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Migrations en Europe : l’échec tragique de la dissuasion

Un groupe de réfugiés syriens coincés à la gare de Budapest, 4 septembre 2015. Mstyslav Chernov/Wikimedia, CC BY-SA

L’Europe est confrontée à une crise migratoire sans précédent : 625 000 demandes d’asile en 2014, selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Un chiffre jamais atteint depuis la signature de la Convention de Genève en 1951. Au cours des six derniers mois, près de 2 000 personnes ont, par ailleurs trouvé la mort en Méditerranée. Et à ces drames s’ajoutent d’autres situations de crise, comme à Calais où les demandeurs d’asile et les candidats à la migration vers le Royaume-Uni croupissent dans une « jungle » depuis plusieurs années.

On peut citer aussi les 75 morts dans un camion en Autriche victimes des passeurs, la traversée des frontières de la Macédoine dans le plus grand dénuement des Syriens, fin août, et la mort du petit Aylan Kurdi sur une plage de Turquie qui a suscité une émotion considérable au niveau international.

L’Europe est cernée par des conflits qui se traduisent par des flux mixtes – réfugiés et migrations de travail. Elle est la plus grande destination migratoire au monde, devant les États-Unis et le Canada. Et la Méditerranée est l’une des plus grandes lignes de fracture du monde – démographique, économique, politique, culturelle, sociale. D’après le HCR, en 2015 près de 300 000 personnes ont traversé la Méditerranée en direction de l’Europe contre 75 000 en 2014 pour la même période.

Le coût faramineux du contrôle

Or, la crise actuelle s’inscrit dans la poursuite d’une politique de dissuasion et de fermeture qui s’est soldée par quelque 29 000 morts en Méditerranée depuis 2000, 40 000 si l’on remonte jusqu’à 1990. Le coût du contrôle s’élevait à 1,6 milliard d’euros en 2014 et à 11,6 milliards pour le renvoi des illégaux.

La stratégie de dissuasion consistant à mal accueillir les nouveaux venus ne fonctionne pas. Ces derniers savent les dangers qu’ils encourent et sont prêts à les courir, car ils considèrent qu’ils n’ont pas d’alternative dans leur pays, ou ils se perçoivent sans perspective d’avenir.

En 2015, l’HCR estime à 60 millions le nombre de réfugiés, demandeurs d’asile, réfugiés statutaires ou déplacés internes dans leur propre pays en guerre. Les plus nombreux – les Syriens (4 millions se trouvent à l’étranger) – sont suivis par les Irakiens. C’est la Turquie (1,8 million), le Liban (1,2 million) et la Jordanie (600 000) qui ont accueilli l’essentiel des Syriens.

D’après Frontex (l’agence européenne de contrôle des frontières extérieures de l’Europe), 283 000 entrées illégales ont eu lieu en Europe en 2014, dont 220 000 par la mer. Au premier semestre 2015, on en a dénombré 103 000 – dont 54 000 en Italie, 48 000 en Grèce, 920 en Espagne et 91 à Malte.

Trafiquants de passage

L’Italie a longtemps été au centre des arrivées, du fait de la proximité de l’île de Lampedusa avec les côtes d’Afrique. En 2014, 171 000 migrants ont ainsi gagné l’Italie par la mer. La plupart sont considérés comme des migrants économiques ou issus de flux « mixtes » (compte tenu des dictatures régnant dans leur pays). Ils viennent de la corne de l’Afrique (Érythrée, Somalie), mais aussi du Soudan ou du Niger. Ils sont passés par la Libye, devenue un véritable pays passoire, où Daech contrôlerait le trafic d’êtres humains.

Mais l’essentiel des trafiquants du passage se concentre vers l’est de la méditerranée : en Turquie et en Égypte. Aujourd’hui, selon le HCR, c’est la Grèce qui est devenue le « point chaud » de l’Europe : Lesbos où 1 600 personnes sont arrivées en une seule journée, le 5 Juillet 2015 ou, côté sud par la région de Mersin. Ce pays voit arriver de nombreux demandeurs d’asile par ses îles situées le long de la frontière turque et par la frontière terrestre entre la Grèce et la Turquie, en Thrace.

Athènes a mis en place un mur qui ne permet pas le passage de la rivière Évros séparant les deux États. Il est clair que la Grèce ne dispose pas de la capacité de gérer toutes ces entrées, avec 11 000 places de réception sur son territoire. 85 % des entrants sont des demandeurs d’asile venus de Syrie, d’Afghanistan, d’Irak.

Côté bulgare, la frontière est fermée, tandis que la Hongrie a construit un nouveau mur au sud pour se protéger des arrivées de Turquie via la Serbie. Cette barrière a suscité beaucoup d’animosité en Macédoine et en Serbie, qui cherchent à rediriger les flux vers la Croatie et la Slovénie, toutes deux membres de l’Union européenne.

Crise de solidarité

Plus largement, la solidarité fait cruellement défaut au sein de l’UE : la France et l’Italie ont ainsi été incapables de gérer les 400 Africains arrivés à Vintimille par l’Italie fin juin 2015 quand la frontière a été fermée par Paris. Les deux États avaient vigoureusement combattu, en mai 2015, la proposition de la Commission européenne d’accepter des quotas de demandeurs d’asile, considérant qu’elles préféraient garder leur pouvoir discrétionnaire d’appréciation des profils.

Les États du sud de l’Europe attendent une renégociation des accords de Dublin et déplorent vivement la crise de solidarité entre pays européens. A une situation exceptionnelle, on pourrait s’attendre à une réponse exceptionnelle de l’Europe. Elle a fait cruellement défaut.

La perméabilité des frontières, combattue par la politique de fermeture des frontières externes de l’Europe, perdure : malgré les contrôles accrus, les murs construits et le déploiement policier mis en œuvre, 1 000 personnes passent la frontière grecque chaque jour, selon le HCR. Une centaine de migrants traversent la Manche depuis Calais et Sangatte vers le Royaume-Uni, selon les associations locales.

L’objectif, défendu par certains, de faire la guerre aux migrants, de fermer les frontières nationales et l’approche militarisée consistant à détruire les embarcations des passeurs et à éliminer les trafiquants du passage clandestin, souffre d’un manque de faisabilité.

Angela Merkel, star parmi les réfugiés. Berlin, 10 septembre 2015. Fabrizio Bensch/Reuters

La plupart des pays européens sont empreints, depuis près de 25 ans, d’une frilosité extrême par rapport aux migrations : l’extrême droite progresse dans beaucoup d’entre eux et les politiques migratoires nationales sont le plus souvent des politiques d’opinion, soucieuses de répondre avant tout aux sondages et à la peur dans un contexte de chômage.

La déclaration d’Angela Merkel, ces dernières semaines, sur la part que l’Allemagne est prête à assumer dans l’accueil des réfugiés a semblé renouer, dans un premier temps, avec les valeurs fondamentales de l’Europe et de l’Allemagne fédérale depuis sa création. Lentement, quelques autres pays européens lui ont emboîté le pas. Dans son allocution du 7 septembre, François Hollande a ainsi annoncé l’acceptation par la France de 24 000 demandeurs d’asile. Mais timidement, car l’immigration a été longtemps amalgamée avec l’insécurité et le terrorisme. Aujourd’hui, alors que nombre de pays, dont l’Allemagne, ont rétabli un contrôle aux frontières, c’est bien un virage à 180° qu’il faut opérer.

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