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Nouveau guide alimentaire: mangez moins, mieux, en bonne compagnie… et savourez!

Le nouveau Guide alimentaire canadien publié en début d’année a fait réagir avant même sa publication, et bien après. Mais au-delà des discussions sur le contenu de notre assiette, deux aspects du guide sont particulièrement intéressants : l’importance de nos habitudes alimentaires et la recommandation de cuisiner plus souvent.

Ces deux thèmes ancrés dans les sciences humaines et sociales offrent de belles perspectives de recherche, compte tenu du peu de données que nous avons sur le sujet au Canada.

Pour prendre conscience de nos habitudes, le Guide invite les Canadiens à créer un environnement favorable à la saine alimentation ou à y apporter des changements afin de faire de meilleurs choix alimentaires. On réfère ici aux espaces physiques sur lesquels on peut exercer une certaine influence.

La recherche abordant les environnements physiques privés des mangeurs est bien peu développée. Nous en connaissons peu sur l’influence des espaces réservés à la préparation et au rangement des aliments à domicile de même que sur les contenus alimentaires apportés dans les espaces de travail. D'un autre côté, la recherche en lien avec le gaspillage alimentaire explose pour cette même sphère.

Pour créer des environnements favorables à une saine alimentation, les efforts en santé publique ont porté, avec justesse, sur l’importance d’actions structurantes incluant des politiques publiques, des lois et règlements, des changements organisationnels, des mesures financières incitatives et dissuasives, du marketing social, des plaidoyers publics et des programmes communautaires.

Où mange-t-on, comment et pourquoi?

Aborder les environnements cachés ou privés où l'on cuisine et mange reste intrusif. Grâce à la photographie, nous pouvons observer les différents environnements et habitudes alimentaires au quotidien. C'est ce qu'une étudiante et moi avons réalisé dans cette étude. Nous avons notamment observé les cuisines, frigos et coins repas d'hommes célibataires.

Intérieur du frigo d'un homme célibataire. Grâce à la photographie, nous pouvons observer les différents environnements et habitudes alimentaires au quotidien. Marie Marquis, Author provided

De la même façon, l’étude des catalogues de détaillants tels que IKEA est certainement d’intérêt. Ces commerçants valorisent les espaces de cuisines comme des milieux de vie, perméables aux autres espaces, ne se limitant pas aux repas mais ouverts à des moments de socialisation, de création et de plaisir. Ce phénomène est-il le reflet ou le prescripteur de nos comportements liés à l’alimentation? Chose certaine, il gagnerait à être mieux étudié.

Modèle de cuisine Ikea: comme plusieurs détaillants, Ikea valorise les espaces de cuisines comme des milieux de vie, perméables aux autres espaces, ne se limitant pas aux repas mais ouverts à des moments de socialisation, de création et de plaisir. Shutterstock

Le Guide nous invite aussi à prendre conscience de nos habitudes en tentant de répondre aux questions suivantes, lors des repas et des collations : pouvez-vous décrire la façon dont vous avez mangé? La raison pour laquelle vous avez mangé? La quantité, le contenu, le moment et l'endroit où vous avez mangé?

Certaines de ces questions sont bien connues des nutritionnistes. Elles se rapprochent de la sociologie de l’alimentation.

Une question de culture

Jean-Pierre Poulain, professeur de sociologie à l’Université Toulouse Jean-Jaurès, propose l’étude des repas ou des collations selon six descripteurs, qui permettent d'aborder l’alimentation au sein d’une même culture et de comparer différentes cultures entre elles.

Il les résume ainsi : la dimension temporelle (quand?), structurelle (ex. repas avec ou sans dessert), spatiale (où?), le choix, l’environnement social et la position corporelle. Eh oui, nous mangeons certes en position assise mais aussi en marchant et quelques fois en position allongée! En nutrition, la complexité de cette approche est que le Canada rassemble de multiples cultures et que plusieurs segments de population se retrouvent au sein d’une même culture (âge, profil socio-économique, profil de santé), multipliant ainsi l’étude des comportements alimentaires.

Mais nous manquons de données brutes. Des organismes ont amorcé des études sur les choix alimentaires dans différentes cultures à partir de données recueillies auprès de leurs clientèles, notamment le Dispensaire Diététique de Montréal et la Fondation OLO. Ces initiatives sont inspirantes et méritent d’être bonifiées par d'autres auprès de ces populations.

Inspirée de la sociologie, l’étude des comportements alimentaires permet de comprendre les choix alimentaires de certains groupes en révélant quelques fois des surprises. Ainsi l’étude des motivations alimentaires d’étudiants universitaires a confirmé l’influence de l’habitat (en résidence, chez les parents, en appartement), des comportements alimentaires moins contrôlés (comme le grignotage lié au stress), des préoccupations liées au poids et des préoccupations financières, lesquelles sont peu documentées.

Des étudiants et l'un de leur plat favori: la pizza. L’étude de leurs comportements alimentaires est un terrain de recherche facilement accessible pour les chercheurs, mais, curieusement, il a souvent été oublié. Shutterstock

L’étude des comportements alimentaires des étudiants universitaires est un terrain de recherche facilement accessible pour les chercheurs, mais, curieusement, il a souvent été oublié. Elle peut mener au développement d'outils répondant à leurs préoccupations comme le livre numérique Viens Manger ! Trucs et recettes rusés leur étant destiné.

Cuisine de corvée ou de passion

Concernant la recommandation de cuisiner plus souvent, les avantages sont connus et mis de l’avant : saines habitudes alimentaires, apprentissage de nouvelles compétences, contrôle des ingrédients (le sel, par exemple), choix des ingrédients (grains entiers), réduction des aliments ultra transformés, plaisir en famille, économie. Les données probantes sous-jacentes à ces bénéfices nous obligent à questionner ce que cuisiner veut dire. Il s’agit d’une variable très complexe intégrée au concept de la littératie culinaire et allant bien au-delà de savoir manier le couteau.

L'acte de cuisiner ouvre sur de vastes perspectives de recherche en particulier sur la définition des compétences nécessaires pour cuisiner, sur le sens donné au terme et sur la réalité des familles canadiennes invitées à le faire davantage. Le défi est certainement d’aborder ce sujet sans culpabiliser les ménages et sans détourner l’attention de l’importance des politiques publiques pour aider ces familles à acquérir de meilleures habitudes alimentaires.

Dans son livre Casseroles, amour et crises: ce que cuisiner veut dire, l'auteur Jean-Claude Kaufmamn fait une distinction importante entre la cuisine de semaine, qu'il qualifie de corvée, et la cuisine de fin de semaine, dite de passion. En ajout à cette nuance importante, j’aime bien proposer la lecture de cet article qui, habilement, nous transporte dans le quotidien de familles vulnérables pour qui le moment du repas n’est certainement pas associé au Joy of Cooking.

Ces nouvelles recommandations et le discours de valorisation de la cuisine maison, qui exige des compétences, de l’efficacité, du temps et de la planification, peuvent devenir une source de stress supplémentaire chez les parents et en particulier chez les mères.

Les hommes aux fourneaux

Au Canada, l’Enquête sociale générale de 2015 sur l’emploi du temps a montré que dans les familles comptant au moins un enfant, la participation des hommes à la préparation des repas est la tâche qui a connu la hausse la plus forte, passant de 29% en 1986 à 59% en 2015. Cependant, des inégalités sont toujours présentes.

Bien que les hommes cuisinent davantage en famille, ils y consacrent près de deux fois moins de temps que les femmes. Shutterstock

Ainsi, toujours selon cette étude, bien que les hommes cuisinent davantage, ils y consacrent près de deux fois moins de temps que les femmes.

Le Guide alimentaire n’a pas fini d’être commenté, étudié et revu. De l'effet des environnements sur nos choix alimentaires à l'étude de l’acte de manger selon les cultures et les groupes de population, en passant par l'étude du sens donné au mot cuisiner, voilà autant de sujets à explorer. D'ici là, les conseils du Guide demeurent pertinents : mangez varié, mangez moins, mangez local, mangez à table, mangez en bonne compagnie… et savourez !

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