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Migrants aux portes des États-Unis : pourquoi ils fuient leurs pays

Des migrants d'Amérique centrale traversent le Pont international II à Piedras Negras, État de Coahuila, Mexique, à la frontière avec les États-Unis, le 16 février 2019. Julio Cesar Aguilar/AFP

L’afflux massif de familles en provenance d’Amérique centrale et qui demandent l’asile aux États-Unis est un phénomène d’une ampleur considérable pour les services d’immigration américains.

La crise humanitaire à la frontière sud des États-Unis a provoqué, le 7 avril dernier, la démission forcée de Kirstjen Nielsen, secrétaire à la Sécurité intérieure, le président Donald Trump lui ayant reproché d’avoir mal géré la situation.

Au moment où Trump renouvelle sa promesse de « fermer la frontière » et de « punir » les gouvernements du Honduras, du Guatemala et du Salvador pour ne pas avoir réussi à endiguer l’exode en provenance de leurs pays, il est impératif d’essayer de comprendre les raisons qui poussent tant de familles à faire ce voyage difficile et dangereux vers le Nord.

J’ai passé la majeure partie de la dernière décennie à mener des travaux sur le terrain dans cette région et le long des routes migratoires à travers le Mexique, cherchant des réponses à cette question. L’extrême pauvreté de la région et l’impunité face aux violences apparaissent comme des facteurs primordiaux de cette migration.

Pourtant, chaque migrant a une histoire unique. Certains cherchent simplement à gagner assez d’argent pour s’assurer un avenir meilleur. D’autres fuient les persécutions des gangs, du crime organisé ou des fonctionnaires corrompus. Pour d’autres encore, l’insécurité et la pauvreté sont tellement liées qu’il devient impossible de les distinguer.

Santos Isabel Escobar pleure son fils âgé de 18 ans, Eddy Fernando Cabrera, tué avec quatre autres jeunes à Tegucigalpa (Honduras), le 11 janvier 2019. Fernando Antonio/AP

Criblé de dettes

L’extrême pauvreté et l’inégalité hantent la région. Aujourd’hui, environ la moitié des Centraméricains – et même les deux tiers des populations rurales du Guatemala et du Honduras – vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Or, dans le même temps, le Honduras, le Guatemala et le Salvador figurent parmi les pays les plus meurtriers du monde. De nombreux migrants d’Amérique centrale désespèrent de trouver un emploi qui leur permette de subvenir aux besoins de leur famille. La loi américaine sur l’asile n’apporte aucune solution à ces « réfugiés économiques ».

Fin 2017, j’ai rencontré Roberto Quijones dans un refuge pour migrants dans l’État mexicain de Tabasco, à environ 25 kilomètres de la frontière avec le Guatemala. Pendant que nous parlions, il essayait de réparer ses chaussures abîmées avec du ruban adhésif pour protéger ses pieds perclus d’ampoules.

Roberto est originaire d’une ville rurale du nord-ouest du Salvador, près de la frontière avec le Honduras et le Guatemala. Il était au chômage depuis deux ans. Depuis plus d’un an, lui, sa femme et leur fille de deux ans vivaient avec une tante. Son hébergement à titre gracieux touchait à sa fin.

« C’est la famille, dit Roberto, mais à un moment il n’est plus possible de ne plus payer de loyer. Même quand il s’agit de la famille ».

Or, même ceux qui trouvent du travail ne peuvent pas couvrir les besoins fondamentaux des familles, anéantissant l’espoir d’un avenir meilleur, en raison du niveau de salaires extrêmement bas.

« Je peux me faire 200 lempiras par jour de travail (l’équivalent de 10 dollars US), m’expliquait Marvin Otoniel Castillo, père de trois enfants, originaire de Tegucigalpa au Honduras ».

Nous avons échangé, fin 2016, sous un pont à Veracruz, au Mexique, alors que nous attendions un train pour continuer notre route vers le Nord.

« Vous passez votre vie entière à creuser votre dette, poursuit Marvin. C’est pour ça que je suis venu. Pour pouvoir envoyer mon aîné à l’école afin qu’il n’ait pas à vivre comme son père ».

Une femme vend des poussins dans le centre de San Salvador. Rebecca Blackwell/AP

Courir pour sauver sa vie

D’autres migrants ont été la cible d’organisations criminelles qui opèrent dans une incroyable impunité en Amérique centrale.

Les organisations criminelles tirent une grande partie de leur pouvoir de leurs liens étroits avec les fonctionnaires du gouvernement ; il est parfois impossible de savoir où l’État s’arrête et où commence le monde souterrain. Du fait de ces connexions, il est souvent compliqué d’identifier les responsables d’un meurtre.

Des gangs transnationaux, comme la Mara Salvatrucha, ou MS-13, jouent un rôle important dans cette violence. Il est très difficile de mesurer leurs poids dans la criminalité globale qui affecte ces pays en raison d’un faible taux de poursuite judiciaire et un manque de données fiables.

Cependant, il est clair que les gangs sont les principaux responsables des rackets violents dans la région, provoquant d’importants dégâts psychologiques et économiques parmi les populations démunies en Amérique centrale et à l’origine d’innombrables meurtres.

Résultat, de nombreux migrants centraméricains courent, au sens propre du terme, pour sauver leur vie.

Parmi eux, on trouve Pedro, dont l’oncle et deux frères ont été abattus dans une rue bondée de Guatemala City en 2015 parce que, selon lui, son cousin avait arnaqué une organisation de trafic de drogue. Comme d’autres personnes que j’ai interviewées qui fuient des persécutions violentes, il a demandé l’anonymat pour se protéger et protéger sa famille qui vit toujours au Guatemala.

Pedro explique qu’il a déménagé avec sa femme et ses deux filles dans un autre quartier de la ville pour échapper aux menaces. Mais, un jour, la police a découvert le corps sans vie de sa fille de 13 ans dans une ruelle. Ses agresseurs l’avaient violée, brûlée avec des cigarettes et poignardée à mort. Pedro a compris que personne ne lui dirait qui avait commis ce crime horrible. Il a choisi de s’enfuir avec sa famille pour assurer la sécurité des siens.

Il y a aussi Alejandra, originaire d’une ville de taille moyenne dans l’ouest de la capitale guatémaltèque. Elle en était à sa dernière année de formation d’infirmière et passait ses vacances de Noël en famille quand elle a vu son oncle se faire abattre dans sa cour alors qu’il accrochait des guirlandes.

Son oncle, m’a-t-elle expliqué, avait refusé de verser de l’argent à un groupe criminel dirigé par des officiers de police, dont certains à la retraite. Le lendemain, Alejandra a reçu des messages de menaces sur Facebook. Elle ne voulait pas quitter le pays, et a emménagé chez une amie dans une autre ville et a essayé de se faire oublier.

Quelques semaines plus tard, expliqua Alejandra, le groupe avait envoyé un enfant avec une arme de poing pour la tuer. Elle s’est échappée en sautant de sa moto. C’est alors qu’elle a décidé d’abandonner sa carrière d’infirmière et de fuir le Guatemala.

Des demandeurs d’asile originaires d’Amérique centrale détenus par le service des douanes et des garde-frontières américains, à El Paso, Texas, le 28 mars 2019. Jose Luis Gonzalez/Reuters

Le prix à payer pour ceux qui restent

Pour des raisons financières ou personnelles, de nombreux Centraméricains ne peuvent ou ne veulent pas fuir face à de telles menaces. Et cela peut leur coûter très cher.

Un soir de fin 2018, une femme nommée Sofia m’a dit que des membres du MS-13 l’avaient attrapée alors qu’elle rentrait du travail à San Pedro Sula, au Honduras. Elle avait emménagé avec sa fille de 12 ans dans cette ville quelques mois auparavant, après la fuite de son mari, Pablo, menacé par le gang.

Pablo conduisait un camion de fruits et légumes quand le MS-13 a tué son patron qui refusait de payer. Le racket par les gangs est considéré comme l’une des principales causes de meurtres au Honduras et bien que la majorité des victimes soient pauvres, les familles versent environ 200 millions de dollars par an pour se protéger.

Le MS-13 a dit à Pablo qu’il serait le suivant sur la liste… La famille disposait juste assez d’argent pour sortir Pablo du Honduras. Ses membres espéraient lui parti, le gang laisserait la famille tranquille. Une fois aux États-Unis, Pablo pourrait alors envoyer de l’argent chez lui.

Mais le plan n’a pas fonctionné. Quatre membres du gang ont forcé Sofia à monter dans une voiture, l’ont conduite à la campagne, l’ont battue et l’ont violée à plusieurs reprises. « Voilà ce qui arrivera à votre fille si vous ne nous payez pas ce que votre mari vous doit », lui crièrent-ils.

« À ma place, tu ferais quoi ? »

Les images et les histoires des Centraméricains emprisonnés à la frontière, dans des camps de rétention, montrent que le système d’immigration américain n’a jamais été conçu pour faire face à un tel afflux de personnes.

Dans l’espoir d’obtenir un meilleur traitement à la frontière, certains migrants ont fait semblant de faire partie d’une unité familiale ou de mentir sur leur âge. Ce type de mensonge est peut-être douteux sur le plan éthique, mais tout à fait logique du point de vue de la survie.

De telles stratégies témoignent surtout d’un désespoir collectif, et soulève une question posée par bon nombre des migrants centraméricains que j’ai rencontrés au fil des ans : « À ma place, tu ferais quoi ? »

This article was originally published in English

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