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Municipales 2020 : dans un miroir déformant

A Cucq, dans l'ouest de la France, lors du premier tour des élections durant l'épidémie de Covid-19 marqué par une abstention importante. Ludovic Marin / AFP

Puisqu’il faut désigner un vainqueur, faisons-le : vainqueur toute catégorie, le virus de l’abstention !

Avec la présidentielle, les élections municipales restaient les favorites des Français. Certes, comme les autres scrutins, elles étaient affectées par une baisse régulière de la participation. Toutefois, le déclin suivait une pente douce, beaucoup moins brutale que celle des législatives par exemple, qui sont passées de 29 % d’abstentions en 1981 à 51,3 % en 2017.

Participation aux élections municipales depuis 1983

La participation aux municipales atteignait 63,5 % en 2014, et dans le contexte général, on pouvait s’attendre cette année à un déclin de quatre ou cinq points. Avec 55 % d’abstention, la chute fut vertigineuse : ce sont plus de 9 millions d’électeurs inscrits, qui dimanche dernier, sont allés grossir les rangs des citoyens silencieux.

On attendait des élections atypiques, en raison du climat politique général et des conséquences de l’élection d’Emmanuel Macron. Le cordon sanitaire imposé par le Covid-19 les aura rendues anormales. La France avait la tête ailleurs. Les hésitations héritées d’un malaise social entretenu par les mouvements de protestation des derniers mois se sont trouvées suractivées tant par l’épidémie elle-même que par les recommandations du corps médical et des gouvernants. Dans un climat lourdement anxiogène, la faible motivation a aisément évolué en abstention.

Voilà qui rend complexe l’analyse des résultats. Être confronté à un scrutin anormal invite à la prudence méthodologique. Sous la pression des attentes, on peut avoir tendance à tirer des seuls suffrages exprimés des leçons incertaines.

Les habituels outils, comme les « réserves de voix », « ballottages favorables », « percée électorale » sont pourtant ici à manier avec précaution, rapportés non pas aux seuls suffrages exprimés, mais aux inscrits.

Ainsi, lorsque l’on envisage les réserves de voix, on raisonne par rapport aux scores obtenus par les candidats en lice au premier tour. Or une hausse de la participation au deuxième tour, stimulée par une mobilisation face au choix éliminatoire, peut complètement modifier l’équilibre des voix. Il en va de même pour la situation de ballottage. Si l’on prend le cas d’Edouard Philippe au Havre, condamné à un ballottage avec 43,6 % des suffrages, il convient d’intégrer le taux très élevé d’abstention (60,4 %) pour apprécier ses réserves réelles.

D’autant plus maintenant que la décision a été prise de reporter le deuxième tour au 21 juin : on peut sans peine concevoir que les cordons d’étranglement du vote de dimanche dernier auront disparu.

Édouard Philippe, candidat à la mairie du Havre, émarge après avoir voté. Lou Benoist/AFP

Au prisme de l’abstention

Ces remarques ne disqualifient pas les enseignements que l’on peut tirer du scrutin. Elles exigent simplement de fortement relativiser. Et de bien maintenir le rapport entre les résultats et le niveau de participation.

C’est en effet à partir de celui-ci que l’on doit jauger les rapports de force qu’il contribue à accentuer, amplifier ou réduire suivant les cas. Il faut regarder les choses avec cet éclairage indirect.

Ainsi, on peut dire que le bas étiage des eaux électorales fait apparaître crûment les bases du vote en amplifiant les phénomènes prévisibles. On attendait une prime au sortant : dans l’écrasante majorité des cas, elle s’est avérée une assurance tout risque de réélection. Les scores victorieux sont nombreux et amples : les maires sont souvent réélus avec une participation plus faible que la moyenne.

Ainsi, à Charleville-Mézières, le maire l’emporte avec 77,6 % des voix alors que la participation n’est que de 31 %. La prime aux sortants s’accorde fort bien d’une déprime du vote des opposants !

La stagflation droite/gauche

Ce premier constat en accompagne un second : la stagflation des grands équilibres droite/gauche.

LR conserve l’essentiel de ses positions, quitte à avancer en se voilant de l’absence d’étiquette. Bénéficiant par position du vote sanction, il fait mieux que confirmer ses prises de guerre de 2014.

La ville de Reims, par exemple résume complètement la très étrange géométrie électorale de 2020 : elle avait été gagnée sur la gauche en 2014 au second tour dans le cadre d’une triangulaire avec le FN sous les couleurs de l’UMP ; le maire sortant (devenu Divers droite) l’emporte cette fois dès le premier tour, avec 69,1 % des suffrages exprimés (contre 46,2 % en 2014).

Somptueuse confirmation, mais qu’il convient de confronter aux suffrages en cause pour prendre sa mesure exacte. En 2014, la participation s’était élevée à 51,9 % et les suffrages exprimés à 50 863 ; en 2020, elle chute de 21 points, pour tomber à 30,9 % et 29 621 suffrages exprimés. Soit un déficit de 21 242 bulletins. Rapportée aux scores respectifs, cette chute se répercute en partie et inégalement sur les candidats : avec 19 645 voix, le maire vainqueur perd 5 600 voix par rapport à 2014 ; mais dans le même temps, le candidat de la gauche (qui n’est plus l’ancienne maire) perd 84 % des siennes (19 765), et celui du RN les trois quart (4 421) ! Ajoutons, pour compléter le panorama, le très faible poids de la liste LFI (2,3 %), qui, là non plus ne réussit pas sa percée ; ainsi que la modeste présence des écologistes (5,6 %), et l’échec de LREM (3,3 %).

L’année 2014 avait été une bérézina pour le Parti socialiste qui avait vu lui échapper plusieurs de ses bastions les plus solides, comme Limoges. En 2020, il n’en reconquiert aucune lors de ce premier tour. Certes, il résiste sur ses positions et parvient à confirmer son poids local. Il parvient même un peu à progresser, lorsqu’il parvient, circonstanciellement à s’intégrer à une liste d’union avec les autres forces EELV, PCF LFI. Il est en revanche affaibli par la présence concurrente de listes écologistes.

Rendez-vous manqué pour LREM

Le rendez-vous entre le parti du Président et les municipalités n’a pas eu lieu. Seule, LREM est contrainte à jouer les seconds rôles quand elle n’est pas réduite à de la figuration pure et simple. Elle réussit mieux quand elle prend la diligence d’autres forces politiques, sous un habillage politiquement neutre.

Le nouvel élu municipal LREM sera donc une manière de passager semi-clandestin, voire clandestin : en effet, par crainte de payer le tribut de l’impopularité gouvernementale, les listes qui accueillent de candidats de LREM voilent le plus souvent leur soutien à la majorité présidentielle, en s’abritant derrière la feuille de vigne « sans étiquette ».

Le parti présidentiel attendait beaucoup de quelques villes symboles telles que Paris, Lyon, Bordeaux pour cacher ses misères : divisions aidant, le rêve a vieilli en cauchemar.

Cet échec prévisible, pour un mouvement qui surgissait de nulle part, résulte d’une évidente impréparation dans la mise en place des réseaux de candidatures et dans la stratégie d’alliances. S’y ajoute une probable inadaptation de cet OVNI politique : conçu pour un combat présidentiel national, très centré, comme son nom l’indique sur la personne d’Emmanuel Macron, il ne répond pas du fait de sa structure verticale aux exigences d’enracinement adapté à la figure en archipel des collectivités territoriales.

Le candidat EELV à la mairie de Lyon, Gregory Doucet, pourrait bénéficier des divisions au sein de LREM. Olivier Chassignole/AFP

Des Verts fins stratèges ?

La stratégie des écologistes s’est avérée payante, en ce qu’ils ont réussi à percer la monotonie électorale. Dans ce paysage politique de brouillard, où l’armée des ombres des vieux partis gardaient les places, ils ont tenté d’imposer leur présence.

Avec une réussite assez inégale, faite de quelques illuminations et de quelques exceptions : ils conserveront Grenoble, ils prendront Besançon et peut-être Strasbourg, deux villes qu’ils risquent de soustraire aux socialistes. Mais leur avenir reste tributaire de leur capacité à fédérer autour d’eux une gauche qui reste attachée à ses anciennes bannières.

Le RN avait stratégiquement décidé de jouer modeste : garder ses conquêtes, pour mieux témoigner de sa légitimité à gérer des villes. Choisir quelques cibles, comme Perpignan. Ailleurs, pratiquer l’abstention ou le retrait intéressé. Pari réussi en matière de conservation de ses bastions récents, dans le Sud comme dans le Nord, où quelques belles victoires dès le premier tour confirment les choix.

Il a délibérément laissé en jachères abstentionnistes une part importante de son électorat. Mais une part de celui-ci semble avoir mis à profit ces vacances pour développer la porosité avec la droite. Ainsi à Auxerre, où le candidat RN a renoncé in extremis à déposer sa liste ; ainsi à Chalon-sur-Saône, où la liste a suscité débats et interrogation : dans les deux cas, on relève une forte poussée de la droite LR, au-delà de son étiage habituel.

C’est donc sur fond d’un paysage incertain, tout en creux et en bosses, que se conclut ce premier tour où l’on a, paradoxalement, plus éliminé que choisi. Reste donc, dans une série de cas, à effectuer ce choix. Le deuxième tour recule à l’horizon du mois de juin. Sorti des ombres et des craintes paralysantes, peut-être offrira-t-il quelques surprises si les électeurs retrouvent le chemin des urnes.

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