tragique de Marie-Antoinette, sa chute vertigineuse, ont comme placé sous verre toute cette époque, son époque – désormais à jamais révolue.

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