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Nouvelles pratiques de communication, nouvelles pratiques de socialisation

Exercice de communication. Paul Shanks / Flickr, CC BY-NC

Comment se noue le lien social ? Quels rôles y jouent les pratiques de communication ? Les smartphones, les SMS, les réseaux sociaux numériques, etc. modifient-ils le vivre ensemble ? Nouer le lien social, ouvrage collectif publié cette semaine répond à ces questions.

Une équipe sur plusieurs terrains

Ces questions sont l’objet de la recherche collective « Nouer le lien social, pratiques de communication et lien social ». Pour répondre à ces questions une équipe clermontoise composée de chercheurs en Sciences de l’information et de la communication et en Civilisations étrangères (Civilisation espagnole, germanique, anglo-saxonne) a étudié des terrains variés et complémentaires : les gestes, les vêtements, les comportements lors de cérémonies religieuses ou rituelles (Agnès Bernard, Cécilia Brassier-Rodrigues, Olivia Salmon-Monviola), la place des mails, des jeux vidéo, des SMS au sein des couples (Sophie Demonceaux), l’importance du temps dans la gestion des relations humaines (Bernard cahier), de la langue dans les couples biculturels (Dana Martin), des réseaux sociaux numériques pour le maintien de liens des communautés ethniques (Souâd Touhami) ; mais aussi la dimension symbolique des liens sociaux véhiculés dans le mouvement d’open data (Mohammed-Salah Abaïdi, Julien Guillaumond) et de journalisme de données (Pergia Gkouskou-Giannakou), dans les bandes dessinées (Éric Dacheux, Rocio Prado-Sanchez), les chansons (Renaud Dumont).

Communication et lien social

Au total, les pratiques de communication éclairent la construction du lien social de trois façons différentes : elles renforcent, en premier lieu, les logiques sociales existantes. Ainsi de la logique de régulation des activités humaines : la représentation d’un temps chronométré, maîtrisé, permet la coordination efficace des relations interindividuelles.

Ainsi des pratiques ritualisées de groupes sociaux constitués tels que les groupes catholiques ou francs-maçons. Ces groupes se caractérisent par des valeurs, des rites, des symboles qui leurs sont spécifiques. Or, d’un point de vue sociologique, à quoi servent les rites pour les groupes sociaux ? En interne, les rites permettent au groupe de se reproduire et à ses membres de s’y intégrer. Ils favorisent la perpétuation des traditions. En externe, les rites servent, à l’inverse, à se reconnaître entre soi et à se distinguer des autres, en particulier des groupes sociaux concurrents (Ibid.).

Communication symbolique (gangs américains). Christopher Harley / Flickr, CC BY

Comme l’ont finement observées Agnès Bernard, Cécilia Brassier-Rodrigues et Olivia Salmon-Monviola, ces rituels passent notamment par une communication symbolique. Mais aussi une communication non verbale que seuls les francs-maçons ou les pèlerins initiés peuvent réellement décoder. Se conformer à ces rites permet aux membres de ces groupes de coopérer avec les autres. Autrement dit, dans le cas de pratiques très ritualisées, les codes vestimentaires, gestuels et toutes les formes de communication non verbales servent à renforcer, là encore, des logiques sociales existantes. À savoir, ici, pérenniser les traditions du groupe et se distinguer des groupes extérieurs.

Ainsi, les pratiques de communication non verbales ritualisées ou la gestion normée du temps ont pour effet de renforcer les logiques sociales existantes : logiques de sociabilité, de réseaux, d’organisations sociales

Les liens sociaux interculturels

Les pratiques de communication étudiées confirment, en deuxième lieu, les difficultés inhérentes à la construction de liens sociaux aussi riches mais complexes que sont les liens interculturels. En effet, l’une des complexités relatives aux liens sociaux interculturels tient à leur caractère multidimensionnel. Toute interaction entre individus de cultures différentes (un Européen avec un Asiatique, un grand bourgeois avec un ouvrier) met en jeu des différences en termes d’attentes de comportements et d’interprétation des gestes de l’autre.

Gestes et communication interculturelle. Harley Pebley/Flickr, CC BY

Autant de dimensions qui ne se réduisent pas à l’acquisition d’une langue étrangère mais à la compréhension de gestes, d’attentes en matière de politesse, de courtoisie, etc.. Autant de dimensions d’une interaction complexe, difficiles à illustrer et faire passer dans les œuvres médiatiques et culturelles. C’est vrai en particulier des BD dont le mode d’écriture encourage une autonomie de lecture entre chaque case laissée aux lecteurs. Mais c’est vrai, de manière générale, de toutes les productions contraintes par les logiques d’industrialisation de la culture.

Dans le cas d’images façonnées pour être comprises et pour plaire immédiatement (affiches de pièces de théâtre, couvertures de best-sellers littéraires, pochettes de tubes musicaux), notre œil est prédisposé à lire ces images comme des représentations visuelles volontairement codées. Qu’il accepte ou non ces clichés, le lecteur sait que – dans la majorité des cas – il doit lire ces images de manière stéréotypée. C’est la raison pour laquelle les œuvres contraintes par les logiques d’efficacité sémiologique et économique ne sont pas les meilleurs supports d’une représentation nuancée mais plus complexe du vivre ensemble pluriculturel.

Les liens sociaux numériques

Les pratiques de communication numériques révèlent et impactent, en troisième lieu, le mouvement d’individualisation de la société. Les technologies d’information communication numériques rendent possible une connexion permanente ****, en tout temps, en tout lieu et dans n’importe quelle situation. Quelles sont les conséquences, pour le vivre ensemble, de cette connexion (potentiellement) permanente de chacun à ses différents cercles relationnels ?

ab d c o. Jean-François Gornet/Flickr, CC BY-SA

Pour les couples, il a été constaté dès le début que l’achat du portable permettait de renforcer les liens conjugaux, y compris – de manière contre-intuitive – pour les couples dits individualisés. Mais, aujourd’hui, l’inverse est tout aussi vrai. C’est ce que constate Sophie Demonceaux. Quand les technologies d’information communication s’immiscent dans les foyers ce n’est alors plus pour rapprocher des conjoints physiquement éloignés. C’est – parfois – pour séparer des conjoints physiquement présents.

Il faut, bien sûr, penser à l’immixtion des mails professionnels dans les moments privés (les impératifs professionnels pouvant durer jusqu’à tard le soir !) mais pas seulement. Suivant les types de couples (les couples plus ouverts sur l’extérieur versus les couples centrés sur eux-mêmes, etc.), il faut, désormais, aussi penser à l’envoi de SMS à ses amis propres ou à ses collègues depuis sa cuisine.

Le domicile n’est alors plus réservé aux liens de couples. Il est le lieu d’où débutent des tchats avec des inconnus parce qu’on s’ennuie dans sa vie réelle. À distance, les nouvelles technologies de communication servent au maintien des liens familiaux (ou même) professionnels. Sur place, elles jouent le rôle de « perturbateurs de liens ». Comment interpréter cette évolution à la fois plus apparente, renforcée et modifiée par les technologies d’information communication ?

L’usage du portable offre un espace d’épanouissement, voire de liberté relationnelle (puisque non contraint par la situation) tout aussi incontestable. De telle sorte qu’il est possible de voir dans ces nouvelles pratiques relationnelles la montée d’un vivre ensemble tissé à partir de liens sociaux individuels. Ainsi, les nouvelles pratiques de communication mobiles contribuent à la reconfiguration d’un vivre ensemble en favorisant un maillage individualisé.

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