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Lorsque l’organisme est confronté à un pathogène qu’il a déjà combattu, il active des défenses immunitaires, sollicitées lors de la première attaque, qui sont restées en « mémoire » dans l’organisme. shutterstock

Notre système immunitaire a une « mémoire » qui peut aider à combattre la Covid-19. Mais que sait-on de ce phénomène ?

Alors que la course aux vaccins contre le nouveau coronavirus continue, les mécanismes relatifs à une immunité préexistante face au virus commencent à être dévoilés. En effet, de nombreuses études convergent vers l’existence d’une immunité croisée, qui résulterait d’une infection par d’autres types de coronavirus par le passé.

Qu’est-ce que l’immunité croisée et qu’implique ce phénomène dans l’évolution possible de la pandémie ?

En fin de parcours doctoral à l’Institut de Recherche en Immunologie et en Cancérologie (IRIC) et à la Faculté de Pharmacie de l’Université de Montréal, il me semble important de mettre en exergue les mécanismes sous-jacents à ce phénomène qui ont été identifiés à l’heure actuelle, et ceux qui sont à élucider.

La mémoire immunitaire

Différentes études scientifiques récemment publiées suggèrent que des individus n’ayant jamais été exposés au nouveau coronavirus SARS-CoV-2, déclenchent une réponse immunitaire face à ce virus et que cette réponse appartiendrait à la mémoire du système immunitaire.

Lorsque l’organisme est confronté à un pathogène qu’il a déjà combattu, il active des défenses immunitaires, sollicitées lors de la première attaque, et qu’il a conservées en « mémoire ». Ces défenses font partie de l’immunité adaptative et comptent parmi elles les lymphocytes T, globules blancs qui possèdent des molécules à leur surface leur permettant de reconnaître différents agents pathogènes.

Une étude a ainsi démontré que des lymphocytes T réagissent face à différentes séquences du nouveau coronavirus SARS-CoV-2, dans des échantillons de sang de patients collectés aux États-Unis entre 2015 et 2018 — donc avant l’apparition de ce virus. Elle révèle que les lymphocytes T réagissent dans 50 % des cas à une exposition au virus, et que cette réponse immunitaire est majoritairement imputée à des lymphocytes T spécifiques appelés auxiliaires. Ces derniers servent d’intermédiaires de la réponse immunitaire et prolifèrent pour activer d’autres types de cellules ayant une action plus directe sur le pathogène.

Une autre étude réalisée aux Pays-Bas sur des échantillons de dons de sang a détecté également une activation des lymphocytes T auxiliaires face au SARS-CoV-2 chez des patients n’ayant pas été exposés au virus. Néanmoins, la réponse immunitaire semble différente selon les séquences du virus présentées.

Trois autres études réalisées en Allemagne, à Singapour et en Angleterre montrent également une activation des lymphocytes T face au SARS-CoV-2.

L’immunité croisée

Pour que les lymphocytes T auxiliaires s’activent face au virus, il faudrait qu’ils aient déjà été confrontés à cet agent infectieux, ce qui est peu probable dans les études citées précédemment. Néanmoins, les individus auraient pu être infectés par des virus dont les séquences sont — au moins en partie — similaires au SARS-CoV-2, comme les coronavirus responsables des rhumes appelés HCoVs.


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Cette infection antérieure permettrait à des lymphocytes T de s’adapter pour lutter contre ces pathogènes et de rester en mémoire. Grâce aux séquences semblables de ces virus avec le SARS-CoV-2, les lymphocytes T pourraient alors reconnaître ce dernier et déclencher une réponse immunitaire lors d’une infection. Ce phénomène est celui de l’immunité croisée, hypothèse actuellement privilégiée pour expliquer l’activation des lymphocytes T face au nouveau coronavirus dans les études précédentes.

Une réponse plus rapide

Différentes spéculations ont été faites sur les conséquences d’une immunité croisée face au virus de la Covid-19. L’une d’entre elles serait une réponse immunitaire plus rapide et plus forte contre le virus et donc une diminution de la sévérité de la maladie chez ces individus. De plus, les personnes avec une grande quantité de lymphocytes T auxiliaires mémoires préexistants, impliqués dans le développement d’anticorps neutralisants, pourraient voir leur production d’anticorps dirigés contre le virus facilitée.

En parallèle, la présence de ces lymphocytes pourrait également influencer le processus de vaccination. Une réponse immunitaire plus forte et accélérée pourrait être observée, notamment à travers le développement des anticorps contre le virus. Néanmoins, la présence de ces lymphocytes T pourrait également être un facteur confondant dans les essais cliniques, car les réponses immunitaires des patients aux vaccins candidats pourraient différer selon leur exposition antérieure aux autres virus.

« S’il y a dans un essai clinique beaucoup plus de gens protégés par les TCDA [lymphocytes T auxiliaires] générés par les coronavirus du rhume, on pourrait penser erronément qu’un vaccin fonctionne alors que ce n’est pas le cas » expliquait en juillet dans cet article de La Presse, le Dr Alessandro Sette, biologiste californien qui a publié l’une des premières preuves de l’immunité croisée en mai.

Ce biais pourrait tout de même être limité en mesurant l’immunité préexistante dans tous les essais cliniques qui débutent.

Des effets néfastes existent

Une immunité préexistante pourrait également s’avérer néfaste dans le cas où l’organisme limite sa réponse immunitaire en raison d’une reconnaissance du pathogène. En outre, un phénomène appelé « facilitation de l’infection par des anticorps » pourrait également survenir. Dans un tel cas, le virus se « masque » en se liant à une partie non neutralisante des anticorps, ce qui lui permet alors d’infecter des cellules qui ne le reconnaissent pas et de faciliter l’infection au sein de l’organisme.

Dans le cas de la grippe H1N1, survenue en 2009, l’immunité croisée a été bénéfique. Des patients âgés ont montré une meilleure réponse immunitaire face au virus que de jeunes adultes. Ce phénomène a été expliqué par la circulation d’une souche similaire de H1N1 des décennies plus tôt, contractée par les personnes plus âgées et qui leur aurait fourni une immunité croisée.

D’autres études nécessaires

Dans le cas de la pandémie actuelle, les jeunes semblent moins affectés que les personnes âgées par la Covid-19. Les raisons expliquant ce phénomène demeurent inconnues.

Selon le Dr Alessandro Sette, l’hypothèse de l’immunité croisée soulève de nombreuses questions et « la seule manière de [confirmer qu’une immunité croisée basée sur les lymphocytes T auxiliaires existe] serait une étude prospective où on évalue la présence de ces lymphocytes réagissant aux coronavirus du rhume chez des patients n’ayant jamais été infectés par le SARS-CoV-2. Ensuite, on les suivrait et on verrait leur risque d’être infectés par le SARS-CoV-2 et la gravité de leur maladie. » Cependant, une telle étude serait compliquée à cause de multiples facteurs confondants.

Il semble donc clair qu’une réponse immunitaire préexistante contre le SARS-CoV-2, à un certain degré, existe chez une partie de la population. L’hypothèse privilégiée — non prouvée à ce jour — est que cette immunité est due à une immunité croisée résultant d’une infection préalable par des coronavirus causant le rhume. Cette immunité croisée pourrait avoir des conséquences sur la sévérité de la maladie, l’immunité collective et le développement d’un vaccin. Des recherches scientifiques plus poussées s’avèrent donc nécessaires pour comprendre ces mécanismes.

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