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Notre-Dame de Paris : la cathédrale des archéologues

Le parvis et la façade de Notre-Dame de Paris au XVIIIe siècle, and St-Jean-le-Rond, par Jean-Bapstiste Scotin (1678-?) Jean-Bapstiste Scotin

L’incendie qui a ravagé la cathédrale Notre-Dame de Paris propulse l’architecture médiévale sur le devant de la scène médiatique de façon totalement inédite. L’émotion suscitée par le drame rappelle que les cathédrales sont des objets patrimoniaux singuliers, souvent exploités par la classe politique. L’importance particulière de la cathédrale de Paris, associée à des épisodes marquants de l’histoire de France, lui confère – de ce point de vue – un statut emblématique dans le mythe du roman national. Notre-Dame de Paris est aussi un objet d’étude singulier pour les archéologues, qui renvoie à l’évolution de leurs pratiques scientifiques et des connaissances acquises sur le Moyen Âge depuis 200 ans.

Un chantier précurseur

L’archéologie médiévale doit beaucoup au XIXe siècle. L’approche est alors surtout focalisée sur l’architecture, en écho au mouvement romantique qui revalorise l’héritage monumental médiéval. Notre-Dame de Paris, à travers le roman de Victor Hugo, occupe une place fondamentale dans ce processus, comme de nombreux médias l’ont déjà rappelé.

Statue d’Eugène Viollet-le-Duc représenté en apôtre, flèche de la cathédrale Notre-Dame de Paris (détail). Harmonia Amanda, CC BY-SA

L’action d’Eugène Viollet-le-Duc, en revanche, est surtout évoquée ces derniers jours pour son rôle de constructeur et tout particulièrement pour la réalisation de la flèche néo-gothique qui couronnait, il y a encore quelques jours, la croisée du transept de la cathédrale parisienne. On ne peut cependant pas limiter le personnage à sa fonction, encore souvent décriée, d’architecte et de restaurateur à la doctrine interventionniste. L’approche architecturale de Viollet-le-Duc est déterminée par une culture encyclopédique sur le Moyen Âge, dont témoigne toujours le Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIᵉ au XVIᵉ siècle, encore largement consulté pour son exhaustivité et la finesse de ses analyses. Comme d’autres chantiers emblématiques (Vézelay, Pierrefonds, Carcassonne…), le travail qu’il entreprend sur Notre-Dame de Paris en 1844, aux côtés de Jean‑Baptiste Lassus, est alors envisagé comme une mise en application de ce savoir archéologique. Il offre également l’opportunité de mettre en pratique de nouveaux principes théoriques, qui reposent sur une connaissance exhaustive du monument, appuyée par l’analyse de ses processus de construction. Le relevé architectural y occupe une place fondamentale, dont témoignent encore les nombreuses planches dédiées à Notre-Dame qui illustrent son Dictionnaire raisonné.

L’approche de Viollet-le-Duc reste cependant focalisée sur l’édifice lui-même, artificiellement isolé de son contexte monumental. Le développement, au cours de la seconde moitié du XXe siècle, d’une archéologie urbaine sédimentaire et extensive, qui vise à comprendre les vestiges aussi bien en plan qu’en profondeur, permet d’inscrire la cathédrale dans un temps long et dans un espace élargi.

De la topographie religieuse à la connaissance de la ville

En France, une seule cathédrale a été entièrement fouillée par les archéologues. On peut en contempler les vestiges dans la petite ville de Digne-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence), où Gabrielle Démians d’Archimbaud, figure tutélaire de l’archéologie médiévale française, explora pendant une trentaine d’années l’église Notre-Dame-du-Bourg.

Notre Dame du Bourg, Digne les Bains. Édouard Hue/Wikipedia, CC BY-SA

Ce n’est pas un hasard si les recherches effectuées à Digne entre les années 1980 et 2000 succèdent de peu à un autre chantier particulièrement emblématique, conduit à Genève par l’équipe de l’archéologue Suisse Charles Bonnet. Ces travaux, comme de nombreux autres entrepris au cours de la même période (Lyon, Toulouse, Auxerre, Rouen pour n’en citer que quelques-uns) s’inscrivent dans un épisode marquant de l’archéologie médiévale, où la coïncidence entre l’évolution des méthodes de fouille et l’aménagement intensif des centres urbains invitent à redécouvrir l’histoire urbaine dans la longue durée. La cathédrale constitue alors une sorte de fil conducteur et de point de repère, puisqu’il s’agit généralement du seul monument qui perdure en tant que tel depuis la fin de l’Antiquité, lorsque les premières églises sont édifiées au cœur des villes romaines.

Malgré son importance historique, Notre-Dame de Paris reste, de ce point de vue, assez mal connue. Les fouilles réalisées aux abords du monument au milieu du XIXe siècle puis dans les années 1960-70 ont livré les vestiges de plusieurs bâtiments qui ont précédé l’édifice gothique actuel – dont une vaste église située au-devant de la façade de la cathédrale – mais leur interprétation demeure sujette à caution et les données de fouille, aujourd’hui anciennes, sont difficilement exploitables. L’essentiel des vestiges du groupe épiscopal paléochrétien demeurent préservés sous les sols de la cathédrale et à ses abords, dans l’épaisseur stratigraphique du quartier de l’Île de la Cité, où se resserre la ville romaine du IVe siècle.

L’archéologie des élévations

Les cathédrales sont des monuments hérités de l’Antiquité tardive, progressivement transformés au fil du temps. Elles portent les stigmates et les témoignages d’une longue et complexe histoire architecturale. Dans ce processus chronologique, l’architecture gothique marque une solution de continuité tout autant qu’un point de rupture. La complexité des technologies mises en œuvre à partir de la seconde moitié du XIIe siècle pour améliorer les méthodes de voûtement et de contrebutement a contribué à plaquer sur les cathédrales gothiques du nord de la France une image ésotérique des savoir-faire médiévaux, qui imprègne toujours la littérature et les médias.

Mais le moment historique incarné par l’émergence de l’architecture gothique a également été fondateur pour l’étude de la notion de progrès technique dans la société médiévale. Dans la continuité de cette approche anthropologique du chantier de construction, les méthodes d’analyse archéologique, poussées au cours de ces dernières décennies vers les élévations, permettent de porter l’étude vers la structure des maçonneries, notamment grâce aux méthodes de l’archéométrie (analyses physico-chimiques des matériaux de construction ; datations absolues ; imagerie 3D…). Couplées à l’analyse chronologique de la construction, et aux informations livrées par la fouille, ces recherches sont particulièrement précieuses pour assurer l’étude préalable de monuments protégés, dont les principes de restauration reposent avant tout sur le respect de l’intégrité historique de l’édifice.

En France, l’archéologie du bâti est pourtant loin d’être systématique dans les chantiers de restauration, par souci d’économie ou par méconnaissance de ses apports. Comme le rappelait le récent communiqué de presse sur la création d’une association des scientifiques au service de la restauration de Notre-Dame de Paris – passé relativement inaperçu dans la frénésie médiatique de ces derniers jours – plusieurs questions fondamentales doivent pourtant être résolues pour comprendre le monument, malgré les nombreuses études et travaux dont il a déjà fait l’objet.

Notre-Dame le 16 février dernier, puis le 15 et le 16 avril. Leighton Kille, CC BY

Le chantier qui s’annonce marque une nouvelle étape dans l’histoire des restaurations de Notre-Dame de Paris. Puisque des moyens financiers exceptionnels paraissent déjà réunis pour assurer les travaux sur l’édifice, espérons que l’analyse archéologique – indispensable pour appréhender la cathédrale dans la complexité de ses formes et de ses fonctions successives – puisse trouver une véritable place dans la séquence patrimoniale qui vient de s’ouvrir. La connaissance scientifique du monument, qui s’inscrit dans la continuité d’un enrichissement progressif des savoirs sur les cathédrales et les villes du Moyen Âge, demeure en effet la meilleure manière de porter un regard objectif sur son histoire et sur son devenir.

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