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Municipales : à qui va profiter le jeu de pêle-mêle électoral ?

Un maire dans son bureau. Sébastien Bozon /AFP

Que faisiez-vous au temps chaud ?
Je chantais, ne vous déplaise.
Vous chantiez ? J’en suis fort aise.
Eh bien, dansez maintenant.
(Jean de La Fontaine, « La cigale et la fourmi »)

Comme la nature, la vie politique démocratique a ses cycles, qui s’ordonnent sur une chaîne dont chaque élection forme un maillon lié aux autres. Après le ciel, la terre : passées la présidentielle, les législatives et les européennes, les municipales ouvrent la partie locale du cycle.

Retour au sol dans la France des villes et des campagnes, parole aux habitants des 35 416 communes, dont 31 787, soit neuf sur dix, ont moins de 3 000 âmes, et 97 % moins de 9 000. La population des maires, ces élus préférés des Français, se situent à l’interface du national et du local, à l’endroit où la France d’en bas regarde la France d’en haut.

Dans un pays de tradition centralisée comme le nôtre, aucun ne peut être indifférent à la politique nationale et à ses équilibres. Certes, la notabilité politique, gage d’efficacité dans la défense du territoire, croît avec la taille et l’importance de la ville d’élection, mais par l’intermédiaire des réseaux et des intercommunalités l’empreinte politique colore l’ensemble du paysage, invitant les soirs d’élections à une double lecture des résultats.

La fin troublée d’un cycle et de la bipolarisation droite/gauche

Les responsables des partis politiques le savent bien : leur influence, leur capacité de peser dans les scrutins nationaux, leur durée tient à la réalité de leur enracinement territorial et à la force de leurs relais. L’histoire de la Ve République montre comment les gaullistes d’abord, les socialistes ensuite, ont privilégié la conquête de bastions locaux.

La bipolarisation droite/gauche aidant, les élections nationales et locales ont fonctionné comme un couple thermodynamique : la droite emporte les élections nationales ? La gauche ramasse la mise des élections territoriales suivantes. Et schéma identique, simplement inversé, en cas contraire. Ainsi, depuis plus de quarante ans, les différents scrutins suivent le roulis régulier des alternances, à peine troublé par l’irruption du Front national ou des écologistes.

Cet ample bercement n’est toutefois plus de mise : on nous a changé nos municipales. Le socle des plaques tectoniques droite/gauche est gravement ébranlé, tant pour les acteurs politiques eux-mêmes que pour les citoyens troublés dans leur perception traditionnelle. Cela par l’effet cumulé de deux éléments.

Un Président hors sol

D’abord, il y a bien sûr le gigantesque pavé dans la mare de l’élection d’Emmanuel Macron. Porté par une vague de dégagisme d’une classe politique démonétisée, entré directement au sommet comme par effraction, il a noyé et discrédité, au moins pour l’heure, un clivage bipolaire suranné.

Confirmée massivement par les législatives de 2017, la décapitation des partis traditionnels a porté l’onde de choc jusque dans les profondeurs électorales du pays.

Voilà l’opposition sans tête. Mais pas sans corps : elle garde ses riches tissus d’élus locaux pour lesquels l’attachement citoyen n’est pas que partisan. Le « dégagisme » qui a réussi sur le plan national se tempère localement à l’aune de vieilles fidélités et d’un besoin de sécurité.

Dans une période d’incertitude, un réflexe conservateur naturel peut venir contrarier le désir de renouvellement. La force d’Emmanuel Macron aura été d’incarner la rupture du vieux clivage droite/gauche devenu stérile. C’est aussi sa faiblesse, dans la mesure où il n’a pas pu, ou pas voulu, occuper le territoire laissé vacant par son passage : le brise-glace peut éventrer la banquise, reste à empêcher la glace de se reformer derrière lui.

La force et la faiblesse d’Emmanuel Macron est d’incarner la fin du clivage droite/gauche. Michel Euler/AFP

Peut-être a-t-il rêvé que le choc de son élection et l’affirmation d’un grand projet réformateur suffiraient à provoquer un élan rassembleur autour de sa personne. Les cartes ont été brouillées, pas vraiment rebattues : on attendait un mouvement centripète, ce fut un mouvement centrifuge. Et la nature politique ayant horreur du vide, l’espace social s’est empli d’une contestation aussi confuse que persistante rendant le climat délétère et paralysant.

Faute d’avoir suffisamment durci et caractérisé la substance progressiste de son projet et surtout de s’être forgé un outil partisan pour vertébrer son action dans le pays profond, Emmanuel Macron se trouve l’objet direct de toutes les attaques. Surgi électoralement de nulle part, il est devenu le premier Président totalement hors-sol de la Ve République.

Et il le reste : les seuls relais sûrs dont il dispose, ce sont les parlementaires. Ce qui apparaît insuffisant, car la plupart doivent leur élection à l’entraînement de sa propre victoire et ne garantissent donc pas un ancrage territorial certain. Le terrain des municipales aurait dû constituer le lieu de forge des nouveaux relais du Président. On est loin du compte tant la partie semble bizarrement engagée.

La méli-mélodie électorale de LREM

Deuxièmement, la désinvolture avec laquelle avaient été abordées les sénatoriales de 2017 aurait pu alerter sur la faible considération du pouvoir pour les représentants territoriaux. Le statut et le rôle assigné à LREM le confirment.

Si on pouvait comprendre la résistance macronienne aux vieux partis traditionnels, cela n’interdisait aucunement de réfléchir à une nouvelle forme de mouvement : aucune démocratie représentative ne peut fonctionner sans le renfort d’appareils politiques.

Or, cet étrange OVNI a été contenu dans son statut initial d’outil de campagne présidentielle. Ce qu’il a été remarquablement en 2017 et ce que le Président, probablement, espère qu’il sera en 2022 : nébuleuse vertigineusement centralisée, qu’on fait ronronner en attendant des lendemains qui chantent. Le tableau des investitures et des candidatures qui se dessine à cinquante jours du scrutin municipal donne la mesure de la confusion entretenue.

C’est en rangs complètement dispersés que LREM lance ses troupes au combat. Aucune ville espérée n’est aujourd’hui assurée : Paris s’enfonce dans le brouillard des divisions, Lyon, Biarritz (où deux ministres du gouvernement s’affrontent) connaissent des dissidences ou des concurrences…

À Paris, le candidat LREM, Benjamin Griveaux. Thomas Samson/AFP

Mais au-delà des indisciplines, la carte des candidatures potentielles prend la forme d’un embrouillamini, voire d’un imbroglio : il n’est pas rare de voir des villes, comme à Dijon, où des candidats étiquetés LREM se retrouvent sur plusieurs listes concurrentes.

Dans une même métropole ou communauté d’agglomération, on voit des positionnements simultanés variables : ici LREM suit un UDI, ou un LR, pendant qu’officieusement d’autres marcheurs se rangent derrière un socialiste. Les alliés traditionnels d’En marche ne sont pas non plus garantis : à Belfort, la liste LREM est conduite par une socialiste, alors que l’élu européen MoDem-En marche conduit une liste concurrente…

L’enchevêtrement local entraîne un véritable brouillard électif. Une chose est certaine : totalement impréparé, le parti du Président s’est avéré incapable d’afficher une ligne propre pour le premier tour de ces municipales, qui lui aurait permis de peser sur les regroupements du second tour. La labellisation de candidatures macroncompatibles suffira-telle à dissimuler cette faiblesse ? Va-t-on découvrir les défaites à la Pyrrhus ?

Une France mélancolique

C’est donc un électeur déconcerté qui va animer le scrutin amené à se dérouler dans un assemblage confus.

Si la mélancolie n’est que de la ferveur retombée, alors on peut augurer que ces élections municipales inédites risquent d’être sans grandes surprises ni grand bouleversement, tant l’inertie semble dominer. Bénéficiant des incertitudes et des mouvements sociaux, la traditionnelle prime au sortant peut se voir consolidée comme valeur refuge.

Il y aura sans doute aussi des glissements dans certaines villes : vers les écologistes à gauche, là où ils réussiront à ressusciter une forme de Gauche plurielle ; vers le RN à droite, là où LR ne parviendra pas à contenir son expansion. Sans exclure naturellement l’hypothèse de bascules de la gauche vers l’extrême droite : l’Est et le Nord seront à observer attentivement de ce point de vue.

Mais surtout, le danger rôde d’une montée des abstentions dans ce berceau de la démocratie. C’est Racine qui disait joliment : « Un bruit confus s’élève, et du peuple surpris détourne tout à coup les yeux et les esprits. » (Athalie, II, 2)

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