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o-paysans et néo-artisans, précurseurs d’une nouvelle territorialisation du travail ?

Travaux et stages dans une AMAP en Haute-Garonne (Lo Païs). detached31 / Flickr, CC BY

Quel est le point commun entre les micro-brasseries, la production de planches de surf rétro et les urbains partant à la campagne pour devenir agriculteurs ? Un goût prononcé pour une production locale qui s’ancre dans une histoire singulière. Cela serait au cœur d’une tendance qui touche de nombreux secteurs. Si elle se confirme, celle-ci devrait attirer notre attention, car elle donne à voir de nombreux changements en termes de pratiques de travail et de modes de vie.

Néo-paysans et néo-artisans

A la différence d’autres évolutions du travail, comme le télétravail ou le digital nomadisme, qui se caractérisent par une forte mobilité et une digitalisation des relations et de la production, la tendance pour la production locale, qui s’accompagne d’une préférence pour une consommation de produits tout aussi locaux selon une enquête d’Ipsos en 2014, s’ancre dans un territoire et une histoire. Pour exprimer cette tendance, le préfixe « néo » est souvent utilisé pour signifier le caractère à la fois novateur de cette démarche et sa filiation avec des pratiques traditionnelles. On parle alors de néo-paysans et de néo-artisans.

Les néo-paysans et néo-artisans exerçant dans les périphéries des villes ou dans les campagnes partagent la même démarche : s’appuyer sur les outils contemporains pour inventer des modes de production et de consommation alternatifs. Venant de milieux sociaux souvent éloignés du monde de l’artisanat ou de l’agriculture, ces nouveaux travailleurs découvrent des pratiques manuelles innovantes ou héritées du passé. Par exemple, les néo-paysans – c’est à dire les nouveaux agriculteurs d’origine urbaine et sans lien avec ce secteur – représenterait 30 % des installations. En privilégiant les circuits-courts et des modes de production alternatifs, ils remettent au goût du jour des pratiques et des produits considérés comme authentiques tout en les inscrivant dans des tendances actuelles.

La production locale semble donc être une tendance qui touche de nombreux secteurs, au point de devenir un étendard pour de nombreux prétendants à l’entrepreneuriat. Cette tendance, portée par une génération d’entrepreneurs autant en quête de sens qu’à la recherche d’une activité rémunératrice, semble s’apparenter à un mouvement conservateur qui consisterait à idéaliser des modes de production et de consommation révolus.

Cependant, à la différence de la nostalgie qui consiste à regretter un passé glorifié, cette quête pour le local vise davantage à donner du sens à de nouvelles activités en puisant dans des référentiels provenant d’époques et de domaines divers. Elle est sans doute à rapprocher des tendances que les marketeurs appellent néo-rétros ou rétro-innovations, c’est à dire des pratiques et des produits d’antan qui mobilisent également des technologies contemporaines.

Vers une gentrification des zones rurales ?

Faut-il rapprocher cette tendance avec la gentrification de certaines villes ? A y regarder de près, ces pratiques semblent effectivement se développer rapidement dans les villes et quartiers déjà décrits comme étant en cours de gentrification. Par exemple, il est intéressant de noter la multiplication des micro-brasseries parisiennes ces dernières années. Cependant, il serait réducteur de penser que ce phénomène touche uniquement certaines grandes villes.

La production locale semble également se développer dans de nombreuses régions – comme effet de l’attrait des consommateurs pour ces produits, selon le commissariat général au développement durable – et surtout ce phénomène donne à voir un regain d’intérêt pour les zones rurales. On utilise alors la notion de néo-campagne pour désigner les territoires désertés encore peu et qui attirent aujourd’hui une population d’urbains qui souhaitent s’installer et développer une activité professionnelle. A la différence de leurs aînés qui pensaient trouver dans ces campagnes des espaces permettant une vie en autarcie, il semblerait que ces néo- paysans et artisans soient dans une démarche d’ouverture sur le monde.

D’ailleurs, loin de vouloir être déconnectés, ils sont très présents sur Internet. C’est par exemple sur les réseaux sociaux que ces tendances sont affirmées et mises en scène. Instagram et Facebook sont de puissants médias pour faire la promotion des produits ou services néo-rétros. Dans un autre genre, sur Pinterest on trouve également d’innombrables catégories d’images contemporaines mettant en scène des pratiques locales et authentiques. En somme, ces néo-ruraux sont des acteurs du développement d’une culture et de savoir-faire locaux, mais ont également à cœur d’interagir avec le plus grand nombre.

Nouveaux territoires

Épiphénomène ou tendance de fond ? Il faudra sans doute encore quelques années pour se faire une opinion. Une chose est sûre, l’intérêt pour une production locale, soucieuse de l’histoire du territoire et de l’environnement interroge d’ores et déjà notre rapport à la consommation et au territoire. À contre-courant des études qui indiquent une concentration croissante des populations dans les grandes villes, cette tendance est peut-être le prémisse d’une déconcentration des activités économiques et de développement des zones rurales.

Cela pourrait d’ailleurs bénéficier à de nombreuses personnes et notamment à celles et ceux qui se battent depuis longtemps pour conserver des activités économiques dans les zones dites reculées. L’ouverture de nouveaux tiers-lieux un peu partout en France, les progrès continus des technologies permettant de travailler à distance et la disponibilité du foncier sont autant d’éléments qui rendent cette hypothèse plausible.

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