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Neurosciences : pourquoi les femmes enceintes ont des fringales

Pendant la grossesse, les femmes peuvent ressentir d’étranges fringales. Shutterstock

La grossesse provoque de nombreux changements physiques, mais en quoi affectent-ils le cerveau ? Dans un précédent article, j’avais abordé la question des trous de mémoire. Qu’est-ce qui cause, entre autres, la maladresse, les fringales et les sautes d’humeur des femmes enceintes ?

Beaucoup de femmes racontent que la maladresse a été un des premiers signes visibles de leur grossesse : elles n’arrêtaient pas de laisser tomber leurs clés, de renverser le lait dans la cuisine ou de trébucher sans raison. En réalité, une étude rapporte que 27 % des femmes tombent au moins une fois au cours de leur grossesse, un chiffre similaire à la prévalence des chutes chez les plus de 65 ans.

En fait, ces trébuchages peuvent s’expliquer assez facilement. Pendant les derniers mois de la grossesse, le ventre s’arrondit rapidement, et le centre de gravité de la femme enceinte se déplace progressivement vers le haut. Les impulsions neurales associées à la posture – y compris les informations visuelles, vestibulaires (équilibre et orientation) et somato-sensibles (le toucher) – évoluent rapidement au cours de la grossesse, puis changent à nouveau après l’accouchement, quand le centre de gravité revient à la normale. La région du cerveau qui traite les informations liées à la posture – le lobe pariétal –, doit s’adapter et interpréter correctement ces impulsions nouvelles et changeantes avant d’envoyer les bons signaux pour permettre le maintien de l’équilibre et la coordination des mouvements.

Mais qu’est-ce qui explique les maladresses à répétition en début de grossesse ? Pendant les premières semaines, les niveaux de relaxine augmentent rapidement. Comme son nom l’indique, la relaxine est une hormone qui aide les articulations, les ligaments et les muscles à se détendre, ce qui se révèle particulièrement utile au moment de l’accouchement, dans la région pelvienne.

La faute à la relaxine. Shutterstock

Bien qu’à ce jour, aucune étude ne prouve le lien avec la maladresse expérimentée pendant la grossesse, on pense que la détente des muscles du poignet, de la main et des doigts contribue à rendre la prise plus lâche, ce qui explique pourquoi les femmes enceintes laissent plus souvent les objets s’échapper de leurs mains.

Chez certaines femmes, une plus forte rétention d’eau peut aussi causer un syndrome du canal carpien qui atteint leur poignet et aggrave les symptômes associés à la relaxine. C’est aussi en raison du niveau élevé de relaxine dans leur organisme que les femmes enceintes souffrent souvent de brûlures d’estomac – les muscles de leur œsophage n’étant pas assez tendus, l’acide gastrique remonte au lieu de continuer son chemin.

Envies de fraises

Généralement, nous avons envie de manger ce dont nous avons besoin. Par exemple, une envie de salé peut être signe de déshydratation ou de déséquilibre électrolytique. De la même façon, nous sommes parfois dégoûtés par des aliments qui ne sont pas bons pour notre organisme. Comme je le disais dans la première partie de « Cerveau et grossesse », bien des femmes n’ont plus envie de manger de la viande, du poisson, ni certains fruits et légumes en début de grossesse – autant d’aliments qui peuvent abriter des micro-organismes ou dont le goût est trop amer.

Les fringales de grossesse sont sans doute l’effet secondaire dont on parle le plus, et que l’on moque volontiers. Près de 60 % des femmes disent les avoir expérimentées. Des envies de cornichons aux sardines ; d’œufs brouillés au chocolat ; de glace à la pistache au beurre de cacahuète. Les hormones sont folles, n’est-ce pas ?

C’est plutôt surprenant, mais les fringales de grossesse n’ont pas vraiment été étudiées, et sont encore mal comprises. En général, les femmes parlent davantage de leurs fringales que les hommes, même quand elles ne sont pas enceintes. Elles disent souvent avoir plus envie de certains aliments pendant leur cycle menstruel. Par ailleurs, les fringales sont renforcées par la culture dominante ; un brownie géant ne comble pas particulièrement les besoins nutritionnels d’une femme qui a ses règles, mais c’est quelque chose qui fait plaisir quand on ne se sent pas très en forme.

Une étude de l’Université du Connecticut explique que les préférences alimentaires varient au cours de la grossesse. Tandis que les aliments amers leur semblent particulièrement écœurants au cours du premier trimestre, les femmes sont plus attirées par le salé et l’acide au cours du deuxième et du troisième trimestre. On ne sait pas vraiment d’où viennent ces évolutions, mais on pense que l’attirance pour le salé – pour les chips par exemple – peut venir d’un besoin accru en sodium causé par le volume plus important de sang qui circule dans l’organisme de la femme enceinte.

Les fringales pour des produits non comestibles, comme l’argile, le papier, la lessive ou le plâtre indiquent une carence nutritionnelle plus grave (souvent un manque de fer) et doivent absolument amener à consulter un médecin.

Des humeurs en dents de scie

Si vous ne deviez retenir qu’une information après avoir lu cet article, ça pourrait être celle-ci : la grossesse est l’un des moments les plus mouvementés dans la vie d’une femme. Il est difficile d’imaginer que les fluctuations de quelques hormones-clés puissent causer à elles seules tant de changements dans un temps record, mais c’est pourtant le cas.

Pendant les premières semaines de grossesse, les niveaux d’œstrogènes et de progestérone augmentent rapidement. Tandis qu’habituellement, ces hormones sont sécrétées par les ovaires, pendant la grossesse, elles sont également produites dans le placenta. À la sixième semaine de grossesse, les niveaux d’œstrogènes sont environ trois fois plus élevés qu’à leur plus haut niveau au cours du cycle menstruel.

Les œstrogènes et la progestérone sont connus pour leurs effets puissants sur le fonctionnement du cerveau, et pourraient bien expliquer les différences de symptômes entre hommes et femmes souffrant de schizophrénie ou de dépression. Les œstrogènes, par exemple, sont associés à l’augmentation des récepteurs de dopamine et de sérotonine dans les régions du cerveau qui régulent les émotions, l’humeur et le comportement. Beaucoup de femmes en ont fait l’expérience en changeant de mode de contraception : leurs variations d’humeur peuvent êtres attribuées à la composition hormonale de tel ou tel dispositif. Pendant la grossesse, les femmes se disent moins irritables au cours de deuxième trimestre, quand les mécanismes d’autorégulation du cerveau s’accommodent mieux des fluctuations hormonales. Mais, comme beaucoup d’autres phénomènes, cette adaptation diffère en fonction des individus.

En plus des changements hormonaux, il se passe énormément de choses pendant la grossesse. Le stress causé par la douleur et la fatigue et les changements qui surviennent dans le métabolisme peuvent engendrer une certaine amertume, que nous pouvons tous ressentir quand nous sommes physiquement perturbés. Avec la grossesse vient aussi l’anxiété de la mère pour la santé de son enfant, la peur de l’accouchement, l’anticipation de la responsabilité d’élever un enfant et parfois des préoccupations financières : autant d’inquiétudes qui peuvent submerger la future mère. La recherche prouve qu’un entourage solide – partenaire, amis, famille – améliore la santé physique et mentale de la mère et réduit les risques de complications et de dépression post-partum.

Les bébés savent nous signaler leur présence bien avant le temps des nuits sans sommeil et des couches odorantes…

Il y a encore bien des choses que nous ne comprenons pas au sujet des bouleversements du corps et du cerveau des femmes pendant leur grossesse. Mais malgré tout, il est difficile de ne pas s’émerveiller en voyant comment tous ces changements se combinent afin de fabriquer un être humain en bonne santé, le tout en neuf petits mois.

La version originale de cet article a été publiée en anglais.

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