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Médicaments contre le VIH : trouver l’équilibre entre droits des labos et droits des patients

Le développement des antirétroviraux a été l’un des plus rapides de l’histoire de la médecine. Shutterstock

Le médicament est un bien, du point de vue juridique, et peut donc faire l’objet d’un droit de propriété. Dans certains cas, le droit de propriété des fabricants entre en conflit avec le droit à l’accès aux traitements des malades.

C’est notamment le cas avec le VIH. Ce fléau affecte les couches les plus fragiles de la population, notamment dans les pays en développement. Actuellement, seul l’usage de médicaments antirétroviraux permet de traiter les personnes atteintes par le sida. Ce traitement s’effectue en général par le recours à une trithérapie, c’est-à-dire l’association de trois à quatre antirétroviraux.

La prise d’antirétroviraux diminue la charge virale et restaure l’immunité du patient. Le taux de mortalité recule considérablement, tout comme le risque de contamination d’autres individus par la personne malade. Dès que la prise du médicament est suspendue, la charge virale augmente à nouveau, avec pour corollaire celle des symptômes et des risques de contamination.

Le développement des antirétroviraux, l’un des plus rapides dans l’histoire de la médecine

Le développement des antirétroviraux a été l’un des plus rapides de l’histoire de la médecine. Leur mise sur le marché a permis de freiner la propagation du VIH et de transformer une maladie certainement mortelle en une maladie probablement chronique. Mais la recherche pharmaceutique se révèle en général longue, coûteuse et incertaine. Pour rentrer dans ses frais, l’entreprise ayant produit ces médicaments a donc recours aux droits de propriété intellectuelle pour protéger sa création. Le médicament est, en effet, une création intellectuelle et à ce titre, il est la propriété de celui qui l’a produit – généralement un laboratoire pharmaceutique.

L’industrie pharmaceutique est une actrice majeure du développement contemporain des droits de propriété intellectuelle (DPI). A l’occasion des négociations menées entre 1986 et 1994, ayant abouti à la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les représentants de l’industrie pharmaceutique se sont plaints des pertes financières subies du fait de l’absence de protection des DPI dans certains pays. Ce lobby a fait pression – avec succès – pour que ces droits fassent partie des volets garantis par la nouvelle organisation.

L’adoption dans la foulée, en 1995, de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) a permis d’universaliser cette protection. Il est désormais admis par la quasi-totalité des pays producteurs que les médicaments peuvent faire l’objet d’un ou plusieurs DPI, et notamment être protégés par des brevets, des marques ou autres.

L’industrie aura tendance à fixer un prix élevé

Si le médicament a vocation à soigner des malades, le laboratoire pharmaceutique reste une entreprise à but lucratif, et non une organisation caritative. La reconnaissance des DPI lui donne le droit exclusif d’exploiter le médicament. Il s’ensuit que, dans le but de tirer le plus grand profit de son invention, l’industrie aura tendance à en fixer un prix élevé.

Le prix des médicaments est au centre de la problématique de l’accès aux soins de santé. Plus les prix sont élevés, plus ils sont prohibitifs pour de nombreux malades. Il y a là un conflit potentiel entre le DPI des fabricants et le droit à l’accès aux médicaments des malades. La situation peut alors être gérée de deux manières différentes.

Le fabricant peut, en vertu de son DPI, prendre l’initiative d’améliorer l’accès en octroyant volontairement des droits à des tiers. Il leur confère le droit d’exploiter le brevet à des conditions souples en autorisant la fabrication, l’importation, la vente ou toute autre forme de cession des droits portant sur le médicament protégé. Ce mécanisme volontaire permet au fabricant de garder un certain contrôle sur l’exploitation de son invention.

Un accord de licence avec les laboratoires Gilead Sciences

Par exemple, l’organisation de santé publique Medicines Patent Pool (MPP), soutenue par les Nations unies, a annoncé en 2017 un accord de licence avec les laboratoires Gilead Sciences portant sur un médicament, le bictégravir. Cet accord conclu dans le cadre d’un nouveau traitement du VIH à un seul comprimé à prise unique quotidienne pourrait offrir une nouvelle option pour les personnes vivant avec le VIH dans les pays à revenu faible et intermédiaire. La licence permet aux fabricants titulaires de sous-licences du MPP de produire, développer et vendre des versions génériques des médicaments contenant le bictégravir.

Dans d’autres cas, le producteur peut être contraint par un État à adopter des modalités particulières. C’est ce qui s’est passé dans l’affaire des antirétroviraux en Afrique du Sud. Une loi de 1997 y permettait notamment d’avoir recours à des licences obligatoires pour faciliter l’accès à ces traitements à un coût raisonnable pour la population. L’affaire fit grand bruit en raison d’une plainte déposée par des multinationales pharmaceutiques contre cette loi. Mais le procès n’alla pas à son terme en raison du retrait de la plainte.

La récurrence de problèmes de santé publique est un ferment pour les risques de conflit avec les producteurs de médicaments. Ainsi, dans le traitement de l’hépatite C, le gouvernement malaisien a autorisé en 2017 l’importation de versions génériques d’un médicament essentiel, le sofosbuvir, malgré les brevets détenus par le géant pharmaceutique Gilead Sciences. Cette décision est intervenue après plus d’une année de négociations avec le laboratoire, propriétaire du sofosbuvir. Il faut dire que le même médicament avait fait l’objet d’une autorisation de fabrication et de mise en vente de la version générique en 2015 au Maroc, où une protection par brevet n’avait pas été sollicitée.

Le rôle des génériques dans l’accès aux médicaments

Une autre modalité qui permet de résoudre le problème de l’accès au médicament est la mise sur le marché d’un médicament générique. Cela peut se produire alors que le brevet sur le médicament est encore en vigueur. Dans ce cas, les fabricants du générique ne peuvent pas utiliser la marque initiale de fabrique. Cependant, ils pourront faire des copies du médicament breveté qu’ils vendront sous le nom de l’ingrédient chimique ou sous une autre marque. Ce qui en fait des médicaments génériques du point de vue du droit des brevets. Il est constant que le recours aux licences obligatoires reste faible, pour des raisons aussi bien géostratégiques que juridiques. Analysant la situation dans le monde entre 1995 et 2011, les auteurs (Beall et Kuhn) d’un article publié en 2012 ont trouvé 24 annonces de licence obligatoire dans 17 pays.

D’autres fois, le médicament a cessé d’être couvert par un DPI. Dans le cas du brevet par exemple, la durée de protection généralement accordée est de vingt ans. Il s’agit de la durée minimale prévue par l’accord sur les ADPIC. Au terme de ce délai, le brevet tombe dans le domaine public, offrant la possibilité à toute personne intéressée d’utiliser les données décrivant l’invention pour fabriquer et commercialiser le même médicament.

Le générique semble donc offrir plus de facilités d’accès aux médicaments. En effet, le DPI du producteur ne protège pas d’une baisse des prix, et le médicament original peut faire face à la concurrence légitime des médicaments génériques. Le prix de ces derniers est souvent inférieur de moitié au prix du médicament innovant, la réduction pouvant être de plus de 95 % dans certains cas.

Une baisse des prix de 10 000 à 100 dollars américains

Au Brésil, la production locale d’antirétroviraux a entraîné une baisse de 80 % des prix au début des années 2000. Surtout, l’Inde, premier producteur au monde de médicaments génériques contre le VIH, représente « la pharmacie des pays en développement ». La politique indienne en matière de brevets pharmaceutiques a permis la concurrence entre producteurs de génériques et entraîné la diminution de 99 % du prix des traitements de première ligne.

Ils sont ainsi passés de 10 000 dollars américains par personne et par an en 2000, à environ 100 dollars américains en 2016, selon la 18e édition du rapport de Médecins sans frontières (MSF) sur les prix des traitements contre le VIH.

Consultation HIV/sida au Kenya, dans les locaux de l’ONG Pepo La Tumaini Jangwani. shutterstock

Entre les fabricants de médicaments, producteurs souvent volontaristes, et les patients, consommateurs généralement obligés, il existe un lien complexe pour lequel l’arbitrage de l’autorité publique est nécessaire. Le but des règles de DPI mises en place par les autorités publiques (internationales et nationales) est entre autres de stimuler la créativité pour permettre le développement de solutions appropriées.

En même temps, il faut s’assurer que les destinataires des médicaments puissent effectivement en profiter, quel que soit leur statut social. C’est pourquoi il faut constamment rechercher un équilibre entre les droits des fabricants et ceux des patients.

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