Menu Close
Banquise à la dérive au Svalbard, en Norvège. Sven-Erik Arndt/Arterra/Universal Images Group via Getty Images

Mauvaise nouvelle pour la planète: l’Arctique n’a pas été aussi chaud depuis 3 millions d’années

Chaque année, la couverture de glace de mer dans l’océan Arctique atteint sa plus petite surface annuelle à la mi-septembre. Cette année, sa superficie n’est plus que de 3,74 millions de kilomètres carrés, soit la deuxième valeur la plus basse depuis que les satellites ont commencé à prendre ces mesures, il y a 42 ans. À la fin de l’été, la glace ne couvre plus que 50 % de la surface qu’elle couvrait il y a 40 ans.

Cette année, l’étendue minimale de la glace est la plus faible jamais enregistrée par un satellite depuis 42 ans, sauf en 2012, ce qui renforce la tendance à la baisse à long terme de la couverture de glace de l’Arctique. Au cours de chacune des quatre dernières décennies, la superficie moyenne de la glace de mer estivale a diminué. NSIDC

Comme l’a démontré le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, les niveaux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère sont plus élevés qu’à aucun moment de l’histoire de l’humanité. La dernière fois que les concentrations de CO2 dans l’atmosphère ont atteint le niveau actuel – environ 412 parties par million –, c’était il y a 3 millions d’années, à l’époque du Pliocène.

Nous sommes des géoscientifiques qui étudient l’évolution du climat de la Terre et la manière dont il influe sur les conditions nécessaires à la vie. Nous considérons que les bouleversements dans l’Arctique constituent un indicateur de la façon dont les changements climatiques pourraient transformer la planète. Si les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuent d’augmenter, elles pourraient ramener la Terre aux conditions du Pliocène, avec un niveau de la mer plus élevé, des régimes climatiques modifiés et des conditions perturbées tant dans la nature que dans les sociétés humaines.

L’Arctique au Pliocène

Nous faisons partie d’une équipe de scientifiques qui a analysé en 2013 des carottes sédimentaires au lac El’gygytgyn dans le nord-est de la Russie pour comprendre ce que peut être le climat de l’Arctique avec des niveaux de dioxyde de carbone atmosphérique plus élevés. Le pollen fossile conservé dans ces carottes montre que l’Arctique du Pliocène était très différent de ce qu’il est de nos jours.

L’Arctique est maintenant une plaine sans arbres dont la végétation clairsemée de toundra est composée d’herbacées, de carex et de quelques plantes à fleurs. Les carottes de sédiments russes contenaient pour leur part du pollen d’arbres tels que le mélèze, l’épinette, le sapin et la pruche. Cela montre que les forêts boréales, qui se terminent aujourd’hui à des centaines de kilomètres plus au sud et à l’ouest en Russie et au niveau du cercle polaire arctique en Alaska, s’étendaient autrefois jusqu’à l’océan Arctique sur une grande partie de la Russie arctique et de l’Amérique du Nord.

Comme l’Arctique était beaucoup plus chaud au Pliocène, la calotte glaciaire du Groenland n’existait pas. Les petits glaciers le long de la côte montagneuse orientale du Groenland étaient parmi les rares endroits de l’Arctique où la glace était présente toute l’année. À l’époque du Pliocène, la terre n’était recouverte de glace qu’à une seule extrémité – en Antarctique – et cette glace était moins étendue et plus susceptible de fondre.

La forêt boréale près du lac Baïkal en Russie. Il y a trois millions d’années, ces forêts s’étendaient à des centaines de kilomètres plus au nord qu’aujourd’hui. Christophe Meneboeuf/Wikipedia, CC BY-SA

La forêt boréale près du lac Baïkal en Russie. Il y a trois millions d’années, ces forêts s’étendaient à des centaines de kilomètres plus au nord qu’aujourd’hui.

Comme les océans étaient plus chauds et qu’il n’y avait pas de grandes calottes glaciaires dans l’hémisphère nord, le niveau des mers était de 9 à 15 mètres plus élevé qu’il ne l’est de nos jours. Les côtes étaient loin à l’intérieur des terres par rapport à leur emplacement actuel. Les zones qui constituent présentement la Vallée centrale de Californie, la péninsule de Floride et la côte du Golfe étaient toutes inondées. Il en était de même pour les terres où se trouvent de grandes villes côtières comme New York, Miami, Los Angeles, Houston et Seattle.

Le manteau neigeux de ce qui est aujourd’hui l’ouest des États-Unis et qui fournit une grande partie de l’eau de la région était beaucoup plus mince. Le Midwest et les Grandes Plaines avaient un climat tellement plus chaud et sec qu’il aurait été impossible d’y cultiver du maïs ou du blé.

Pourquoi y avait-il autant de CO₂ au Pliocène ?

Comment se fait-il que les concentrations de CO2 au Pliocène aient atteint des niveaux similaires à celles que l’on mesure de nos jours ? Les humains n’apparaîtront sur Terre que plus d’un million d’années plus tard, et notre recours aux combustibles fossiles est encore beaucoup plus récent. Il faut d’abord comprendre que certains processus naturels qui se sont produits sur Terre tout au long de son histoire rejettent du CO2 dans l’atmosphère, tandis que d’autres l’absorbent. Le principal système qui maintient ces dynamiques en équilibre et qui contrôle le climat de la Terre est un thermostat naturel du climat mondial, régulé par les roches qui réagissent chimiquement avec le CO₂ et l’extraient de l’atmosphère.

L’effet de serre entraîne une augmentation des températures de surface et, dans certains endroits, des précipitations. L’ensemble de ces facteurs accélère la dégradation des roches silicatées qui, à son tour, permet d’éliminer plus de CO2 de l’atmosphère (flèche jaune). La sévérité de l’effet de serre dépend des niveaux de CO2 dans l’atmosphère.

Dans les sols, certaines roches se décomposent continuellement en de nouveaux matériaux grâce à des réactions qui consomment du CO2. Ces réactions ont tendance à s’accélérer quand les températures et les précipitations sont plus élevées, ce qui correspond aux conditions climatiques qui apparaissent lors d’une augmentation des concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre.

Ce thermostat comporte un régulateur intégré. Lorsque le niveau de CO2 et les températures s’élèvent et que la dégradation des roches se produit plus vite, il extrait plus de CO2 de l’atmosphère. Quand le CO2 commence à diminuer, les températures se refroidissent et la dégradation des roches ralentit à l’échelle mondiale, ce qui réduit l’élimination du CO2.

La dégradation des roches peut également s’accélérer lorsque le sol contient beaucoup de surfaces minérales nouvellement exposées. C’est le cas, par exemple, dans les zones de forte érosion ou pendant les périodes où les processus tectoniques de la Terre poussent les terres vers le haut, créant de grandes chaînes de montagnes aux pentes abruptes.

Le thermostat de dégradation des roches fonctionne toutefois à un rythme géologiquement lent. Ainsi, les scientifiques estiment qu’à la fin de l’ère des dinosaures, il y a quelque 65 millions d’années, les niveaux de CO2 atmosphérique étaient de 2000 à 4000 parties par million. Il a fallu plus de 50 millions d’années pour les ramener au niveau d’environ 400 parties par million du Pliocène.

Comme les changements naturels des niveaux de CO2 se sont produits très lentement, les transformations cycliques du système climatique de la Terre ont également été très lentes. Les écosystèmes ont eu des millions d’années pour s’adapter, s’ajuster et réagir peu à peu aux changements climatiques.

Les vagues de chaleur estivales bouleversent le nord de la Sibérie, dégelant le pergélisol et créant des conditions propices aux incendies de forêt à grande échelle.

Un avenir aux allures de Pliocène ?

De nos jours, les activités humaines excèdent les processus naturels qui extraient le CO2 de l’atmosphère. À l’aube de l’ère industrielle, en 1750, le CO2 atmosphérique était d’environ 280 parties par million. Il n’a fallu que 200 ans aux humains pour inverser complètement le processus amorcé il y a 50 millions d’années et ramener la planète à des niveaux de CO2 qu’elle n’avait pas connus depuis des millions d’années.

La majeure partie de cette transformation s’est produite depuis la Seconde Guerre mondiale. Des augmentations annuelles de 2 à 3 parties par million sont maintenant courantes. Et la Terre se réchauffe à un rythme rapide. Depuis 1880, la planète s’est réchauffée d’environ un degré Celsius, soit beaucoup plus rapidement qu’à tout autre épisode de réchauffement au cours des 65 millions d’années d’histoire de la Terre.

Dans l’Arctique, la diminution de l’étendue de la couverture de neige et de glace au pouvoir réfléchissant a amplifié ce réchauffement jusqu’à 5 °C. En conséquence, l’étendue de la banquise tend à se réduire de plus en plus en été. Les scientifiques prévoient que l’Arctique sera complètement libre de glace en été d’ici une vingtaine d’années.

Ce n’est pas la seule preuve du réchauffement radical de l’Arctique. Les chercheurs ont enregistré des taux de fonte estivale extrêmes sur l’ensemble de la calotte glaciaire du Groenland. Au début du mois d’août, le dernier plateau de glace du Canada, situé sur le territoire du Nunavut, s’est effondré dans la mer. Des régions de la Sibérie arctique et du Svalbard, un archipel norvégien de l’océan Arctique, ont atteint des températures record cet été.

Les villes côtières, les régions greniers et l’approvisionnement en eau de nombreuses communautés seront radicalement transformés si notre planète revient au niveau de CO2 du Pliocène. Cet avenir n’est pas inéluctable – mais pour l’éviter, il faudrait prendre dès maintenant des mesures importantes pour réduire la consommation de combustibles fossiles et baisser le thermostat de la Terre.

This article was originally published in English

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,000 academics and researchers from 4,941 institutions.

Register now