tag:theconversation.com,2011:/nz/topics/afrique-de-louest-56363/articlesAfrique de l’Ouest – The Conversation2024-03-21T15:42:15Ztag:theconversation.com,2011:article/2235792024-03-21T15:42:15Z2024-03-21T15:42:15ZVIH : et si les drones servaient aussi à sauver des vies ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/582475/original/file-20240318-20-cmdd44.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En Guinée, à Conakry, le projet AIRPOP évalue le coût/efficacité et l’acceptabilité du transport de prélèvements sanguins par drone pour améliorer le dépistage précoce du VIH chez les nouveau-nés.</span> <span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Drones de loisir utilisés <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/lukraine-a-achete-2-000-drones-chinois-pour-mettre-la-pression-sur-larmee-russe-1481930">comme arme et moyen d’espionnage en Ukraine</a>, pour <a href="https://www.slate.fr/story/163724/chine-oiseaux-bioniques-drone-robotiques-espionner-citoyens">surveiller les populations en Chine</a>, dans le but, un jour, d’être employés <a href="https://www.slate.fr/story/228829/des-drones-equipes-de-taser-pourraient-un-jour-surveiller-les-ecoles-americaines">comme tasers volants pour sécuriser les écoles aux États-Unis</a>, et même d’ores et déjà <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/10/09/le-fleau-de-la-livraison-par-drone-dans-les-prisons_6193221_3224.html">pour la livraison de drogues et d’armes dans les centres de détention en France</a>…</p>
<h2>Des livraisons commerciales par drones en plein essor</h2>
<p>Derrière ces usages répressifs ou illicites, largement médiatisés, l’usage des drones de loisir, initialement destinés aux prises de vues aériennes, s’est largement développé dans l’industrie et l’agriculture notamment. De fait, leur utilisation pour les livraisons commerciales est en plein essor.</p>
<p>Motivé par leur rapidité et leur faible impact carbone, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/36033593/">dix fois inférieurs à celui des livraisons par voie routière</a>, Amazon, le géant de la livraison, a d’ailleurs largement investi dans les drones en créant sa filiale Amazon Prime Air. Celle-ci <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/01/06/amazon-croit-toujours-a-la-livraison-par-drone-malgre-les-obstacles_6156919_3234.html">projette plus de 500 millions de livraisons annuelles d’ici 2030</a>. Une nouvelle paire de baskets livrée à domicile 30 minutes après une commande sur Internet est un « rêve » bientôt accessible.</p>
<h2>Des programmes pour acheminer en urgence médicaments ou poches de sang</h2>
<p>En matière de livraison, les drones peuvent aussi avoir une utilité plus essentielle, par exemple dans le secteur de la santé, où ils commencent à être utilisés dans certains pays pour l’acheminement en urgence de médicaments ou de poches de sang destinés à des transfusions.</p>
<p>Ainsi, au Rwanda, Zipline, une start-up américaine, réalise 80 % des livraisons des poches de sang grâce aux drones. La solution proposée par Zipline présente cependant des limites. Son coût élevé, le rayon d’action limité des drones à 80 km et son infrastructure lourde avec des rampes de lancement expliquent le fait que pour le moment, elle soit surtout utilisée en zone rurale, dans des pays de petite superficie caractérisés par une forte densité de populations et des ressources financières suffisantes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Au Rwanda, Zipline, une start-up américaine, réalise 80 % de ses livraisons de poches de sang par drones.</span></figcaption>
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<h2>En Afrique de l’Ouest, le drone pour améliorer le dépistage précoce du VIH chez les nouveau-nés</h2>
<p>En Afrique de l’Ouest et du Centre, la densité de population en zone rurale est faible, les superficies des pays élevées et les ressources financières limitées. Pourtant, les besoins de santé sont également importants et les drones pourraient contribuer à améliorer l’accès aux soins.</p>
<p>Ils pourraient notamment être utilisés pour améliorer l’accès au dépistage précoce du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/vih-46821">VIH</a> chez les enfants nés de mères vivant avec le VIH, dont le risque de mortalité est particulièrement élevé dans les deux premiers mois de vie, en l’absence de traitement.</p>
<p>Compte tenu des appareils de laboratoire nécessaires pour ce diagnostic, le diagnostic précoce des nouveau-nés n’est réalisé que dans quelques laboratoires urbains. Lorsque les femmes vivant avec le VIH accouchent dans des formations sanitaires qui ne disposent pas de ces équipements, les prélèvements doivent être acheminés vers ces laboratoires de référence.</p>
<p>Or, les systèmes de transport par voie routière sont lents et peu fonctionnels en raison des nombreux embouteillages en zone urbaine et du mauvais état, voire de l’absence d’infrastructures routières en zone rurale. Les résultats sont souvent rendus tardivement. Les nouveau-nés infectés par le VIH sont donc rarement traités à temps, c’est-à-dire dans leurs premiers mois de vie, <a href="https://journals.lww.com/aidsonline/fulltext/2009/01020/emergence_of_a_peak_in_early_infant_mortality_due.14.aspx">ce qui les expose à un risque important de décès</a>.</p>
<h2>En Guinée, un projet mené par des chercheurs guinéens, européens et une ONG</h2>
<p>En Guinée, <a href="https://www.unaids.org/sites/default/files/media_asset/data-book-2022_en.pdf#page=99">seul un tiers des nouveau-nés dont la mère vit avec le VIH bénéficient d’un diagnostic</a>. Parmi ceux chez qui le VIH a été diagnostiqué, on estime que moins de la moitié seraient traités à temps, d’après des données nationales non publiées.</p>
<p>Conakry, sa capitale, est tristement réputée pour ses embouteillages où un déplacement de quelques kilomètres peut parfois prendre plusieurs heures. À l’instar de nombreuses métropoles d’Afrique de l’Ouest, cette capitale a connu une expansion urbaine rapide liée à un exode rural important au cours des dernières décennies.</p>
<p>C’est coincée dans un de ces fameux embouteillages à Conakry, regardant une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=w_foIhQT2X8">vidéo</a> d’un drone livrant des burgers et des bières à Reykjavik en Islande, qu’une équipe de Solthis, ONG qui travaille depuis 20 ans pour l’amélioration de la santé en Afrique de l’Ouest, a eu l’idée d’utiliser des drones pour un usage plus utile que le commerce de la junk food.</p>
<p>Il s’agissait d’utiliser des drones pour transporter en urgence des prélèvements sanguins et ainsi permettre de diagnostiquer et traiter les 1 400 enfants qui naissent chaque année avec le VIH en Guinée. En 2020, Sothis a développé le projet AIRPOP.</p>
<p>Mis en œuvre en partenariat avec des chercheurs guinéens, des responsables du programme de lutte contre le VIH, des chercheurs en anthropologie de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et, en modélisation, de la Lincoln International Institute for Rural Health et avec le soutien de l’Agence nationale de recherche sur le sida, les hépatites virales et les maladies infectieuses émergentes (ANRS MIE), le projet AIRPOP, a cherché à évaluer le coût/efficacité et l’acceptabilité d’un transport des prélèvements par drone.</p>
<h2>Une solution coût-efficace en nombre de vies sauvées, d’après les premiers tests</h2>
<p>L’enjeu était de tester une solution, acceptable par la population et finançable dans les pays à ressources limitées. Le projet a comparé l’efficacité et le coût d’un transport par drone avec un transport par moto et le système actuel par voiture.</p>
<p>La modélisation a montré que le <a href="https://gh.bmj.com/content/8/11/e012522.long">drone est une solution coût-efficace en termes de nombre de vies sauvées</a>, malgré des coûts d’investissement et d’entretien supérieurs à celui des motos ou des voitures, pour un pays à ressources limitées comme la Guinée.</p>
<p>En parallèle, des vols de drones automatisés ont été effectués entre deux structures de santé pour tester la faisabilité en contexte urbain et une étude anthropologique a analysé les perceptions des acteurs concernés. D’une manière générale, les drones bénéficient d’une perception plutôt positive dans un contexte récent de troubles politiques où ces appareils ont été utilisés par des journalistes et des partis de l’opposition pour attester de l’ampleur de manifestations.</p>
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<p>Néanmoins, diverses craintes, comme celle d’un détournement par des groupes terroristes, suscitent des inquiétudes et soulignent la nécessité d’une information claire des populations. Nos travaux sur la question seront prochainement publiés.</p>
<p>Pour autant, les résultats encourageants du test suscitent l’intérêt des autorités de santé du pays et créent les conditions favorables pour poursuivre les recherches nécessaires au déploiement par le pays de cette innovation sur l’ensemble du territoire.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le projet AIRPOP mené en Guinée a comparé l’efficacité et le coût d’un transport de prélèvements sanguins par drone avec un transport par moto et le système actuel par voiture.</span></figcaption>
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<h2>Mutualiser aussi les drones pour le transport des poches de sang lors de l’accouchement</h2>
<p>Après cette première phase test, AIRPOP2 évaluera l’utilisation des drones à Conakry et en zone rurale avec l’ambition de proposer cette stratégie à l’échelle du pays pour permettre de dépister et de traiter les 1 400 enfants qui naissent avec le VIH chaque année. Elle explorera également l’intérêt de la mutualisation des drones pour les transports urgents d’autres produits de santé, notamment les poches de sang pour les femmes ayant des hémorragies lors de l’accouchement, première cause de décès maternels en Afrique.</p>
<p>Bien que les fabricants de drones soient pour l’instant principalement basés dans les pays les plus riches, la simplicité des techniques de fabrication et les moyens déjà investis pour améliorer la performance des drones, nous laissent penser que dans un futur proche, des fabricants pourraient émerger en Afrique de l’Ouest.</p>
<p>Cela ne ferait qu’améliorer le coût-efficacité de cette solution et simplifierait la maintenance. Osons imaginer, qu’aux yeux des investisseurs, sauver des vies humaines pourrait constituer un enjeu aussi important que celui de livrer en urgence, des burgers et des baskets, aux quatre coins du monde.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été co-écrit par : Guillaume Breton, Maxime Inghels, Oumou Hawa Diallo, Mohamed Cissé, Youssouf Koita et Gabrièle Laborde-Balen.</em></p>
<p><em>Ont participé à cette étude : (1) Solthis, Paris, France ; (2) Lincoln International Institute for Rural Health, University of Lincoln, Lincoln, Royaume-Uni ; (3) Solthis, Conakry, Guinée ; (4) Service de Dermatologie, Centre de Traitement Ambulatoire, Laboratoire de Biologie Moléculaire, CHU Donka, Conakry, Guinée ; (5) Programme National de Lutte contre le VIH sida et les Hépatites (PNLSH), Conakry, Guinée ; (6) TransVIHMI, Université de Montpellier, Inserm, Institut de Recherche pour le Développement, Montpellier, France.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223579/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Breton est salarié de Solthis.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Oumou Hawa Diallo est salariée de Solthis.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Gabriele Laborde-Balen, Maxime Inghels et Mohammed Cissé ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Les drones peuvent avoir une utilité autre que commerciale ou militaire. Ainsi, en Guinée, des chercheurs et une ONG testent leur efficacité pour le dépistage précoce du VIH chez les nouveau-nés.Guillaume Breton, Médecin infectiologue. Référent pathologies infectieuses et recherche de l'ONG Solthis. Médecin attaché service de maladies infectieuses, Hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris, Sorbonne UniversitéGabriele Laborde-Balen, Anthropologue, Centre Régional de Recherche et de Formation à la prise en charge Clinique de Fann (CRCF, Dakar), Institut de recherche pour le développement (IRD)Maxime Inghels, Research Fellow, University of Lincoln, Université Paris CitéMohammed Cissé, Médecin dermatologue. Doyen de la Faculté de Médecine de l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry, Guinée, Université Gamal Abdel Nasser de Conakry (UGANC)Oumou Hawa Diallo, Médecin pneumologue. Hôpital Ignace Deen Conakry, Guinée, Université Gamal Abdel Nasser de Conakry (UGANC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2235072024-02-29T16:21:21Z2024-02-29T16:21:21ZL’Alliance des États du Sahel : un projet confédéraliste en questions<p>Dans un contexte régional ouest-africain chaotique, trois pays dirigés par des juntes militaires ont décidé, le 16 septembre 2023, de créer une <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/12/14/l-alliance-des-etats-du-sahel-pari-securitaire-et-acte-de-defiance-diplomatique_6205820_3212.html">l’Alliance des États du Sahel</a> (AES), qui doit aboutir à la mise en place ultérieure d’une <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20240215-burkina-mali-niger-les-ministres-en-l-aes-r%C3%A9unis-%C3%A0-ouagadougou-en-vue-de-cr%C3%A9er-une-conf%C3%A9d%C3%A9ration">confédération</a>.</p>
<p>Il s’agissait de répondre à l’hostilité générale des États voisins (et de <a href="https://theconversation.com/reconnaissance-des-gouvernements-de-transition-en-afrique-de-louest-que-dit-le-droit-international-219925">la communauté internationale</a>) face à la succession de coups d’État qui avait marqué la sous-région. Ainsi se dessinait sur la carte une nouvelle entité territoriale regroupant à l’intérieur d’une seule frontière le Mali, le Burkina Faso et le Niger.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/578059/original/file-20240226-26-4z957n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/578059/original/file-20240226-26-4z957n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578059/original/file-20240226-26-4z957n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=588&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578059/original/file-20240226-26-4z957n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=588&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578059/original/file-20240226-26-4z957n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=588&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578059/original/file-20240226-26-4z957n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=739&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578059/original/file-20240226-26-4z957n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=739&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578059/original/file-20240226-26-4z957n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=739&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’Alliance des États du Sahel (AES) en 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Précédents historiques</h2>
<p>Ce redécoupage géographique a remis en mémoire d’autres tentatives plus anciennes. On pense d’abord, avant les décolonisations, au projet de l’OCRS (Organisation commune des Régions sahariennes) qui avait été mis en place par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000692685">loi du 10 janvier 1957</a> sur les parties sahariennes de l’Algérie, du Niger, du Soudan français (actuel Mali) et du Tchad. Il s’agissait de reconnaître la spécificité de ces régions, majoritairement peuplées de nomades irrédentistes, qui avaient appuyé l’initiative du gouvernement français par une pétition datée du 30 octobre 1957 exigeant de ne pas être placés « sous une autorité émanant du Maghreb ou de l’Afrique noire ».</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/578058/original/file-20240226-16-x10xtu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/578058/original/file-20240226-16-x10xtu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578058/original/file-20240226-16-x10xtu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=559&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578058/original/file-20240226-16-x10xtu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=559&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578058/original/file-20240226-16-x10xtu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=559&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578058/original/file-20240226-16-x10xtu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=702&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578058/original/file-20240226-16-x10xtu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=702&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578058/original/file-20240226-16-x10xtu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=702&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’Organisation commune des Régions sahariennes (OCRS) en 1958.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Cette lettre, signée par plus de 300 notables issus pour la plupart de la région de Tombouctou, avait ensuite été transmise le 30 mai 1958 au général de Gaulle, qui avait validé l’idée de l’OCRS, mais n’avait pas pu la maintenir au-delà des accords d’Évian reconnaissant l’indépendance de l’Algérie. Il est vrai que la circonscription ainsi dessinée enfermait l’essentiel des ressources pétrolières et gazières du Sahara…</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/578060/original/file-20240226-22-fz63x4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/578060/original/file-20240226-22-fz63x4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578060/original/file-20240226-22-fz63x4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=562&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578060/original/file-20240226-22-fz63x4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=562&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578060/original/file-20240226-22-fz63x4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=562&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578060/original/file-20240226-22-fz63x4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=706&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578060/original/file-20240226-22-fz63x4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=706&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578060/original/file-20240226-22-fz63x4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=706&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La Fédération du Mali en 1959.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les tâtonnements en matière de délimitations territoriales allaient se poursuivre à la faveur des indépendances, lorsque les partisans du fédéralisme – panafricanistes avant l’heure ? – décidèrent de regrouper le Soudan français (actuel Mali), la Haute-Volta (actuel Burkina Faso), le Dahomey (actuel Bénin) et le Sénégal dans une éphémère <a href="https://fresques.ina.fr/independances/fiche-media/Indepe00101/la-federation-du-mali-un-projet-politique-original.html">Fédération du Mali</a>, dont l’assemblée constituante se tint le 14 janvier 1959. Mais l’adhésion du Dahomey et de la Haute-Volta ne dura que quelques jours, et les deux autres États partenaires se séparèrent en septembre 1960.</p>
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<p>En remontant encore dans le temps, les cartes nous livrent les contours de l’Empire du Mali lors de son apogée au XIV<sup>e</sup> siècle, mais le dessin des limites est naturellement incertain car la notion de « frontière » était inconnue dans ces espaces très vastes et très peu peuplés.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/578063/original/file-20240226-24-fs02g7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/578063/original/file-20240226-24-fs02g7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578063/original/file-20240226-24-fs02g7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=603&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578063/original/file-20240226-24-fs02g7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=603&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578063/original/file-20240226-24-fs02g7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=603&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578063/original/file-20240226-24-fs02g7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=758&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578063/original/file-20240226-24-fs02g7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=758&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578063/original/file-20240226-24-fs02g7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=758&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Autant dire que les cartographes ont été à l’épreuve tout au long des siècles, et que la dernière représentation graphique en date, issue de la décision de septembre 2023, remet en lumière des questions de géographie politique apparemment jamais tranchées.</p>
<h2>Comment gérer un territoire immense</h2>
<p>L’une des interrogations porte sur la taille de ce nouveau territoire. L’AES couvre 2 780 000 km<sup>2</sup>, alors que la Fédération du Mali ne s’étendait que sur 1 825 000 km<sup>2</sup>. Or cette entité imaginée à la fin des années 1950 était vite apparue comme ingouvernable du fait de son immensité. Aujourd’hui, malgré les progrès de circulation (des hommes et des informations), il existe en Afrique plusieurs pays qui souffrent de leur gigantisme, qui constitue un frein au déploiement d’un maillage administratif suffisamment dense et bien connecté au pouvoir central : la RD Congo, le Soudan, même amputé de sa partie sud, le Mali, le Niger et le Tchad.</p>
<p>On a sans doute perdu de vue que le Tchad avait aussi connu de sérieux problèmes de maîtrise territoriale dès le lendemain de son indépendance (11 août 1960). Le gouvernement du président Tombalbaye avait dû se résoudre à confier le poste de préfet de l’immense région saharienne du nord (le BET – Borkou, Ennedi, Tibesti –, près de 600 000 km<sup>2</sup>) à un colonel méhariste français, familier de ces grands espaces et encore respecté par ses anciens administrés. Jean Chapelle avait été maintenu dans ses fonctions à Faya-Largeau jusqu’en 1963.</p>
<p>Pour autant, le Tchad n’en avait pas fini avec les difficultés liées au contrôle de son territoire. Face aux multiples soulèvements populaires ici et là, le président Tombalbaye avait dû accepter en 1969 la proposition du général de Gaulle de déployer dans les zones instables une <a href="https://archivesdiplomatiques.diplomatie.gouv.fr/ark:/14366/s3hkw2b9vlx6">Mission de Réorganisation administrative</a> (MRA) confiée à d’anciens administrateurs coloniaux français qui avaient alors, pour certains d’entre eux, retrouvé leurs anciennes fonctions. Ils étaient appuyés par plusieurs centaines de militaires français chargés de rétablir et de maintenir l’ordre. La MRA avait été brutalement interrompue lors de l’enlèvement en 1974 de l’achéologue <a href="https://www.liberation.fr/societe/2006/09/05/francoise-claustre-la-prisonniere-du-desert-est-morte_4975/">Françoise Claustre</a> par Hissène Habré (ancien stagiaire du colonel Chapelle à la préfecture de Faya-Largeau), car le patron de la MRA était son mari, Pierre Claustre.</p>
<p>Autrement dit, quinze ans après son indépendance, le Tchad n’était pas vraiment en mesure d’administrer efficacement un pays de 1 284 000 de km<sup>2</sup>, et force est de constater que soixante ans plus tard il n’a guère fait de progrès dans ce domaine.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/tchad-un-referendum-constitutionnel-a-haut-risque-219551">Tchad : un référendum constitutionnel à haut risque</a>
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<h2>Un peuple saharien ?</h2>
<p>Les membres l’AES, avec 2 780 000 km<sup>2</sup> à gérer, parviendront-ils à assurer l’ordre et la stabilité sur la totalité de leur territoire unifié, notamment face à la progression des <a href="https://theconversation.com/sahel-des-populations-civiles-a-lepreuve-dune-insurrection-djihadiste-201981">groupes terroristes armés</a> ? Une carte permet de vérifier que, pour au moins deux d’entre eux, il était très difficile de contrôler les zones frontalières, éloignées des capitales, dans des moments pourtant importants de leur vie démocratique : les élections. Ainsi, à la fin de l’année 2020, il n’avait pas été possible d’ouvrir un grand nombre de bureaux de vote pour les élections présidentielles, aussi bien à l’ouest du Niger qu’à l’est du Burkina Faso.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/578064/original/file-20240226-18-dp1jzf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/578064/original/file-20240226-18-dp1jzf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578064/original/file-20240226-18-dp1jzf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=678&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578064/original/file-20240226-18-dp1jzf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=678&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578064/original/file-20240226-18-dp1jzf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=678&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578064/original/file-20240226-18-dp1jzf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=852&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578064/original/file-20240226-18-dp1jzf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=852&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578064/original/file-20240226-18-dp1jzf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=852&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>À la fin des années 1950, le découpage de l’OCRS et celui de la Fédération du Mali étaient déjà marqués par la démesure. Mais ils étaient également fortement influencés par la revendication « saharienne » des notables qui étaient intervenus auprès de la puissance coloniale. Dans la fameuse lettre d’octobre 1957, on pouvait lire :</p>
<blockquote>
<p>« Nos intérêts et nos aspirations ne sauraient être valablement défendus tant que nous sommes attachés à un territoire représenté forcément et gouverné par une majorité noire, dont l’éthique, les intérêts et les aspirations ne sont pas les mêmes que les nôtres. »</p>
</blockquote>
<p>Après avoir assuré qu’ils voulaient « rester toujours français musulmans avec notre cher statut privé », les signataires demandaient instamment à </p>
<blockquote>
<p>« être séparés politiquement et administrativement, et le plus tôt possible, d’avec le Soudan français pour intégrer notre pays et sa région de la boucle du Niger au Sahara français dont nous faisons partie historiquement et ethniquement ».</p>
</blockquote>
<p>On pouvait reconnaître dans cette revendication communautaire une référence au territoire de l’Azawad, dont l’autonomie, voire l’indépendance, est réclamée depuis longtemps par les Touaregs.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/578061/original/file-20240226-18-9vcd2f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/578061/original/file-20240226-18-9vcd2f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578061/original/file-20240226-18-9vcd2f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=384&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578061/original/file-20240226-18-9vcd2f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=384&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578061/original/file-20240226-18-9vcd2f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=384&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578061/original/file-20240226-18-9vcd2f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=483&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578061/original/file-20240226-18-9vcd2f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=483&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578061/original/file-20240226-18-9vcd2f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=483&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le territoire de l’Azawad.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>L’Azawad, ou « terre de transhumance » en langue tamasheq, est une réalité virtuelle du point de vue cartographique puisque, par définition, les nomades se déplacent selon les saisons et ne reconnaissent aucune frontière. Mais le tracé généralement retenu ci-dessus n’englobe pas vraiment la totalité des trois États de l’AES.</p>
<p>En outre, la crise qui a éclaté au Mali en 2012 a rapidement dégénéré en une opposition claire entre les groupes du nord (auxquels <a href="https://peacemaker.un.org/sites/peacemaker.un.org/files/Accord%20pour%20la%20Paix%20et%20la%20R%C3%A9conciliation%20au%20Mali%20-%20Issu%20du%20Processus%20d%27Alger_0.pdf">l’accord d’Alger</a> signé en 2015 (et que le Mali a <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/01/26/au-mali-la-junte-donne-le-coup-de-grace-a-l-accord-de-paix-d-alger_6213242_3212.html">quitté le 25 janvier 2024</a>) reconnaissait d’une certaine manière un droit à l’autonomie dans le cadre d’un fédéralisme à définir) et le gouvernement de Bamako. Parallèlement, les conflits d’usage se sont multipliés entre cultivateurs et éleveurs et, bien que ces derniers soient majoritairement peuls, on pouvait relire entre les lignes l’évocation de « l’éthique, les intérêts et les aspirations » exprimés en 1957.</p>
<p>Même si l’on doit se garder d’entrer dans une grille de lecture ethnique, on est tenté de dire que l’AES ne correspond pas à un retour aux tendances géopolitiques des années précédant les indépendances. D’ailleurs, dans aucun des trois pays concernés le pouvoir n’est entre les mains de représentants de la zone saharienne. Pourtant, <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20240215-burkina-mali-niger-les-ministres-en-l-aes-r%C3%A9unis-%C3%A0-ouagadougou-en-vue-de-cr%C3%A9er-une-conf%C3%A9d%C3%A9ration">selon le ministre burkinabè des Affaires étrangères</a>, « les ministres ont noté la nécessité de fonder le traité de la confédération sur des références historiques propres au peuple saharien ». Un peuple singulier ?</p>
<h2>Le problème de l’enclavement</h2>
<p>La géographie politique – qui travaille essentiellement sur des cartes – a toujours attiré l’attention sur le handicap que représente pour les pays sahéliens l’absence d’ouverture directe sur la mer. Dans son premier tracé, la Fédération du Mali offrait deux accès à l’Atlantique : par le Sénégal et par le Bénin. Après le retrait du Bénin, il ne restait plus que le Sénégal dont les infrastructures portuaires ne valaient pas celles de la Côte d’Ivoire, mais il y avait le chemin de fer Sénégal-Niger, dont le projet avait été élaboré par Gallieni, et dont le premier long tronçon (1 287 km) avait été inauguré en 1924 entre Dakar et Koulikoro (à l’est de Bamako).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/578065/original/file-20240226-41459-zfkyyo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/578065/original/file-20240226-41459-zfkyyo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578065/original/file-20240226-41459-zfkyyo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578065/original/file-20240226-41459-zfkyyo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578065/original/file-20240226-41459-zfkyyo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578065/original/file-20240226-41459-zfkyyo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578065/original/file-20240226-41459-zfkyyo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578065/original/file-20240226-41459-zfkyyo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les rails n’étaient pas allés plus loin, et cette infrastructure est aujourd’hui plus ou moins à l’abandon par manque de suivi et d’entretien. Elle pourrait être réhabilitée par un consortium chinois, mais l’insécurité qui prévaut au Mali retarde le projet. En tout état de cause, la <a href="https://theconversation.com/burkina-faso-mali-et-niger-se-retirent-de-la-cedeao-quelles-consequences-pour-la-sous-region-222422">rupture de l’AES avec la Cedeao (28 janvier 2024)</a> interrompt toute circulation entre les trois pays et leurs voisins. Par conséquent, l’autre issue vers la mer <em>via</em> le chemin de fer reliant Abidjan (Côte d’Ivoire) à Kaya (Burkina Faso) est également fermée.</p>
<p>Il est intéressant de noter que le <a href="https://www.jeuneafrique.com/1520245/politique/le-maroc-offre-une-interface-atlantique-aux-pays-du-sahel/">Maroc a proposé</a>, le 23 décembre 2023, à quatre États du Sahel (les trois de l’AES et le Tchad) de leur ouvrir ses façades maritimes, par Tanger pour la Méditerranée, ou par Dakhla pour l’Atlantique. Si l’idée est géographiquement assez peu réaliste, la démarche est diplomatiquement audacieuse. Paradoxalement, elle remet en mémoire la <a href="https://www.jeuneafrique.com/1325557/politique/adhesion-du-maroc-a-la-cedeao-pourquoi-ca-coince/">demande marocaine d’adhésion à la Cedeao</a>, acceptée sur le principe en 2017, mais qui n’a toujours pas formellement abouti. C’est aussi une « mauvaise manière » à l’endroit de l’Algérie.</p>
<p>Ce sont précisément les relations de l’AES avec la Cedeao qui vont donner une traduction concrète à la constitution de la nouvelle alliance sahélienne. La rupture, « avec effet immédiat », annoncée simultanément par les trois juntes le 28 janvier 2024, a étonné sans vraiment surprendre tant les tensions étaient vives depuis le <a href="https://theconversation.com/niger-le-putsch-de-trop-211846">coup d’État au Niger</a> (26 juillet 2023). En menaçant d’intervenir militairement pour rétablir le président Bazoum dans ses fonctions, la Cedeao avait monté le curseur diplomatique au plus haut. En maintenant des sanctions lourdement préjudiciables aux populations, l’organisation sous-régionale avait alimenté son impopularité.</p>
<p>Cependant, elle demeurait le garant de la libre circulation des biens et des personnes. En quittant la Cedeao, les dirigeants de l’AES mettaient en difficulté leurs approvisionnements mais aussi la situation de leurs ressortissants vivant dans les autres pays membres, car ils allaient avoir besoin de cartes de séjour, voire de passeports, pour rentrer dans la sous-région et en sortir.</p>
<p>Pour l’heure, les trois pays <a href="https://www.dw.com/fr/le-mali-le-niger-et-le-burkina-faso-restent-dans-luemoa/a-68138508">n’ont pas encore annoncé qu’ils quittaient l’UEMOA</a> (Union économique et monétaire ouest-africaine), mais s’ils décident de <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/02/12/le-niger-evoque-la-possible-creation-d-une-monnaie-commune-avec-le-burkina-et-le-mali-pour-sortir-de-la-colonisation_6216069_3212.html">créer leur propre monnaie</a> pour remplacer le franc CFA, ils risquent de constituer une enclave monétaire extrêmement fragile où les investisseurs, déjà peu nombreux, hésiteront encore davantage à s’engager.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/leconomie-africaine-entre-endettement-excessif-et-investissements-insuffisants-221354">L’économie africaine entre endettement excessif et investissements insuffisants</a>
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<p>Il est possible que la situation évolue du fait de la <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20240226-la-lev%C3%A9e-des-sanctions-contre-le-niger-un-net-changement-de-braquet-pour-la-c%C3%A9d%C3%A9ao">levée partielle des sanctions</a> décidée, pour des raisons humanitaires, par la Cedeao le 23 février 2024. Mais tous les points de désaccord ne sont pas gommés, et les trois juntes ne sont pas (encore) revenues sur leur retrait de l’organisation sous-régionale, contre laquelle ils ont à plusieurs reprises appelé les foules à manifester dans les capitales.</p>
<h2>L’ombre de Wagner</h2>
<p>Quant à la sécurité, elle restera l’enjeu majeur et le défi central de la nouvelle entité territoriale. Les trois pays ont <a href="https://theconversation.com/fin-de-parcours-pour-la-force-conjointe-du-g5-sahel-quels-enseignements-en-tirer-220895">quitté le G5 Sahel</a> le 15 mai 2022 (pour le Mali) et le 2 décembre 2023 (pour le Burkina et le Niger). Les putschistes affirment qu’ils vont mettre leurs forces en commun pour lutter contre la menace djihadiste. Or les armées malienne, nigérienne et burkinabè n’ont ni la compétence ni les moyens de l’armée tchadienne, qui était le moteur du G5 Sahel.</p>
<p>On sait que, dans le domaine sécuritaire, le recours à la Russie est devenu une sorte de réflexe auquel cèdent de nombreux pays africains, appuyés par des opinions publiques faciles à manipuler.</p>
<p>Selon des sources généralement bien renseignées, on compterait près de 1600 mercenaires du Groupe Wagner au Mali, probablement plusieurs dizaines au Burkina Faso, et quelques autres annoncés au Niger. En général, on établit un lien entre les ressources en or (sites d’orpaillage clandestins ou mines légales) et la présence de ces supplétifs étrangers, car ils peuvent <a href="https://theconversation.com/dans-les-coulisses-du-groupe-wagner-mercenariat-business-et-diplomatie-secrete-200492">se rémunérer de cette manière au Sahel</a>, comme ils le font déjà en Centrafrique et au Soudan.</p>
<p>En s’inscrivant comme la énième tentative de découpage territorial en Afrique de l’Ouest sahélo-saharienne, l’AES confirme qu’on n’en a pas encore terminé avec le tracé des frontières issues de la colonisation. Entre rebalkanisation et désir d’association, les trois États du Sahel ne parviendront pas davantage qu’autrefois à résoudre les problèmes qu’une autre forme de fédéralisme aurait peut-être contribué à résoudre : l’immensité, l’enclavement, les tensions intercommunautaires. Et, plus de soixante ans après les indépendances, ils semblent se soumettre à une nouvelle dépendance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223507/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Bouquet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont annoncé la création d’une nouvelle organisation régionale, et quitté la Cedeao. Quelles en sont les conséquences prévisibles ?Christian Bouquet, Chercheur au LAM (Sciences-Po Bordeaux), professeur émérite de géographie politique, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2211262024-01-24T17:18:27Z2024-01-24T17:18:27ZEn Guinée, les vertus du « riz de boue » qui pousse dans les mangroves<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/569505/original/file-20240116-15-m4tq3z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=55%2C37%2C4016%2C3052&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Visite en Guinée maritime d’un périmètre rizicole en zone de mangrove lors d’une mission de l’Agence française de développement.</span> <span class="attribution"><span class="source">Timothée Ourbak</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Dans une majorité des pays ouest-africains, comme pour plus de la moitié de la planète, le <a href="https://theconversation.com/de-lempire-dangkor-a-pol-pot-le-riz-est-indissociable-de-lhistoire-du-cambodge-120197">riz</a> – seconde céréale produite au monde – est la base de la ration alimentaire quotidienne.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/fr/topics/guinee-29421">En Guinée</a>, sa culture rime pour partie avec les marées, puisque près d’un quart de la production guinéenne provient des plaines de mangroves, en zone côtière. Pourtant, si l’on s’appuie sur les données récentes issues de <a href="https://zaeg.teledetection.fr/?page_id=2212">l’Atlas du zonage agroécologique de la Guinée</a>, les plaines de mangroves n’occupent que 0,3 % du sol guinéen. Elles représentent 89 421 hectares, soit plus du quart de la surface totale occupée par la mangrove (327 453 ha).</p>
<p><a href="https://theconversation.com/mangroves-et-zones-humides-que-peuvent-elles-vraiment-contre-les-desastres-naturels-71506">Écosystèmes</a> les plus productifs de la planète, les mangroves sont constituées de palétuviers, une espèce qui sert de bois de chauffe (pour le fumage de poisson par exemple) mais aussi de construction pour les habitations.</p>
<p>Les plaines de mangroves sont essentiellement situées en zone d’estuaires, ce qui permet un apport en matière organique des fleuves, disponibles pour la production rizicole (attestée depuis quelque 300 ans en Guinée), comme pour d’autres activités humaines.</p>
<h2>Riziculture, pisciculture, saliculture</h2>
<p>Les mangroves sont notamment un lieu de reproduction de poissons, et donc de pêche. L’association entre culture rizicole et production de poissons, ou rizipisciculture est récente en zone de mangrove guinéenne. C’est néanmoins un exemple intéressant d’association « à double bénéfice », le riz profitant des rejets organiques des poissons (engrais naturel) quand les poissons, vivant dans un écosystème de rizières relativement fermé, sont ainsi à l’abri des principaux prédateurs.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/569251/original/file-20240115-22293-fwgkfk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Paysage rizière en zone de mangrove" src="https://images.theconversation.com/files/569251/original/file-20240115-22293-fwgkfk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/569251/original/file-20240115-22293-fwgkfk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=289&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/569251/original/file-20240115-22293-fwgkfk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=289&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/569251/original/file-20240115-22293-fwgkfk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=289&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/569251/original/file-20240115-22293-fwgkfk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=363&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/569251/original/file-20240115-22293-fwgkfk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=363&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/569251/original/file-20240115-22293-fwgkfk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=363&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Illustrations d’une zone de rizière en zone de mangrove : sur l’image de gauche, on voit des palétuviers, au fonds sur la gauche, séparés de la rizière proprement dite par une digue latéritique. L’image de droite montre un palétuvier dans une zone rizicole, le périmètre étant moins utilisé ((copyright).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Timothée Ourbak/AFD</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Enfin, la <a href="https://charentemaritimecooperation.org/2016/12/07/le-sel-solaire-un-exemple-de-developpement-durable/">saliculture, qui se fait en Guinée par évaporation solaire</a> ou au chauffage à bois des eaux salées (ou saliriziculture, puisque la culture du sel peut se pratiquer en alternance avec les périodes de culture du riz), <a href="https://www.afd.fr/fr/ressources/vingt-ans-damenagements-rizicoles-dans-les-territoires-de-mangrove-en-guinee-maritime">est de plus en plus pratiquée</a> en Guinée maritime, et permet une nouvelle source de revenus aux populations locales.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/nSVvdOo7854?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le ministère guinéen en charge de la pêche avec l’Agence Nationale de l’Aquaculture de Guinée (ANAG) et de l’ONG APDRA dans le projet PISCOFAM propose un exemple des actions entreprises en Guinée forestière et qui désormais sont en action en zone de mangrove. Source : MLK Films/YouTube.</span></figcaption>
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<h2>Un système très simple et très complexe</h2>
<p>Le système de riziculture de mangrove est à la fois très simple et complexe à mettre en œuvre, car en <a href="https://www.holowaba.com/riz-bora-maale/">zones soumises à l’influence des marées</a>, l’idée est de gérer eau salée et eau douce en fonction des saisons.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/569252/original/file-20240115-25-pmfhym.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Canalisation dans un paysage de mangrove en Afrique" src="https://images.theconversation.com/files/569252/original/file-20240115-25-pmfhym.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/569252/original/file-20240115-25-pmfhym.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=801&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/569252/original/file-20240115-25-pmfhym.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=801&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/569252/original/file-20240115-25-pmfhym.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=801&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/569252/original/file-20240115-25-pmfhym.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1007&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/569252/original/file-20240115-25-pmfhym.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1007&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/569252/original/file-20240115-25-pmfhym.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1007&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Exemple de canalisation qui vidange l’eau douce depuis d’une plaine de mangrove à vocation rizicole vers une mangrove.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Timothée Ourbak/AFD</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>En saison sèche, lorsque le riz a été récolté, l’intrusion d’eau salée dans les périmètres rizicoles apporte des éléments nutritifs, empêche le développement de mauvaises herbes et diminue l’acidification des sols qui aurait eu lieu sans intrusion salée.</p>
<p>En saison des pluies (les zones côtières reçoivent en moyenne 3,5 m d’eau par an), le dessalement de la rizière se fait par submersion d’eau douce ; puis le riz est planté et protégé de l’océan Atlantique par des digues construites souvent manuellement à cet effet.</p>
<p>Un système de digues, diguettes et drains/canaux permet une régulation de la lame d’eau, sur le périmètre irrigué et parfois jusqu’à la parcelle.</p>
<h2>Une gestion des aménagements qui pose question</h2>
<p>Le tableau n’est pourtant pas idyllique : notamment en <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-amenagement_du_littoral_de_guinee_memoires_de_mangroves_olivier_rue-9782738469649-570.html">vertu de</a> « la permanence de défauts de mémoire, de différentiels de perception et de croisement des connaissances, des savoirs et des expériences » qu’a décrit le géographe Olivier Rue dans un long travail d’analyse historique critique produit à la fin des années 1990.</p>
<p>Il y propose ainsi un bilan qualifié de « faillite des interventions », en ce sens que les appuis techniques et financiers passés en faveur d’aménagements hydroagricoles en zones de mangrove n’ont pas donné les résultats initialement escomptés, en matière de durabilité des investissements comme d’amélioration des rendements agricoles.</p>
<p>En effet, la mise en œuvre de projets de développement est <a href="https://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers10-07/010024718.pdf">rendue complexe</a> par la structure hydrogéologique de ces zones de balancement des marées, par la question de l’entretien et maintenance des infrastructures, et des structures et organisations sociales à l’œuvre.</p>
<p>À cette analyse, ajoutons que cette technique de culture propre aux pays du golfe de Guinée (en Guinée-Bissau, 80 % de la production de riz serait d’origine de mangrove) est actuellement sous tension.</p>
<h2>Pressions multiples</h2>
<p>Une pression anthropique tout d’abord, avec la <a href="https://data.worldbank.org/country/guinea">progression démographique</a> et le développement urbain qui met sous tension les espaces maritimes, y compris pour la disponibilité de main-d’œuvre pour l’entretien des aménagements hydroagricoles, la jeunesse ayant tendance à se détourner de ces tâches agricoles.</p>
<p>Une <a href="https://unfccc.int/documents/497517">pression climatique ensuite</a>, avec une augmentation du <a href="https://theconversation.com/sur-les-cotes-africaines-un-systeme-unique-de-videosurveillance-pour-mieux-gerer-les-risques-202079">niveau de la mer</a> qui vient défier les digues de protection, mais aussi une hausse des événements extrêmes, précipitations notamment.</p>
<p>Le riz de mangrove permet toutefois une stabilisation des zones littorales, si les infrastructures vertes (les digues sont constituées d’argile bien souvent) sont régulièrement entretenues.</p>
<p>Bien que les rendements soient modestes (de l’ordre de 0,5 à 2 T à l’hectare selon la Direction nationale du génie rural guinéen), les populations côtières, essentiellement les ethnies soussou et baga en Guinée, ont totalement intégré désormais à leurs habitudes alimentaires le « böra malé ».</p>
<h2>« Riz de boue », un mets plébiscité</h2>
<p>Ce « riz de boue » en langue soussou – ethnie majoritaire en zone côtière – fait référence aux particularités gustatives et organoleptiques du riz qui pousse dans les mangroves. La population de la capitale Conakry qualifie son goût d’exceptionnel. À cela s’ajoute une meilleure capacité de conservation que le riz importé (et un prix plus bas en période de récoltes). Il joue également une fonction culturelle et sociale, puisqu’il est notamment spécifiquement préparé à l’occasion de grandes cérémonies en Guinée.</p>
<p>Enfin, la culture du riz de mangrove a des <a href="https://books.openedition.org/irdeditions/4990">impacts environnementaux au final limités</a> : il est souvent associé au sein de projets de développement à des actions de protection de la faune et de la flore de mangrove et donc d’un moindre déboisement ; il ne nécessite ni herbicides ni engrais chimiques et peut en cela être qualifié de « bio ».</p>
<hr>
<p><em>Saikou Yaya Balde, de la Direction nationale du génie rural au ministère de l’Agriculture et de l’élevage de Guinée, a contribué à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221126/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Timothée Ourbak ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En Guinée, la culture du riz dans les mangroves présente de nombreux avantages, mais subit des pressions liées aux activités humaines et au changement climatique.Timothée Ourbak, Responsable de Pôle, Agence française de développement (AFD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2199252023-12-26T16:58:17Z2023-12-26T16:58:17ZReconnaissance des gouvernements de transition en Afrique de l’Ouest : que dit le droit international ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/566637/original/file-20231219-15-bydma6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2400%2C1641&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le capitaine Ibrahim Traoré, chef d’État du Burkina Faso, accueille le général Abdourahamane Tiani, chef d'État du Niger, à Ouagadougou en novembre 2023. Les deux hommes sont arrivés au pouvoir à l'issue de putschs.</span> <span class="attribution"><span class="source">Présidence du Burkina Faso</span></span></figcaption></figure><p>Cinq pays d’Afrique de l’Ouest – Mali, Guinée, Burkina Faso, Niger, Gabon – ont récemment été le théâtre de <a href="https://theconversation.com/niger-le-putsch-de-trop-211846">coups d’État</a> qui ont amené au pouvoir de nouvelles forces politiques, souvent issues des rangs de l’armée.</p>
<p>Cette situation soulève des questions relatives à la reconnaissance de ces nouveaux gouvernements par la communauté internationale. </p>
<h2>Distinction entre la reconnaissance du gouvernement et la reconnaissance de l’État</h2>
<p>La <a href="https://danielturpqc.org/upload/Convention_concernant_les_droits_et_devoirs_des_%C3%89tats_Convention_de_Montevideo_1933.pdf">Déclaration de Montevideo de 1933 sur les droits et devoirs des États</a> a énoncé les critères définissant l’État : une population permanente, un territoire défini, un gouvernement en mesure d’exercer le contrôle et la « capacité d’entrer en relations avec les autres États » – en d’autres termes, la reconnaissance de cet État par les autres.</p>
<p>Ici, le concept de reconnaissance englobe plusieurs situations telles que la reconnaissance d’un traité, d’une dette, d’une frontière voire d’un groupe insurrectionnel ou d’un gouvernement nouveau.</p>
<p>La reconnaissance d’un gouvernement spécifique comme autorité légitime d’un État peut être le résultat d’une élection démocratique, d’un accord de paix ou de processus illégaux comme un putsch.</p>
<p>Cependant, la reconnaissance d’un État, acte unilatéral discrétionnaire confirmé par la pratique, peut être déclarée indépendamment du gouvernement en place, bien que, le plus souvent, les deux concepts soient liés. Par exemple, quand bien même la France <a href="https://www.lepoint.fr/afrique/menace-d-intervention-au-niger-france-et-etats-unis-appuient-la-decision-de-la-cedeao-11-08-2023-2531285_3826.php">ne reconnaît toujours pas le gouvernement du Niger</a> issu du putsch du 26 juillet 2023, elle maintient sa reconnaissance de l’État du Niger.</p>
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<figcaption><span class="caption">Putsch au Niger : pourquoi la France s’en mêle ? – C dans l’air, août 2023.</span></figcaption>
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<p>Ces distinctions sont essentielles dans le contexte sahélien car elles déterminent les relations diplomatiques et consulaires. Parfois, la non-reconnaissance du gouvernement peut entraîner une rupture diplomatique, comme l’illustre le cas du Niger : <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/27/l-ambassadeur-de-france-au-niger-sylvain-itte-est-rentre-a-paris_6191191_3211.html">l’ambassadeur de France dans ce pays a été rappelé à Paris</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/niger-le-putsch-de-trop-211846">Niger : le putsch de trop</a>
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<h2>La pratique de la reconnaissance du nouveau gouvernement</h2>
<p>Selon la résolution du 23 avril 1936 de l’association <a href="https://www.idi-iil.org/fr/">« Institut du Droit International »</a> (créée en 1873 et composée d’éminents professeurs en droit international, cette institution vise à promouvoir le progrès du droit international et a émis de nombreuses résolutions sur des questions cruciales depuis sa fondation), qui porte sur la <a href="https://www.idi-iil.org/app/uploads/2017/06/1936_brux_01_fr.pdf">reconnaissance des nouveaux États et des nouveaux gouvernements</a>, la reconnaissance du gouvernement nouveau d’un État déjà reconnu est :« […] l’acte libre par lequel un ou plusieurs États constatent qu’une personne ou un groupe de personnes sont en mesure d’engager l’État qu’elles prétendent représenter, et témoignent de leur volonté d’entretenir avec elles des relations. » </p>
<p>Le <a href="https://www.librairiedalloz.fr/livre/9782802715207-dictionnaire-droit-international-public-salmon-jean/"><em>Dictionnaire de droit international public</em></a>, publié sous la direction du juriste international <a href="https://cdi.ulb.ac.be/a-propos-du-centre/membres-du-centre-2/jean-salmon/">Jean Salmon</a>, explique que dans la pratique contemporaine, un nombre de plus en plus élevé d’États estiment cependant qu’ils n’ont pas à reconnaître ou à ne pas reconnaître les gouvernements étrangers. Les États se contentent, en conséquence, de se prononcer, à l’occasion de l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement nouveau, sur l’établissement, le maintien ou la rupture des relations diplomatiques.</p>
<p>Citons à cet égard ces propos du ministre français des Affaires étrangères Jean François-Poncet datant du 16 mars 1979 :</p>
<blockquote>
<p>« La pratique de la France est d’entretenir des relations diplomatiques non pas avec des gouvernements mais avec des États. C’est ainsi qu’elle n’accomplit pas d’acte formel de reconnaissance lorsqu’un nouveau gouvernement est instauré à la suite d’un changement de régime. Il s’agit là d’une position constante. »</p>
</blockquote>
<p>Cette position est réitérée en 1982 à propos du <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1982/10/25/le-president-hissene-habre-a-forme-un-gouvernement-de-large-union_2893387_1819218.html">Tchad</a>. Le ministre français de la Coopération d’alors, Jean-Pierre Cot, affirme que « dans nos relations avec le Tchad, nous suivons les règles du droit international […]. Nous reconnaissons les États et non les gouvernements. »</p>
<p>La position française laisse clairement entendre qu’il n’y a pas de reconnaissance formelle du nouveau gouvernement, du moins officiellement. En pratique, de nombreux États partagent cette position, considérant qu’il n’est pas nécessaire de remplir des formalités spécifiques pour reconnaître un gouvernement nouveau.</p>
<p>Néanmoins, à la lumière du comportement des États, il est manifeste qu’il existe tout de même une forme de reconnaissance implicite du nouveau gouvernement, même si cela ne trouve pas de fondement juridique dans le cadre du droit international.</p>
<h2>La pratique de la reconnaissance implicite des nouveaux gouvernements au Sahel</h2>
<p>Par opposition à la reconnaissance explicite, la reconnaissance implicite est celle qui se déduit du comportement d’un État, des actes qu’il a adoptés ou des relations établies par lui. Au Sahel, les actions de la communauté internationale ont été telles que l’on pourrait affirmer que la reconnaissance implicite des nouveaux gouvernements est devenue la norme.</p>
<p>À chaque renversement gouvernemental par des coups d’État, la communauté internationale commence par exiger le rétablissement de l’ordre constitutionnel. Cependant, au fil de l’évolution des événements, les États finissent par reconnaître la situation comme un fait accompli.</p>
<p>Si la France a longtemps maintenu une position de reconnaissance implicite dans le cas au Mali (même avec le <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/05/31/au-mali-la-semaine-ou-le-colonel-goita-s-est-couronne-president_6082131_3212.html">second coup d’État en mai 2021</a>) ainsi qu’en Guinée et lors de deux coups d’État successifs au Burkina Faso, il semblerait qu’elle ait modifié sa politique dans le cas du Niger.</p>
<p>Dès le lendemain du coup d’État, la France a affirmé qu’elle ne reconnaissait pas le gouvernement issu du putsch, indiquant ainsi une pratique de non-reconnaissance explicite. Cependant, quelques semaines plus tard, dans le cas du <a href="https://theconversation.com/comprendre-le-coup-detat-au-gabon-213592">Gabon</a>, la France est revenue sur sa position initiale, adoptant à nouveau une reconnaissance implicite.</p>
<p>Par ailleurs, une <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20231207-niger-la-cour-de-justice-de-la-c%C3%A9d%C3%A9ao-d%C3%A9clare-irrecevables-des-requ%C3%AAtes-de-niamey-contre-des-sanctions">décision très récente de la Cour de justice de la Cédéao</a>, datée du 7 décembre 2023, a établi un précédent significatif. En déclarant irrecevables des requêtes du nouveau gouvernement du Niger, la Cour soutient que le nouveau gouvernement nigérien issu d’un putsch ne peut pas représenter le peuple nigérien, car il n’est pas reconnu par les organes de la Cédéao. </p>
<p>Cette jurisprudence souligne l’importance de la reconnaissance par les instances régionales, telles que la Cédéao et ses États membres, pour déterminer la légalité d’un gouvernement et sa capacité à représenter le peuple. La position de la Cour est justifiable à la lumière des précédents, tels que ceux du Mali, du Burkina Faso et de la Guinée, dont les nouveaux gouvernements ont tous été explicitement reconnus par les organes décisionnels de la Cédéao, reconnaissance étayée par la signature d’accords fixant un calendrier de transition.</p>
<h2>Les effets de la reconnaissance du nouveau gouvernement</h2>
<p>En matière de reconnaissance des nouveaux gouvernements en Afrique de l’Ouest, la position des puissants États occidentaux a fréquemment été ambiguë. Ainsi, dans le cas du Niger, la France refuse toujours de reconnaître explicitement le nouveau pouvoir alors que les États-Unis, eux, l’ont fait progressivement et <a href="https://www.state.gov/translations/french/arrivee-de-lambassadrice-kathleen-fitzgibbon-au-niger/">nommé une nouvelle ambassadrice</a>. Cette ambiguïté ne peut être expliquée du point de vue du droit international, mais elle peut être illustrée par plusieurs enjeux : les intérêts géopolitiques, la stabilité régionale, les principes démocratiques et les réponses aux crises humanitaires. </p>
<p>L’un des effets les plus patents de la reconnaissance d’un nouveau gouvernement par la communauté internationale, notamment par des organisations régionales comme la Cédéao, est de lui conférer une légitimité internationale. Cela peut influencer les relations diplomatiques, l’accès aux aides internationales et peut renforcer la confiance des investisseurs étrangers. Par ailleurs, que le nouveau gouvernement soit reconnu de manière tacite ou explicite, il est néanmoins tenu de respecter les normes et les obligations du droit international.</p>
<p>Que le nouveau gouvernement soit arrivé au pouvoir de façon légale ou non, le droit international prend acte du fait accompli et exige que ce gouvernement respecte et se conforme aux normes du droit international. Cela inclut l’obligation de respecter les engagements déjà pris auparavant et de se conformer aux normes relatives aux droits de l’homme, au droit humanitaire, ainsi qu’au droit diplomatique et consulaire.</p>
<p>Ainsi, le droit international se contente de constater l’avènement d’un gouvernement, y compris à la suite d’un coup d’État. Le gouvernement nouvellement établi est alors responsable de tout ce qui pourrait engendrer des effets juridiques internationaux. La situation devient particulièrement complexe lorsque deux gouvernements coexistent au sein d’un État.</p>
<p>Le cas de la Libye illustre parfaitement ce cas de figure. Après la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, deux gouvernements distincts ont été <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/03/02/la-libye-se-retrouve-avec-deux-gouvernements-rivaux_6115783_3212.html">reconnus par différentes puissances internationales</a>. Le Gouvernement d’Union nationale (GNA), formé en 2015 avec un large soutien international, est largement reconnu comme le gouvernement légitime, tandis que l’Armée nationale libyenne (ANL), dirigée par la maréchal Haftar, est soutenue par certains États comme le voisin égyptien et représente une force politique et militaire rivale. En pareille situation, il est difficile de déterminer lequel de ces deux gouvernements peut être considéré comme responsable au regard du droit international.</p>
<p>Une autre question liée à la reconnaissance d’un nouveau gouvernement concerne sa représentation au niveau international, notamment au sein des instances telles que le système des Nations unies. Un incident <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/09/23/niger-le-regime-militaire-s-en-prend-au-chef-de-l-onu_6190632_3212.html">s’est produit en septembre dernier</a>, quand les représentants tant du nouveau gouvernement que de l’ancien ont cherché à représenter le peuple nigérien. Cependant, le 6 décembre 2023, l’ONU a explicitement reconnu le gouvernement militaire actuel au Niger. Cette reconnaissance s’est matérialisée par l’accréditation accordée à son représentant à <a href="https://actucameroun.com/2023/12/19/coup-detat-au-niger-les-autorites-militaires-reconnues-par-lonu/">New York par le Comité d’accréditation de l’Assemblée générale de l’ONU</a>.</p>
<p>On l’aura compris : quand bien même les grands États et les organisations multilatérales aiment à se présenter comme des défenseurs sourcilleux du droit international, ils donnent souvent la priorité, dans les faits, à leurs intérêts bien compris, et s’adaptent volontiers à la nouvelle donne, y compris quand celle-ci est issue de putschs militaires…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219925/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Issiaka Guindo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ces dernières années, des putschs militaires se sont produits dans plusieurs États ouest-africains. La reconnaissance de la légitimité des gouvernements qui en sont issus est un enjeu majeur.Issiaka Guindo, Doctorant en droit international à Paris 1 Université Panthéon-Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2158602023-10-26T17:57:27Z2023-10-26T17:57:27ZGuinée : le procès du massacre du 28 septembre 2009, un grand pas pour la lutte contre l’impunité<p>Depuis plus d’un an se déroule à Conakry le procès historique de l’ancien chef d’État guinéen, le capitaine <a href="https://theconversation.com/guinee-un-proces-pour-lhistoire-191793">Moussa Dadis Camara</a>, et de dix de ses co-accusés, soupçonnés d’être les responsables du <a href="https://www.hrw.org/fr/report/2009/12/17/un-lundi-sanglant/le-massacre-et-les-viols-commis-par-les-forces-de-securite-en">massacre du 28 septembre 2009</a>.</p>
<p>Annoncé, puis <a href="https://theconversation.com/guinee-linterminable-attente-du-proces-des-auteurs-du-massacre-du-28-septembre-2009-168860">sans cesse repoussé sous la précédente présidence d’Alpha Condé</a> (2010-2021), ce procès a finalement débuté 13 années après les faits, le jour anniversaire du massacre, à la suite d’une décision du colonel Mamady Doumbouya, le nouvel homme fort du pays depuis le <a href="https://theconversation.com/guinee-un-coup-detat-previsible-167937">coup d’État du 5 septembre 2021</a>. Il représente un moment unique dans l’histoire de ce pays d’Afrique de l’Ouest, marquée depuis des décennies par des <a href="https://www.memoire-collective-guinee.org/">régimes autoritaires et des violations massives des droits humains</a> commises dans une totale impunité.</p>
<h2>Treize ans d’attente, un an de procès</h2>
<p><a href="https://www.hrw.org/fr/report/2009/12/17/un-lundi-sanglant/le-massacre-et-les-viols-commis-par-les-forces-de-securite-en">Le 28 septembre 2009</a> et les jours suivants, les forces de sécurité guinéennes ont réprimé un rassemblement politique pacifique qui avait réuni dans un stade de la capitale, Conakry, des manifestants venus exprimer leur hostilité au maintien au pouvoir du capitaine Moussa Dadis Camara, alors président de la junte militaire dite « Conseil national pour la démocratie et le développement » (CNDD), à la tête du pays depuis le putsch militaire du 8 décembre 2008.</p>
<p>À cette occasion, comme a pu l’établir une <a href="https://www.fidh.org/IMG/pdf/rapport_onu.pdf">commission des Nations unies</a>, plus de 150 personnes avaient été tuées, des milliers d’autres blessées et plus d’une centaine de femmes avaient été violées. Les forces de sécurité avaient ensuite cherché à dissimuler les faits en déplaçant les corps vers des fosses communes.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/YpZms3GNnpQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>L’étape de cette première année de procès tend à démontrer que les arguments mis en avant durant des années, sous la présidence d’Alpha Condé, par les autorités politiques pour justifier le report de l’ouverture d’un jugement visaient surtout à masquer <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/invit%C3%A9-afrique/20230411-massacre-du-28-septembre-en-guin%C3%A9e-alpha-cond%C3%A9-ne-voulait-pas-organiser-ce-proc%C3%A8s">leur souhait qu’un tel jugement n’ait pas lieu</a>. Elle démontre aussi que porte ses fruits la détermination de l’actuel chef d’État, le colonel Mamady Doumbouya, lui-même au pouvoir après un putsch militaire du 5 septembre 2021.</p>
<p>En dépit d’imprévus, comme la <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230621-guin%C3%A9e-le-proc%C3%A8s-du-massacre-du-28-septembre-ajourn%C3%A9-apr%C3%A8s-une-gr%C3%A8ve-des-gardiens-de-prison">grève des gardiens de prison</a> ou le <a href="https://www.justiceinfo.net/fr/117294-proces-conakry-menace-questions-financieres.html">boycott des avocats</a> réclamant une aide juridictionnelle pour leurs clients, le procès des 11 accusés se déroule dans des conditions satisfaisantes devant le tribunal criminel, à Conakry.</p>
<p>Le capitaine Moussa Dadis Camara et ses acolytes du CNDD – qui comparaissent tous détenus après une courageuse décision du président du tribunal – sont accusés de meurtres, de violences sexuelles, d’actes de torture et d’enlèvements, chefs d’accusation pour lesquels ils risquent la prison à vie si leur culpabilité est reconnue. Tous ont plaidé non coupable pour l’ensemble de ces chefs d’accusation.</p>
<p>Le tribunal chargé de leur procès siège dans des locaux neufs financés par le budget national. Il est composé exclusivement de magistrats guinéens, qui appliquent le droit pénal guinéen. Au rythme de trois journées d’audiences par semaine, le procès est retransmis en direct à la télévision nationale. Loin d’occasionner des troubles dans le pays (y compris en Guinée forestière, le fief de plusieurs des accusés), il captive la population guinéenne, qui suit avec intérêt les débats au cours desquels ses anciens gouvernants sont jugés comme des criminels de droit commun.</p>
<p>Tandis que le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) avait annoncé en 2009 l’ouverture d’un <a href="https://www.icc-cpi.int/fr/guinea">examen préliminaire</a> pour déterminer s’il y avait lieu d’ouvrir une enquête, la Guinée avait aussitôt affirmé avoir la capacité et la volonté de juger elle-même les auteurs des crimes de septembre 2009. Après avoir assisté à l’ouverture du procès, le Bureau du Procureur de la CPI a finalement décidé de clôturer son examen préliminaire.</p>
<p>Avec l’actuel procès, la démonstration est donc faite que même un État tel que la Guinée, aux moyens limités et à la stabilité politique relative, peut organiser efficacement et équitablement des procès d’auteurs de graves violations des droits humains.</p>
<h2>Un procès imparfait, mais conduit dans la dignité</h2>
<p>Certes, tout n’est pas parfait. Pour certaines ONG, le <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2023/07/13/en-guinee-le-proces-historique-lie-au-massacre-du-stade-en-2009-repris">choix d’écarter des poursuites pour crimes contre l’humanité</a> – une incrimination pourtant incorporée dans le code pénal guinéen – semble minimiser l’ampleur et la gravité des crimes perpétrés dans ce pays de 13 millions d’habitants. Elles relèvent également que certains responsables du massacre ne sont pas dans le box des accusés.</p>
<p>La présidence du tribunal peine parfois à diriger les débats et à les recentrer sur les faits et sur la question essentielle de la responsabilité pénale des accusés. Le ministère public est mis en difficulté en raison de la <a href="https://revuedlf.com/droit-international/massacre-du-28-septembre-2009-la-guinee-a-lepreuve-du-principe-de-complementarite/">faible qualité de l’information judiciaire conduite par le pool des juges d’instruction</a> et du manque de preuves scientifiques. Les avocats de la partie civile paraissent ne pas maîtriser l’ensemble des questions juridiques et se perdent quelquefois dans des points secondaires.</p>
<p>Une partie seulement de la longue liste de près de 700 victimes s’étant constituées parties civiles a pu être entendue à ce jour. Les accusés, quant à eux, tiennent, des heures durant, des propos décousus, tandis que leurs avocats ne semblent avoir aucune réelle stratégie, si ce n’est celle de gagner du temps et d’ajouter de la confusion. Le procès traîne ainsi en longueur, nul ne pouvant prédire quand il s’achèvera, alors que des préoccupations demeurent quant à son <a href="https://www.justiceinfo.net/fr/117294-proces-conakry-menace-questions-financieres.html">financement</a> et quant aux réparations pour les victimes.</p>
<p>Malgré tout, les aspects positifs l’emportent amplement sur les imperfections d’une justice guinéenne <a href="https://www.justiceinfo.net/fr/37929-guinee.html">inexpérimentée en matière de jugement de violations des droits humains</a> de cette ampleur. On peut ainsi relever que le procès se tient de manière digne. Le ministère public et les parties civiles sont incisifs quand il le faut. Les accusés peuvent leur répondre autant qu’ils le souhaitent. La sécurité des témoins semble assurée.</p>
<h2>La mise au jour des faits</h2>
<p>Au fil des audiences, les déclarations des uns et des autres permettent de reconstituer les faits d’une terrifiante journée de l’histoire contemporaine de Guinée, où des militaires ont cru pouvoir mater des manifestants pour leur audace, sans jamais avoir à rendre compte de leurs actes. <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230327-affaire-du-28-septembre-en-guin%C3%A9e-les-six-premiers-mois-d-un-proc%C3%A8s-historique">La spontanéité des débats</a> met en lumière le calvaire des victimes lors du massacre, les séquestrations et mauvais traitements dans les jours qui ont suivi, les menaces sur les témoins, les manœuvres des chefs de la junte pour masquer les preuves dans les rues, les hôpitaux et les cliniques, les échanges entre membres de la junte pour se dédouaner, ainsi que la tentative d’assassinat du capitaine Moussa Dadis Camara en décembre 2009 (menée par le lieutenant Toumba Diakité lorsqu’il comprit que Dadis Camara tentait de lui attribuer la responsabilité du massacre).</p>
<p>Cette spontanéité des débats est servie, il est vrai, par certains des accusés. D’un côté, il y a ceux qui nient contre toute évidence leur implication. C’est le cas du chef de la junte, le <a href="https://www.humanite.fr/monde/guinee-conakry/guinee-conakry-les-bouffonneries-de-moussa-dadis-camara-a-la-barre-780778">capitaine Moussa Dadis Camara</a>, du ministre de la Sécurité présidentielle, le capitaine Claude Pivi, du ministre chargé des Services spéciaux, le commandant <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230510-proc%C3%A8s-du-28-septembre-en-guin%C3%A9e-la-version-de-moussa-tiegboro-camara-remise-en-cause">Moussa Tiégboro Camara</a>, de l’un des adjoints du commandant Tiégboro, le lieutenant Blaise Guemou, ou encore du garde du corps du lieutenant Toumba, l’adjudant Cécé Raphaël Haba.</p>
<p>Ils ont été vus et entendus par les victimes et les témoins au stade ou à proximité, et exerçaient les principales responsabilités sur les unités de l’armée, de la gendarmerie et de la police alors déployées. Pour autant, à les entendre, ils n’auraient eu aucun rôle actif et leurs attributions étaient limitées.</p>
<p>De l’autre côté, il y a ceux qui, désormais, se font accusateurs. Tel est le <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/reportage-afrique/20221123-proc%C3%A8s-du-28-septembre-toumba-un-accus%C3%A9-devenu-star-en-guin%C3%A9e">cas du lieutenant Toumba Diakité</a> qui, ayant rapidement compris que le capitaine Dadis Moussa Carama chercherait à le présenter comme le principal exécutant du massacre, a pris le parti d’impliquer la plupart des autres accusés dans la commission des faits. Tel est le cas également du <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230710-guin%C3%A9e-marcel-guilavogui-accuse-moussa-dadis-camara-d-avoir-organis%C3%A9-le-massacre-du-28-septembre">sous-lieutenant Marcel Guilavogui</a>, qui a fini par déclarer que le capitaine Dadis Moussa Camara est bien l’homme ayant ordonné le massacre.</p>
<h2>Une victoire pour la justice en Afrique ?</h2>
<p>C’est sans doute ce « spectacle » étonnant des puissants – ayant perdu de leur superbe et se retrouvant soumis à des questions précises qu’ils tentent d’esquiver maladroitement – qui <a href="https://www.justiceinfo.net/fr/108875-proces-28-septembre-conakry-comme-serie-tele.html">fascine tant la population guinéenne</a> et, plus largement d’Afrique de l’Ouest.</p>
<p>Le procès est, en effet, très commenté, particulièrement sur les réseaux sociaux. Il peut offrir d’importants enseignements pour d’autres pays où la justice doit être rendue pour des crimes internationaux. Il s’agit, en soi, d’une victoire pour tous ceux qui croient que la justice en Afrique peut établir la responsabilité des auteurs de violations massives des droits humains, y compris ses suspects de haut rang, dès lors que le pouvoir exécutif la laisse travailler en toute indépendance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215860/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Maia ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ce procès hors norme dure depuis maintenant plus d’un an. Il constitue une réelle percée pour la justice en Guinée et ailleurs en Afrique.Catherine Maia, Professeure de droit international à l’Université Lusófona (Portugal) et professeure invitée à Sciences Po Paris (France), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2141832023-10-22T15:06:29Z2023-10-22T15:06:29ZRéconcilier engrais minéraux et agroécologie, une piste pour nourrir les populations d’Afrique de l’Ouest<p>Alors que les records de température <a href="https://heatmap.news/climate/september-2023-hottest-heat-zeke-hauffather">continuent d’être régulièrement battus</a> à la surface du globe, l’automne 2023 pourrait être le plus chaud jamais enregistré. Parmi leurs multiples conséquences, ces tristes exploits ne seront pas sans répercussions sur les agriculteurs d’Afrique de l’Ouest : les nombreuses sécheresses qui frappent la zone sont en partie provoquées par le phénomène <a href="https://theconversation.com/el-nino-quest-ce-que-cest-47645"><em>El Niño</em></a>, lié au réchauffement de l’océan Pacifique.</p>
<p>Pour les agriculteurs de cette région, l’adaptation au changement climatique n’est pas une perspective lointaine, mais bien une urgence réelle. Au même titre d’ailleurs que l’indispensable augmentation de la production agricole pour garantir la sécurité alimentaire d’une population qui croît.</p>
<p>Pour encourager cette adaptation, certaines pratiques <a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-a-comme-agroecologie-165114">agroécologiques</a>, ancestrales dans la zone, sont ainsi remises au goût du jour : en particulier, le fait d’associer le <a href="https://theconversation.com/le-niebe-une-alternative-pour-la-souverainete-alimentaire-des-pays-dafrique-subsaharienne-181912">niébé</a> – une plante de la famille des légumineuses – au mil, céréale consommée dans la région.</p>
<p><a href="https://doi.org/10.1016/j.heliyon.2023.e17680">Une récente étude</a> menée par notre équipe et publiée en juillet 2023 montre que ce serait une piste prometteuse pour rendre les terres plus productives que lorsque la céréale et la légumineuse sont cultivées séparément. Et ce d’autant plus quand elles reçoivent également des engrais minéraux.</p>
<h2>Mil et niébé, deux cultures complémentaires</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/550885/original/file-20230928-21-j1xszh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/550885/original/file-20230928-21-j1xszh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550885/original/file-20230928-21-j1xszh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550885/original/file-20230928-21-j1xszh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550885/original/file-20230928-21-j1xszh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550885/original/file-20230928-21-j1xszh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550885/original/file-20230928-21-j1xszh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550885/original/file-20230928-21-j1xszh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le niébé, haricot à l’œil noir.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Toby Hudson/Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<p>Pour comprendre, revenons d’abord sur cette pratique ancestrale chez les agriculteurs du centre du Sénégal. S’ils ont longtemps associé niébé et mil, c’est que les deux cultures sont complémentaires : le niébé se développe sous la culture de mil et fixe l’azote de l’air dans ses tissus végétaux grâce à une symbiose avec des bactéries du sol <a href="https://doi.org/10.4314/ijbcs.v16i2.15">du genre Rhizobium</a> au niveau de ses racines. L’azote étant le principal nutriment requis pour la croissance des plantes, celui présent dans le sol reste alors disponible pour la céréale, en l’occurrence le mil.</p>
<p>Cette complémentarité permet bien souvent d’obtenir une productivité bien plus élevée que lorsque les cultures sont dans deux champs séparés. En moyenne, dans les expérimentations conduites en Afrique subsaharienne, un hectare de culture associée céréale-niébé produit autant que <a href="https://doi.org/10.1007/s13593-020-00629-0">1,3 hectare de culture pure</a>, soit 30 % de rendement en plus. Il s’agit donc d’une stratégie d’augmentation de la productivité de la terre.</p>
<p>Toutefois, dans la pratique traditionnelle des agriculteurs du centre du Sénégal, ces derniers ne recourent que très peu (voire pas du tout) aux engrais minéraux. La céréale associée n’atteint généralement que 80 % (et le niébé environ 50 %) du rendement grain qu’elle atteindrait en culture pure (d’une seule espèce ou plante) pour une même superficie. Celui-ci étant déjà insuffisant pour assurer la <a href="https://doi.org/10.1073/pnas.1610359113">sécurité alimentaire des populations actuelles et à venir</a>.</p>
<p>Or, une synthèse de <a href="https://doi.org/10.1016/j.fcr.2015.09.010">toutes les études mondiales</a> suggère que le bénéfice de la combinaison (une meilleure productivité de la terre) est maintenu en cas d’utilisation d’engrais azotés. Autrement dit, l’introduction de ces derniers dans une configuration agroécologique ne favorise pas la productivité du mil au détriment de celle du niébé mais augmente la productivité globale.</p>
<h2>Les leçons de notre expérimentation au Sénégal</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/550902/original/file-20230928-20-8u5hmb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="hommes qui ramassent du mil dans un champ" src="https://images.theconversation.com/files/550902/original/file-20230928-20-8u5hmb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550902/original/file-20230928-20-8u5hmb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550902/original/file-20230928-20-8u5hmb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550902/original/file-20230928-20-8u5hmb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550902/original/file-20230928-20-8u5hmb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550902/original/file-20230928-20-8u5hmb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550902/original/file-20230928-20-8u5hmb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Un agriculteur récolte du mil dans une parcelle associant mil et niébé au Sénégal.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Yolande Senghor</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Un tel comportement reste cependant à prouver dans la zone sahélo-soudanienne d’Afrique de l’Ouest : les stress hydriques fréquents pourraient se traduire par des compétitions entre la céréale et la légumineuse, au détriment de la légumineuse et au bénéfice de la céréale si cette dernière est fertilisée. En outre, les bénéfices de l’association pour s’adapter aux sécheresses, souvent vantés par les partisans de cette pratique, demeurent à établir expérimentalement.</p>
<p>Ce sont les questions auxquelles nous avons cherché à répondre dans notre étude, pour déterminer comment les aléas climatiques et la fertilisation minérale influencent les performances de l’association mil-niébé.</p>
<p>En 2018 et 2019, notre équipe a installé des cultures de mil et niébé – en culture pure et associée à la station expérimentale de recherche du Centre national de recherches agronomiques (CNRA) de Bambey au cœur du bassin arachidier sénégalais, à l’est de Dakar.</p>
<h2>Quels effets en présence d’engrais ?</h2>
<p>À chaque fois, les cultures étaient sujettes à deux niveaux de fertilisation : soit sans rien, soit avec 70 kg d’azote par hectare, une <a href="https://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/pleins_textes_5/b_fdi_23-25/29662.pdf">dose intermédiaire pour la zone</a>.</p>
<p>L’équipe a suivi la croissance des céréales et des légumineuses, mesuré la dynamique de l’expansion des feuilles du mil et du niébé, leur biomasse aérienne et leur rendement en grains.</p>
<p>Nos résultats ont révélé qu’au-delà du gain majeur de productivité lié aux engrais – 2 tonnes de mil par hectare contre 0,5 sans engrais –, le bénéfice de l’association d’une légumineuse avec le mil – c’est-à-dire une productivité de la terre plus élevée que lorsque les cultures sont dans des champs séparés – est maintenu en présence d’un niveau raisonnable (70 kg d’azote par hectare) d’engrais minéraux.</p>
<p>L’association mil-niébé est donc une piste prometteuse pour intensifier la production agricole de façon raisonnée.</p>
<h2>Une piste intéressante face au manque d’eau</h2>
<p>Pour évaluer les effets du manque d’eau, une partie de l’expérimentation a été menée en présence d’irrigation pour étudier la performance de l’association en l’absence de stress hydrique. L’autre était réalisée en conditions pluviales, proches de celles vécues par les agriculteurs de la zone.</p>
<p>Une attention particulière a été apportée à l’observation de l’évolution au cours du temps des stocks d’eau du sol sous la culture, afin d’identifier les risques de stress hydrique pour les plantes : ces mesures ont révélé que l’année 2019 était plus contraignante en matière de stress hydrique que l’année 2018.</p>
<p>Les bénéfices de l’association ont bien été plus faibles lorsque la saison des pluies était plus sèche, mais ils sont restés toutefois notables. La pratique, combinée à une quantité raisonnable d’engrais minéraux, serait donc une option agroécologique pertinente dans un contexte de changement climatique.</p>
<h2>Des résultats à confirmer</h2>
<p>Grâce aux données d’expérimentation collectées, nous avons adapté un <a href="https://doi.org/10.1016/j.heliyon.2023.e17680">modèle de simulation</a> : il servira à estimer les performances de la culture associée mil-niébé, en comparaison avec la culture pure, pour une gamme de variations climatiques plus large que celle des deux années d’expérimentation.</p>
<p>Le modèle de simulation, en utilisant le climat historique observé à la station de Bambey depuis 1990 et les <a href="https://public.wmo.int/fr/ressources/bulletin/l%E2%80%99apport-du-projet-de-comparaison-de-mod%C3%A8les-coupl%C3%A9s-%C3%A0-la-science-du-climat">projections climatiques futures fournies par le GIEC</a>, nous aidera à répondre à certaines questions. Les années sèches, comme 2019, marquées par un fort stress hydrique sur le mil et un moindre avantage comparatif de l’association avec le niébé, sont-elles amenées à être plus fréquentes à l’avenir ?</p>
<p>De quoi confirmer l’intérêt de cette alliance entre céréale et légumineuse pour s’adapter au changement climatique.</p>
<hr>
<p><em>Anicet G.B. Manga, Philippe Letourmy, César Bassene, Ghislain Kanfany, Malick Ndiaye et Antoine Couedel ont contribué à la rédaction de l’article scientifique sur lequel est basé ce papier.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214183/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Rien à déclarer</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Alpha Bocar BALDE, François Affholder, Gatien Falconnier et Louise Leroux ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Des expériences menées au Sénégal montrent que cultiver ensemble céréales et légumineuses en intégrant des engrais peut améliorer la productivité des terres, y compris en cas de manque d’eau.Yolande Senghor, Doctorante en agronomie à l'Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal), CiradAlpha Bocar BALDE, agronome, Institut sénégalais de recherches agricoles (ISRA)François Affholder, Principal Investigator in Agro-ecology and sustainable intensification research unit, CiradGatien Falconnier, Écologue agronome, CiradLouise Leroux, PhD, Remote sensing scientist, CiradLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2124072023-10-02T18:19:07Z2023-10-02T18:19:07ZPrévisions météo : quand savoirs locaux et sciences se nourrissent<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/549629/original/file-20230921-19-qktfvq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Deux personnes échangent dans une cour en Côte d'Ivoire.</span> <span class="attribution"><span class="source">AFD / Julie Bompas</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Les savoirs locaux, ces connaissances, savoir-faire et philosophies développés par des sociétés ayant une longue histoire d’interaction avec leur environnement naturel, <a href="https://fr.unesco.org/links">selon la définition de l’Unesco</a>, suscitent actuellement un intérêt croissant, notamment pour leurs contributions à la préservation de la biodiversité et à l’adaptation au changement climatique.</p>
<p>C’est notamment le cas en Côte d’Ivoire, où l’AFD a mené une étude <a href="https://www.afd.fr/fr/ressources/renforcer-les-services-climatiques-en-afrique-en-integrant-les-savoirs-locaux">pour comprendre le potentiel de co-construction des savoirs locaux liés à la météorologie</a>. Au cours de celle-ci, 285 agriculteurs des zones cotonnières du nord de la Côte d’Ivoire ont été interrogés.</p>
<p>Dans ce domaine, les savoirs locaux détenus par les populations concernent principalement des prévisions météorologiques, allant d’anticipations à court terme (quelques heures ou quelques jours) jusqu’à des prévisions saisonnières (à environ trois mois). Ainsi, l’observation de colonnes de fourmis magnans avec leurs œufs est couramment interprétée par les populations de plusieurs territoires d’Afrique de l’Ouest comme annonçant une pluie dans les trois jours à venir.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/545558/original/file-20230830-15-ygo33l.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/545558/original/file-20230830-15-ygo33l.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=905&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/545558/original/file-20230830-15-ygo33l.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=905&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/545558/original/file-20230830-15-ygo33l.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=905&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/545558/original/file-20230830-15-ygo33l.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1138&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/545558/original/file-20230830-15-ygo33l.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1138&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/545558/original/file-20230830-15-ygo33l.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1138&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Colonie de magnans en marche.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Mehmet Karatay/wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>La position des nids des oiseaux tisserins, très présents dans cette région, peut également donner une indication sur la quantité de pluies attendues pendant la saison. S’ils sont positionnés en bas des branches, la quantité d’eau à venir sera plus importante.</p>
<p>Ces savoirs, appelés savoirs prévisionnels locaux (SPL), peuvent être liés à la biodiversité (par exemple <a href="http://www1.onf.fr/renecofor/sommaire/resultats/climat/phenologie/20151110-133736-654106/@@index.html">stade phénologique</a> des végétaux ou comportements et présence d’animaux) ou encore abiotiques (par exemple, l’observations des nuages, étoiles, températures ressenties, etc.).</p>
<h2>Des savoirs locaux perçus comme fiables, mais pas immuables</h2>
<p>Les savoirs locaux peuvent également agir en tant qu’alertes précoces, en renforçant la capacité des populations à prévoir des évènements extrêmes. Par exemple, au nord de la Côte d’Ivoire, la floraison d’un arbre appelé localement Kadjon – ou Gadjon -peut être interprétée par les populations locales comme le signal d’une période sans pluies d’une à deux semaines au cours de la saison agricole. Ces « pauses » au cours de la saison des pluies peuvent être particulièrement dommageables pour les cultures.</p>
<p>Les savoirs prévisionnels locaux sont propres à un lieu géographique donné et sont transmis de génération en génération. Cependant, ils ne sont pas immuables : les générations qui se succèdent les renouvellent et les adaptent.</p>
<p>Ces savoirs sont principalement détenus par les ménages ruraux qui les utilisent encore régulièrement et de manière complémentaire avec les prévisions scientifiques pour leurs prises de décisions. En effet, les savoirs prévisionnels locaux ont « fait leurs preuves » dans le temps et bénéficient, dans de nombreux territoires, d’une réputation de fiabilité supérieure aux prévisions scientifiques, ce que nous avons pu observer dans notre étude.</p>
<h2>Des savoirs complémentaires à la science</h2>
<p>Toutefois, certaines variables utiles à la prise de décision peuvent être difficilement accessibles par les savoirs locaux, par exemple la quantité précise de pluie attendue. Ce besoin de complément d’informations scientifiques est d’autant plus ressenti que les changements de pratiques et d’utilisation des sols, couplés aux effets des changements climatiques, ont tendance à amoindrir la biodiversité, ce qui affecte directement le nombre d’indicateurs locaux. Il arrive ainsi que des plantes ou des animaux sur lesquels les populations s’appuyaient pour prévoir la météo disparaisse ou se fassent trop rares.</p>
<p>Par ailleurs, la diversité des indicateurs permet aussi de croiser les interprétations pour s’assurer de la fiabilité des prévisions. Disposer de moins d’indicateurs affaiblit fatalement la solidité des prévisions. Il y a donc un besoin de prévisions scientifiques fiables pour compléter les savoirs locaux.</p>
<h2>Des informations « utiles » mais surtout « utilisables »</h2>
<p>Les services climatiques englobent « tout service (applications, bulletins radio, SMS) comprenant des prévisions météorologiques de court terme (un à quinze jours), saisonnières (tendance sur trois mois) ou encore des projections climatiques (un siècle) <a href="https://www.afd.fr/fr/ressources/impacts-des-services-climatiques-et-meteorologiques-sur-lagriculture-africaine">visant à guider les usagers dans leurs prises de décisions</a> ». Dans un contexte de changement climatique, ils constituent un maillon essentiel à l’adaptation et à l’anticipation des usagers.</p>
<p>Or, intégrer les SPL au sein des services climatiques (SC) permet une plus grande adhésion des populations, principalement, par ce qu’elles leur accordent une grande confiance. Mais aussi parce que ces savoirs permettent l’apport d’informations à un niveau très local dans des zones où les prévisions scientifiques actuellement disponibles sont peu précises.</p>
<p>En effet, il ne suffit pas que les populations aient accès à des prévisions : encore faut-il que celles-ci soient utilisées. Pour cela, les informations doivent d’abord être perçues comme pertinentes et légitimes.</p>
<h2>Un dialogue entre scientifiques et agriculteurs</h2>
<p>La co-construction de services climatiques a justement pour objectif de passer de la production d’informations « utiles » à celle d’informations « utilisables », grâce à la création d’espaces d’échange entre utilisateurs – par exemple, agriculteurs – et fournisseurs de ces services. C’est tout l’enjeu de cette approche <a href="https://futureclimateafrica.org/coproduction-manual/downloads/WISER-franc%20CFA-coproduction-manual.pdf">intégrée, collaborative et itérative</a>.</p>
<p>Des organisations intermédiaires peuvent également intervenir afin de faciliter les interactions entre les scientifiques et les agriculteurs. Ce rôle peut être tenu, par exemple, <a href="https://odi.org/en/publications/the-changing-role-of-ngos-in-supporting-climate-services/">par des ONG locales</a>.</p>
<p>Cette exploration commune des connaissances pratiques et des contextes de décision doit permettre à ces différents acteurs de mieux comprendre leurs attentes mutuelles. Les agriculteurs vont par exemple expliquer aux scientifiques comment ils décident de leurs calendriers agricoles en fonction des besoins des cultures, quel est l’apport des savoirs locaux, et là où ils manquent d’informations. En retour, les scientifiques pourront sensibiliser les agriculteurs aux limites de la science et aux incertitudes des prévisions.</p>
<h2>Applications participatives et personnes relais</h2>
<p>La possibilité d’intégrer des SPL aux services climatiques repose donc sur la volonté des populations à partager leurs savoirs, mais également sur la création de systèmes adaptés de collecte et de diffusion régulière des prévisions.</p>
<p>Il faut que les personnes considérées comme « expertes » par leur communauté soient prêtes à transmettre leurs connaissances aux autres ou à rapporter de manière régulière leurs prévisions auprès des scientifiques pour que ces derniers puissent les intégrer.</p>
<p>Le système de collecte des prévisions peut être automatisé avec des applications participatives comme <a href="https://www.wur.nl/en/newsarticle/FarmerSupport-mobile-App-now-online.htm">FarmerSupport</a> au Ghana, ou reposer sur des personnes relais (par exemple des animateurs ruraux) ou bien encore se matérialiser sous forme de réunions ou d’ateliers mêlant météorologues et « experts locaux » pour discuter en amont des prévisions saisonnières. C’est ce qu’on peut observer au Sénégal, où des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=fZWEB3EsGW8">groupes de travail multidisciplinaires</a> (météorologues, associations, agriculteurs…) discutent, comparent et enrichissent ensemble les prévisions avant de les diffuser.</p>
<p>Le format de diffusion – bulletins radio, SMS, etc. – peut ensuite regrouper de manière comparative les prévisions scientifiques et les prévisions issues des SPL, ou bien proposer directement des prévisions uniques « réconciliées » qui intègrent les deux sources d’informations.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Science et Société se nourrissent mutuellement et gagnent à converser. La recherche peut s’appuyer sur la participation des citoyens, améliorer leur quotidien ou bien encore éclairer la décision publique. C’est ce que montrent les articles publiés dans notre série « Science et société, un nouveau dialogue », publiée avec le soutien du <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr">ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212407/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julie Bompas est bénéficiaire d'un financement CIFRE. A ce titre elle occupe le poste de Chargée de recherches au sein de l'Agence Française de Développement (AFD) et est également doctorante rattachée au Centre d'Etudes et de Recherches sur le Développement International (CERDI).</span></em></p>Et si on réconciliait recherche scientifique et savoirs traditionnels locaux ? Leur combinaison pourrait aider les populations à mieux s’adapter au changement climatique.Julie Bompas, Chargée de recherche sur les services climatiques, Agence française de développement (AFD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2133032023-09-13T19:51:53Z2023-09-13T19:51:53ZIndépendance de l’Azawad : et si la déstabilisation du Sahel avait pu être évitée ?<p>Depuis deux ans, les <a href="https://acleddata.com/10-conflicts-to-worry-about-in-2022/sahel/mid-year-update/">données relatives à la situation au Sahel</a> sont particulièrement alarmantes : nombre de morts, de réfugiés, de déplacés internes, d’enfants déscolarisés, expansion du champ d’action des groupes terroristes, instabilité politique <a href="https://theconversation.com/afrique-des-transitions-democratiques-aux-transitions-militaires-197467">au Mali, au Burkina Faso et au Niger</a>…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/niger-le-putsch-de-trop-211846">Niger : le putsch de trop</a>
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<p>Le Mali incarne désormais le cercueil du maintien de la paix onusien et le Niger est en passe d’être celui de la Cédéao. Pis encore, la <a href="https://www.alliance-sahel.org/projets-pdu/projet-trois-frontieres/">« région des trois frontières »</a> (la zone frontalière du Burkina Faso, du Mali et du Niger) est notamment devenue un terrain d’affrontements réguliers entre Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et l’État islamique au grand Sahara (EIGS) ; et les capitales sahéliennes sont devenues l’un des épicentres des tensions entre grandes puissances, ce dont les conséquences sur le long terme sont encore loin d’être connues.</p>
<p>Dans ce contexte, le rejet des traditionnels partenaires de la communauté internationale, en premier lieu la France, et l’émergence d’un <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/08/04/achille-mbembe-en-afrique-la-stabilite-passera-par-une-demilitarisation-effective-de-tous-les-domaines-de-la-vie-politique-economique-et-sociale_6184430_3232.html">« néo-souverainisme africain »</a> – pour reprendre les mots d’Achille Mbembé – ont donné lieu à un vaste bilan d’ensemble de ce qui a été entrepris depuis dix ans par la communauté internationale : approche militaire de la France et de l’UE, efficacité du processus de paix, <a href="https://theconversation.com/afrique-lefficacite-et-levaluation-de-laide-au-developpement-en-question-115168">aide au développement</a> et rôles des organisations spécialisées (G5 Sahel, Alliance Sahel, Coalition pour le Sahel).</p>
<p>Au regard de sa centralité dans la géopolitique du Sahel, la gestion de la « question touarègue » par la communauté internationale doit figurer dans ce bilan, auquel cet article entend contribuer en posant les bases d’une analyse contrefactuelle. La situation au Sahel serait-elle pire si l’État de l’Azawad (nom donné à un territoire d’environ 820 000 km<sup>2</sup> situé dans le nord du Mali, abritant selon le dernier recensement de 2009 près de 1,3 million d’habitants dont, bien que minoritaire, une importante proportion de touaregs, et revendiqué par les différentes <a href="https://www.rfi.fr/fr/hebdo/20160415-afrique-touareg-rebellions-niger-mali-algerie-burkina-faso-histoire">rébellions touarègues depuis 1963</a>) avait été reconnu après la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/04/06/le-mnla-proclame-l-independance-de-l-azawad_1681744_3212.html">déclaration d’indépendance</a> du Mouvement national de Libération de l’Azawad (MNLA), fondé en 2011 sur les bases du <a href="https://noria-research.com/du-mna-au-mnla-le-passage-a-la-lutte-armee/">Mouvement national de l’Azawad</a> (MNA) ?</p>
<h2>La déclaration d’indépendance du MNLA rejetée au nom de la lutte contre le « terrorisme »</h2>
<p>Le 6 avril 2012, le secrétaire général du MNLA, Bilal Ag Achérif, proclame unilatéralement, depuis Gao (la grande ville du nord du Mali), <a href="https://www.jeuneafrique.com/176626/politique/nord-mali-le-mnla-proclame-unilat-ralement-l-ind-pendance-de-l-azawad/">l’indépendance de l’État de l’Azawad</a>, positionnant son mouvement sur une ligne démocratique et laïque en opposition aux groupes djihadistes. Cette déclaration, qui s’inscrit dans la logique même des opérations d’un mouvement de libération nationale, advient dans un contexte hautement volatil, fait d’alliances opportunes puis de compétition pour le contrôle des villes du Nord-Mali entre le MNLA et plusieurs groupes djihadistes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Mali : le MNLA proclame l’indépendance de l’Azawad (TV5 Monde, 6 avril 2012).</span></figcaption>
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<p>À Bamako, en réaction à la situation devenue incontrôlable dans le nord du pays, un <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2012/03/22/01003-20120322ARTFIG00511-mali-le-president-renverse-par-un-coup-d-etat-militaire.php">coup d’État militaire</a> avait mis fin aux fonctions du président Amadou Toumani Touré le 21 mars 2012. Les putschistes, qui se trouvent le 6 avril en pleine discussion avec la Cédéao sur les modalités du retour à l’ordre constitutionnel et de remise du pouvoir aux civils, s’opposent totalement à l’indépendance de l’Azawad et considèrent le MNLA comme une entité ennemie, plus encore que les groupes djihadistes.</p>
<p>Sans surprise, <a href="https://www.peaceau.org/fr/article/l-union-africaine-rejette-totalement-la-pretendue-declaration-d-independance-faite-par-un-groupe-rebelle-dans-le-nord-mali">l’Union africaine exprime immédiatement son « rejet total » de cette déclaration</a> et rappelle son attachement au principe de l’intangibilité des frontières – alors même qu’un an plus tôt, l’organisation avait reconnu l’État du <a href="https://www.cairn.info/les-etats-submerges--9782100567294-page-210.htm">Sud-Soudan, issu lui même d’une sécession avec le Soudan</a>.</p>
<p>De même, le Conseil de sécurité des Nations unies <a href="https://press.un.org/fr/2012/cs10698.doc.htm">affirme</a> son « rejet catégorique des déclarations du MNLA relatives à une prétendue “indépendance” du nord du Mali ». La France adopte logiquement la <a href="https://www.lepoint.fr/politique/mali-la-france-rejette-la-declaration-d-independance-de-l-azawad-06-04-2012-1449084_20.php">même position</a>.</p>
<p>Dans son ouvrage <a href="https://www.lgdj.fr/la-rebellion-et-le-droit-international-le-principe-de-neutralite-en-tension-9789004297753.html"><em>La rébellion et le droit international : le principe de neutralité en tension</em></a>, le juriste Olivier Corten affirme que le principe de neutralité de la communauté internationale qui prévaut en pareilles circonstances ne s’est pas appliqué au MNLA, « non par le seul fait de la tentative de sécession en tant que telle, mais en raison des liens entretenus entre les mouvements sécessionnistes avec des groupes considérés comme terroristes ». Ces propos font référence à la signature d’un “protocole d’entente” le 26 mai 2012 entre le groupe djihadiste Ansar dine (affilié à AQMI) et le MNLA pour la conquête de la ville de Gao face aux forces armées maliennes, <a href="https://www.france24.com/fr/20120529-mali-fusion-entre-rebellion-touareg-mnla-groupe-islamiste-ansar-dine-bloquee-crise-politique-nord-azawad">protocole pourtant très vite dénoncé par les cadres du MNLA</a> suite aux mésententes entre les deux parties sur l’application de la charia.</p>
<p>En 2012, le terrorisme djihadiste était un phénomène encore embryonnaire au Sahel. Mais les partenaires étrangers du Mali l’ont placé au cœur de leur gestion de la « question touarègue » par les Nations unies. Dans le cadre du processus de paix initié dès 2013, la <a href="https://minusma.unmissions.org/mandat-0">Minusma</a> a été contrainte d’opérer la distinction entre, d’une part, les éléments touaregs membres de groupes sécessionnistes (qui travailleront avec l’ONU dans le cadre du processus de paix), et, d’autre part, ceux membres de groupes terroristes (qui, eux, seront dans le viseur des forces antiterroristes, dont l’opération française Serval qui a déployé ses troupes en janvier 2013 à la demande du Mali). Or cette <a href="https://www.afri-ct.org/article/le-maintien-de-la-paix-face-au-terrorisme-la-france-au-mali/">approche fait fi de la grande fluidité engendrée par les liens tribaux et claniques dans cette région</a> ainsi que de l’opportunisme qui peut motiver certains alignements ponctuels, qu’ils soient collectifs ou individuels.</p>
<p>Cette approche a ouvert le champ, dès <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20130619-mali-grandes-mesures-accord-signe-ouagadougou">l’Accord préliminaire de Ouagadougou en 2013</a> qui visait à organiser l’élection présidentielle malienne de 2013, à l’émergence d’une immense zone grise dont toutes les parties impliquées – gouvernementales, militaires, groupes armés, partenaires internationaux – ont su tirer avantage à travers la signature poussive, en 2015, de <a href="https://peacemaker.un.org/sites/peacemaker.un.org/files/Accord%20pour%20la%20Paix%20et%20la%20R%C3%A9conciliation%20au%20Mali%20-%20Issu%20du%20Processus%20d%27Alger_0.pdf">l’Accord pour la Paix et la Réconciliation</a>, dit Accord d’Alger.</p>
<h2>L’Accord d’Alger, la renaissance avortée de la souveraineté du Mali</h2>
<p>L’Accord a été signé par le gouvernement du Mali ; les groupes armés touarègues pro-indépendance de la Coordination des Mouvements de l’Azawad (la CMA, qui regroupe le MNLA, le Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad et le Mouvement arabe de l’Azawad) ; et les groupes armés touaregs « loyalistes » de la Plateforme (notamment le Groupement d’Autodéfense des Touarègues Imghads et Alliés et le Mouvement pour le Salut de l’Azawad-Dahouassak).</p>
<p>En dépit de quelques mesures symboliques, à l’instar de la mise en place dans plusieurs villes du Nord tenues par la CMA <a href="https://minusma.unmissions.org/autorit%C3%A9s-int%C3%A9rimaires-leur-mise-en-place-effective-%C3%A0-kidal-gao-et-m%C3%A9naka">d’autorités intérimaires</a>, du <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20170823-mali-etat-reprend-pied-kidal-gouverneur-retour-sidi-mohamed-ichrach">retour en 2017 à Kidal</a> – fief des touaregs au nord du Mali – du gouverneur, représentant de l’État malien, qui en était absent depuis mai 2014, de l’instauration du <a href="https://minusma.unmissions.org/processus-de-paix-le-m%C3%A9canisme-op%C3%A9rationnel-de-coordination-moc-de-tombouctou-est-lanc%C3%A9">Mécanisme opérationnel de Coordination</a> (MOC), et de l’annonce de l’intégration dans l’armée malienne de <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/mali-accord-pour-une-integration-de-26000-ex-rebelles-dans-larmee-1045799">milliers d’anciens rebelles</a> via le processus de « Désarmement, Démobilisation, Réinsertion » (DDR), aucune avancée substantielle dans la mise en œuvre concrète de l’Accord n’a laissé présager d’un règlement pérenne du conflit malien.</p>
<p>En effet, les autorités intérimaires n’ont jamais reçu les fonds promis ; le <a href="https://minusma.unmissions.org/des-dizaines-de-morts-lors-d%E2%80%99une-attaque-suicide-au-moc-%C3%A0-gao-ce-matin">MOC a été visé par les groupes terroristes</a> dès son lancement et n’a jamais été opérationnel ; le gouverneur est revenu seul à Kidal, sans son cabinet ; et l’intégration dans l’armée des éléments issus du DDR s’est toujours heurtée aux désaccords des parties sur la question des rangs à leur réserver dans la chaîne de commandement.</p>
<p>Cet Accord aurait pourtant pu être le vecteur d’un nouveau départ pour le Mali. Fort d’une armée reconstituée autour des meilleurs éléments issus des groupes rebelles, Bamako aurait pu combattre plus efficacement le terrorisme avant qu’il ne mute progressivement en une guerre communautaire et ne s’exporte aux pays frontaliers.</p>
<p>Les populations du Nord auraient pu bénéficier d’une gouvernance autonome adaptée à leurs besoins, conformément au principe de la « libre administration » consacrée par l’Accord, tout en ayant mieux accès aux services sociaux de base grâce à tous les appuis rendus possibles par la Minusma. Bamako aurait pu se prévaloir d’avoir octroyé aux régions du Nord – après quatre rébellions et trois accords de paix signés en 1992, 2006 puis 2015 – un statut juridique autonome qui aurait pu préfigurer un nouveau modèle de gouvernance en prévision des immenses réformes à venir sur le continent. Mais rien de cela n’eut lieu.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/B0tYKbLTLXM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Face aux atermoiements de Bamako dans la mise en œuvre de l’Accord, le soutien des populations du nord aux groupes sécessionnistes s’est renforcé. Les groupes de la CMA ont consolidé leur cohésion avec les groupes rivaux de la Plateforme à travers la création du <a href="https://www.aps.dz/monde/120346-mali-accord-de-paix-la-cma-et-la-plateforme-annoncent-la-creation-d-un-csp">Cadre stratégique permanent</a>, qui élargit leur base ethnique, accroît leurs capacités diplomatiques à travers les nombreuses réunions de la <a href="https://minusma.unmissions.org/communiqu%C3%A9-de-la-m%C3%A9diation-internationale-14">Médiation internationale</a> et développe leurs capacités administratives par l’exercice de la gouvernance locale dans les villes du Nord.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1514892682346352640"}"></div></p>
<p>L’Accord a été fragilisé par l’avancée des groupes djihadistes et le <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/08/18/coup-d-etat-au-mali-le-president-ibrahim-boubacar-keita-et-son-premier-ministre-aux-mains-des-putschistes_6049272_3212.html">coup d’État de 2020 contre le président Ibrahim Boubacar Keïta</a>, puis mis à mal par la rupture diplomatique avec la France et la <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/le-mali-demande-le-retrait-sans-delai-de-la-mission-de-lonu-2648487">demande de retrait de la Minusma exprimée par la junte</a>, si bien que le bilan de la présence internationale au Mali n’est guère satisfaisant : en dix ans, le terrorisme s’est répandu du Nord-Mali à l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest et rien n’a été réglé au sujet de la « question touarègue », pourtant considérée comme l’un des facteurs initiaux de la crise.</p>
<h2>La France, victime de sa prophétie autoréalisatrice d’accusation d’ingérence</h2>
<p>Durant toutes ces années de présence occidentale, la France aura été la puissance la mieux positionnée pour faire avancer le règlement de la « question touarègue » en appuyant la tenue d’une conférence régionale avec le Mali, le Niger et l’Algérie. Mais rien ne fut fait, dans le souci constant de ne pas donner le sentiment de s’ingérer dans les affaires intérieures du Mali – une ambition louable mais mise à mal par la présence évidente de milliers de soldats français sur le sol malien.</p>
<p>C’est bien la « lutte contre le terrorisme » qui a recouvert ce paradoxe au prétexte que cette lutte constituait la seule priorité pour Paris ; or le règlement de la question touarègue aurait été l’une des réponses à ce mal multiforme que représente le terrorisme. Paradoxalement, les accusations d’ingérence à l’encontre de la France n’ont fait que croître à mesure qu’elle cherchait à se faire la plus discrète sur ce sujet.</p>
<p>Aujourd’hui, ce sont les États-Unis qui semblent disposer des capacités nécessaires dans la région pour permettre d’éventuelles avancées. De ce fait, l’hypothèse de l’indépendance, si elle se posait à nouveau, pourrait bien mériter une considération supérieure à une simple accusation de forfaiture unilatérale. Inkinane Ag Attaher, l’un des fondateurs du MNLA, prévient que le risque de voir les groupes touarègues être pris en étau entre les groupes terroristes – très actifs dans les brousses – et la junte militaire – obsédée par la reprise du contrôle des villes, notamment de Kidal – n’a jamais été aussi élevé.</p>
<h2>L’indépendance, pourquoi pas ?</h2>
<p>La communauté internationale aura interprété la déclaration d’indépendance du 6 avril 2012 comme une excroissance du terrorisme plutôt que comme le signe avant-coureur d’une crise sous-régionale. Ce fut une occasion manquée pour les organisations régionales d’ouvrir le vaste chantier de la gouvernance en Afrique de l’Ouest. Un chantier qui aurait visé à émanciper les États francophones du modèle administratif post-colonial, centralisé, sans égards vis-à-vis des demandes croissantes d’autonomie dans la gestion des affaires publiques.</p>
<p>Ce modèle a, <em>in fine</em>, fait le jeu des groupes terroristes dans les zones les plus reculées. Al-Qaida et l’État islamique ont gagné beaucoup de terrain sur les groupes touarègues, la première cherchant actuellement à <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230908-mali-s%C3%A9rie-d-attaques-terroristes-dans-les-r%C3%A9gions-de-gao-et-tombouctou">reprendre le contrôle de Tombouctou</a> (selon le même scénario qu’en <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20131006-chronologie-aqmi">2012</a>) – et le second renforce continuellement son emprise sur la <a href="https://theconversation.com/mali-pourquoi-la-katibat-macina-et-letat-islamique-au-sahel-se-combattent-dans-le-macina-202464">région de Ménaka</a>. Ils sont les grands gagnants de l’absence de résultat qui prévalait derrière le <em>Gentleman’s agreement</em> que constituait l’Accord d’Alger. En retour, face aux terroristes et à la junte, la popularité idéologique du MNLA et l’idée d’indépendance restent très fortement ancrées dans l’esprit des populations du Nord.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213303/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bertrand Ollivier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En 2012, le Mouvement national de Libération de l’Azawad a proclamé l’indépendance de ce vaste territoire situé au nord du Mali. La situation actuelle invite à repenser cet épisode.Bertrand Ollivier, Chercheur associé à l'Observatoire du Maintien de la Paix Boutros Ghali (GRIP) / Chercheur associé au Centre Thucydide de l'Université Paris II Panthéon Assas / Chargé d'enseignement en Relations internationales à l'ICP, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2125762023-09-05T17:00:10Z2023-09-05T17:00:10ZQuand le boom du cacao au Liberia pousse à la déforestation<p>En 2018, le président libérien, l’ancien footballeur George Weah, et son homologue burkinabé d’alors, Roch Marc Christian Kabore, passaient un accord visant à faciliter le mouvement des Burkinabés au Liberia pour l’agriculture. Cette rencontre a notamment eu pour conséquence d’accélérer le boom du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/cacao-25183">cacao</a>, commencé en 2016, dans ce pays de cinq millions d’habitants situé en Afrique de l’Ouest.</p>
<p>Or, si le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/liberia-35312">Liberia</a> suit la trajectoire historiquement observée depuis quatre siècles, ce boom, qui fait l’objet de nos <a href="https://www.researchgate.net/publication/354925056">récentes recherches</a>, pourrait bien devenir inarrêtable et conduire à une <a href="https://www.researchgate.net/publication/354925056">déforestation systématique</a> encore peu reconnue aujourd’hui dans l’Est du pays, à proximité de la frontière avec la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/cote-divoire-22147">Côte d’Ivoire</a>.</p>
<p><iframe id="9KTq9" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/9KTq9/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Plusieurs indices montrent aujourd’hui que c’est bien le cas : en effet, l’économie du cacao repose sur des <a href="https://www.researchgate.net/publication/295010922_Modele_simplifie_des_cycles_du_cacao">migrations massives</a> et tous les migrants sont quasiment tous des hommes jeunes, peu ou pas scolarisés. 88 % d’entre eux viennent du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/burkina-faso-24087">Burkina Faso</a>, pour seulement 7 % de nationalité ivoirienne, et 5 % de Maliens, Guinéens et autres.</p>
<p>Le Liberia a connu deux guerres civiles, en 1989-1996 puis 1999-2003. Ces guerres ont déclenché l’émigration de Libériens et Libériennes vers la Côte d’Ivoire. Cet épisode a contribué à tisser des liens entre les réfugiés et certaines communautés, notamment les Burkinabés. Durant leur séjour en Côte d’Ivoire, ils ont pu par ailleurs se familiariser avec la langue française, facilitant le contact avec les travailleurs du monde agricole.</p>
<p>En 2002, alors que la crise libérienne se solutionnait, la rébellion ivoirienne éclatait, ce qui a conduit des Burkinabés et Ivoiriens à fuir au Liberia. Les réfugiés ont alors planté des champs de riz et de maïs pour survivre, mais ils ont aussi découvrent la richesse des sols forestiers du Liberia, très peu exploités.</p>
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<p>Les premières demandes de terre vont être adressées aux villageois libériens car les terres manquent de plus en plus en Côte d’Ivoire. Ces demandes sont facilement acceptées par les autochtones libériens qui ont vu en Côte d’Ivoire la force de travail des Burkinabés et leur réussite. Ce boom libérien bénéficie donc aussi de la grande expérience des migrants, accumulée notamment en Côte d’Ivoire. Dans l’échantillon de notre dernier travail de recherche, 66 % des migrants ont d’ailleurs déjà une petite plantation en Côte d’Ivoire (3 ha en valeur médiane) et 25 % sont fils ou frères de planteurs.</p>
<h2>Accès sans capital</h2>
<p>Au Liberia, la plupart de ces migrants obtiennent 10 hectares (ha) de forêt, principalement par un contrat de « planter-partager » : l’autochtone libérien concède 10 ha de forêt au migrant qui s’engage à planter la totalité en cacao. Lorsque la plantation entre en production, elle est partagée, 6 ha pour le preneur et 4 ha pour le cédant.</p>
<p>En d’autres termes, à part un modeste cadeau et une éventuelle commission à un intermédiaire, le migrant accède à la forêt sans capital. Certains d’entre eux vont en profiter pour acquérir de plus grandes surfaces et les recéder dans un nouveau contrat de planter-partager. Dans tous les cas, cet accès facile à la forêt constitue l’un des facteurs universels expliquant la puissance des booms cacao depuis quatre siècles.</p>
<p>La source d’information citée par les planteurs est tout aussi typique des booms cacao : les réseaux familiaux qui transfèrent rapidement les informations ont ainsi constitué un moteur du développement de la filière.</p>
<p><iframe id="6Ap0U" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/6Ap0U/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Dans un petit <a href="https://books.google.fr/books/about/Catapila_chef_du_village.html?id=Az38oAEACAAJ&redir_esc=y">roman</a>, l’écrivain ivoirien Venance Konan a magnifiquement illustré le dynamisme inarrêtable des migrants burkinabés devant une forêt, vue comme une future cacaoyère. Avec l’accent local, ils sont assimilés par les autochtones à de véritables « catapila » (« caterpillar », ou chenille en français). Pour accéder à cette ressource économique, ils s’installent vaille que vaille au Liberia, parfois en risquant leur vie. Ils traversent par exemple en pirogue le Cavally, fleuve qui marque la frontière entre la Côte d’Ivoire et le Liberia, alors qu’ils ne savent pas nager.</p>
<p>Au bilan, les conflits en Afrique de l’Ouest ont généré des migrations précacaoyères, des brassages de population. Tous les ingrédients d’un puissant boom de cacao ont ainsi été réunis au Liberia. Il pourrait désormais s’accélérer par effet d’imitation à travers les réseaux de migration, sans oublier l’impact du manque de terre et du vieillissement des vergers en Côte d’Ivoire.</p>
<p>Toute action de contrôle de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/deforestation-23274">déforestation</a> en Côte d’Ivoire jouera en outre un accélérateur des migrations et déforestation au Liberia. D’autant plus qu’il semble désormais difficile de convaincre un pays souverain qu’il ne peut pas opter pour un scénario qui a été largement appliqué par les autres pays producteurs de cacao…</p>
<hr>
<p><em>Abelle Galo Kla, président de l’ONG Initiative pour le développement du cacao (ID-Cocoa), a contribué à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212576/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Francois Ruf ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’essor du nombre de plantations dans ce pays d’Afrique de l’Ouest repose sur les avantages que les migrants, en grande partie burkinabés, tirent de l’exploitation.Francois Ruf, Agro-économiste, CiradLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2118462023-08-21T15:46:47Z2023-08-21T15:46:47ZNiger : le putsch de trop<p>Le putsch qui a eu lieu au Niger le 28 juillet 2023 n’est pas un putsch de plus mais le putsch de trop, qui donne lieu à une partie de poker entre la CEDEAO et la junte au pouvoir.</p>
<p>Largement sous-estimés, les enjeux du quatrième putsch en Afrique de l’Ouest en deux ans (après le <a href="https://theconversation.com/mali-un-coup-detat-dans-le-coup-detat-161594">Mali</a>, la <a href="https://theconversation.com/guinee-un-coup-detat-previsible-167937">Guinée</a> et le <a href="https://theconversation.com/apres-le-mali-le-burkina-avis-de-tempete-pour-la-france-au-sahel-192535">Burkina Faso</a>) sont, en effet, majeurs pour le Niger, pour la région et au-delà.</p>
<p>Selon les putschistes, c’est la dégradation de la situation sécuritaire <a href="https://www.lesahel.org/declaration-du-conseil-national-pour-la-sauvegarde-de-la-patrie-cnsp-le-general-de-brigade-tiani-abdourahamane/">qui les aurait incités à prendre le pouvoir</a>. Or, à l’inverse du Mali et du Burkina Faso, le Niger n’est pas en partie conquis par les groupes djihadistes. Menacé par Boko Haram au sud dans la région de Diffa et par les groupes armés affiliés à Al-Qaida et à l’État islamique à l’ouest dans les régions de Tillabéri et Tahoua, le pays n’a pas connu d’attaques majeures cette année. En fait, <a href="https://www.lepoint.fr/monde/niger-17-soldats-tues-par-des-djihadistes-a-la-frontiere-avec-le-burkina-faso-16-08-2023-2531772_24.php">l’embuscade dans laquelle est tombée l’armée nigérienne dans la région de Tillabéri</a> le 13 août – soit quinze jours après le putsch –, qui a fait 17 morts parmi les militaires, est la première attaque d’envergure depuis plusieurs mois.</p>
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<h2>Un putsch de rentiers</h2>
<p>De même, à l’inverse du Mali et du Burkina Faso, les putschistes n’incarnent pas une nouvelle génération montante et insatisfaite au sein de l’armée. Âgé de 59 ans, le principal auteur du coup d’État, le <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/niger/coup-d-etat-au-niger-qui-est-le-general-tiani-le-nouveau-dirigeant-autoproclame-a-la-tete-du-pays_5978501.html">général Tiani</a>, était le chef de la garde présidentielle depuis 2011, tandis que le numéro 2 de la junte, le <a href="https://www.letemps.ch/monde/figure-de-la-junte-nigerienne-le-general-mody-est-arrive-a-bamako">général Mody</a>, a 60 ans et était le chef d’état-major des armées de 2020 à <a href="https://www.jeuneafrique.com/1432591/politique/au-niger-le-president-bazoum-nomme-un-nouveau-chef-des-armees/">avril 2023</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Qui est Abdourahamane Tiani, le général qui a pris le pouvoir au Niger ? France 24, 29 juillet 2023.</span></figcaption>
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<p>La motivation des putschistes semble davantage liée à leur sort personnel qu’à la politique sécuritaire du pays, et reflète les tensions préexistantes entre le président Bazoum et une partie de la hiérarchie militaire. Outre le fait que, le 31 mars 2021, à la veille de son investiture, une <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/03/31/niger-une-tentative-de-coup-d-etat-dejouee-deux-jours-avant-l-investiture-du-nouveau-president_6075171_3212.html">tentative de coup d’État</a> avait failli l’empêcher d’accéder au pouvoir, le président Bazoum avait récemment procédé à des changements parmi ses sécurocrates.</p>
<p>Le haut commandant de la gendarmerie et le chef d’état-major général des armées ont été remplacés en mars 2023 et six généraux ont été mis à la retraite. Le remplacement du général Tiani et la restructuration de la garde présidentielle étaient à l’ordre du jour du conseil des ministres du 27 juillet 2023. Or le putsch a eu lieu le 26 et c’est le 28 juillet, après deux jours de tractations au sein de l’armée, que le général Tiani a pris la tête du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP).</p>
<p>Le refus d’accepter la remise en cause de leur position dans la hiérarchie militaire illustre la montée en puissance politique et financière des sécurocrates sahéliens – montée en puissance qui est un effet collatéral de cette guerre contre le djihadisme qui dure déjà depuis dix ans et dont les effets néfastes apparaissent progressivement. Parmi ces effets figure l’explosion des budgets militaires. Selon le Stockholm International Peace and Research Institute, qui fait référence en la matière, les dépenses militaires du Niger sont passées de 39 à 151 milliards de francs CFA de 2011 à 2022. Elles ont donc <a href="https://milex.sipri.org/sipri">presque quadruplé en dix ans</a>. Au Mali, pendant la même période, elles sont passées de 76 à 321 milliards de francs CFA.</p>
<p>Or la gestion des budgets militaires est entachée de corruption. Réalisé en février 2020, un <a href="https://www.jeuneafrique.com/988350/politique/niger-ce-que-contient-laudit-du-ministere-de-la-defense/">audit</a> mené par l’inspection générale des armées sur les commandes passées par le ministère nigérien de la Défense avait révélé un détournement de 76 milliards de francs CFA entre 2014 et 2019. Ces détournements étaient surtout organisés dans le cadre des achats d’armes : une grande partie du matériel militaire fourni par des entreprises étrangères, notamment russes, était sujet à des surfacturations, de faux appels d’offres ou <a href="https://www.occrp.org/en/investigations/notorious-arms-dealer-hijacked-nigers-budget-and-bought-arms-from-russia">n’était parfois tout simplement pas livrée</a>.</p>
<p>Malgré les révélations accablantes de cet audit, les sanctions sont restées cosmétiques et les personnalités impliquées dans ce scandale n’ont pas été poursuivies. L’ampleur de la rente sécuritaire créée par la guerre contre le djihadisme est une des raisons non dites de la montée en puissance des sécurocrates au Sahel et de l’épidémie de juntes militaires.</p>
<h2>La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest au pied du mur</h2>
<p>L’Afrique de l’Ouest connaît une véritable épidémie de putschs. Le Niger, nous l’avons dit, est le quatrième pays touché en trois ans : le Mali a ouvert le bal en 2020 suivi par la Guinée en 2021 et le Burkina Faso par deux fois en 2022. Quatre présidents élus (Ibrahim Boubacar Keïta, Alpha Condé, Roch Kaboré et Mohamed Bazoum) ont été destitués par des hommes en uniformes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/niger-le-coup-detat-augure-des-lendemains-incertains-pour-le-pays-210815">Niger : le coup d’État augure des lendemains incertains pour le pays</a>
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<p>En tant qu’organisation chargée de la paix et de la sécurité dans la région, la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/qu-est-ce-que-la-cedeao-qui-menace-d-intervenir-au-niger-20230807">Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)</a> joue son va-tout. Impuissante face aux trois coups d’État précédents, surprise par ce quatrième putsch, la CEDEAO se trouve maintenant face à une menace existentielle pour les régimes politiques de la région qui se disent démocratiques. Selon la <a href="https://www.bfmtv.com/international/afrique/coup-d-etat-au-niger-qu-est-ce-que-la-cedeao-cette-organisation-qui-pourrait-intervenir-militairement_AD-202308060306.html">ministre sénégalaise des Affaires étrangères</a>, il s’agit bien pour la CEDEAO du « coup (d’État) de trop ». L’organisation régionale a donc <a href="https://ecowas.int/communique-final-sommet-extraordinaire-de-la-conference-des-chefs-detat-et-de-gouvernement-de-la-cedeao-sur-la-situation-politique-au-niger/?lang=fr">réagi en force</a> à ce quatrième putsch :</p>
<ul>
<li><p><a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/08/07/niger-l-ultimatum-fixe-par-la-cedeao-est-arrive-a-son-terme-l-espace-aerien-du-pays-ferme-face-a-la-menace-d-intervention_6184661_3212.html">Ultimatum</a> d’une semaine aux putschistes pour rendre le pouvoir au président Bazoum.</p></li>
<li><p>Train complet de <a href="https://www.trtfrancais.com/actualites/niger-les-sanctions-economiques-se-font-ressentir-deja-14331542">sanctions économiques et financières</a> (fermeture des frontières terrestres et aériennes, gel des avoirs de la République du Niger dans les banques centrales de la CEDEAO, suspension des transactions commerciales et financières entre les États membres de la CEDEAO et le Niger, gel de toutes les transactions de service, etc.).</p></li>
<li><p>Et surtout, menace inédite d’une intervention militaire qui fait écho à la <a href="https://afrimag.net/la-cedeao-va-se-doter-dune-force-anti-putsch/">création d’une force anti-putsch annoncée en 2022</a>.</p></li>
</ul>
<p>Mais loin de reculer, la junte nigérienne a surenchéri en nommant un premier ministre, en <a href="https://www.20minutes.fr/monde/niger/4048926-20230814-coup-etat-niger-junte-veut-poursuivre-president-elu-bazoum-haute-trahison">accusant le président Bazoum de haute trahison</a> et en se rapprochant des trois autres régimes putschistes. Ce rapprochement a conduit à une déclaration de solidarité belliqueuse des juntes malienne et burkinabé qui considèrent qu’une intervention militaire de la CEDEAO au Niger serait <a href="https://www.lesahel.org/communique-conjoint-n001-du-burkina-faso-et-de-la-republique-du-mali-soutien-ferme-du-burkina-faso-et-du-mali-au-peuple-nigerien-et-au-cnsp/">« une déclaration de guerre »</a>.</p>
<p>L’organisation régionale est donc à présent scindée en deux blocs antagoniques – les régimes civils et les juntes – qui sont entrés dans une logique d’escalade. La rhétorique belliciste de ces dernières semaines évoquant une guerre régionale fait partie de la partie de poker qui se déroule entre la junte et la CEDEAO et dont l’issue définira les perdants et les gagnants de cette crise. </p>
<h2>Le basculement géostratégique du Sahel</h2>
<p>Alors que le général Tiani <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230819-niger-le-g%C3%A9n%C3%A9ral-tiani-convoque-un-dialogue-national-inclusif">annonce son intention de rester au moins trois ans au pouvoir</a>, les enjeux de cette crise sont majeurs pour ses acteurs proches et lointains.</p>
<p>Les putschistes nigériens jouent bien sûr leur avenir personnel, tout comme les présidents élus de la CEDEAO. Ces derniers savent que ce n’est plus leur crédibilité qui est en cause, mais leur avenir. Après avoir échoué face à trois coups d’État, leur impuissance pourrait donner des idées à certains de leurs propres militaires, qui suivent de près l’irrésistible ascension des juntes. Quant aux putschistes déjà au pouvoir dans les pays voisins, la confirmation de l’installation au Niger d’une nouvelle junte viendrait les conforter et serait célébrée comme une nouvelle étape du retour des militaires au pouvoir en Afrique de l’Ouest.</p>
<p>Dans un retournement de l’histoire particulièrement ironique, la démocratisation de l’Afrique de l’Ouest, engagée au début des années 1990, s’achèverait par une remilitarisation du pouvoir. Comme la première démocratisation dans les années 1960, la seconde démocratisation se solderait par un échec. La lutte entre les démocraties et les autoritarismes se joue aussi au Niger.</p>
<p>Pour l’Europe et les États-Unis, les enjeux sont aussi considérables, bien qu’encore sous-estimés. Leur opposition au coup d’État leur vaut d’être vilipendés par les putschistes ; c’est tout particulièrement le cas de la France, de nouveau utilisée par ses partenaires africains d’hier comme le bouc émissaire parfait. Le Niger est le <a href="https://www.france24.com/fr/vid%C3%A9o/20230728-quelles-sont-les-forces-occidentales-pr%C3%A9sentes-au-niger">dernier bastion de la présence militaire occidentale dans le cadre de la lutte contre le djihadisme au Sahel</a>.</p>
<p>Après son expulsion du Mali et du Burkina Faso, l’armée française risque d’être complètement expulsée du champ de bataille sahélien, les <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/08/12/au-niger-le-sort-des-forces-francaises-en-suspens_6185211_3212.html">putschistes ayant exigé son départ d’ici septembre</a>. Même si les putschistes s’en prennent en priorité à la France, ce risque d’expulsion plane aussi sur les <a href="https://responsiblestatecraft.org/2023/08/17/what-will-happen-to-us-troops-stationed-in-niger-if-the-region-explodes/">troupes européennes et américaines stationnées au Niger</a>. En ce sens, l’avenir de la guerre contre le djihadisme sahélien se joue au Niger.</p>
<p>En outre, le rapprochement immédiat <a href="https://www.bbc.com/afrique/region-66428370">avec les juntes voisines</a> et <a href="https://sahelien.com/situation-au-niger-assimi-goita-et-vladimir-poutine-se-sont-entretenus-par-telephone">leurs amis russes</a> augure une réorganisation régionale des alliances. Grâce à un jeu de dominos parfait, un Sahel hostile aux intérêts occidentaux et prêt à explorer tous les partenariats alternatifs sur le marché de l’aide (pas seulement russe mais aussi arabe, chinois, etc.) est en train d’être créé. À ce titre, les similitudes du schéma des coups d’État entre Bamako, Ouagadougou et Niamey ne peuvent qu’interroger : même justification sécuritaire, même posture anti-française, <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-vrai-du-faux/le-vrai-du-faux-coup-d-etat-au-niger-trois-fausses-informations-qui-circulent-sur-les-reseaux-sociaux-autour-de-la-situation-dans-le-pays_5963384.html">même campagne de désinformation sur les réseaux sociaux</a> et même <a href="https://www.lefigaro.fr/international/niger-ce-que-revele-l-apparition-des-drapeaux-russes-en-marge-du-coup-d-etat-20230801">appel à la Russie</a>. Le Sahel devient un nouvel exemple de la perte d’influence des États-Unis et de l’Europe sur la scène internationale et du déclassement de la France, qui fait figure de grand perdant. En ce sens, la guerre d’influence entre grandes puissances se joue aussi au Niger.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211846/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Vircoulon est chercheur associé au centre Afrique de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI) et expert au Global Initiative against Transnational Organized Crime (GI-TOC). Il a reçu des financements de ces organisations. </span></em></p>Le Niger est le quatrième pays africain en deux ans à connaître un coup d’État militaire. Cette fois, la CEDEAO, organisation régionale regroupant quinze pays, va-t-elle intervenir ?Thierry Vircoulon, Coordinateur de l'Observatoire pour l'Afrique centrale et australe de l'Institut Français des Relations Internationales, membre du Groupe de Recherche sur l'Eugénisme et le Racisme, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2081232023-06-29T19:12:05Z2023-06-29T19:12:05ZSénégal : une crise politique majeure qui aurait pu être évitée<p>Comment expliquer les récents accès de violence politique au <a href="https://theconversation.com/fr/topics/senegal-27632">Sénégal</a>, pays tant vanté par le passé pour sa supposée « exception démocratique » ?</p>
<p>Ces dernières années, les crises politiques se répètent et se ressemblent : une dizaine de morts en <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/550569/senegal-violences-manifestations-morts">janvier-février 2012</a> après l’annonce de la candidature du président sortant Abdoulaye Wade à un troisième mandat ; 14 morts en <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2022/03/senegal-noublie-pas-mars-2021/">mars 2021</a> suite à l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko ; 4 morts en <a href="https://www.jeuneafrique.com/1362410/politique/senegal-pourquoi-le-deces-dun-manifestant-proche-de-lopposition-pose-question/">juillet 2022</a> lors des manifestations contre l’invalidation des candidats des listes d’opposition aux législatives ; enfin, 23 morts <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/senegal-23-morts-selon-amnesty-international-qui-reclame-une-enquete-2646005#">début juin 2023</a> après la condamnation du même Ousmane Sonko pour « corruption de la jeunesse ».</p>
<p>Cette dernière crise a particulièrement marqué les esprits. Pourtant, ses ingrédients étaient bien connus depuis longtemps…</p>
<h2>Usure du pouvoir et tentation autoritaire</h2>
<p>En 2012, Abdoulaye Wade s’était porté candidat à sa propre succession alors qu’il avait déjà effectué deux mandats présidentiels, ce qui avait entraîné une sérieuse crise politico-constitutionnelle. Il avait alors été vaincu au second tour par son ancien premier ministre Macky Sall. La victoire de ce dernier, pour un mandat de sept ans, avait engendré de grands espoirs : le nouveau chef de l’État, voulait-on croire, allait mettre en œuvre une transformation institutionnelle qui éviterait qu’une telle situation ne se répète.</p>
<p>L’optimisme démocratique n’a pas duré : à chaque étape, le président Sall a semblé privilégier le rapport de force.</p>
<p>Plutôt qu’appliquer les propositions des <a href="https://www.jeuneafrique.com/203156/politique/assises-nationales-et-apr-s/">Assises nationales de 2009</a> pour une réforme en profondeur des institutions, qu’il a signées, il mène à la hâte une <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/03/18/senegal-que-disent-les-15-points-soumis-a-referendum_4886000_3212.html">révision constitutionnelle en 2016</a>. Celle-ci réduit la durée du mandat présidentiel à cinq ans, mais ne prend pas à bras-le-corps le problème principal identifié depuis longtemps, à savoir l’hyperprésidentialisme du système politique sénégalais, produit de son histoire depuis le <a href="https://www.seneplus.com/opinions/regard-sur-les-evenements-de-decembre-1962">coup de force de Senghor en 1962</a>.</p>
<p>En 2019, l’instauration d’un <a href="https://www.jeuneafrique.com/1331019/politique/legislatives-au-senegal-la-guerre-des-parrainages-est-declaree/">système de parrainages</a> pour les candidatures à l’élection présidentielle – qui en soi n’a rien d’anti-démocratique, mais qui a été mis en place sans concertation et compte parmi les plus stricts d’Afrique ou d’Europe – entrave sérieusement le pluralisme des élections.</p>
<p>Surtout, l’élimination judiciaire préalable des deux opposants les plus importants, le fils de l’ancien président Karim Wade et le maire de Dakar Khalifa Sall, <a href="https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2018-3-page-187.htm?ref=doi">emprisonnés puis libérés mais devenus inéligibles</a>, confirme la volonté du pouvoir de n’organiser que des élections sans danger.</p>
<p>C’est dans ce contexte que Sall est réélu en 2019 pour un second mandat, de cinq ans cette fois. La <a href="https://theconversation.com/enjeux-et-usages-du-poste-de-premier-ministre-au-senegal-117575">suppression surprise du poste de premier ministre</a> au lendemain de l’élection, pour éviter toute concurrence politique possible et renforcer toujours plus les pouvoirs présidentiels, avant la réinstauration de la fonction en 2022, pose la question de la crédibilité des institutions. Dans les classements internationaux sur l’état de droit et la liberté de la presse, le <a href="https://rsf.org/fr/pays-s%C3%A9n%C3%A9gal">Sénégal dégringole régulièrement</a>.</p>
<p>Dans le même temps, les signes du déclin électoral de la coalition au pouvoir Benno Bokk Yakaar se multiplient durant le second mandat, alors même qu’elle ne cesse de coopter des opposants, tant du camp libéral de l’ex-président Abdoulaye Wade que des rangs socialistes. En janvier 2022, l’opposition remporte la majorité des grandes villes aux <a href="https://www.lepoint.fr/afrique/elections-locales-du-senegal-maintenant-que-le-vin-est-tire-04-02-2022-2463355_3826.php">municipales</a>. Six mois plus tard, lors des <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20220812-l%C3%A9gislatives-au-s%C3%A9n%C3%A9gal-le-camp-pr%C3%A9sidentiel-garde-la-majorit%C3%A9-absolue-gr%C3%A2ce-%C3%A0-une-alliance">législatives</a>, le pouvoir évite de peu une cohabitation avec la coalition d’opposition Yewwi Askan Wi, qui regroupe notamment les soutiens d’Ousmane Sonko, de Khalifa Sall et de Karim Wade.</p>
<h2>Tout pouvoir n’a-t-il pas l’opposition qu’il mérite ?</h2>
<p>Plus que l’usure inexorable, et finalement très classique, du pouvoir, c’est la persécution au long cours de l’opposition qui a conduit la direction actuelle du pays dans l’impasse. Cette stratégie jusqu’au-boutiste s’est peut-être retournée aujourd’hui contre ses initiateurs.</p>
<p>En 2019 déjà, le pouvoir n’avait pas lésiné sur les moyens, au point de faire appel à une <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/02/15/revelations-sur-team-jorge-des-mercenaires-de-la-desinformation-operant-dans-le-monde-entier_6161842_4408996.html">officine israélienne produisant des fake news</a>. Diverses <a href="https://www.bbc.com/afrique/region-53043804">rumeurs infondées</a> circulent alors sur les réseaux sociaux afin de décrédibiliser Ousmane Sonko.</p>
<p>Ce dernier, qui n’était alors qu’un opposant parmi d’autres, détonnait déjà dans le champ politique par la modernité de ses campagnes et de ses levées de fonds en ligne, et par la capacité de son parti, les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), à mobiliser une bonne partie de la jeunesse urbaine et estudiantine, mais aussi au-delà, dans les classes populaires et la diaspora.</p>
<p>Inspecteur des impôts, radié de la fonction publique par un décret de Macky Sall en 2016 suite à ses sorties médiatiques sur des scandales financiers présumés, puis élu député en 2017, Sonko, né en 1974, se distingue par un discours intransigeant axé sur la lutte contre la corruption, le souverainisme et un nationalisme mâtiné de conservatisme religieux. Il obtient un score encourageant de 15 % à la présidentielle de 2019.</p>
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<p>En janvier 2021, le pouvoir menace une première fois de <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210104-s%C3%A9n%C3%A9gal-le-pastef-d-ousmane-sonko-menac%C3%A9-de-dissolution">dissoudre le Pastef</a> au prétexte d’une levée de fonds en ligne ayant permis au parti de récolter environ 200 000 euros. Le mois suivant, une <a href="https://www.jeuneafrique.com/1117077/politique/senegal-ce-que-contient-la-plainte-pour-viols-et-menaces-de-mort-contre-ousmane-sonko/">plainte est déposée</a> contre Ousmane Sonko pour viols répétés et menaces de mort par une employée de salon de massage, Adji Sarr. C’est le coup d’envoi de « l’affaire Ousmane Sonko », qui tient en otage le Sénégal depuis lors.</p>
<p>Sonko radicalise alors son discours et lance l’épreuve de force avec la justice. Son arrestation en mars 2021 dans le cadre de cette enquête provoque la première <a href="https://theconversation.com/la-place-essentielle-des-reseaux-socionumeriques-dans-la-contestation-au-senegal-157467">grande série d’émeutes</a>, dont la répression fera 14 morts.</p>
<p>Face à la réaction de ses partisans, le pouvoir est contraint de le libérer. Sonko ne peut plus quitter le territoire national et ses moindres faits et gestes sont scrutés… ce qui ne l’empêche pas de <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220124-s%C3%A9n%C3%A9gal-l-opposant-ousmane-sonko-remporte-la-mairie-de-ziguinchor-une-%C3%A9tape-importante">se faire élire maire de Ziguinchor</a> (la grande ville de Casamance) en mai 2022 et d’organiser de grands meetings pour démontrer sa popularité et s’en servir comme bouclier.</p>
<p>Après les scrutins de 2022, une autre plainte, pour diffamation cette fois, est déposée par un ministre, ancien chef de cabinet de Macky Sall. Elle aboutira en avril 2023 à une condamnation pour six mois de prison avec sursis, une amende considérable et le risque de l’inéligibilité pour Ousmane Sonko.</p>
<p>Mais c’est le procès Adji Sarr contre Ousmane Sonko qui attise la tension maximale. Le verdict de juin 2023, qui requalifie les faits en « corruption de la jeunesse », délit exhumé du code pénal mais presque jamais utilisé, met le feu aux poudres en condamnant Ousmane Sonko à deux ans de prison ferme. S’il reste pour l’instant en liberté, <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230628-s%C3%A9n%C3%A9gal-ousmane-sonko-s-exprime-pour-la-premi%C3%A8re-fois-depuis-sa-condamnation">son arrestation semble imminente</a>.</p>
<p>Alors qu’il sonne pour l’opinion comme un acquittement puisque les accusations de viols et menaces ne sont pas retenues, et qu’il semble crédibiliser les suspicions d’instrumentalisation de la justice et/ou de la plaignante, le verdict rend encore plus incertaine la possibilité pour Sonko de concourir à la prochaine présidentielle, prévue pour début 2024.</p>
<h2>La mécanique infernale de la polarisation</h2>
<p>La <a href="https://afriquexxi.info/Au-Senegal-chronique-d-une-insurrection-annoncee">polarisation suscitée par cette affaire</a> divise jusqu’au sein des familles. Elle synthétise de façon vertigineuse toute une série de clivages au Sénégal (rapports entre les générations, conceptions de la citoyenneté, rapports de genre, rapport au religieux, à la justice et aux forces de l’ordre, rapports de classe et inégalités sociales, etc.).</p>
<p>Chaque camp se rejette la responsabilité de la crise. Le pouvoir dénonce la mégalomanie d’un politicien qui entendrait se soustraire à la justice de son pays, et instrumentaliserait ses partisans pour se construire une immunité « populaire » à la Trump et défier les institutions. Pour leur part, Ousmane Sonko et ses partisans crient au complot, au harcèlement judiciaire et policier, et à la volonté de liquidation politique.</p>
<p>Souligner la responsabilité première et écrasante du pouvoir dans ce processus de polarisation n’exonère certes pas les outrances d’Ousmane Sonko, qui ont pu faire douter jusque dans ses rangs. Pour un prétendant à la magistrature suprême, les <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/journal-de-l-afrique/20230530-ousmane-sonko-appelle-les-s%C3%A9n%C3%A9galais-%C3%A0-se-lever-comme-un-seul-homme-contre-le-pouvoir">appels à la confrontation directe et violente</a> passent mal auprès d’une part importante de l’opinion.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/tensions-politiques-au-senegal-sachemine-t-on-vers-une-impasse-201224">Tensions politiques au Sénégal : s'achemine-t-on vers une impasse?</a>
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<p>Les <a href="https://afriquexxi.info/Senegal-Le-corps-des-femmes-cet-objet-politique">organisations féministes</a>, ainsi que divers médias ou intellectuels rappellent <a href="https://www.seneplus.com/opinions/sonko-criton-plutot-que-socrate">ses discours misogynes</a> et soulignent le hiatus entre l’image de rigueur morale qui était le fonds de commerce du leader du Pastef et la fréquentation nocturne d’un salon de massage et/ou de prostitution.</p>
<p>Mais le verdict aura aussi sans doute contribué à cimenter sa base, qui n’attend plus grand-chose des institutions. Les <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/tensions-au-senegal-500-arrestations-les-deux-camps-se-renvoient-la-responsabilite-des">arrestations massives</a> opérées parmi les membres du Pastef, y compris des élus (députés ou maires), combinées à des arrestations de nombreux <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/03/08/au-senegal-les-journalistes-inquiets-apres-une-nouvelle-arrestation-dans-le-cadre-de-l-affaire-ousmane-sonko_6164695_3212.html">journalistes</a>, lient temporairement le destin du parti à la société civile, signe que la tentative visant à isoler le Pastef a largement échoué. Échec supplémentaire pour le pouvoir : les autres partis d’opposition ont plutôt apporté leur soutien à Ousmane Sonko.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/au-senegal-les-manoeuvres-politiciennes-autour-du-dialogue-politique-122929">Au Sénégal, les manœuvres politiciennes autour du dialogue politique</a>
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<p>Le recours documenté à des « nervis » – ces hommes de main prêts à tout –, en particulier dans le camp du pouvoir, là encore aussi vieux que l’existence des campagnes électorales, <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2023/06/senegal-amnesty-international-demande-une-enquete-independante-sur-la-repression-meurtriere-lors-des-manifestations/">inquiète les organisations internationales et de défense des droits de l’homme</a>, d’autant qu’il se généralise même hors des périodes électorales. Les attaques de maisons d’hommes politiques, du pouvoir comme de l’opposition, sont là aussi tout sauf nouvelles, mais à l’ère des réseaux sociaux leur retentissement est majeur.</p>
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<p>Le Sénégal semble ainsi redécouvrir la part d’ombre de sa vie politique. Entre la tentation de la milicianisation chez certains soutiens du pouvoir en place, et celle de l’insurrection chez certains éléments du Pastef, l’impasse semblait totale début juin et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=T0NT8ydFe4c">l’affrontement de grande ampleur inévitable</a>. Mais l’intensité des réactions dans les médias, la classe politique et la population signale un profond refus de la banalisation de la violence. L’examen de conscience général qu’a produit la crise pourrait redonner toute sa légitimité à un espace central, convaincu que ces deux polarités extrêmes mènent à l’impasse démocratique.</p>
<p>Certains faucons proches du pouvoir souhaitent <a href="https://www.seneweb.com/news/Contribution/reponse-a-l-rsquo-insurrection-terrorist_n_411594.html">« éradiquer » le Pastef</a>, ce qui serait le moyen le plus sûr de conduire à davantage de radicalisation et à des lendemains encore plus incertains pour le Sénégal.</p>
<p>Ce parti joue un rôle important pour l’intégration politique des élites intermédiaires et d’une certaine jeunesse urbaine désenchantée. Le pouvoir aurait tout intérêt à l’inclure dans le jeu électoral, quitte à bousculer un peu l’entre-soi de la classe politique sénégalaise. Le « risque » serait bien moindre que son exclusion des rouages de la démocratie représentative. D’autant que pour Ousmane Sonko, l’épreuve électorale est peut-être plus redoutable que l’épreuve judiciaire qui lui est imposée actuellement : il lui faudra faire face à des contradicteurs, défendre la crédibilité économique et budgétaire d’un programme, aligner des potentielles équipes gouvernementales et des compétences, rassurer des potentiels alliés pour une coalition…</p>
<h2>Les solutions sont connues</h2>
<p>Certes, le Sénégal peut s’enorgueillir de deux alternances politiques réussies en 2000 et 2012. Mais ce que la <a href="https://theconversation.com/presidentielle-au-senegal-les-faux-semblants-dune-democratie-modele-112776">légende dorée de l’exception démocratique sénégalaise</a> ne signale pas, ce sont les conséquences de la présence des présidents sortants dans ces deux scrutins. Seule l’existence du second tour a permis leur défaite, par un « vote utile » ou « dégagiste ». Le président élu tend alors à prendre son élection pour un vaste soutien populaire à sa personne et le réveil de l’impopularité n’en est que plus brutal.</p>
<p>La cristallisation d’un débat sur le troisième mandat, qui dans un pays normalement démocratique ne devrait même pas exister, souligne bien <a href="https://www.seneweb.com/news/Contribution/cette-verite-que-l-rsquo-on-ne-saurait-c_n_411628.html">l’absence de consolidation institutionnelle de la démocratie</a>. Le franchissement d’un véritable seuil qualitatif pour la démocratie au Sénégal serait donc qu’un président sortant ne se représente pas après ses deux mandats permis par la Constitution. Si Macky Sall entend marquer l’histoire politique de son pays, c’est en annonçant son départ qu’il pourra le faire.</p>
<p>La construction d’institutions politiques démocratiques fortes – et fortes parce que démocratiques – est essentielle pour la légitimité du pouvoir et la stabilité à long terme. <a href="https://obamawhitehouse.archives.gov/the-press-office/remarks-president-ghanaian-parliament">Barack Obama ne disait pas autre chose</a> en rappelant, en 2009, lors de sa visite au Ghana, cette vérité simple mais efficace : « L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts. Elle a besoin d’institutions fortes. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208123/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Etienne Smith ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La condamnation de l’opposant Ousmane Sonko dans une affaire montée de toutes pièces selon ses partisans a mis le feu aux poudres au Sénégal.Etienne Smith, Maître de conférences, Sciences Po BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2074372023-06-22T18:57:38Z2023-06-22T18:57:38ZAu Bénin, les maladies cardio-vasculaires mettent les familles sous tension<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/533025/original/file-20230620-21-uawc0u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C124%2C1772%2C1538&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Photo de famille dans un village proche d’Abomey, 2009. Dans les conditions de vie précaires des villages béninois, la prise en charge des maladies cardio-vasculaires repose largement sur les efforts consentis par l’entourage des malades.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Geoffrey Fritsch</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Au Bénin, les <a href="https://www.iccp-portal.org/system/files/plans/BEN_B3_2019_PSILMNT2019-2023_Final.doc_.pdf">maladies cardio-vasculaires</a> sont devenues, au cours des dernières décennies, un problème de santé publique important, tant en milieu urbain qu’en milieu rural.</p>
<p>En milieu rural, l’inégal accès aux soins, la distance sociale avec la médecine dite « moderne », la prévalence de l’automédication et le recours à la médecine dite « traditionnelle » sont au cœur de la vie des malades et de leurs familles.</p>
<p>À Tanvè, petit village du Bénin méridional, une étude épidémiologique de cohorte, la <a href="https://www.unilim.fr/ient/blog/tahes/">Tanve Health Study</a> (TAHES), a documenté entre 2015 et 2021, à travers une série d’enquêtes annuelles, l’état de santé cardio-vasculaire de la population. Parallèlement à cette étude épidémiologique, <a href="https://doi.org/10.1016/j.respe.2018.05.239">pionnière en Afrique</a>, et <a href="https://bmccardiovascdisord.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12872-019-01273-7">riche d’enseignements en matière de santé publique</a>, nous avons mené entre 2019 et 2021 une enquête ethnographique complémentaire.</p>
<p>Au travers d’une série d’études de cas, nous avons pu mettre en évidence la manière dont cohabitent localement différents registres d’interprétation de la maladie et des logiques de soin plurielles. Nous avons aussi montré comment l’absence de politique de protection et d’aide sociale dans ce domaine fait au final reposer le soin quotidien des malades sur les familles, et en particulier sur les femmes.</p>
<h2>Des familles face à la maladie</h2>
<p>En l’absence de soutien étatique, la taille et la disponibilité des familles se révèlent en effet cruciales. Une vaste maisonnée, des enfants restés au village avec des revenus à peu près réguliers, et la présence de filles et de belles-filles en particulier sont ainsi des éléments déterminants dans les trajectoires thérapeutiques de celles et ceux qu’a frappés une « crise », comme on dit localement. Mais toutes les familles ne disposent évidemment pas de telles ressources.</p>
<p>En avril 2018, Honorine – les prénoms ont été modifiés – a trébuché sur le seuil de sa maison. Elle n’a plus jamais marché seule depuis lors. Ce jour-là, son mari a appelé des voisins pour l’aider à transporter sa femme à l’intérieur. Mais elle n’a pas été amenée vers un centre de santé.</p>
<p>L’une de ses jambes a gonflé, et Honorine a été alitée. Son époux a alors été consulter des <a href="https://www.jstor.org/stable/40466131?seq=1">devins</a>. Ceux-ci ont affirmé que la chute et le gonflement avaient été provoqués par des sorciers, prescrit des cérémonies à effectuer pour s’en défendre, et confectionné des talismans protecteurs. Un beau-fils a conseillé une pommade, achetée en pharmacie, et recruté une masseuse dans le village, pour venir masser la jambe de sa belle-mère, jusqu’à ce que le gonflement soit résorbé. Ce n’est qu’une dizaine de mois plus tard, lors de l’enquête annuelle du projet TAHES, que le diagnostic médical d’accident vasculaire cérébral a été posé.</p>
<p>Dans les mois suivants, les deux filles du couple présentes au village se sont relayées auprès de leurs parents, assurant la toilette, l’entretien, les lessives et une partie des repas. Cette situation a progressivement mis leurs propres foyers sous pression. Au printemps 2019, le beau-fils qui avait procuré la pommade et la masseuse à sa belle-mère un an plus tôt suggérait que celle-ci, à moitié aveugle, aurait fait preuve d’imprudence en cherchant malgré tout à se déplacer autour de son domicile, et pourrait avoir une part de responsabilité dans ce qui lui était arrivé… Il craignait aussi ouvertement qu’une aggravation de l’état de sa belle-mère ne débouche sur une mobilisation encore plus importante de sa femme à ses côtés, privant son propre foyer du travail domestique de celle-ci. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/531716/original/file-20230613-19-rwwafg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/531716/original/file-20230613-19-rwwafg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/531716/original/file-20230613-19-rwwafg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/531716/original/file-20230613-19-rwwafg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/531716/original/file-20230613-19-rwwafg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/531716/original/file-20230613-19-rwwafg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/531716/original/file-20230613-19-rwwafg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le centre de santé de Tanvè en 2022. Les centres de santé villageois sont des centres de première ligne. Les cas plus graves sont référés à l’hôpital de zone le plus proche, à une dizaine de kilomètres, mais l’anticipation du coût d’un traitement hospitalier décourage bien des ménages.</span>
<span class="attribution"><span class="source"> : Tonaï Guedou</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les significations données à la maladie peuvent ainsi recouper étroitement des lignes de tension plus générales, comme celle qui oppose classiquement dans ces milieux un époux et ses beaux-parents autour des obligations domestiques des femmes. Honorine est finalement décédée en avril 2020.</p>
<h2>Le sens du mal</h2>
<p>Ici comme ailleurs, la question du sens du mal est rarement innocente. La part qu’un diagnostic médical peut y tenir est variable. Elle cohabite ici, voire entre en concurrence, <a href="https://doi.org/10.1016/j.ancard.2021.07.003">avec d’autres manières d’interpréter la maladie</a>.</p>
<p>Il n’est pas rare en effet que l’interprétation à donner à une « crise » soit discutée, sinon disputée. D’une part, les diagnostics en termes médicaux sont bien connus au village comme en ville. D’autre part, toutefois, le caractère soudain d’une crise d’hypertension ou d’un accident cardio-vasculaire et, en l’absence de suivi médical régulier, la quasi-invisibilité du problème sous-jacent en amont, se prêtent volontiers à des soupçons d’agression occulte, ou de transgression par le malade d’un interdit coutumier.</p>
<p>L’invocation de la <a href="https://doi.org/10.4000/etudesafricaines.10202">sorcellerie</a> n’a ici rien d’incompatible avec la reconnaissance de causes médicales, et s’inscrit dans d’autres représentations du mal, qui distinguent localement entre maladies « simples » et maladies « de l’ombre ». Ainsi, une crise d’hypertension ou un accident vasculaire cérébral peuvent-ils avoir été « provoqués », comme on dit dans le français local, comme toute autre maladie. Le sorcier ou l’envoûteur peuvent parfaitement avoir agi au travers d’une maladie connue du monde médical. Le discours médical n’épuise pas nécessairement la quête du sens du mal.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/531941/original/file-20230614-29-99hkpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/531941/original/file-20230614-29-99hkpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/531941/original/file-20230614-29-99hkpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/531941/original/file-20230614-29-99hkpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/531941/original/file-20230614-29-99hkpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/531941/original/file-20230614-29-99hkpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/531941/original/file-20230614-29-99hkpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le devin et guérisseur Yakpechou, de Tanvè, aujourd’hui décédé, ici photographié en 2009 auprès d’une partie de ses divinités vodoun. La réputation de cet homme s’étendait alors bien au-delà de son village, et des gens venaient le voir de loin pour chercher une solution à leurs problèmes et faire sens du mal. Aujourd’hui l’un de ses fils lui a succédé dans son office. Photo : Geoffrey Fritsch.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>La « crise » d’une personne occupant une position jalousée, ou impliquée dans un conflit familial ou de voisinage, a ainsi de grandes chances d’être interprétée en termes d’agression occulte. Un diagnostic posé en termes médicaux peut alors être articulé avec une autre couche de significations liant l’événement aux tensions sociales dans lesquelles l’individu était pris.</p>
<h2>Une prise en charge « au plus proche »</h2>
<p>L’anticipation du coût d’une prise en charge médicale pèse par ailleurs souvent d’un certain poids face à la survenue d’une crise : aura-t-on les moyens de faire face aux ordonnances qui seront présentées par le corps médical ? La question trotte dans bien des têtes au moment de faire face à une telle situation.</p>
<p>Le choix de l’automédication, comme dans le cas d’Honorine évoqué plus haut, peut ainsi être partiellement motivé par des raisons économiques. De même que le déplacement d’un malade vers une église évangélique ou prophétique, où l’on priera avec conviction pour sa guérison sans attendre de contrepartie financière immédiate. Face à l’incertitude du sens à donner au mal, mieux vaut mettre toutes les chances de son côté.</p>
<p>Lorsque Mathieu fait un AVC en octobre 2019, ses enfants l’amènent immédiatement au centre de santé du village. Il y reste cinq jours, sans que son état ne s’améliore. L’agent de santé local suggère un transfert, inévitablement coûteux, vers le centre hospitalier départemental. Mais, dans le même temps, des voix s’élèvent dans l’entourage familial, pour suggérer que la maladie a probablement des causes occultes. Mathieu est en effet chef de collectivité lignagère, une position convoitée, et sa maladie aurait été « provoquée » par un cousin jaloux. </p>
<p>Il est alors déplacé vers une église prophétique d’Abomey, la ville voisine, dont le responsable est connu pour les guérisons divines qu’il obtient parfois. Mathieu y est massé avec des décoctions de plantes, qu’on lui donne également à boire, pendant deux semaines. Son état ne s’améliore pas, et ses enfants le ramènent alors chez lui. Dans les mois qui suivent, ils continuent à lui administrer des potions issues de la pharmacopée « traditionnelle » et font venir de temps à autre un masseur à domicile, lorsqu’ils parviennent à payer les séances. C’est son benjamin, encore célibataire, qui assure alors sa toilette et l’aide au quotidien, et sa seule fille résidant au village qui prend en charge ses repas. Mathieu est finalement décédé en juillet 2022.</p>
<p>Dans un monde social fortement marqué par un <a href="https://archives.ceped.org/integral_publication_1988_2002/dossier/pdf/dossiers_cpd_33.pdf">pluralisme thérapeutique</a> et une <a href="http://publication.lecames.org/index.php/hum/article/viewFile/480/332">précarité économique pervasive</a>, les compromis de prise en charge négociés dans les heures, les jours et les semaines qui suivent une « crise » font souvent une place importante à l’<a href="https://f-origin.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/2003/files/2015/12/ACTES_5_Houngnihin.pdf">automédication</a>, aux conseils pris auprès de membres de l’entourage, et au recours à des soignants socialement (et familialement) proches – les femmes se trouvant alors particulièrement sollicitées. </p>
<p>Dans de telles configurations, le recours aux centres de santé, où l’on appréhende le coût des soins, ne semble pas nécessairement incontournable. Et les formes de traitement combinent régulièrement des médicaments issus des pharmacies comme du marché noir, et des produits de la pharmacopée traditionnelle, typiquement sous la forme de décoctions de plantes, de pommades ou de poudres produites par les devins et guérisseurs des environs.</p>
<h2>Des vies sous tension</h2>
<p>Depuis 2019, et <a href="https://www.who.int/fr/health-topics/universal-health-coverage">conformément aux priorités de l’Agenda de la santé mondiale</a>, le gouvernement béninois a préparé la mise en place d’une <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20211108-le-b%C3%A9nin-veut-g%C3%A9n%C3%A9raliser-son-projet-d-assurance-maladie-d-ici-janvier-2022">couverture universelle de santé</a> minimale, qui doit devenir une pièce centrale du programme d’<a href="https://www.youtube.com/watch?v=CO9fo8IKjNU">Assurance pour le Renforcement du Capital Humain</a> (ARCH) lancé par l’actuel gouvernement. Permettant la prise en charge gratuite pour les plus pauvres d’un panier de soins élémentaires, ce développement hautement souhaitable a progressivement été étendu à l’ensemble du territoire national jusqu’à le couvrir entièrement au début de l’année 2023. La santé cardio-vasculaire n’est malheureusement pas concernée à ce stade.</p>
<p>Les effets de ricochet des maladies cardio-vasculaires sont particulièrement importants sur l’entourage des malades. Les proches – et surtout les femmes – sont souvent immobilisés à leurs côtés, ce qui réduit d’autant les revenus et l’autonomie financière de ceux-ci. Ce constat pourrait à l’avenir constituer un argument en faveur de l’élargissement de l’aide médicale à la santé cardio-vasculaire des Béninois.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207437/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tonaï Maryse Guédou a reçu un financement du projet TAHES, une étude du LEMACEN et de EpiMaCT avec le soutien du Conseil Régional Nouvelle Aquitaine.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Joël Noret a reçu des financements du Fonds de la Recherche Scientifique - FNRS</span></em></p>Les proches, et spécialement les femmes, se retrouvent souvent contraints de demeurer des mois, voire des années durant, auprès de leurs parents alités. Les conséquences sont multiples.Tonaï Maryse Guédou, Doctorante en Sciences Politiques et Sociales, Université Libre de Bruxelles (ULB)Joël Noret, Professeur d'anthropologie, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2024642023-04-26T13:36:45Z2023-04-26T13:36:45ZMali : pourquoi la Katibat Macina et l’État islamique au Sahel se combattent dans le Macina ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/522637/original/file-20230424-24-z3tnx3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des détenus sortis d'une gendarmerie de Gao, dans le nord du Mali, le 26 février 2013, pour être transférés à Bamako. Ils sont poursuivis pour appartenance à un groupe armé islamiste.</span> <span class="attribution"><span class="source">Joel Saget AFP via Getty Images</span></span></figcaption></figure><p>L’actualité de la crise au Sahel est dominée par <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20230408-burkina-faso-44-civils-tu%C3%A9s-dans-l-attaque-de-deux-villages-dans-le-nord-du-pays">les attaques</a> récurrentes de l’<a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/04/21/au-sahel-le-groupe-etat-islamique-etend-sa-predation_6170453_3212.html">État islamique au Sahel</a> (EIS) dans la région du <a href="https://www.liptakogourma.org/">Liptako-Gourma</a>, principalement au Burkina Faso et au Mali. Cette situation pousse <a href="https://theconversation.com/sahel-des-populations-civiles-a-lepreuve-dune-insurrection-djihadiste">les populations civiles de cette région à fuir les combats </a>. Ces conflits sont la continuité de la lutte fratricide, qui oppose la Katibat Macina (affiliée au Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), ce dernier aussi étant relié Al-Qaïda); et l'EIS (affilié à l’<a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre2-2015-3-page-31.htm">État islamique</a>). </p>
<p>Aujourd'hui, cette lutte entre la Katibat Macina et l’EIS dans le Delta intérieur du Niger semble être reléguée au second plan. Et pourtant, elle est pleine d'enseignements, quant au caractère radical, idéologique ou sur les types de négociations que ces groupes instaurent ou/pas avec les populations locales. </p>
<p>Dans cet article, nous ambitionnons d'expliquer pourquoi ces deux organisations se sont engagées dans une guerre fratricide, singulièrement dans le Delta intérieur du Niger, quand une partie des combattants de la Katibat Macina a fait défection au profit de l'EIS.</p>
<h2>Pourquoi analyser ces deux organisations ?</h2>
<p>Premièrement, ces organisations proviennent toutes les deux du <a href="https://www.jeuneafrique.com/139880/politique/mali-hamada-ould-mohamed-kheirou-le-cerveau-du-mujao/">Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest</a> (MUJAO). </p>
<p>Deuxièmement, elles puisent dans le même vivier, c'est-à-dire qu'elles sont majoritairement composées de Peulhs nomades, qui pour leur grande majorité, n’appartiennent pas à l’élite peulhe (Jowros), qui réglemente <a href="https://www.cairn.info/revue-autrepart-2017-4-page-73.htm">l'accès</a> aux bourgoutières (pâturages). </p>
<p>Troisièmement, une partie de l’EIS est issue de la défection de la <a href="https://ecfr.eu/special/sahel_mapping/katibat_macina">Katibat Macina</a>. Ces deux organisations sont restées longtemps sans se faire la guerre. De l'Afghanistan à la Libye, en passant par l'Irak, partout où ces deux organisations (Al-Qaida et l'État islamique) étaient présentes, elles se combattaient. Or, au Mali, et plus généralement dans le Sahel, l'EIS est resté un bon moment sans afronter la Katibat Macina. À l’exception du violent affrontement d'avril 2020, dans la commune de Dialloubé, dans le centre du pays, les deux organisations semblaient être rentrées dans une phase de paix, fut-elle précaire. Ce qui avait été qualifié d’<a href="https://www.iai.it/en/pubblicazioni/end-sahelian-exception-al-qaeda-and-islamic-state-clash-central-mali,%20Italien%20Journal%20of%20international%20affairs,%20n%C2%B055%20Vol%204,%202020,%20p.%2069-83">“exception sahélienne”</a>.</p>
<p>Les deux groupes opéraient ensemble, parce qu'ils avaient un intérêt commun à combattre les forces de sécurité et de défense (FDS), dans le Liptako-Gourma et dans le Macina.</p>
<h2>Evolution de la Katibat Macina et de l’EIS</h2>
<p>La Katibat de Macina apparaît le 25 janvier 2015 à travers l'attaque de Nampala, dans la région de Ségou, dirigée par Hamadoun Kouffa. Ce dernier est né en 1961 à Saraféré/Nianfunké dans la région Tombouctou, dans le village de Kouffa. Il est le fils d’un imam modeste, et ne revendique pas d’ascendance maraboutique. Formé à Bankass (région de Mopti, centre du Mali), il aurait poursuivi ses études en Mauritanie. </p>
<p>L’histoire de Kouffa est celle d’un jeune élève surdoué, adoré pour sa maîtrise du Coran, qui va passer de la poésie aux prêches enflammés contre l’injustice du monde peulh, l’élite politique et sociale peulhe établie (Jowros, familles des marabouts, chefferies coutumières), pour finir par embrasser la voie du djihadisme importé par la <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2015/01/27/01016-20150127ARTFIG00202-islam-radical-qu-est-ce-que-le-mouvement-tabligh.php">Dawa Tabligh</a> - courant rigoriste de l'islam introduit au Mali par des prédicateurs pakistanais - bien implantée déjà au Mali à partir <a href="https://doi.org/10.2307/j.ctvh9vtbr.14">des années 1990</a>. Ses cibles principales sont les autorités étatiques (administrateurs, forces de sécurité) qu’il accuse de corruption, les élites traditionnelles peulhes qui ont des pratiques féodales, dont il conteste l’autorité, et surtout, leurs accointances avec l’État. </p>
<p>La stratégie de Kouffa est de puiser dans les contours du <a href="https://www.cairn.info/le-djihadisme--9782715407909-page-6.htm">salafisme-djihadisme</a> qui représente, à ses yeux, le prolongement de l’islam originel. <a href="https://www.jstor.org/stable/26983415">Cet islam rejette</a> tout pouvoir découlant du sang (monarchie, chefferie, élite peulhe) et du vote démocratique (Assemblée nationale), au profit du pouvoir divin prônant une application rigoureuse de la Charia, la loi islamique. </p>
<p>Deux dates importantes marquent sa phase de radicalisation. D’abord, sa rencontre avec la secte Dawa mouvement Tabligh, d'où il sortira avec pour ambition de propager l’islam dans le Delta du intérieur du Niger (période pendant laquelle il aurait rencontré Iyad Ag Ghali). Ensuite, le <a href="https://muse.jhu.edu/article/794427">code des personnes et de la famille</a> voté le 3 août 2009, mais dont la promulgation a été retardée sous la pression des organisations islamiques, et qui ne sera voté qu’en 2011, expurgé de toutes les avancées sociales. </p>
<p>Kouffa aurait <a href="https://www.recherches-internationales.fr/RI117/RI117_Bourgeot.pdf">rejoint</a> Iyad Ag Ghali en 2012 et reçu une formation militaire. Il aurait participé à <a href="https://www.jeuneafrique.com/165872/politique/mali-retour-sur-la-bataille-d-cisive-de-konna/">l’attaque de Konna</a>. <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/12/03/mali-la-mort-d-amadou-koufa-un-coup-dur-pour-les-djihadistes-au-sahel_5392124_3212.html">Donné pour mort en 2018</a>, suite à une frappe de l'opération militaire française Barkhane, il <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0T0IGe52VyE">réapparait</a> en 2019 sur la chaîne France 24. </p>
<p>Le MUJAO, qui servit de socle pour la Katibat Macina, le fut aussi pour l'EIS. Pour sa part, <a href="https://africacenter.org/fr/spotlight/comment-letat-islamique-dans-le-grand-sahara-exploite-les-frontieres-au-sahel/">Abou Walid Al Sarhaoui</a>, leader de l'EIS, fait son <a href="https://africacenter.org/fr/spotlight/comment-letat-islamique-dans-le-grand-sahara-exploite-les-frontieres-au-sahel/">apparition</a> en 2015. On sait peu de choses sur sa trajectoire, contrairement à Kouffa, certainement en raison du fait qu’il est étranger et originaire du Sahara occidental. Il <a href="https://www.crisisgroup.org/fr/africa/sahel/la-mort-du-chef-de-letat-islamique-au-grand-sahara-une-occasion-de-dialogue">rejoint</a> le MUJAO en 2012, et en devient le porte-parole. Il adhère ensuite à <a href="https://www.ifri.org/fr/mots-cles-thematiques/al-mourabitoune">Al-mourabitoune</a>, issu de la fusion entre le MUJAO et la brigade Mulathamenn, dirigée à l'époque par l'Algérien <a href="https://www.jeuneafrique.com/168972/politique/terrorisme-le-groupe-de-mokhtar-belmokhtar-et-le-mujao-annoncent-leur-fusion/">Mokhtar Belmohktar</a>. Il a été <a href="https://www.jeuneafrique.com/1234642/politique/mali-le-chef-du-groupe-etat-islamique-au-grand-sahara-tue-par-les-forces-francaises/">tué</a> par Barkhane le 17 août 2021, au Mali.</p>
<p>Au départ, si l’EIS n’est pas reconnu par l’État islamique, il le sera finalement par <a href="https://www.lejdd.fr/International/Etat-islamique-qui-est-Abou-Bakr-al-Baghdadi-699946-3177812">Aboubakr Al Bagdhadi</a> à la suite d’importantes opérations djihadistes menées sur place. Et si au départ, les combattants étaient des Maliens et des Nigériens, aujourd’hui le groupe s’est internationalisé dans la zone dite des trois frontières, - entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso - comme base de l’EIS.</p>
<h2>Pourquoi ces deux organisations se combattent-elles ?</h2>
<p>En 2012, une alliance entre les groupes indépendantistes et djihadistes conduit au <a href="https://www.jeuneafrique.com/167687/politique/guerre-au-mali-retour-sur-le-drame-d-aguelhok/">massacre d’Aguelhoc</a>, dont sont victimes des soldats de l'armée malienne. Avec l’occupation des régions Nord du Mali par les forces djihadistes, le MUJAO finira par prendre le dessus avec l’éviction du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) à Gao. L’opération militaire française <a href="https://www.defense.gouv.fr/operations/operations-achevees-afrique/operation-serval-2013-2014">Serval</a> débute en 2013, le MUJAO sera finalement démantelé. Une composante essentielle de ce groupe va alors rejoindre massivement la <a href="https://ecfr.eu/special/sahel_mapping/katibat_macina">Katibat Macina</a>. Or, une partie des combattants du MUJAO – qui comportait aussi des Arabes, des <a href="https://www.lexpress.fr/monde/afrique/mali-les-touaregs-un-peuple-dans-la-tourmente_1213530.html">Touaregs</a>, des <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/songhai-songhay/">Sonrhaïs</a> – étaient des bergers peulhs. Ces derniers vont ainsi renforcer les rangs de la Katibat Macina à partir de 2015. Il s'agit alors essentiellement des jeunes peulhs de la frontière Mali-Niger, du <a href="https://journals.openedition.org/eps/2688?file=1">pays Dogon</a>, du <a href="https://www.voice4thought.org/fr/les-violences-recentes-dans-le-centre-du-mali-le-hayre-serait-il-en-passe-de-redevenir-un-no-mans-land/">Hayré</a>, de <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220308-attaque-de-mondoro-au-mali-les-jihadistes-du-jnim-et-bamako-pr%C3%A9sentent-des-bilans-diff%C3%A9rents">Mondoro</a> jusque dans le Gourma central dans la région de Mopti.</p>
<p>Une partie de ces Peulhs – en conflit avec les Touaregs dans la zone de Ménaka (nord-est du Mali) – vont finir par rallier l’EIS. Parmi les causes de cet attrait, la radicalité de l’EIS semble être un point important. La Katibat Macina est dans une démarche d’imposition de la Charia, qui est dirigée vers toutes les communautés, fondée sur la croyance selon laquelle la religion transcende les identités communautaires, reprise aujourd’hui par l’EIS. Ce dernier est dans une forme de lutte plus radicale. C’est une organisation violente, de par les exactions qu’elle commet sur les populations civiles. La puissance financière de l’EI – au temps fort de son existence au Moyen-Orient – a peut-être joué également dans l’attraction des jeunes combattants.</p>
<h2>Principaux points de désaccords</h2>
<p>L’EIS reproche à la Katibat la tenue des élections municipales, notamment à Nampala dans la région de Ségou en 2016. En effet, Kouffa estime que les maires sont des agents de développement. Par conséquent, la Katibat n’a pas à les combattre. L’EIS reproche aussi à la Katibat la non-application de la Charia, c'est-à-dire qu’elle ne pratique pas la lapidation ni les amputations des membres. L’EIS critique aussi la Katibat pour avoir accepté la réouverture des écoles (sous réserve que les enseignants soient issus du Delta, condition posée par Kouffa). La signature par la Katibat de compromis avec les <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/11/14/les-chasseurs-dozos-gardiens-sacres-et-encombrants-du-nord-ivoirien_6019188_3212.html">chasseurs Dozos</a> qui sont considérés comme des mécréants a été aussi fustigée par l’EIS. La Katibat refuse le partage des butins de guerre et de la <a href="https://www.gofundme.com/fr-fr/c/blog/who-to-give-the-zakat-to#:%7E:text=La%20zakat%20est%20un%20imp%C3%B4t,renforcer%20la%20foi%20des%20fid%C3%A8les.">zakat</a>. Ce qui n’est pas du goût de l’EIS. </p>
<p>Mais la principale raison du clash entre les deux organisations djihadistes, demeure la question de l’accès aux <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-terrorisme_au_burkina_faso_negocier_ou_pas_tome_1_desire_boniface_some-9782140314827-75557.html">bourgoutières</a>. Il s'agit de pâturages qui se développent dans les zones d’inondation temporaires du Delta. Elles sont formées de “bourgous” – plantes aquatiques très prisées par les éleveurs – et de leurs troupeaux en période de décrue. Les Jowros sont les gestionnaires de ces bourgoutières depuis la <a href="https://www.karthala.com/128-un-empire-peul-au-XIXe-siecle-la-diina-du-maasina-9782865372348.html">Dîna</a>, empire théocratique peulh. </p>
<p>Si Kouffa a bâti sa renommée sur les questions d’égalité entre tous, et de non-paiement des redevances bourgoutières – en ce sens que les bourgous sont la propriété de Dieu et n’appartiennent à personne –, il est revenu sur cette question en s’alliant avec les Jowros face à la défection de ses combattants au profit de l’EIS. Preuve supplémentaire, s'il en fallait, qu’il est moins un idéologue convaincu qu'un entrepreneur politico-identitaire. Ces désaccords impliquant des affrontements pour le contrôle du Delta (fief de la Katibat Macina) participent à accroître l'instabilité dans ces régions. </p>
<p>Pendant longtemps, des négociations ont eu lieu entre les deux organisations pour éviter les affrontements, mais elles ont finalement échoué. L’EIS a alors tenté une percée dans le Delta. Cette organisation prône une application stricte de la Charia, alors que la Katibat Macina opte pour son application contextualisée et pragmatique. La Katibat Macina semble mieux organisée, <a href="https://www.imctc.org/fr/eLibrary/Articles/Pages/article13.9.2021.aspx">plus structurée</a> sur le plan institutionnel. En contact régulier avec les populations, elle met en place des instances pour gérer les affaires courantes. </p>
<p>L'EIS, qui privilégiait jusqu'à présent l'extension de son champ d'action plutôt qu'un ancrage durable dans ses zones d'influence, semble s'aligner sur une <a href="https://theconversation.com/les-djihadistes-du-sahel-ne-gouvernent-pas-de-la-meme-maniere-le-contexte-est-determinant-175258">“gouvernance djihadiste”</a> observable dans les zones sous contrôle du GSIM. C'est la nouvelle situation qui se dessine, notamment dans la région de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-enjeux-internationaux/au-mali-l-etat-islamique-installe-son-sanctuaire-a-menaka-8129892">Ménaka</a>. Les combats fratricides font rage aujourd'hui dans cette région, et plus généralement dans le liptako-Gourma.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202464/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>The authors do not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and have disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>Deux organisations djihadistes la katibat Macina et l'Etat islamique au Sahel se livrent une guerre sans merci. Voici les raisons et les enseignements de cette guerre fratricide.Lamine Savané, PhD science politique, ATER, CEPEL (UMR 5112) CNRS, Montpellier, Post doctorant PAPA, Université de SégouFassory Sangare, Enseignant-chercheur en gestion, Université des sciences juridiques et politiques de BamakoMahamadou Bassirou Tangara, Enseignant-chercheur en économie du développement, Université des Sciences sociales et de Gestion de Bamako Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2014902023-04-10T19:24:09Z2023-04-10T19:24:09ZAu Bénin, ces enfants qui quittent l’école pour apprendre un métier<p>Au Bénin, les ménages populaires en milieu rural éprouvent de grandes difficultés à maintenir leurs enfants à l’école. Une partie des enfants de ces zones sont amenés à quitter le système scolaire avant la fin de l’école primaire ou dès les premières années du collège, même lorsque leurs résultats scolaires sont bons.</p>
<p>Malgré <a href="https://journals.openedition.org/ree/7368?lang=en">diverses mesures politiques prises depuis les années 1990</a> par les gouvernements successifs pour améliorer la qualité de l’offre scolaire et l’accès universel à l’enseignement de base, le pays a vu la proportion des élèves allant jusqu’au bout de l’école primaire passer de <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicator/SE.PRM.CMPT.MA.ZS?end=2021&locations=BJ&most_recent_year_desc=true&start=1971&view=chart&year=2017">85 % en 2016 à 68 % en 2019, avant de remonter à 77 % en 2021</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lafrique-est-forte-de-sa-jeunesse-mais-doit-investir-dans-leducation-79213">L’Afrique est forte de sa jeunesse mais doit investir dans l’éducation</a>
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<p>L’obligation scolaire pour tous les enfants entre cinq et onze ans, décrétée en 2006, n’a jamais été pleinement mise en œuvre. Par ailleurs, en 2015, 35,17 % des élèves ayant achevé le cycle primaire ont <a href="https://knoema.fr/atlas/B%c3%a9nin/topics/%c3%89ducation/%c3%89ducation-secondaire/Taux-dabandon-scolaire-pour-les-enfants-%c3%a0-l%c3%a2ge-dentr%c3%a9e-au-premier-cycle-de-lenseignement-secondaire">abandonné l’école à ce moment-là</a>.</p>
<p>En milieu rural, ce phénomène est encore plus marqué, car pour les ménages pauvres, il est souvent très compliqué de soutenir le coût d’une longue scolarisation, et les enfants apparaissent comme une potentielle force de travail : il peut sembler plus rationnel de leur apprendre au plus vite un métier manuel plutôt que les envoyer poursuivre leur scolarité. Certes, les classes populaires rurales ne sont pas homogènes : certains parents souhaitent voir leurs enfants poursuivre une bonne scolarité jusqu’à l’université et font leur possible pour cela. C’est toutefois au sein des ménages ruraux pauvres que le décrochage scolaire est le plus marqué.</p>
<p>Dans cet article, j’examine les conditions dans lesquelles les enfants quittent l’école avant la fin du cycle primaire ou dès les premières années du collège dans l’arrondissement rural de Tanvè (dans le sud du Bénin) où je mène des enquêtes de terrain depuis maintenant cinq ans. Comment expliquer que des enfants qui ont régulièrement de bonnes notes à l’école arrêtent leur scolarité pour apprendre un métier ? De quels métiers s’agit-il, comment se passe la formation et quelles sont les perspectives des enfants concernés ?</p>
<h2>Maintenir les enfants à l’école est une décision difficile</h2>
<p><a href="https://books.google.be/books?hl=en&lr=&id=YmkmDwAAQBAJ">Indépendamment du fait qu’ils proviennent d’un milieu très pauvre</a>, certains enfants progressent bien durant leur cursus à l’école primaire, occupant régulièrement un bon rang dans le classement scolaire. Néanmoins, il arrive qu’ils échouent à l’examen national du certificat d’études primaires (CEP), passé à la fin du cycle d’études primaires. Aussi banal qu’il puisse paraître, cet échec peut avoir des répercussions majeures sur la suite de la scolarité.</p>
<p>En effet, dans un contexte de précarité économique, où la finalité de la scolarisation n’est pas nécessairement d’accumuler des diplômes alors <a href="https://www.afrobarometer.org/wp-content/uploads/2022/02/ab_r7_policypaperno59_emploi_au_benin.pdf">qu’ils ne garantissent plus l’accès à un travail salarié</a>, le moindre accroc au parcours scolaire devient un argument pour arrêter l’école.</p>
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<p>On l’observe au sein de ménages vivant de travaux agricoles, dont les revenus sont saisonniers, et donc précaires. Ce contexte ajoute une difficulté au maintien des enfants à l’école, surtout lorsque le nombre d’enfants à charge est élevé. C’est le cas de Sylvain, âgé de 19 ans en 2021 au moment de notre rencontre, deuxième enfant d’une fratrie de neuf et ayant vécu avec ses deux parents agriculteurs au cours de sa scolarisation. Son père se souvient avec fierté des excellents résultats scolaires de son fils, qui a même été le meilleur élève de sa classe de CM2 :</p>
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<p>« On était aux champs, et la nouvelle est arrivée. Ses camarades disaient : c’est Sylvain ! C’est Sylvain le premier de la classe ! Nous, nous n’en savions rien à ce moment-là ; s’ils n’étaient pas venus annoncer cela, on n’aurait pas su que les résultats étaient arrivés. »</p>
</blockquote>
<p>Malgré sa progression tout au long de l’année scolaire, il échoue à l’examen national du CEP. Les redoublements ne sont pas bien accueillis par certains parents, car cela implique un investissement infructueux pour des ménages déjà caractérisés par une certaine précarité. En effet, la mesure de <a href="https://www.rfi.fr/fr/emission/20110225-gratuite-ecole-benin">gratuité de l’école primaire mise en place dès 2006</a> n’évite pas aux parents l’ensemble des charges liées à la vie scolaire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-numerique-peut-il-reinventer-leducation-de-base-en-afrique-76871">Le numérique peut-il réinventer l’éducation de base en Afrique ?</a>
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<p>C’est ainsi qu’après cette expérience, Sylvain – alors âgé de 13 ans – décide de concert avec son père d’aller en apprentissage de maçonnerie. Cette formation, tout comme de nombreuses autres formations à des métiers manuels, présente l’avantage de permettre aux jeunes de s’émanciper rapidement. En effet, ils reçoivent une rémunération au cours des contrats de construction pour subvenir à leurs besoins quotidiens tandis que, durant les week-ends, ils font des petits boulots de réparation ici et là, grâce aux compétences qu’ils ont acquises, afin de gagner de l’argent pour leur propre compte.</p>
<p>Au moment où je rencontre Sylvain en 2021, il a terminé ses quatre années d’apprentissage et est en attente de son diplôme. La durée relativement courte des formations – entre trois ans et six ans selon le domaine choisi – est l’autre facteur qui motive les décisions liées à l’apprentissage d’un métier manuel. L’investissement est donc moins onéreux et l’entrée sur le marché du travail plus rapide.</p>
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<img alt="école primaire au Bénin" src="https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C2%2C1381%2C1035&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">École primaire publique de Dékanmey, située dans l’arrondissement rural de Tanvè au Bénin en 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tonaï Guedou</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>S’il est difficile pour les ménages où les deux parents sont présents de maintenir leurs enfants à l’école, cela l’est encore davantage pour les ménages dirigés par une femme seule, car des <a href="https://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2004-4-page-41.html">travaux menés sur la pauvreté au Bénin</a> ont montré que le faible niveau d’éducation, le secteur d’activité (informel) et la taille du ménage accroissent le risque de pauvreté des femmes cheffes de ménages en milieu rural.</p>
<p>La mère de Judi se retrouve dans cette situation. C’est une femme d’une quarantaine d’années, qui n’a jamais été scolarisée. Elle est veuve d’un premier mariage. Judi est l’un des enfants de ce premier mariage. Sa mère s’est remariée et a eu trois autres enfants, mais est désormais séparée de son mari. Quatre enfants, dont Judi, vivent avec elle à plein temps, et c’est sur elle que repose leur charge. Elle a une petite activité de fabrication artisanale de fromage de soja, mais peine à joindre les deux bouts.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/KWaHVwOBQQE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Malgré ces difficultés familiales, Judi réussit brillamment son CEP à l’âge de 13 ans. Il entame ensuite son année de sixième au collège et obtient à l’issue de cette année une moyenne générale de 14/20. Cependant, il arrête l’école peu après (en 2021) et entame un apprentissage de maçonnerie, comme Sylvain. Pour sa mère, le coût d’une longue scolarisation est insoutenable, d’autant qu’elle n’est pas assurée que son fils trouvera du travail plus tard. La question du financement d’une scolarisation qui se prolonge est un problème crucial pour les femmes cheffes de ménage, dont les ressources ne sont pas conséquentes, et qui ne peuvent pas planifier une telle prise en charge sur une longue durée avec leurs maigres revenus.</p>
<p>L’analyse de ces deux cas montre d’une part que dans ces milieux précarisés, un redoublement peut avoir des conséquences radicales sur la scolarité et, d’autre part, que les longues études sont parfois incompatibles avec les revenus des ménages, alors que la durée relativement courte des apprentissages de métiers manuels les rend plus attractifs. Par ailleurs pour certains jeunes, l’apprentissage est la meilleure option car les connaissances dispensées à l’école sont trop théoriques à leurs yeux.</p>
<h2>À l’école, des connaissances trop théoriques</h2>
<p>L’avantage de l’apprentissage pour les jeunes est qu’il s’agit d’une activité pratique, qui permet de créer et de toucher du doigt ce que l’on fait. Durant l’apprentissage, les jeunes développent une représentation de la réussite sociale qui s’appuie sur une forme de <a href="https://www.persee.fr/docAsPDF/arss_0335-5322_1978_num_24_1_2615.pdf">culture anti-école</a>. Une jeune couturière m’a présenté ainsi les raisons pour lesquelles elle a opté pour l’apprentissage :</p>
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<p>« Quand tu vas à l’école, tu ne sais pas concrètement ce que tu apprends, ni ce que tu vas en faire. Or, quand tu apprends un métier, tu sais où tu en es, et ce que tu es capable de faire. »</p>
</blockquote>
<p>Ce besoin d’acquérir un savoir pratique afin de pouvoir en faire quelque chose immédiatement est largement partagé par les jeunes de ces milieux. Certains sont rapidement invités à travailler avec des équipes de construction d’infrastructures dans le village. Par exemple, plusieurs jeunes maçons et menuisiers locaux ont participé à la construction récente de la deuxième école publique du village. Voir leurs enfants travailler pour le village est un motif de fierté pour les parents, et la source d’un sentiment de réussite et d’accomplissement pour ces jeunes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quelles-perspectives-pour-leconomie-africaine-en-2023-198047">Quelles perspectives pour l’économie africaine en 2023 ?</a>
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<p>En somme, les difficultés liées au financement d’une scolarité qui se prolonge, la difficulté à s’approprier des connaissances trop théoriques à l’école et la crainte de reporter le début de l’autonomie produisent une distance par rapport aux <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2001-2-page-5.htm">figures classiques de réussite</a>, au profit d’un apprentissage de métier manuel qui garantit une insertion professionnelle rapide et une autonomie personnelle.</p>
<h2>Avoir un capital scolaire pour apprendre un métier</h2>
<p>Avant d’aller en apprentissage de métier manuel, les jeunes évoqués ci-dessus sont passés par l’école. En effet, l’obligation et la gratuité de l’école primaire, même imparfaitement mise en œuvre, ont largement contribué à augmenter le taux de scolarisation, et même à maintenir les enfants à l’école un peu plus longtemps en fonction des moyens du ménage.</p>
<p>En outre, même si de nombreuses carrières scolaires en milieu rural restent relativement courtes, l’acquisition de quelques notions scolaires est malgré tout valorisée, voire indispensable pour faciliter l’assimilation des connaissances en apprentissage. Il est ainsi devenu important pour les populations rurales de <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-1999-4-page-153.htm">posséder des rudiments scolaires</a> pour, une fois cet apprentissage terminé, pouvoir intégrer un marché du travail très mouvant et ne pas subir un déclassement social et professionnel dans leurs nouvelles professions, où une connaissance élémenentaire du français et des notions de mathématiques peuvent s’avérer bien utiles. In fine, les gains – même maigres – de l’éducation engendrent, pour ceux qui sont dans des professions indépendantes ou informelles, une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S014759670800070X">distinction et une plus-value</a> précieuses.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201490/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tonaï Maryse Guédou a reçu des financements ULB, AUF et ARES </span></em></p>Entre une scolarisation qui se prolonge et l'apprentissage d'un métier, le choix de certains ménages ruraux au Sud du Bénin pour l'avenir de leurs enfants se porte souvent sur la seconde option.Tonaï Maryse Guédou, Doctorante en Sciences Politiques et Sociales, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2007662023-03-23T17:48:57Z2023-03-23T17:48:57ZFemmes migrantes en Afrique de l’Ouest : l’émancipation en marche ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/515122/original/file-20230314-3883-u8rn6n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=432%2C16%2C2263%2C2004&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Quand elles migrent dans un autre pays de la région, les femmes ouest-africaines trouvent souvent du travail dans le secteur de la vente de nourriture, sur les marchés ou dans les rues, comme ici à Porto-Novo, au Bénin.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/portonovo-benin-mar-9-2012-unidentified-429430555">Anton_Ivanov/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>La féminisation de la migration est l’une des grandes tendances du phénomène migratoire mondial et, notamment, africain : en 2020, les femmes représentaient <a href="https://www.migrationdataportal.org/fr/themes/sexospecificites-et-migration">48,1 % du stock mondial de migrants et 47,1 % en Afrique</a>.</p>
<p>Les mobilités féminines ouest-africaines restent pourtant faiblement étudiées, comparées aux mobilités masculines : les motivations des femmes de la région, leurs parcours, les résistances qu’elles rencontrent ou encore leurs réussites demeurent peu visibles. L’image de l’homme seul, migrant pour des raisons économiques ou politiques, continue d’être prégnante dans les représentations de la migration. Or, tendance de plus en plus affirmée, le projet migratoire féminin est marqué par un désir d’affirmation de soi, lequel se manifeste dans bien des domaines : les femmes d’Afrique de l’Ouest se montrent de plus en plus autonomes dans leurs décisions de travailler, d’étudier ou d’être cheffes de ménage.</p>
<p>Fondée sur des enquêtes conduites dans neuf pays, notre étude <a href="https://www.afd.fr/fr/carte-des-projets/etude-des-mobilites-transfrontalieres-des-femmes-en-afrique-de-louest">« Regard actuel sur les mobilités féminines transfrontalières ouest-africaines »</a> s’intéresse à ces mobilités qui présentent des caractéristiques à la fois culturelles et socio-économiques spécifiques (en particulier au regard des inégalités femmes-hommes et des situations de vulnérabilités qui en découlent) et qui démontrent que les désirs d’émancipation transcendent les séculaires pesanteurs sociales.</p>
<h2>Qui sont les migrantes ouest-africaines ?</h2>
<p>Le travail de collecte de données quantitatives mené dans le cadre de cette étude a permis d’en savoir plus sur le profil sociodémographique des femmes migrantes en Afrique de l’Ouest, globalement peu documenté.</p>
<p>Les enquêtes ont été conduites dans neuf pays (Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad) avec pour cible 2 809 femmes ressortissantes de ces pays installées depuis au moins trois mois dans un autre de ces 9 pays. Le but de l’étude qualitative était d’enrichir la documentation statistique des mobilités féminines dans la sous-région.</p>
<p>On observe tout d’abord qu’elles sont jeunes : plus de 60 % des migrantes sont âgées de moins de 35 ans, même s’il existe des disparités (84 % parmi les migrantes se trouvant au Burkina Faso contre 46 % en Côte d’Ivoire).</p>
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<p>La proportion de femmes migrantes n’ayant reçu aucune éducation scolaire est partout importante. Il s’agit essentiellement de migrantes originaires de zones rurales et/ou d’espaces périphériques des pays d’origine, où les écoles font largement défaut. Par ailleurs, deux femmes sur trois se sont mariées avant leur départ, ce qui illustre le poids que font peser les représentations de la société d’origine sur leur liberté de mouvement.</p>
<p>Du côté des raisons de la migration, le regroupement familial reste le principal facteur de la mobilité féminine (39 %), mais ne doit pas masquer d’autres causes : la recherche de travail (30 %), les guerres civiles et crises sécuritaires (14 %) et les études (10 %).</p>
<p>Quant aux destinations, elles se situent à plus de 70 % dans la sous-région : la Côte d’Ivoire, le Niger et le Cameroun sont les principales destinations de proximité, grâce à la dispense de visa pour les ressortissants de la Cédéao, au coût limité de l’investissement en termes de transport et de proximité culturelle en matière de religion, de langues/dialectes ou de communautés/ethnies. Les 30 % restants se répartissent essentiellement sur des pays limitrophes à la zone de l’étude : Maroc et Algérie au Nord, Bénin et Togo sur le golfe de Guinée.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/514920/original/file-20230313-447-x0v6r4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514920/original/file-20230313-447-x0v6r4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514920/original/file-20230313-447-x0v6r4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514920/original/file-20230313-447-x0v6r4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514920/original/file-20230313-447-x0v6r4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514920/original/file-20230313-447-x0v6r4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514920/original/file-20230313-447-x0v6r4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les deux premières destinations migratoires par pays d’enquête.</span>
<span class="attribution"><span class="source">S. Rabier</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Des mobilités déjà connues des théories des migrations</h2>
<p>Outre la recherche rationnelle et individuelle de gains économiques, les déterminants collectifs de la mobilité (crises économiques, climatiques et sécuritaires), le poids des facteurs socio-historiques (les espaces francophones issus du fait colonial), <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-pourquoi-migrer">l’importance du regroupement familial</a>, l’étude évoque aussi des formes de mobilités féminines marquantes dans l’espace ouest-africain : le phénomène des <a href="https://www.peresblancs.org/petites_bonnes.htm">« Petites bonnes » en Afrique</a> et la migration prostitutionnelle initialisée par les migrantes en provenance du Ghana, du Nigéria, et du Togo, ainsi que des entrées en prostitution comme réponse à un échec personnel ou professionnel dans le pays d’arrivée.</p>
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<p>Enfin, malgré ces situations de précarisation et de violences, ce qui ressort, c’est la capacité des migrantes à entretenir simultanément des liens familiaux, économiques et sociaux dans différents lieux par-delà les frontières nationales. Cette capacité instaure un espace social hybride qui favorise des choix et des pratiques de mobilités transnationales et de circulations commerciales, et dont les marchés sont des hauts lieux d’observation.</p>
<h2>Des mobilités à l’épreuve du terrain : entre conquêtes et résistances</h2>
<p>Si les femmes et les hommes partagent les mêmes espaces migratoires, l’étude montre que la spécificité de genre influence bien des aspects de leurs projets migratoires. Les entretiens menés dans chacun des neuf pays étudiés ont permis de mieux appréhender la réalité migratoire féminine. Ils font ressortir à la fois des thématiques individuelles – d’ordre matériel, psychologique ou affectif – et des thèmes plus collectifs relatifs aux contextes social, culturel et politique de l’immigration.</p>
<p>Trois dimensions peuvent être particulièrement soulignées :</p>
<ul>
<li>Urbanisation et visibilité des migrantes</li>
</ul>
<p>De « nouvelles » migrations féminines vers les villes sont liées aux importantes mutations et opportunités sociales, économiques et de communication qui y sont offertes. Les représentations sociales de genre y sont moins tranchées et rigides qu’en milieu rural, où les assignations et les rôles sociaux de sexe sont plus contraignants. En ville, le contrôle familial et communautaire est moins prégnant et laisse plus d’autonomie aux femmes. L’identité socioculturelle d’origine des migrantes fait peu à peu place à des comportements novateurs, marqués par de nouvelles valeurs et de nouveaux rapports de sociabilité (recours aux méthodes contraceptives modernes et pratiques vestimentaires, par exemple). Ces pratiques nouvelles sont largement favorisées en particulier par l’existence de réseaux de solidarité socio-ethniques et des <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/tontine-1375068">tontines</a> communautaires spécifiquement féminines.</p>
<ul>
<li>Charge mentale de la migration liée aux discriminations à la mobilité</li>
</ul>
<p>Les femmes se trouvent initialement dans des environnements familiaux qui peuvent ne pas approuver le départ en migration aussi bien pour des raisons (légitimes) de sécurité que pour des suspicions d’émancipation difficilement acceptées. Dès lors, le départ s’effectue parfois dans la clandestinité, avec la complicité ou le concours d’une amie. En pareils contextes d’assignation de rôles de genre, les migrations féminines se trouvent incontestablement placées sous de très fortes contraintes psychosociales, et la migration apparaît alors comme un acte de courage personnel qui s’inscrit dans la durée, avec le regret de ne pas avoir pu combiner choix personnel et préservation des liens familiaux.</p>
<ul>
<li>Accès au marché du travail et intégration sociale : deux défis majeurs</li>
</ul>
<p>Les migrantes apportent une contribution importante aux économies des pays d’accueil. Elles restent principalement concentrées dans le secteur informel des services du « care » dévalorisés localement mais où la demande est croissante (employées de maison, aides-soignantes), dans les activités prostitutionnelles et aussi dans les industries orientées vers l’exportation, dans les filières commerciales (commerce de gros, marchés, nourriture de rue) et dans l’hôtellerie-restauration où elles sont surreprésentées par rapport aux migrants. Cependant, les parcours migratoires restent plus dangereux pour les femmes, <a href="https://information.tv5monde.com/info/sur-les-chemins-de-l-exil-90-des-femmes-sont-victimes-de-violences-sexuelles-479829">surexposées aux violences et contraintes sexuelles, aux jugements de moralité, à l’exploitation et l’insécurité sociales</a>. Dans les pays d’accueil, elles subissent souvent une xénophobie ambiante <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-d-etudes-africaines-2014-1.htm">largement nourrie de préjugés qui ont la vie dure</a>.</p>
<h2>L’autonomisation au cœur des évolutions socioculturelles</h2>
<p>L’acquisition de l’autonomie économique, l’amélioration de leurs conditions de vie ainsi que l’évolution de la perception du rôle et du statut des femmes grâce à la migration conduisent à une reconfiguration des relations familiales et sociales entre les sexes. Cela allège le poids de la tutelle masculine et engage un processus de questionnement de certains préjugés et la modification des pratiques traditionnelles, aussi bien dans les pays de départ que d’arrivée. Au-delà des motivations économiques ou éducatives, les migrations constituent un moyen de résister à des pratiques traditionnelles comme les mariages forcés ou arrangés auxquels les jeunes filles ne veulent pas se soumettre.</p>
<p>Cependant, les mobilités féminines sont encore très largement prisonnières de représentations et d’interdits liés à l’engagement des femmes hors de la sphère domestique : ainsi, la réputation de femme facile et vulgaire est très souvent appliquée aux femmes immigrées, accusées d’encourager la dépravation des valeurs (grossesses hors mariages, divorces), surtout durant les premières années du parcours migratoire, réputation qui justifie toutes les formes de discriminations et de violences. Cette stigmatisation se trouve renforcée dans le cas des migrations de retour, qui demandent aux femmes des <a href="https://www.iom.int/fr/news/afrique-centrale-et-afrique-de-louest-les-femmes-sont-de-plus-en-plus-nombreuses-rechercher-legalite-travers-la-migration">efforts de réintégration particulièrement élevés</a>.</p>
<p>L’émancipation et l’autonomisation se payent donc au prix fort pour les femmes dès lors qu’elles essaient de combiner leur choix de migration avec les valeurs et les pesanteurs sociales encore très prégnantes aussi bien dans les pays de départ que d’arrivée. Au-delà d’une connaissance à encore approfondir des migrations féminines, il serait souhaitable de réduire ces tensions par l’engagement plus fort des gouvernements dans des politiques publiques d’encouragement à la coopération migratoire et au renforcement des capacités des migrantes en matière d’accompagnement professionnel et social. C’est à ce niveau que les politiques publiques ont un rôle à jouer dans l’optique d’une autonomisation des femmes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200766/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une étude récente permet de mieux comprendre les motivations des femmes d’Afrique de l’Ouest ayant décidé de quitter leur pays pour s’installer ailleurs dans la région.Serge Rabier, Chargé de recherche Population et Genre, Agence française de développement (AFD)Papa Demba Fall, Directeur de recherche titulaire des universités, directeur du Réseau d’étude de Migrations internationales africaines, Université Cheikh Anta Diop de DakarLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1976402023-02-09T23:41:56Z2023-02-09T23:41:56ZSilence, déclassement et dépendance : la vie des personnes âgées vivant avec le VIH au Sénégal<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/506615/original/file-20230126-35203-3amwxg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1288%2C598&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Réunion de personnes âgées organisée par le Conseil national des Aînés du Sénégal, sur le rôle des aidants dans la prise en charge des maladies chroniques à Dakar, 2023.
</span> <span class="attribution"><span class="source">S. Sagne, CNAS</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>En Afrique, grâce à l’efficacité des traitements antirétroviraux (ARV) qui ont été généralisés à partir des années 2000, de plus en plus de personnes vieillissent avec le VIH. On estime que le nombre de personnes vivant avec le VIH âgées de plus 50 ans devrait tripler d’ici 10 ans, et atteindre <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28831864/">6 à 10 millions en Afrique sub-saharienne</a>. Elles subissent les effets physiologiques universels du vieillissement, cumulés avec ceux des traitements médicamenteux et de l’infection virale sur le long terme. Vieillir avec le VIH en Afrique devient une expérience – somatique et sociale, individuelle et collective – de plus en plus fréquente.</p>
<p>Le Sénégal fut le <a href="https://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers20-10/010064279.pdf">premier pays d’Afrique francophone</a> à avoir rendu disponibles les antirétroviraux (ARV), dès 1998. En 2022, les personnes âgées de plus de 50 ans vivant avec le VIH (PAVVIH) représentent plus du tiers des 31 637 personnes traitées. Certaines le sont depuis plus de 20 ans.</p>
<p>Comment ces personnes et leurs proches vivent-ils le vieillissement avec le VIH ? Comment la société gère-t-elle leur santé ? Une étude anthropologique <a href="https://crcf.sn/grand-age-et-vih-au-cameroun-et-au-senegal-anthropologie-du-vieillissement-et-de-la-maladie/">« Grand âge et VIH »</a> est actuellement en cours à Dakar et à Yaoundé (Cameroun) auprès de personnes âgées de plus de 70 ans, vivant avec de VIH, de leurs proches et des soignants pour analyser le vécu et les perceptions du vieillissement avec le VIH. Les premiers résultats de l’étude à Dakar sont ici présentés.</p>
<h2>Vivre avec le VIH dans la longue durée</h2>
<p>« On vit avec ça, cela ne nous pose plus de problème, on s’est habitué, on oublie presque que l’on est malade », déclare Aminata, âgée de 70 ans, qui reçoit un traitement antirétroviral depuis 21 ans (tous les prénoms sont fictifs).</p>
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<p>Dans les années 2000, la prise des traitements contre le VIH était très contraignante. Le nombre des comprimés était élevé – jusqu’à 20 comprimés par jour – et certains traitements avaient des effets secondaires éprouvants. Vingt ans après, ces traitements, rendus gratuits, ont été simplifiés et se résument souvent à la prise quotidienne d’un seul comprimé. Généralement dépistées alors qu’elles étaient dans un état grave, ces personnes ont retrouvé santé et vie « normale » ; certaines se qualifient de « survivantes ». Elles font preuve d’une très bonne adhésion aux soins et au traitement ARV.</p>
<p>Mais avec l’âge, elles sont confrontées à diverses pathologies liées au vieillissement qui surviennent plus précocement que chez les personnes non infectées par le VIH. Les plus fréquentes sont l’hypertension artérielle, le diabète et leurs complications (maladies cardiaques, oculaires, AVC, etc.) Ces maladies complexifient leur suivi médical et les contraignent à fréquenter diverses structures de santé, en plus de leur visite semestrielle pour le VIH. Certaines PAVVIH témoignent de difficultés à suivre les traitements pour ces autres maladies qu’elles jugent moins prioritaires, d’autant que les médicaments sont souvent coûteux.</p>
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<h2>Secret, silence, partage</h2>
<p>Au moment du diagnostic, les personnes se sont parfois confiées à quelques proches : le conjoint, la personne qui les accompagnait aux consultations ou qui finançait les soins. Par la suite, rares sont celles qui l’ont révélé à d’autres personnes.</p>
<p>D’une manière générale, les personnes considèrent que « le VIH est une maladie qu’il ne faut pas divulguer », car « cette maladie n’est pas jolie ». La crainte d’un jugement moral sur les circonstances de la contamination demeure le principal motif du maintien du secret. En 2022, le VIH demeure une maladie stigmatisante.</p>
<p>Les femmes âgées vivant avec le VIH sont souvent veuves parce que leur conjoint est décédé du VIH et en raison de la différence d’âge liée au contexte de polygamie. Elles subissent une pression au remariage de la part de la famille et de la société, mais peu d’entre elles acceptent de se remarier, de crainte que leur nouveau conjoint divulgue leur maladie.</p>
<p>Les enfants des PAVVIH sont également peu informés, même si ce sont des adultes. « Je vis comme si je n’avais pas cette maladie, je la garde pour moi, même à mes enfants, je n’ai rien dit » témoigne Ibrahima, âgé de 72 ans ; d’autres s’accommodent d’une forme de non-dit : « Je n’ai jamais discuté de la maladie avec mes enfants ; ils savent parce qu’en 2000 c’est ma fille aînée qui m’accompagnait à l’hôpital, mais je n’ai jamais fait face à eux pour en parler », explique Ousseynou, 84 ans, traité par ARV depuis 22 ans. Ces réticences sont majorées chez les personnes dépistées à un âge avancé, en raison du tabou portant sur la sexualité des personnes âgées.</p>
<p>Mais la survenue d’incapacités fonctionnelles (cécité, difficultés à se déplacer, etc.) nécessitant une aide pour les activités quotidiennes (prise des médicaments ou trajets pour les consultations) oblige à revoir ces choix. Au mieux, l’annonce à l’un des enfants clarifie un non-dit ou suscite une sollicitude ; mais parfois, cela ravive des conflits anciens et des accusations de dissimulation.</p>
<h2>Déclassement économique et précarité</h2>
<p>Avec l’avancée en âge, l’arrêt de toutes activités professionnelles se traduit pour la majorité des personnes âgées par une diminution majeure de leurs ressources économiques. Au Sénégal, seules 24 % des personnes de plus de 60 ans ont une pension de retraite, au montant souvent modeste, le <a href="https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2016-1-page-91.htm?ref=doi">minimum étant de 53 € par mois</a>. À travers les dispositifs de réversion, les veuves reçoivent des pensions encore plus faibles, notamment dans les cas de partage lié à la polygamie.</p>
<p>Les personnes qui avaient une activité professionnelle dans le secteur informel, et qui n’ont plus de revenu, constatent avec inquiétude l’érosion de leur capital économique. Certaines se retrouvent contraintes à des déménagements successifs qui les repoussent progressivement vers la périphérie urbaine pour trouver des loyers moins onéreux.</p>
<p>Les PAVVIH tentent de travailler tant que leur condition physique le leur permet, afin de repousser le moment où elles n’auront plus d’autonomie économique. Cette perte d’autonomie se traduit pour toutes par un déclassement économique et par l’exacerbation de situations de précarité et de dépendance qui ont un impact direct sur leur santé physique et psychologique.</p>
<p>Dans le même temps, leurs dépenses de santé augmentent. En effet, au Sénégal, si les médicaments ARV et certains examens biologiques sont gratuits depuis 2003, une partie des coûts des soins liés au VIH et ceux des autres maladies sont supportés par les patients. Or la moitié des PAVVIH présentent au moins une comorbidité qui nécessite un traitement régulier. <a href="https://theconversation.com/au-senegal-quelle-couverture-de-sante-des-personnes-agees-souffrant-de-diabete-et-dhypertension-174180">Une étude réalisée en 2021 à Dakar</a> évalue entre 34 et 40 € le reste à charge d’une consultation pour des patients âgés présentant une hypertension artérielle ou un diabète, ce à quoi s’ajoutent les coûts du transport pour se rendre dans les structures de soins. Alors que le dispositif de protection sociale prévu pour les plus de 60 ans – le <a href="https://www.agencecmu.sn/plan-sesame-0">Plan Sésame</a> – fonctionne mal, ces dépenses de santé constituent souvent un véritable casse-tête pour les PAVVIH et leur famille.</p>
<h2>Dépendance</h2>
<p>Le manque de ressources place les personnes âgées, et notamment les PAVVIH, en situation de dépendance économique à l’égard de leurs proches. Les aides dont elles peuvent bénéficier sont fonction de la nature et de la qualité des liens, une forme d’héritage des relations familiales sur l’ensemble de leur vie.</p>
<p>Les personnes le plus souvent sollicitées sont les enfants, les frères et sœurs utérins, puis les descendants indirects (neveux et nièces) ; moins souvent, des relations amicales anciennes ou des parents aisés plus éloignés ; plus rarement encore, le voisinage. Les PAVVIH déploient parfois toute une stratégie pour éviter la honte de devoir quémander (la <a href="https://www.cairn.info/revue-autrepart-2015-1-page-181.htm">sutura</a>) et ne pas solliciter trop souvent les proches au risque de les « fatiguer ».</p>
<p>« Je vis avec l’aide des gens et la grâce divine », reconnaît Habib, 84 ans, traité depuis 20 ans qui précise que ce sont ses voisins qui financent le déplacement pour se rendre à l’hôpital (2 €). Le code d’honneur est souvent évoqué : « Mon fils gère la vie dans la maison : s’il me donne, je vais prendre, mais ma dignité ne me permet pas de lui demander. »</p>
<p>Au Sénégal, la cohabitation intergénérationnelle est fréquente, la taille moyenne des ménages étant de dix personnes. Cette situation peut favoriser une entraide au bénéfice des personnes âgées. Mais les difficultés d’accès à l’emploi conduisent souvent à ce que ce soient les personnes âgées disposant d’une pension de retraite qui entretiennent la maisonnée. Il leur faut alors choisir entre les dépenses familiales et celles concernant leurs dépenses médicales, souvent au détriment de leur santé.</p>
<h2>Une entrée « digne » dans les rôles sociaux du grand âge avec le VIH</h2>
<p>Les PAVVIH ne vivent heureusement pas toutes dans des situations dramatiques. Notre étude a permis d’identifier les conditions favorisant une entrée « digne », pour les personnes vivant avec le VIH, dans les rôles sociaux du grand âge.</p>
<p>Fatou, 74 ans, veuve, est traitée par ARV depuis 2006 ; elle habite avec ses deux fils, ses belles-filles et cinq petits-enfants scolarisés. Seul son fils aîné est informé de sa maladie. Elle dit vivre une vieillesse heureuse. Ses enfants la prennent en charge et elle s’occupe de ses petits-enfants : « Je ne fais rien comme activité à part garder mes petits-enfants qui me tiennent compagnie, je suis la « yaay » (mère de famille) ».</p>
<p>Dans le contexte actuel de dépendance économique de la plupart des PAVVIH, ces rôles sociaux sont rendus possibles lorsque leurs enfants sont socialement insérés, à travers un emploi et des revenus stables. Ils peuvent alors se répartir la prise en charge financière de leurs parents ; en retour, ceux-ci peuvent s’investir dans leur rôle au sein de la famille ou de la communauté.</p>
<p>À défaut du soutien familial, il est de la responsabilité collective d’assurer une vie digne aux PAVVIH. Des associations de personnes vivant avec le VIH commencent à se mobiliser en faveur de leurs ainés. Plus largement, des collectifs comme le <a href="http://archives.aps.sn/article/144413?lightbox%5Bwidth%5D=75p&lightbox%5Bheight%5D=90p">Conseil national des Ainés du Sénégal</a> militent pour un meilleur fonctionnement du Plan Sésame et la création d’un minimum vieillesse pour les personnes démunies. Au Sénégal, les personnes de plus de 60 ans ne représentent que 6 % de la population. Dans un pays où le <a href="https://www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe-2019-1-page-85.htm">grand âge est valorisé</a>, s’occuper des aînés devrait être l’une des valeurs cardinales d’une société solidaire, tout comme cela devrait l’être dans le reste du monde.</p>
<hr>
<p><em>Le projet <a href="https://crcf.sn/grand-age-et-vih-au-cameroun-et-au-senegal-anthropologie-du-vieillissement-et-de-la-maladie/">« Grand âge et VIH au Cameroun et au Sénégal, anthropologie du vieillissement et de la maladie »</a> est financé par Sidaction-Ensemble Contre le Sida. Les investigateurs principaux sont au Cameroun : Laura Ciaffi, Marie-José Essi, Antoine Socpa ; au Sénégal : Gabrièle Laborde-Balen, Khoudia Sow, Bernard Taverne ; au Sénégal, les enquêtes ont été réalisées par Seynabou Diop, Catherine Fall et Marcel Ndiana Ndiaye</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197640/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gabriele Laborde-Balen a reçu des financements de Sidaction-Ensemble Contre le Sida, Expertise France, ANRS I Maladies Infectieuses Emergentes</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Bernard Taverne a reçu des financements de Sidaction-Ensemble Contre le Sida, Expertise France, ANRS I Maladies Infectieuses Emergentes</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Khoudia Sow a reçu des financements de Sidaction-Ensemble Contre le Sida, Expertise France, ANRS I Maladies Infectieuses Emergentes.</span></em></p>Au Sénégal, le VIH reste largement tabou, ce qui a un impact direct sur les personnes qui en sont porteuses, et particulièrement sur les seniors.Gabriele Laborde-Balen, Anthropologue, Centre Régional de Recherche et de Formation à la prise en charge Clinique de Fann (CRCF, Dakar), Institut de recherche pour le développement (IRD)Bernard Taverne, Anthropologue, médecin, Institut de recherche pour le développement (IRD)Khoudia Sow, Chercheuse en anthropologie de la santé (CRCF)/TransVIHMI, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1984562023-02-06T18:09:18Z2023-02-06T18:09:18ZRecul du tourisme de masse : la transformation d’une station balnéaire emblématique du Sénégal<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/507376/original/file-20230131-7778-wacbvj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C0%2C5551%2C3700&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Transats vides sur la plage de Saly, au Sénégal.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/saly-senegal-africa-april-2-2022-2149144773">Pierre Laborde/shutterstock.com</a></span></figcaption></figure><p>Saly : dans l’imaginaire de nombreux touristes et retraités européens, et notamment français, le nom même de cet <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/05/20/a-saly-au-senegal-on-ne-comprend-pas-comment-des-gens-peuvent-voter-extreme-droite-ici_6127017_3212.html">ancien petit village côtier sénégalais, situé sur la Petite-Côte</a>, à quelque 90 km au sud de Dakar, évoque le modèle typique de la station balnéaire.</p>
<p>Cette vision est désormais quelque peu dépassée. À Saly, la vie économique et sociale a longtemps reposé sur le dynamisme des complexes hôteliers et autres clubs de vacances célèbres gérés par les grands tour-opérateurs. Ce modèle qui s’essoufflait déjà a été profondément affecté par la pandémie de Covid-19. Certains hôtels historiques sont laissés à l’abandon, le principal restaurant est fermé et le centre commercial originel vivote.</p>
<p>Pour autant, loin de dépérir, la ville se transforme, attirant davantage la clientèle sénégalaise, tandis que les formes de la présence des Européens se transforment progressivement.</p>
<h2>Le recul du tourisme de masse</h2>
<p>La crise sanitaire mondiale de 2019 a incité les touristes de l’UE à opter pour des <a href="https://www.geo.fr/voyage/slow-tourisme-une-tendance-accentuee-par-le-Covid-19-205737">destinations moins éloignées</a> que par le passé. Et cette tendance à un tourisme « de proximité » semble perdurer.</p>
<p>Les pratiques touristiques ont évolué vers de nouvelles formes, comme les <a href="https://ieeexplore.ieee.org/abstract/document/9437685"><em>Digital nomads</em></a> (ces personnes qui choisissent de travailler à distance, souvent depuis un lieu de villégiature), qui correspondent moins aux standards du tourisme de masse. Les nouveaux voyageurs fréquentent moins les clubs et leurs besoins s’éloignent dorénavant de plus en plus du modèle <a href="https://www.researchgate.net/publication/324099628_Towards_a_Sustainable_Sun_Sea_and_Sand_Tourism_The_Value_of_Ocean_View_and_Proximity_to_the_Coast">« Sea, sun and sand »</a>.</p>
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<img alt="Un quartier de Saly au Sénégal privé de ses touristes" src="https://images.theconversation.com/files/506796/original/file-20230127-14-slqcmk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/506796/original/file-20230127-14-slqcmk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/506796/original/file-20230127-14-slqcmk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/506796/original/file-20230127-14-slqcmk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/506796/original/file-20230127-14-slqcmk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/506796/original/file-20230127-14-slqcmk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/506796/original/file-20230127-14-slqcmk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Place déserte à Saly au Sénégal.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sébastien Fleuret/UMR ESO-Angers</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>La pandémie a également généré une <a href="https://africanmanager.com/senegal-loffre-locale-pour-relancer-le-tourisme/">croissance du tourisme intérieur</a>. Le Sénégal ayant été l’un des premiers pays à <a href="https://www.bbc.com/afrique/region-51959820">fermer ses frontières</a> au moment de l’épidémie, les touristes sénégalais se sont réapproprié les espaces balnéaires côtiers désertés par les Européens. Certains hôteliers de prestations haut de gamme relatent qu’au moment des confinements, ils ont développé une offre promotionnelle essentiellement adressée à une clientèle dakaroise afin d’assurer un minimum d’activité dans leurs établissements.</p>
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<img alt="Une plage au Sénégal avec des infrastructures délabrées" src="https://images.theconversation.com/files/506797/original/file-20230127-25-oogoks.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/506797/original/file-20230127-25-oogoks.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/506797/original/file-20230127-25-oogoks.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/506797/original/file-20230127-25-oogoks.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/506797/original/file-20230127-25-oogoks.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/506797/original/file-20230127-25-oogoks.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/506797/original/file-20230127-25-oogoks.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’aménagement des plages souffre du manque d’entretien.</span>
<span class="attribution"><span class="source">David Lessault/UMR ESO Angers</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>La tendance a confirmé l’attrait, en nette augmentation depuis deux décennies, que suscitent les espaces côtiers chez les Dakarois. Chaque fin de semaine, l’accès à la seule plage de Saly qui soit dotée d’un parking, est pris d’assaut par des centaines de familles venant de Dakar et possédant une résidence secondaire ou séjournant en location dans des auberges alentour. Les habitants en profitent pour installer des gargotes éphémères où sont vendus poissons grillés, fruits et autres jus. Le temps d’un week-end, les Sénégalais semblent reprendre leurs droits, alors que durant la semaine cette plage est plutôt fréquentée par les touristes et résidents européens, voire leur est exclusivement réservée.</p>
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<img alt="Des voitures sont garées aux abords d’une plage au Sénégal" src="https://images.theconversation.com/files/506800/original/file-20230127-18-z4aiqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/506800/original/file-20230127-18-z4aiqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/506800/original/file-20230127-18-z4aiqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/506800/original/file-20230127-18-z4aiqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/506800/original/file-20230127-18-z4aiqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/506800/original/file-20230127-18-z4aiqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/506800/original/file-20230127-18-z4aiqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La plage de Saly attire un tourisme interne sénégalais.</span>
<span class="attribution"><span class="source">David Lessault/UMR ESO-Angers</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Nouvelles formes de présence européenne</h2>
<p>Si le modèle de la station balnéaire dédiée au tourisme international semble avoir fait son temps, d’autres présences européennes se sont imposées localement. Dans un premier temps, Saly n’a pas échappé, à l’instar de nombreuses destinations des pays du Sud, à l’arrivée de Français retraités venus passer « l’hiver au chaud ». Pour les retraités célibataires, ces séjours longs sont parfois associés à la recherche d’un projet de vie en couple au Sénégal, de préférence avec un ou une partenaire plus jeune. Ces démarches sont assez fréquentes et pleinement assumées malgré le regard peu approbatif des populations locales, qui <a href="https://www.xibar.net/Enquete-Mariages-mixtes-au-senegal-Amours-Drames-Melodrames_a1882.html">y voient parfois une pratique immorale compte tenu des grandes différences d’âge et de ressources</a>.</p>
<p>Toujours est-il que le phénomène s’est développé depuis le début des années 2000 et se localise principalement dans une dizaine de résidences collectives fermées qui essaiment au sud de l’ancienne station balnéaire. L’autonomie de ces nouveaux résidents, par rapport à ceux des hôtels et clubs, a donné naissance à une nouvelle économie locale orientée vers l’accès à l’alimentation (multiplication des supermarchés, de grandes enseignes), vers des services résidentiels (femmes de ménage, gardiennage, piscinistes, etc.) et vers la restauration (bars, restaurants). Cette seconde forme de l’expansion de Saly semble aujourd’hui diluée à son tour par le développement de nouvelles extensions résidentielles vers le nord et vers le sud de la commune.</p>
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<img alt="Plan d'urbanisation de la ville de Saly" src="https://images.theconversation.com/files/508609/original/file-20230207-29-7gxm4s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508609/original/file-20230207-29-7gxm4s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=595&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508609/original/file-20230207-29-7gxm4s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=595&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508609/original/file-20230207-29-7gxm4s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=595&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508609/original/file-20230207-29-7gxm4s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=748&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508609/original/file-20230207-29-7gxm4s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=748&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508609/original/file-20230207-29-7gxm4s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=748&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La station balnéaire s'inscrit dans un plan d'urbanisation ambitieux.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sébastien Fleuret/UMR ESO-Angers</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Au début des années 2020, de nouvelles implantations transforment le paysage local. Aux côtés des complexes hôteliers et des résidences collectives fermées pour retraités apparaissent de nouveaux espaces résidentiels construits de manière plus anarchique sur le modèle de la villa individuelle ou du groupement de villas. Ce mode d’expansion est dopé par l’arrivée plus récente d’entrepreneurs européens.</p>
<p>Armelle et Hervé (les prénoms ont été changés) se sont installés en location dans une villa meublée de bord de mer au moment du Covid pour fuir le confinement en France. Leur séjour les a décidés à venir s’installer définitivement à Saly. Ils ont laissé en gestion en France leur réseau de boutiques de prêt-à-porter pour venir développer de nouvelles entreprises au Sénégal. Après un premier achat immobilier sur la côte au nord de la station, ils envisagent aujourd’hui de déménager vers les extensions récentes d’un quartier au nom évocateur « La Piste des milliardaires », où les constructions se multiplient autour du golf, vers l’intérieur, en rognant sur les espaces de culture des villages environnants.</p>
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<p>De nombreux jeunes entrepreneurs ont rapidement cerné les besoins de consommation de cette nouvelle population huppée de Saly. Jean vient d’ouvrir un fast food sur l’artère principale de la ville. Ses hamburgers sont vendus aux prix que l’on retrouve en Europe avec des produits « bio » garantis « fraîcheur ». Il a bien ciblé sa clientèle. Le secteur dans lequel il exerce concentre essentiellement des résidents européens, principalement belges et français, et des résidents secondaires de l’élite dakaroise et <a href="https://www.lorientlejour.com/article/996932/libanais-du-senegal-une-etude-tente-de-dissiper-les-prejuges.html">libanaise</a>. On retrouve également dans sa clientèle des Sénégalais anciennement émigrés de retour d’Europe. Ces derniers se sont approprié les pratiques touristiques des pays d’immigration et sont de plus en plus nombreux à investir dans l’immobilier sur la Petite Côte.</p>
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<img alt="Chantier en cours pour la construction d’une villa au Sénégal" src="https://images.theconversation.com/files/506810/original/file-20230127-23-qnhoxw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/506810/original/file-20230127-23-qnhoxw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/506810/original/file-20230127-23-qnhoxw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/506810/original/file-20230127-23-qnhoxw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/506810/original/file-20230127-23-qnhoxw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/506810/original/file-20230127-23-qnhoxw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/506810/original/file-20230127-23-qnhoxw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les chantiers de construction se multiplient à Saly.</span>
<span class="attribution"><span class="source">David Lessault/UMR ESO Angers</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Avec le développement du modèle de la villa individuelle, qui rompt avec le modèle hôtelier classique, de nouvelles activités émergent dans différents domaines. On observe, par exemple, la multiplication des centres commerciaux. Sidy, qui a vécu 35 ans en France, a ainsi lancé son enseigne de grande distribution pour concurrencer les groupes internationaux qui ouvrent des magasins à travers tout le Sénégal et encore davantage à Saly. Jean a, lui, mis en place une offre de livraison de burgers à domicile pour diversifier la clientèle de son fast food. Ce modèle commercial occidental assez peu développé dans la région rencontre un franc succès. D’autres activités émergent sous l’effet des présences européennes. C’est le cas du <a href="https://www.au-senegal.com/le-padel-nouveau-sport-a-la-mode-au-senegal,16342.html"><em>padel</em></a>, ce jeu de raquette importé d’Espagne, qui réunit en vase clos des adeptes exclusivement d’origine européenne.</p>
<h2>L’évolution des paysages</h2>
<p>Ces tendances récentes ont un impact notable sur les paysages. Elles se traduisent par la multiplication des chantiers de construction, participent à l’expansion rapide de la zone des villas tout en opérant la jonction au nord avec le front d’urbanisation dakarois. Cet axe (zone verte sur la carte) est principalement animé par les investissements provenant d’Européens et de la diaspora sénégalaise.</p>
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<img alt="Chemin menant à une villa blanche au bord de la mer au Sénégal" src="https://images.theconversation.com/files/506814/original/file-20230127-25-h5ylwc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/506814/original/file-20230127-25-h5ylwc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/506814/original/file-20230127-25-h5ylwc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/506814/original/file-20230127-25-h5ylwc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/506814/original/file-20230127-25-h5ylwc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/506814/original/file-20230127-25-h5ylwc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/506814/original/file-20230127-25-h5ylwc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La piste des milliardaires, chemin bordé de villas luxueuses.</span>
<span class="attribution"><span class="source">David Lessault/UMR ESO Angers</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>De nouvelles constructions sont en plein développement sur le littoral en direction de Ngaparou. Sur cet axe, l’urbanisation est continue jusqu’à Somone. C’est aussi dans le domaine des terres agricoles périphériques, en direction de l’intérieur (vers l’autoroute), que de grandes villas et résidences privées fleurissent. C’est ici que se trouve la « piste des milliardaires » évoquée plus haut.</p>
<p>Plus au sud et vers l’intérieur, l’expansion, également très rapide, est plutôt alimentée par les migrants originaires du Sénégal ou de la sous-région (Gambie, Guinée, Niger, Mali, Mauritanie). Ces derniers sont attirés par les perspectives d’emplois générés par ce développement local soudain et cherchent à s’installer à proximité de leur lieu de travail. Ils participent ainsi à l’urbanisation du quartier « Saly Carrefour » qui rejoint désormais la ville voisine de M’Bour (zone violette sur la carte).</p>
<p>Chaque matin, la route qui relie M’Bour à Saly est prise d’assaut par des taxis informels (nommés les « clandos ») qui acheminent les travailleurs domestiques vers les zones résidentielles. Ibrahim, embauché par des propriétaires français pour surveiller un groupement de 23 villas, doit prendre trois moyens de transport différents pour venir travailler. Cela représente plus d’une heure de transport et un quart de son maigre salaire (70 000 francs CFA par mois soir un peu plus de 100 euros) prélevé chaque mois pour rejoindre son lieu de travail, six jours sur sept.</p>
<p>D’une certaine manière, l’expansion rapide observée dans le secteur résidentiel aisé vers le nord de la commune et dans celui des extensions populaires vers l’est et vers le sud éloigne encore davantage les populations locales et européennes les unes des autres. Elle renforce ainsi la ségrégation et complique l’accès à l’emploi des travailleurs locaux qui ne disposent pas des ressources pour se loger sur place.</p>
<p>La dynamique d’expansion de Saly initialement <a href="https://www.sapco.sn/">stimulée par l’État</a> dès les années 1970 à travers la promotion du tourisme balnéaire international, puis par la mise en place des grands projets d’infrastructures (nouvel aéroport, autoroute à péage) est aujourd’hui relayée par le foisonnement de nouveaux acteurs privés. Plusieurs modèles de présence européenne co-existent désormais : celui des complexes hôteliers en déclin, des résidences fermées pour seniors, des villas individuelles des entrepreneurs et de la diaspora sénégalaise. En marge, de nouveaux quartiers populaires se développent vers le sud et l’intérieur en lieu et place des anciens villages. De part et d’autre de l’ancien cœur de station, ces deux formes d’extension au contenu social très contrasté participent à la fabrique originale d’une ville satellite de Dakar devenue cosmopolite.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198456/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Lessault a reçu des financements de l'Académie des Sciences. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pape Sakho est membre de l'UGI et de l'association internationale des géographes francophones. Il a reçu des financements du CNRS</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sébastien Fleuret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ancien village de pêcheurs devenu station balnéaire dans les années 1970, Saly, au Sénégal, cherche des solutions au recul du tourisme international.Sébastien Fleuret, Directeur de recherche au CNRS, géographe de la santé, Université d'AngersDavid Lessault, Chargé de recherche au CNRS, spécialiste des migrations et mobilités internationales, Université d'AngersPape Sakho, Maître de conférences CAMES, Université Cheikh Anta Diop de DakarLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1946982022-12-14T18:42:45Z2022-12-14T18:42:45ZGestion des déchets : en Côte d’Ivoire, l’immense potentiel de l’économie circulaire<p>En 2018, la <a href="https://www.banquemondiale.org/fr/country/cotedivoire/publication/cote-divoire-economic-outlook-understanding-the-challenges-of-urbanization-in-height-charts">Banque mondiale</a> présentait une image contrastée de la Côte d’Ivoire, soulignant à la fois sa solide croissance économique et sa forte exposition aux dérèglements climatiques. L’importante déforestation dont le pays fait l’objet n’est en effet pas sans conséquences sur ses émissions de gaz à effet de serre et sa production agricole, avec des perturbations des saisons qui affectent l’agriculture.</p>
<p>Ce constat a incité les autorités ivoiriennes à fixer des objectifs dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat. La Côte d’Ivoire <a href="http://www.gouv.ci/Main2.php">s’est ainsi engagée</a> à réduire de 28 % ses émissions de gaz à effet de serre (d’ici à 2030) et à augmenter substantiellement la part des énergies renouvelables dans son mix énergétique (de 42 % d’ici à 2030).</p>
<p>Pour atteindre ces objectifs, elle a listé des actions à mener, dont font partie la gestion durable et la valorisation des déchets. Une dimension d’autant plus importante que les Ivoiriens produisent en moyenne 0,64 kg de déchets par habitant par jour, soit bien davantage que dans le reste de l’Afrique subsaharienne où la moyenne <a href="https://www.donneesmondiales.com/afrique/cote-divoire/croissance-population.php">s’élève à 0,46 kg par jour</a>.</p>
<p>Dans <a href="https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/30317">son rapport de 2018 sur les déchets</a>, la Banque mondiale indiquait, qu’en moyenne, chaque Terrien produisait <a href="https://www.banquemondiale.org/fr/news/immersive-story/2018/09/20/what-a-waste-an-updated-look-into-the-future-of-solid-waste-management">0,74 kg de déchets par jour</a>. Une moyenne qui cache évidemment de fortes disparités : en Amérique du Nord, elle atteind par exemple plus de 2 kilos par habitant.</p>
<p>Au regard de la croissance de la quantité des déchets municipaux, qui devrait augmenter de <a href="https://www.institut.veolia.org/sites/g/files/dvc2551/files/document/2021/11/L%E2%80%99%C3%A9conomie%20circulaire%20-%201.%20Un%20mod%C3%A8le%20de%20gestion%20des%20d%C3%A9chets%20%C3%A0%20r%C3%A9inventer.pdf">70 % d’ici à 2050</a>, le modèle de l’économie circulaire apparaît comme une solution. <a href="https://www.afrik21.africa/ouganda-les-femmes-au-coeur-de-la-gestion-durable-des-dechets-plastiques%E2%80%89/">La Côte d’Ivoire et l’Ouganda</a> se penchent donc sur ce modèle, <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/economy/20151201STO05603/economie-circulaire-definition-importance-et-benefices">défini par le Parlement européen</a> comme un mode de production et de consommation qui consiste à partager, louer, réutiliser, réparer, remettre à neuf et recycler le plus longtemps possible les matériaux et produits existants.</p>
<h2>Une filière « traitement des déchets » à inventer</h2>
<p>Depuis 1960, la politique de gestion des déchets mise en œuvre par les divers maîtres d’ouvrage n’a pas prévu une filière propre au traitement de déchets. Pendant une quarantaine d’années, les déchets étaient simplement acheminés vers un centre de transfert et des centres de groupage. Ces centres de groupage et de transfert ne sont pas de vrais centres de traitement de déchets. Ils permettent uniquement de regrouper ceux-ci en grande masse par zone géographique de production, avant de les acheminer vers leur lieu de décharge et/ou valorisation.</p>
<p>Si la forte croissance de la population (de <a href="https://www.donneesmondiales.com/afrique/cote-divoire/croissance-population.php">3,6 en 1960 à 27 millions en 2021</a>) et l’urbanisation rapide de la Côte d’Ivoire ont engendré une hausse conséquente de la production, celle-ci n’a pas été suivie d’une progression des quantités collectées. Sur les 280 tonnes de déchets plastiques produites chaque jour à Abidjan, <a href="https://www.unicef.fr/article/cote-divoire-une-usine-de-briques-en-plastique-recycle-pour-construire-des-salles-de-classe/">seuls 5 % sont recyclées</a>.</p>
<p>Le reste est destiné en général aux <a href="https://www.unicef.fr/article/cote-divoire-une-usine-de-briques-en-plastique-recycle-pour-construire-des-salles-de-classe">décharges situées dans les quartiers pauvres</a>. Forte source de pollution, ces déchets aggravent les problèmes liés à l’assainissement. À noter que la mauvaise gestion des déchets est à l’origine de <a href="https://www.unicef.fr/article/cote-divoire-une-usine-de-briques-en-plastique-recycle-pour-construire-des-salles-de-classe/">60 % des cas de paludisme, de diarrhée et de pneumonie chez les enfants</a>.</p>
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<h2>Des avancées légales</h2>
<p>Outre les déchets organiques des ménages, les déchets automobiles ne cessent d’augmenter. L’importation incontrôlée de véhicules d’occasion et leur utilisation constituent engendrent une pollution et une production de déchets conséquentes. D’autant plus que la vente des véhicules d’occasion est une <a href="https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwjwuO6WoaD6AhUM2xoKHeaJA1gQFnoECAsQAQ&url=https%3A%2F%2Fjournals.openedition.org%2Fcom%2Fpdf%2F6044&usg=AOvVaw05PoPjZfk3Lw3I0sqUdkqu">spécialité des villes portuaires ouest-africaines</a> (Côte d’Ivoire, Bénin, Togo).</p>
<p>Une récente réglementation mise en place par les autorités ivoiriennes sur la limitation de l’âge des véhicules d’occasion vise justement à <a href="https://www.douanes.ci/sites/default/files/base_documentaire/c_1936.pdf">réduire cet impact de pollution</a>.</p>
<p>De même, l’introduction d’une <a href="https://afrique.latribune.fr/economie/budget-fiscalite/2017-12-19/cote-d-ivoire-une-ecotaxe-pour-financer-le-recyclage-des-dechets-762141.html">redevance sur les importations</a> de produits électriques et électroniques neufs ou de seconde main en état de marche suivant le « principe pollueur-payeur » et le « principe de la responsabilité étendue du producteur » constituerait une avancée pour la réduction des déchets.</p>
<h2>Un potentiel important</h2>
<p>Les possibilités concrètes en matière d’économie circulaire sont nombreuses.</p>
<p>Les déchets organiques produits par les ménages et les fermes agricoles peuvent par exemple servir à produire de l’énergie grâce à la production de biogaz issu de la méthanisation. Le digestat venu de la fermentation des déchets organiques peut être utilisé comme fertilisant pour l’agriculture. Avec un potentiel considérable, puisque le secteur agricole est un pilier de l’économie ivoirienne, <a href="https://www.cirad.fr/dans-le-monde/nos-directions-regionales/afrique-de-l-ouest-foret-et-savane-humide/pays/cote-d-ivoire">qui occupe plus de la moitié de la population active</a>.</p>
<p>Les déchets plastiques peuvent être transformés en granulés et réutilisés comme matière première secondaire. Le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), à travers un programme d’éducation des jeunes enfants, a ainsi utilisé les déchets plastiques pour fabriquer des briques qui ont servi à <a href="https://www.unicef.fr/article/cote-divoire-une-usine-de-briques-en-plastique-recycle-pour-construire-des-salles-de-classe/">construire des salles de classe</a>.</p>
<p>Plus globalement, la structuration d’une économie circulaire en Côte d’Ivoire peut aussi s’appuyer sur les nombreuses initiatives existantes de façon informelle. Car la récupération et la réutilisation des déchets en Afrique n’a pas attendu qu’émerge et se popularise le concept d’économie circulaire. La conscience de la ressource qu’ils renferment est présente depuis bien longtemps.</p>
<p>D’elle-même, la population ivoirienne développe en effet déjà des activités génératrices de revenus qui obéissent à la règle des 4 R (réduire, réemployer, réutiliser, recycler).</p>
<h2>Les collecteurs, une économie circulaire informelle</h2>
<p>À travers la collecte de déchets notamment, pour laquelle les récupérateurs se sont progressivement organisés en groupement de façon informelle. Ils collectent et revendent ainsi certaines catégories de déchets (carton, fer, bouteilles, verre…) dotés d’un fort intérêt économique pour les artisans, les commerçants (grossistes et détaillants), les sociétés industrielles et commerciales installés dans les marchés et dans les zones industrielles de la Côte d’Ivoire.</p>
<p>Comme l’entreprise sociale <a href="https://startupbrics.com/greentech-coliba-abidjan-dechets-collecte/">Coliba</a>, engagée dans la transformation des déchets plastiques, qui a monté un centre de formation permettant d’intégrer 6 000 collecteurs de déchets informels dans la chaîne de valeur. L’entreprise prévoit ainsi créer environ 500 emplois directs et indirects à temps plein dont 70 % de ces postes seront occupés par des femmes. À noter que la collecte et la vente des déchets sont déjà réalisées <a href="https://www.afrik21.africa/ouganda-les-femmes-au-coeur-de-la-gestion-durable-des-dechets-plastiques%E2%80%89/">à 80 % par des femmes</a> en Afrique.</p>
<p>Les prix moyens de vente du kilo des déchets récupérés (les plastiques, les papiers, les cartons, les textiles, les métaux ferreux et non ferreux et les verres) sur le marché étant compris entre 0,09 et 0,27 euro, le potentiel économique des déchets est estimé à près de <a href="https://www.researchgate.net/publication/324452308_Analyse_du_potentiel_de_creation_d%27emplois_verts_dans_la_filiere_de_gestion_des_dechets_solides_menagers_en_Cote_d%27Ivoire">48,5 millions d’euros</a>.</p>
<h2>Un secteur des déchets à structurer</h2>
<p>À la principale décharge d’Abidjan, le nombre de travailleurs dans le tri était estimé <a href="https://www.scirp.org/%28S%28lz5mqp453edsnp55rrgjct55%29%29/reference/referencespapers.aspx?referenceid=2128934">à 5 000 personnes en 2010</a> et ne cesse d’augmenter.</p>
<p>Au regard du contexte, l’économie circulaire peut contribuer à améliorer la gestion des déchets en Côte d’Ivoire tout en luttant contre la pauvreté en créant un modèle générateur de nombreux emplois.</p>
<p>Mais une structuration du secteur des déchets est nécessaire pour permettre une meilleure organisation des personnes ou des réseaux concernés, la gestion étant en majorité informelle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194698/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Noukignon Kone-Silue ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En Côte d’Ivoire, la récupération informelle des déchets existe de longue date. Une pratique sur laquelle le pays peut s’appuyer pour construire une véritable économie circulaire dans le pays.Noukignon Kone-Silue, Economiste - RSE, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1934702022-11-23T20:16:10Z2022-11-23T20:16:10ZPhotoreportage : Au Burkina Faso, un laboratoire à ciel ouvert pour la transition agroécologique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/492285/original/file-20221028-53481-9x1dnd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les paysans du Burkina Faso sont inquiets pour leur avenir. Pour cause, l'insécurité grandissante, la pression foncière et la surexploitation des terres.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.raphaelbelminphotography.com/">Raphael Belmin / Cirad</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Un petit matin de septembre 2022 : Hamado Sawadogo et son équipe d’agronomes ont quitté la ville de Ouagadougou aux aurores. Ils filent vers le nord-ouest rejoindre un groupe de paysans de la commune d’Arbollé.</p>
<p>Le pick-up abandonne le goudron puis progresse en zigzag sur une piste de latérite, contournant les flaques boueuses et les ornières profondes.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/497032/original/file-20221123-22-nqsmy9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/497032/original/file-20221123-22-nqsmy9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/497032/original/file-20221123-22-nqsmy9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=510&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/497032/original/file-20221123-22-nqsmy9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=510&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/497032/original/file-20221123-22-nqsmy9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=510&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/497032/original/file-20221123-22-nqsmy9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=641&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/497032/original/file-20221123-22-nqsmy9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=641&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/497032/original/file-20221123-22-nqsmy9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=641&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le Burkina Faso se trouve en Afrique de l’Ouest.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Google Maps</span></span>
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<p>Comme chaque année au mois de septembre, les pluies de l’hivernage ont transformé les savanes arborées du centre Burkina en parcs humides verdoyants. Tout autour du convoi, les épis de sorgho surgissent en larges bouquets entre les bosquets d’acacias, les herbes folles et les arbres à beurre de karité.</p>
<p>Hamado Sawadogo est agronome à l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles du Burkina Faso (<a href="http://www.cnrst.bf/index.php/inera/">INERA</a>). Depuis 1993, il accompagne des paysans burkinabè en testant avec eux toutes sortes d’innovations.</p>
<p>Mais, il y a quelques années, son travail a été profondément bouleversé lorsque des <a href="https://theconversation.com/burkina-faso-negocier-pour-eteindre-les-foyers-insurrectionnels-156680">groupes djihadistes armés</a> ont envahi une grande partie du pays. Certains terrains d’intervention ont dû être abandonnés ; d’autres sont restés accessibles, mais au prix d’expéditions courtes.</p>
<p>Par chance, la commune d’Arbollé est pour le moment épargnée. Ces nouvelles conditions de travail n’ont pas pour autant découragé Hamado Sawadogo :</p>
<blockquote>
<p>« En dépit du contexte d’insécurité, les recherches se poursuivent au côté des paysans pour proposer des solutions agroécologiques adaptées aux changements climatiques. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/492308/original/file-20221028-53244-yb5jqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/492308/original/file-20221028-53244-yb5jqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=601&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/492308/original/file-20221028-53244-yb5jqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=601&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/492308/original/file-20221028-53244-yb5jqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=601&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/492308/original/file-20221028-53244-yb5jqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=756&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/492308/original/file-20221028-53244-yb5jqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=756&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/492308/original/file-20221028-53244-yb5jqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=756&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Hamado Sawadogo, agronome à l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles du Burkina Faso, accompagne les producteurs de sorgho burkinabè depuis 30 ans.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Raphael Belmin/Cirad</span></span>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/492287/original/file-20221028-37112-gma71f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/492287/original/file-20221028-37112-gma71f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/492287/original/file-20221028-37112-gma71f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/492287/original/file-20221028-37112-gma71f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/492287/original/file-20221028-37112-gma71f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/492287/original/file-20221028-37112-gma71f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/492287/original/file-20221028-37112-gma71f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vue panoramique de la route menant à Arbollé.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Raphael Belmin/Cirad</span></span>
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<h2>Un champ-école où chercheurs et paysans travaillent ensemble</h2>
<p>Le groupe de paysans attend les chercheurs au niveau du « champ central » d’Arbollé. Cette parcelle de 1 hectare est utilisée depuis 2021 comme lieu d’expérimentation agronomique et de co-apprentissage.</p>
<p>Avec l’appui du <a href="https://www.fair-sahel.org/">projet Fair Sahel</a>, pas moins de 15 innovations agronomiques ont été mises à l’épreuve en 2022 : cultures associées, rotations, nouvelles variétés, jachères améliorées, nouvelles variétés de sorgho et de niébé, etc. Les options techniques à tester ont été sélectionnées en juin 2022 via une démarche participative.</p>
<p>Trois mois plus tard, les idées qui avaient germées lors de l’atelier ont pris vie dans un patchwork coloré de petites placettes.</p>
<figure class="align-center ">
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<span class="caption">Le champ central de Saaba (Arbollé) est constitué d’une multitude de petites placettes où sont testées diverses innovations agronomiques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Raphael Belmin/Cirad</span></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center zoomable">
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<span class="caption">Visite du champ central de Banounou (Arbollé).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Raphael Belmin/Cirad</span></span>
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<h2>Intensifier écologiquement les cultures</h2>
<p>Le groupe progresse rapidement dans les allées du champ central. Des feuilles A4 accrochées à des piquets indiquent aux visiteurs les options techniques en cours d’expérimentation : zaï, demi-lunes, labour, mucuna, bracharia… autant de noms vernaculaires ou exotiques qui résonnent comme des promesses pour l’avenir de l’agriculture burkinabè.</p>
<p>Dans cet essai conduit sur le terrain, on cherche avant tout à « intensifier écologiquement » les systèmes de culture. Il faut intensifier, car l’agriculture doit répondre aux besoins alimentaires croissants d’une population en constante augmentation ; mais le faire écologiquement, sans quoi les ressources de base dont dépend l’agriculture pourraient bien disparaître.</p>
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<p>Traditionnellement les systèmes agricoles à base sorgho étaient équilibrés grâce à la jachère, une pratique qui consiste à laisser les champs en friche pendant une à plusieurs années. Elle permettait de reconstituer la fertilité naturelle des sols et de réduire la pression parasitaire.</p>
<p>L’équilibre reposait aussi sur la rotation des cultures, le sorgho étant précédé par le niébé, le sésame ou encore l’arachide.</p>
<p>Mais, au cours des dernières décennies, l’agriculture de la région a été fragilisée, la jachère tendant à disparaître en raison de la pression foncière. Il en résulte une baisse de fertilité des sols que les producteurs cherchent tant bien que mal à compenser avec des engrais chimiques. L’utilisation systématique de ces produits provoque en retour une dévitalisation des sols agricoles.</p>
<figure class="align-center ">
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<span class="caption">Un groupe de femmes lors de la visite d’une parcelle de sorgho à Arbollé. Le sorgho revêt une importance capitale pour la sécurité alimentaire des populations du centre Burkina Faso.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Raphael Belmin/Cirad</span></span>
</figcaption>
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<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/492290/original/file-20221028-58735-i2v7cv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/492290/original/file-20221028-58735-i2v7cv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/492290/original/file-20221028-58735-i2v7cv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/492290/original/file-20221028-58735-i2v7cv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/492290/original/file-20221028-58735-i2v7cv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/492290/original/file-20221028-58735-i2v7cv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=751&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/492290/original/file-20221028-58735-i2v7cv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=751&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/492290/original/file-20221028-58735-i2v7cv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=751&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Cultivées en rotation avec le sorgho, les « plantes de service » améliorent la fertilité des sols, produisent du fourrage et parfois même des aliments consommables. De gauche à droite et haut en bas : mucuna (mucuna bracteata), arachide (arachis hypogea), haricot mungo (vigna radiata), centurion (centrosema pascuorum), crotalaire rétuse (crotalaria retusa), indigotier (indigofera), pois sabre blanc (canavalia ensiformis), bracharia (brachiaria ruziziensis), crotalaire (crotalaria spectabilis).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Raphael Belmin/Cirad</span></span>
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<h2>Un vote et des débats</h2>
<p>Après la visite du champ central, les paysans et paysannes se réunissent à l’ombre d’un grand arbre et procèdent, à l’invitation des chercheurs, au vote : il s’agit d’élire les options agronomiques qui leur semblent les plus prometteuses.</p>
<p>Ils doivent également motiver leur choix, ce qui ouvre des débats contradictoires : à la grande surprise des chercheurs, les participants optent majoritairement pour les cultures « pures », c’est-à-dire celles qui correspondent aux usages locaux. Un comble pour un projet d’appui à l’innovation agroécologique qui prône les associations culturales ! Comment interpréter ce vote paysan ?</p>
<p>Il faut d’abord reconnaître que certaines des innovations testées ne sont pas encore agronomiquement au point. Les associations culturales n’ont pas toutes bien fonctionné en raison de phénomènes de compétition pour les nutriments et la lumière. Ensuite, il semble que les agriculteurs évaluent les innovations agroécologiques en se limitant à un critère de rendement à court terme. Le regain de fertilité et de biomasse fourragère que les plantes de service apportent n’a visiblement pas suffi à les convaincre, eux qui cherchent avant tout à sécuriser leur alimentation.</p>
<p>Accompagner la <a href="https://theconversation.com/defis-globaux-solutions-locales-au-senegal-avec-les-pionniers-de-lagroecologie-africaine-178352">transition agroécologique</a> ne doit donc pas se limiter à de simples expérimentations, aussi participatives soient-elles ; encore faut-il apporter de nouveaux cadres d’évaluation des performances agronomiques et se donner du temps pour progresser par essai et erreur dans la conception des systèmes de culture. Il faut enfin apporter des filets de sécurité alimentaire afin que les paysans puissent persister sans crainte dans l’innovation.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/492291/original/file-20221028-24414-frwggf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/492291/original/file-20221028-24414-frwggf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/492291/original/file-20221028-24414-frwggf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/492291/original/file-20221028-24414-frwggf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/492291/original/file-20221028-24414-frwggf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/492291/original/file-20221028-24414-frwggf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/492291/original/file-20221028-24414-frwggf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Hamado Sawadogo et son équipe animent un atelier de co-évaluation des options agronomiques à Arbollé.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Raphael Belmin/Cirad</span></span>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/492293/original/file-20221028-18609-tgk41z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/492293/original/file-20221028-18609-tgk41z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/492293/original/file-20221028-18609-tgk41z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/492293/original/file-20221028-18609-tgk41z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/492293/original/file-20221028-18609-tgk41z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/492293/original/file-20221028-18609-tgk41z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/492293/original/file-20221028-18609-tgk41z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/492293/original/file-20221028-18609-tgk41z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Lors de l’atelier de co-évaluation, les paysans votent pour les options d’intensification écologique les plus prometteuses. Les résultats du vote sont inscrits sur un tableau et engagent les débats.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Raphael Belmin/Cirad</span></span>
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<h2>Un réseau de producteurs-pilotes</h2>
<p>Dans les villages environnants, ce sont les paysans eux-mêmes qui prennent les rênes des essais agronomiques.</p>
<p>À l’issue de la première année du projet, ils ont sélectionné des innovations issues du champ central et ont testé ces dernières directement dans leurs parcelles. Les 15 producteurs engagés ont ainsi formé un réseau de « champs satellites » (par opposition au « champ central » évoqué plus haut). Fati Sawadogo, productrice à Arbollé, partage son expérience :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai découvert plusieurs associations culturales dans le champ central, et j’ai décidé de les répliquer chez moi à ma convenance […]. J’ai alterné deux lignes de sésame et deux lignes de niébé et comparé le résultat avec le niébé seul […]. Les nouvelles connaissances apportées par le projet me permettront à terme d’améliorer mes pratiques culturales. »</p>
</blockquote>
<p>Ce type d’essai multi-local facilite l’appropriation des innovations par les communautés paysannes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/492296/original/file-20221028-41756-is3hb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/492296/original/file-20221028-41756-is3hb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/492296/original/file-20221028-41756-is3hb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/492296/original/file-20221028-41756-is3hb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/492296/original/file-20221028-41756-is3hb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/492296/original/file-20221028-41756-is3hb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/492296/original/file-20221028-41756-is3hb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les champs satellites font l’objet d’un suivi régulier par les chercheurs et les techniciens du projet Fair Sahel. Après la récolte du niébé, les techniciens de l’AMSP et de l’INERA effectuent une pesée de la biomasse résiduelle afin d’estimer la valeur fourragère de la parcelle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Raphael Belmin/Cirad</span></span>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/492295/original/file-20221028-27-mxa7qq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/492295/original/file-20221028-27-mxa7qq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/492295/original/file-20221028-27-mxa7qq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/492295/original/file-20221028-27-mxa7qq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/492295/original/file-20221028-27-mxa7qq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/492295/original/file-20221028-27-mxa7qq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/492295/original/file-20221028-27-mxa7qq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans les champs satellites, des agriculteurs expérimentent diverses techniques agroécologiques qui leur ont été présentées dans le champ central.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Raphael Belmin/Cirad</span></span>
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<h2>Une base arrière pour l’innovation</h2>
<p>À 100 km d’Arbollé, dans la banlieue de Ouagadougou, la station agronomique de Gampela abrite des recherches agronomiques de pointe qui alimentent les dynamiques d’innovation conduites en milieux paysans.</p>
<p>Ici, des chercheurs du Cirad et de l’INERA testent une large gamme de « plantes de services » : mucuna, arachide, haricot mungo, crotalaire, bracharia… La majorité de ces espèces se trouvent déjà dans le milieu naturel en Afrique, mais leur intérêt agronomique n’avait jamais été étudié auparavant.</p>
<p>Lorsqu’elles sont cultivées en rotation ou en association avec le sorgho, ces plantes enrichissent les systèmes de culture en améliorant la fertilité des sols, en produisant du fourrage et/ou des denrées consommables. Une manière d’encourager les paysans à adopter des « jachères améliorées ». La station de Gampela est également un lieu de conservation et de sélection de variétés locales de sorgho.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/492297/original/file-20221028-53112-sv6gb2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/492297/original/file-20221028-53112-sv6gb2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=602&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/492297/original/file-20221028-53112-sv6gb2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=602&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/492297/original/file-20221028-53112-sv6gb2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=602&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/492297/original/file-20221028-53112-sv6gb2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=756&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/492297/original/file-20221028-53112-sv6gb2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=756&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/492297/original/file-20221028-53112-sv6gb2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=756&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Haut : Louis Marie Raboin est agronome au Cirad, en poste à l’INERA au Burkina Faso depuis 2017. Il coordonne le programme de recherche de la station expérimentale de Gampela. Bas : David Boundaogo, technicien à la station expérimentale de Gampela, met en sac les panicules de sorgho destinées à la production de semences. Les sacs sont placés sur les inflorescences de sorgho afin de permettre l’autofécondation et donc conserver la pureté du patrimoine génétique des semences.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Raphael Belmin/Cirad</span></span>
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<p>Les essais de la station de Gampela ainsi que les champs centraux et satellites d’Arbollé ne sont qu’une composante d’un dispositif bien plus large. Le projet Fair Sahel soutient en effet des démarches de co-conception similaires dans d’autres régions du Burkina, ainsi que dans deux autres pays sahéliens, le Sénégal et le Mali.</p>
<hr>
<p><em>Amélie d’Anfray (Cirad) est co-autrice de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193470/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Raphaël Belmin est membre du projet Desira Fair Sahel financé par l’Union européenne et l’AFD. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Amélie d’Anfray a reçu des financements de l’Union européenne et de l’AFD pour le projet FAIR Sahel. </span></em></p>Au Burkina Faso, malgré un contexte sécuritaire difficile, une équipe d’agronomes accompagne des producteurs de sorgho vers une agriculture plus intelligente et résiliente.Raphaël Belmin, Chercheur en agronomie, photographe, accueilli à l’Institut sénégalais de recherches agricoles (ISRA, Dakar), CiradAmélie d’Anfray, Agronome, CiradLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1917932022-10-05T15:15:58Z2022-10-05T15:15:58ZGuinée : un procès pour l’histoire<p>En Guinée, l’interminable attente du procès des responsables présumés du <a href="https://www.liberation.fr/international/afrique/proces-du-massacre-du-28-septembre-2009-un-test-historique-pour-la-justice-en-guinee-20220929_U4NLDFFN5REXZOR3VTIREFMK54/">massacre du 28 septembre 2009</a>, si souvent annoncé puis reporté, a <a href="https://www.rfi.fr/fr/en-bref/20220928-le-proc%C3%A8s-du-28-septembre-en-guin%C3%A9e-renvoy%C3%A9-au-4-octobre">pris fin le 28 septembre 2022</a>.</p>
<p>Précisément 13 années après les faits a commencé à Conakry le jugement d’anciens responsables militaires et gouvernementaux de la junte alors en place, le Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD).</p>
<p>Au total, 13 personnes ont été mises en examen et <a href="http://www.revuedlf.com/droit-international/massacre-du-28-septembre-2009-la-guinee-a-lepreuve-du-principe-de-complementarite/">renvoyées devant la justice pénale guinéenne pour y être jugées</a>. Seules 12 comparaissent actuellement, le <a href="https://www.jeuneafrique.com/1222412/politique/guinee-deces-de-mamadouba-toto-camara-ancien-numero-deux-de-dadis-camara/">général Mamadouba Toto Camara, numéro 2 du CNDD, étant décédé en 2021</a>. Parmi elles, figurent notamment le capitaine Moussa Dadis Camara, chef du CNDD, ainsi que son aide de camp et chef de la garde présidentielle, le lieutenant Aboubakar Sidiki Diakité (dit Toumba).</p>
<h2>Treize années d’attente</h2>
<p>Rappelons que le 28 septembre 2009, un meeting de l’opposition avait <a href="https://www.jeuneafrique.com/mag/636125/societe/guinee-le-lundi-noir-du-28-septembre-2009/">tourné au drame</a> dans la capitale guinéenne. Alors qu’une foule d’opposants s’était réunie dans le stade de Conakry pour manifester contre la candidature à l’élection présidentielle du capitaine <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Moussa_Dadis_Camara">Moussa Dadis Camara</a>, les forces de sécurité avaient réprimé brutalement le rassemblement.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd'hui</a>]</p>
<p>Signe de la portée du procès, son ouverture s’est déroulée en <a href="https://www.icc-cpi.int/fr/news/declaration-du-procureur-de-la-cpi-karim-aa-khan-kc-propos-de-louverture-du-proces-relatif-aux">présence du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan</a>, lequel a insisté sur l’importance de la crédibilité d’une procédure équitable qui soit à la hauteur de l’attente des victimes et ne se résume pas à un effet d’annonce.</p>
<p>La Guinée, qui a <a href="https://www.coalitionfortheicc.org/fr/country/la-guinee">ratifié le Statut de Rome en 2003</a>, fait depuis octobre 2009 l’objet d’un examen préliminaire de la CPI sur les crimes commis le 28 septembre 2009, mais aussi sur l’existence et l’authenticité de procédures nationales relatives à ces crimes.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/2kR5JozdkF4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Massacre du 28-Septembre en Guinée : l’ex-dictateur Camara incarcéré avant le procès (France24, 28 septembre 2022).</span></figcaption>
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<p>Au cours des 13 dernières années, le Bureau du Procureur de la CPI s’est efforcé de dialoguer avec les autorités guinéennes pour qu’elles honorent leur promesse de rendre justice dans cette affaire dans le cadre d’une « complémentarité positive » avec la CPI, cette dernière n’ayant vocation à agir que si les tribunaux nationaux n’ont pas la capacité ou la volonté de juger. Autrement dit, même lorsqu’il y a capacité, encore faut-il que la volonté soit réelle. À cet égard, Karim Khan a annoncé que l’ouverture du procès, sous réserve qu’il aboutisse, marquerait la fin de l’examen préliminaire engagé.</p>
<h2>Une avancée et une surprise</h2>
<p>Le début du procès du massacre du 28 septembre 2009 constitue à la fois une avancée majeure et une surprise.</p>
<p>Il s’agit d’une avancée majeure, parce que c’est la première fois en Guinée, depuis l’indépendance en 1958, que de hauts responsables politiques et militaires sont jugés par un tribunal pour des faits qualifiés d’assassinats, meurtres, viols et violences sexuelles, actes de torture et violences, séquestration et pillage commis sur la population civile.</p>
<p>La qualification de crime contre l’humanité n’a pas été retenue. Cependant, les infractions de droit commun figurant dans l’ordonnance de renvoi des juges d’instruction couvrent bien les événements survenus au stade de Conakry, au cours desquels au moins 156 personnes ont été tuées, 109 femmes ont été victimes de viols et d’autres violences sexuelles, y compris de mutilations sexuelles, tandis que des centaines de personnes ont subi des actes de torture ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants.</p>
<p>L’avancée est incontestable, compte tenu de <a href="https://www.memoire-collective-guinee.org/">l’impunité dont ont toujours bénéficié dans ce pays les auteurs de violations des droits humains</a>. Le dossier de la procédure a été transmis par la Cour suprême à un tribunal criminel constitué pour l’occasion ; des magistrats disponibles ont été désignés ; des avocats sont présents pour assister les victimes et défendre les prévenus ; les 12 prévenus comparaissent en personne ; une salle neuve et spacieuse a été spécialement dédiée à la tenue du procès ; le jugement est public et la presse y assiste. Les conditions semblent donc réunies, du moins en apparence, pour la <a href="https://www.lepoint.fr/afrique/massacre-du-28-septembre-en-guinee-vers-un-proces-pour-l-histoire-27-09-2022-2491568_3826.php">tenue d’un véritable procès « historique »</a>.</p>
<p>Le début du procès constitue également une surprise. Depuis 2017, date de la fin de l’information judiciaire sur le massacre, il se dégageait l’impression qu’aucun gouvernement en Guinée ne souhaitait réellement la tenue d’un tel procès, aux possibles répercussions politiques. Les proches du président Alpha Condé (en poste de 2010 jusqu’au <a href="https://theconversation.com/guinee-un-coup-detat-previsible-167937">coup d’État qui a provoqué sa chute en 2021)</a> justifiaient souvent la non-organisation du procès par le fait qu’il risquerait de déstabiliser l’institution militaire (dont sont issus tous les accusés) et provoquer une crise dans la région de la Guinée forestière dont est originaire le capitaine Moussa Dadis Camara (et où il conserve influence et réseaux). En outre, certains des accusés (les colonels Claude Pivi et Moussa Tiégboro Camara) avaient <a href="https://theconversation.com/guinee-linterminable-attente-du-proces-des-auteurs-du-massacre-du-28-septembre-2009-168860">conservé leur poste dans l’appareil d’État guinéen</a>, que ce soit au sein de l’équipe de la garde présidentielle ou dans celle en charge de la lutte contre le grand banditisme.</p>
<p>Le calendrier de l’organisation du procès s’est cependant subitement accéléré en juillet 2022, <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220718-prochain-proc%C3%A8s-du-massacre-de-septembre-2009-en-guin%C3%A9e-l-ogdh-circonspecte">après le feu vert donné par le colonel Mamady Doumbouya</a>, à la tête du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) depuis le coup d’État qui l’a porté au pouvoir en septembre 2021.</p>
<h2>La justice guinéenne au révélateur</h2>
<p>Quant au procès lui-même, il constitue un défi à relever pour la justice guinéenne, moins connue pour ses forces que pour ses faiblesses : désorganisation, corruption, lenteur, faible niveau de formation des magistrats, manque de moyens, interférences politiques.</p>
<p>À cet égard, la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/massacre-du-28-septembre-en-guinee-l-ex-dictateur-camara-au-tribunal-27-09-2022-2491566_24.php">décision d’emprisonnement des cinq accusés encore libres</a> – dont le capitaine Moussa Dadis Camara, les colonels Claude Pivi et Moussa Tiégboro Camara et l’ex-ministre de la Santé Abdoulaye Cherif Diaby – semble démontrer que le tribunal entend ne pas se laisser impressionner.</p>
<p>Toutefois, la conduite d’un tel procès inédit en Guinée – et guère préparé au vu de l’accélération subite du calendrier depuis juillet 2022 – risque d’être difficile à mener à bien tant au regard de la personnalité des accusés que du nombre de victimes (plus de 500), de la gravité des faits examinés et du manque d’expérience de la justice guinéenne en la matière.</p>
<p>Comment les témoins et les victimes seront-ils protégés par les autorités nationales durant et après le procès ? Comment les victimes seront-elles indemnisées ? Le procès ne va-t-il pas s’étirer en longueur, à la faveur des multiples renvois et compléments d’information qui seront immanquablement sollicités ? Comment les magistrats, peu formés, pourront-ils prendre la mesure de ces faits et rédiger une décision qui réponde aux standards internationaux ? Vont-ils réunir à incarner ce tribunal indépendant, impartial et compétent qui est requis pour ce type d’affaires ? Le colonel Mamady Doumbouya, déjà <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20220809-guin%C3%A9e-le-gouvernement-annonce-la-dissolution-du-fndc-un-collectif-contestataire">critiqué</a> pour l’emprisonnement de membres du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), un mouvement issu de la société civile réclamant le respect des règles démocratiques, ainsi que pour la répression des manifestations de ses partisans à Conakry, va-t-il maintenir dans le temps son engagement en faveur de la tenue du procès ? Autant de questions qui inquiètent la communauté internationale et les ONG qui soutiennent la tenue de ce procès.</p>
<h2>Un procès incomplet ?</h2>
<p>Un dernier point, et non des moindres, suscite des inquiétudes. L’information judiciaire n’a pas permis la <a href="http://www.revuedlf.com/droit-international/massacre-du-28-septembre-2009-la-guinee-a-lepreuve-du-principe-de-complementarite/">constitution d’un dossier complet et détaillé</a> sur les faits qui ont eu lieu au stade de Conakry le 28 septembre 2009 et dans les jours qui ont suivi. Les trois juges d’instruction guinéens – qui ont enquêté entre 2012 et 2017 – ont collecté des auditions de victimes, de témoins et des accusés, mais aucune preuve scientifique ou matérielle de l’implication des accusés dans les faits du massacre du stade. Ils n’ont pas dressé non plus une chronologie précise des faits, ni établi la chaîne de commandement alors en place – ce qui a d’ailleurs, et de manière inexpliquée, abouti à ce que nombre des acteurs du massacre ne soient jamais inquiétés et renvoyés devant le tribunal.</p>
<p>Une telle situation trouve son origine dans la carence des moyens des juges d’instruction et de la police judiciaire qui les a assistés, mais aussi dans le défaut de professionnalisme des juges d’instruction, qui n’ont pas exploité les informations dont ils disposaient, notamment à la suite des rapports de la <a href="https://www.refworld.org/cgi-bin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf">Commission d’enquête des Nations unies</a> et des rapports des ONG <a href="https://www.hrw.org/fr/report/2009/12/17/un-lundi-sanglant/le-massacre-et-les-viols-commis-par-les-forces-de-securite-en">Human Rights Watch</a> et <a href="https://www.fidh.org/IMG/pdf/Guineedcona546fconjOGDH.pdf">Fédération internationale des droits de l’homme</a>. La tenue de l’actuel procès permettra-t-elle d’y voir plus clair et d’établir les responsabilités des uns et des autres ? Si nul ne le sait aujourd’hui, la tâche s’annonce indubitablement ardue.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191793/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Maia ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le 28 septembre 2009, un massacre effroyable endeuillait la Guinée. Treize ans plus tard jour pour jour, un procès vient enfin de s’ouvrir à Conakry.Catherine Maia, Professeure de droit international à l’Université Lusófona (Portugal) et professeure invitée à Sciences Po Paris (France), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1906172022-09-22T18:43:08Z2022-09-22T18:43:08ZAu Bénin, construire à tout prix<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/485563/original/file-20220920-18-em2inb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5455%2C3631&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vue de Cotonou.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/cityscape-sunset-view-cotonou-benin-republic-1719771760">sope Adelaja/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Construire et habiter « chez soi » sont, au Bénin comme dans bien d’autres pays d’Afrique – du <a href="https://journals.openedition.org/com/6443">Togo</a> à la <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-modern-african-studies/article/middle-class-construction-domestic-architecture-aesthetics-and-anxieties-in-tanzania/121A60413113E3609D7F6E55D4844722">Tanzanie</a> et du <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-d-etudes-africaines-2020-1-page-115.htm?contenu=article">Mali</a> au <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/africa/article/morality-in-the-middle-choosing-cars-or-houses-in-botswana/7314905F3E781CC64B2DAB40DE6A50C5">Botswana</a> –, des ambitions largement partagées par tous ceux qui, des classes populaires aux élites, parviennent à s’assurer des revenus un minimum stables et suffisants pour dégager une certaine épargne.</p>
<p>La construction artisanale est ici la norme, le propriétaire engageant un maçon et son équipe pour édifier la maison. Seule la construction d’un bâtiment à étages demande l’intervention de techniciens en bâtiment qualifiés. De tels projets ne concernent fondamentalement que l’élite et les fractions supérieures des classes moyennes, concentrées dans les grandes agglomérations que sont Cotonou, Porto-Novo ou Parakou, même si leur présence est aussi visible ailleurs, au travers des quelques maisons à étages et petits immeubles des agglomérations plus modestes.</p>
<p>Dans les villes secondaires et les campagnes, et même dans les périphéries des grandes villes, une nette majorité des projets de construction en restent au niveau du rez-de-chaussée, et se négocient entre un propriétaire auto-promoteur et un maçon. La croissance urbaine importante du pays, où les statistiques officielles estiment désormais que la <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicator/SP.URB.TOTL.IN.ZS?locations=BJ">moitié des quelque 12 millions de Béninois vivent en ville</a>, se nourrit largement de cette <a href="https://www.cairn.info/revue-l-information-geographique-2019-2-page-85.htm?ref=doi&contenu=article">dynamique d’auto-construction</a> dans laquelle chacun s’engage corps et biens. Dépôts de ciment et de matériaux de construction, mais aussi chantiers d’habitations, sont d’ailleurs <a href="https://archive-ouverte.unige.ch/unige:145150">omniprésents</a> dans un pays littéralement en chantier.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485570/original/file-20220920-21-u47n90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485570/original/file-20220920-21-u47n90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485570/original/file-20220920-21-u47n90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485570/original/file-20220920-21-u47n90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485570/original/file-20220920-21-u47n90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485570/original/file-20220920-21-u47n90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485570/original/file-20220920-21-u47n90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’avancée du front urbain à Togbin, dans la banlieue de Cotonou, où quelques constructions déjà achevées cohabitent avec chantiers d’ampleurs diverses et parcelles de maraîchers.</span>
<span class="attribution"><span class="source">J. Noret</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les enjeux de cette croissance urbaine sont <a href="https://journals.openedition.org/poldev/3352">multiples</a>, et sa planification délicate. Mais pour les gens mobilisés par ces projets, l’investissement dans la construction et l’accès à la propriété sont à la fois une question de conditions d’existence et de possibilités ultérieures d’accumulation, et une question de reconnaissance sociale fondamentale.</p>
<h2>Les voies tortueuses de la construction</h2>
<p>En juillet 2022, dans Abomey, une petite ville de province, je repassai voir Guy (les prénoms ont été modifiés), une vieille connaissance que j’avais fréquentée il y a une douzaine d’années. La quarantaine bien engagée, celui-ci s’était vu allouer il y a une quinzaine d’années un emplacement dans la parcelle de son père, afin d’y construire son propre logement. Plombier de profession, il disposait à l’époque de revenus lui permettant un niveau suffisant d’épargne pour s’engager dans un tel projet, et il se mit donc au travail. Il conçut le plan d’un bâtiment de quatre petites chambres et un salon, et parvint en quelques années à faire élever les murs jusqu’au niveau où viendrait se poser la charpente.</p>
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<p>Au début des années 2010, sa mère tombe malade et ses affaires commencent à péricliter, sous l’effet, dit-il, d’une concurrence accrue au sein de la profession de plombier dans la petite ville de province où il réside, Abomey. En 2014, il décide de s’engager dans une formation pour devenir instituteur. Un emploi salarié lui garantirait au moins des revenus réguliers. Toutefois, le niveau de revenus qui est le sien aujourd’hui ne lui permet plus de poursuivre son projet de construction.</p>
<p>Des 60 000 francs CFA par mois qu’il gagne (un peu plus de 90 euros) pendant l’année scolaire, il doit en effet d’abord retirer 10 000 francs pour payer l’essence de ses trajets en moto jusqu’au village où il a été affecté, et le reste est entièrement absorbé par les soins que demande l’état de sa maman – « cela me ruine », glisse-t-il –, la scolarisation de ses deux adolescents dans une école privée, et par les frais du ménage, auxquels sa femme, vendeuse de sucre sur le marché local, contribue de façon marginale. Guy habite toujours aujourd’hui dans un bâtiment construit par son père, qu’il partage avec certains de ses frères. Il y a une dizaine d’années désormais que son projet de maison est à l’arrêt, et se transforme doucement en la ruine inachevée d’un rêve brisé…</p>
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<img alt="Maison inachevée abandonnée" src="https://images.theconversation.com/files/484848/original/file-20220915-22-clbqtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484848/original/file-20220915-22-clbqtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484848/original/file-20220915-22-clbqtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484848/original/file-20220915-22-clbqtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484848/original/file-20220915-22-clbqtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484848/original/file-20220915-22-clbqtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484848/original/file-20220915-22-clbqtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La maison inachevée de Guy à Abomey.</span>
<span class="attribution"><span class="source">J. Noret</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>C’est assurément dans les classes populaires, où se côtoient petits indépendants, artisans, paysans et petits employés, que le défi de la construction se pose avec la plus grande acuité.</p>
<p>Chez l’ensemble des propriétaires de milieux modestes que j’interroge depuis plus d’un an lors de mes séjours au Bénin sur les motivations et les contours de leurs projets de construction, j’entends des récits soulignant la persévérance et les privations que requiert l’édification d’une maison, et les stratégies d’épargne parfois radicales qu’ils mettent en place pour y parvenir, consacrant parfois plus de la moitié de leurs revenus à leur projet de construction au moment de la fabrique des parpaings et de l’édification des murs.</p>
<h2>Construction et réalisation de soi</h2>
<p>C’est que les enjeux sont considérables, à la mesure des investissements réalisés et des sacrifices consentis. L’édification d’une maison est un accomplissement majeur et une source fondamentale de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/02723638.2017.1286839">reconnaissance sociale</a>. La consécration, aussi, d’une certaine indépendance économique et statutaire. En particulier, dans une société où l’on répète volontiers que « si tu n’as rien, tu n’es rien », construire et habiter son « chez soi » est une manière essentielle de s’affirmer en tant qu’homme.</p>
<p>Les projets de construction, en effet, se conçoivent le plus souvent de manière individuelle dans un pays où les finances restent gérées de manière <a href="https://odagnelie.github.io/docs/lemay_dagnelie_jid.pdf">très largement séparée</a> au sein du couple. Et même si l’on croise parfois un couple ayant mis ses ressources en commun pour construire ensemble, c’est d’abord aux hommes que revient le devoir d’édifier l’habitation familiale. Les femmes peuvent certes, elles aussi, construire leur propre maison. C’est même là un signe de réussite auquel aspirent en particulier les cadres et les grandes commerçantes, mais aussi celles qui s’avèrent capables de dégager une épargne, et que les liens conjugaux rompus ou distendus ont rendues cheffes de ménage. D’une femme qui a construit, on pourra d’ailleurs dire pour souligner son mérite qu’elle « a agi comme un homme »…</p>
<p>L’enjeu toutefois n’est pas de la même nature, et touche moins directement à l’accomplissement d’un idéal féminin. Car pour ce qui est des hommes, « il a construit », « il est chez lui », ou au contraire « il n’a jamais fabriqué une brique dans sa vie », sont autant de manières dont peut être rapportée au quotidien la valeur des individus et jaugée leur réalisation de l’idéal masculin. Et le jugement est d’autant plus sévère sur ceux qui, salariés ou cadres dans la fonction publique ou dans le secteur privé, ont été en position de construire mais n’ont « rien réalisé », et que la doxa populaire accuse alors typiquement d’avoir dilapidé leur argent dans les plaisirs des femmes et de la fête…</p>
<p>C’est ainsi que chacun investit dans une maison qui peut devenir une véritable mise en scène de sa réussite. Dans les couches supérieures de la population, on construit volontiers de grandes maisons à étages, de plus en plus souvent entourées de murs d’enceinte surmontés de barbelés, avant de rivaliser dans la qualité des finitions et des équipements, des jeux de lumières des plafonniers à la qualité du carrelage, au confort du salon et à la taille des écrans plats.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/484850/original/file-20220915-14325-9fdmp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484850/original/file-20220915-14325-9fdmp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=735&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484850/original/file-20220915-14325-9fdmp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=735&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484850/original/file-20220915-14325-9fdmp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=735&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484850/original/file-20220915-14325-9fdmp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=924&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484850/original/file-20220915-14325-9fdmp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=924&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484850/original/file-20220915-14325-9fdmp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=924&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’aménagement progressif du salon dans les classes populaires, où l’on investit souvent les lieux avant la réalisation des finitions. L’embellissement des lieux pourra encore s’étaler sur plusieurs années.</span>
<span class="attribution"><span class="source">J. Noret</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Dans les milieux populaires, les préoccupations esthétiques passent au second plan, mais on s’efforce de plafonner puis éventuellement de peindre les murs de parpaings, d’installer un faux plafond qui isolera un peu de la chaleur du toit de tôles, et peut-être plus tard de carreler la pièce de vie. La possession d’un salon meublé et d’une télévision viendront compléter ce que parents, voisins et amis apprécieront à sa juste valeur comme une belle réalisation. Mais les aléas de l’existence et les imprévus des trajectoires les mieux planifiées prélèveront aussi leur tribut sur les projets engagés, et bon nombre de constructions en resteront finalement à un niveau d’aménagement plus sommaire…</p>
<h2>Construction et accumulation</h2>
<p>La maison, toutefois, n’est pas seulement un lieu crucial d’accomplissement social, à travers lequel se donne à voir un jeu subtil de distinction entre classes et fractions de classes. Elle peut aussi devenir, en particulier dans les milieux populaires et les classes moyennes, un site non moins crucial d’accumulation. Un certain nombre de petits propriétaires construisent en effet dans leur parcelle d’autres logements, avec l’intention de les louer et d’en tirer des revenus complémentaires, susceptibles aussi de devenir leur « assurance vieillesse » une fois qu’ils auront cessé de travailler.</p>
<p>Christian est un mécanicien approchant désormais la quarantaine et vivant lui aussi à Abomey, que j’ai connu en 2021 par l’intermédiaire d’un ami. En 2019, il a revendu sa modeste maison à un voisin qui voulait agrandir sa propre parcelle, réalisant au passage une petite plus-value qui lui a permis de construire l’habitation où il vit désormais.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quelles-sources-de-financement-pour-les-pme-beninoises-du-secteur-informel-102027">Quelles sources de financement pour les PME béninoises du secteur informel ?</a>
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<p>Sa nouvelle construction est plus grande que la précédente, et la plus-value lui a aussi permis de construire à côté de sa propre maison une habitation plus petite, formée d’une chambre et d’un salon, qu’il destine à la location. Christian s’auto-contraint à l’épargne pour un peu plus d’un demi-million de francs CFA par an (soit un peu plus de 800 euros), via des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/j.1468-0084.2011.00641.x">systèmes d’épargne rotative</a> connus en Afrique sous le nom de « tontines ». Une telle somme représente sans doute un peu plus du tiers de ses revenus. À son agenda des prochaines années figure en bonne place la réalisation d’autres logements de ce type, avec lesquels il partagera une partie de sa cour, et qui lui fourniront progressivement des revenus complémentaires non négligeables.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/484851/original/file-20220915-19-a0abjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484851/original/file-20220915-19-a0abjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484851/original/file-20220915-19-a0abjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484851/original/file-20220915-19-a0abjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484851/original/file-20220915-19-a0abjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484851/original/file-20220915-19-a0abjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484851/original/file-20220915-19-a0abjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La maison de Christian. A gauche, un logement en cours de finition qu’il destine à la mise en location. Au premier plan, le tas de ciment témoigne de la volonté de Christian de ne pas s’arrêter à ce stade de la construction.</span>
<span class="attribution"><span class="source">J. Noret</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Dans les fractions supérieures des classes moyennes et parmi les élites, on investit volontiers dans l’achat de parcelles, à des fins spéculatives – croissance démographique et croissance urbaine font monter rapidement le prix des terrains à bâtir – ou pour y construire des logements destinés à la mise en location. Dans les classes populaires et fractions inférieures des classes moyennes, c’est davantage la parcelle d’habitation elle-même qui accueille ces projets d’accumulation et de diversification de ses sources de revenus.</p>
<p>Au final, dans une société béninoise où la construction se révèle être une passion sociale majeure, l’édification d’une maison constitue un moment clé dans la <a href="https://www.berghahnbooks.com/title/NoretSocial">stabilisation d’une position sociale</a> et la concrétisation d’une forme de réalisation de soi. Entre ceux qui seront parvenus à bâtir leur propre édifice et ceux qui, pour des raisons diverses, y auront échoué, passe une double ligne de partage, qui distingue les uns des autres à la fois dans l’ordre matériel des conditions d’existence et dans l’ordre symbolique de la reconnaissance sociale. Logée au cœur des investissements et des désirs de larges pans de la population, la construction des maisons s’avère ainsi un lieu privilégié d’exploration des rapports sociaux et des aspirations qui font la dynamique d’une société africaine d’aujourd’hui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190617/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joël Noret a reçu des financements du Fonds de la Recherche Scientifique (FRS-FNRS, Belgique).</span></em></p>Au Bénin, construire sa propre maison est un accomplissement social majeur, dans lequel ceux qui en ont les moyens s’engagent avec passion, chacun à la mesure de ses possibilités et de ses ambitions.Joël Noret, Professeur d'anthropologie, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1879522022-09-20T18:28:09Z2022-09-20T18:28:09ZLutte contre la « déforestation importée » en Europe : quelles conséquences pour des millions d’Africains ?<p>Dans la foulée de la COP26, et soucieuse de corriger son statut de second « importateur mondial de déforestation » après la Chine, l’Union européenne a décidé le <a href="https://www.touteleurope.eu/environnement/pacte-vert-europeen-les-dates-cles/">17 novembre 2021</a> de muscler <a href="https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/european-green-deal_fr">son Green Deal</a> pour rendre le vieux continent climatiquement neutre en 2050.</p>
<p>Rappelons qu’un « importateur de déforestation » est un pays, un continent ou une entreprise, <a href="https://theconversation.com/quel-est-le-poids-exact-de-la-france-dans-la-deforestation-importee-qui-touche-lamazonie-174658">qui importe des produits issus d’une déforestation</a>. Pour le moment, la liste des produits que l’UE ne fera plus venir est assez courte, mais lourde de conséquences : la viande de bœuf (et le cuir), le cacao, le café, le soja et l’huile de palme. </p>
<p>Les mauvais esprits pourraient ironiser sur le fait que la Beauce était autrefois couverte de forêts (primaires ?), et que les céréales qui y sont cultivées proviennent aussi de la déforestation, mais l’humour n’est pas de mise quand il s’agit de sauver la planète.</p>
<p>D’ailleurs, cette mesure n’a fait sourire personne dans les pays directement visés d’Afrique de l’Ouest. Si les éleveurs peuls de la zone sahélienne n’en sont pas à nourrir leurs vaches avec du fourrage récolté sur des espaces déforestés, et encore moins avec du soja, les cultivateurs et planteurs de Côte d’Ivoire, du Ghana et de toute la région forestière sont concernés par au moins trois des cinq produits figurant sur la liste noire (café, cacao, huile de palme).</p>
<p>Or ces différentes productions agricoles sont essentielles à leur prospérité.</p>
<h2>20 % des Ivoiriens vivent du cacao</h2>
<p>Le cacao, dont la Côte d’Ivoire est le 1<sup>er</sup> producteur mondial avec plus de <a href="https://www.rti.info/economie/11123">2,2 millions de tonnes en 2021</a>, fait vivre près de <a href="https://www.gouv.ci/_actualite-article.php?recordID=13247&d=3">6 millions de personnes</a> dans le pays, soit près de 20 % de la population.</p>
<p>L’huile de palme, dont elle est le 9<sup>e</sup> producteur mondial avec près de 500 000 tonnes en 2021, <a href="https://agritrop.cirad.fr/597525/1/FIRCA.Palmier%20%C3%A0%20huile_Analyse%20fonctionnelle_FINAL.Ao%C3%BBt%202020.pdf">subvient directement aux besoins de 220 000 personnes</a>, tandis que 2 millions d’habitants de la Côte d’Ivoire vivent des activités liées au secteur.</p>
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<p>Le café enfin, dont elle fut longtemps le 3<sup>e</sup> producteur mondial, n’occupe plus la place centrale (<a href="https://www.rti.info/economie/11123">61 000 tonnes en 2021 contre 380 000 en 2000</a>), mais continue d’assurer des compléments de revenus intéressants aux paysans de la zone forestière dans le Sud-Est du pays.</p>
<p>C’est dire que sanctionner ces cultures risque de déstabiliser sérieusement l’économie ivoirienne en même temps que de mettre en danger le tissu social.</p>
<h2>Hévéa, anacarde, banane… prochains sur la liste ?</h2>
<p>Et l’on peut pressentir que d’autres piliers de sa richesse (hévéa, anacarde, coton, banane, ananas) tomberont un jour ou l’autre dans les cibles de l’UE puisqu’ils sont également issus d’une déforestation. Le pays a produit 950 000 tonnes de caoutchouc naturel en 2020, <a href="https://www.agenceecofin.com/caoutchouc/2503-86529-cote-d-ivoire-la-production-de-caoutchouc-naturel-a-atteint-950-000-tonnes-en-2020">soit 80 % du latex provenant du continent africain</a> (4<sup>e</sup> rang mondial).</p>
<p>Les savanes du Nord ivoirien ont produit <a href="https://www.agenceecofin.com/noix-de-cajou/2010-92483-cote-d-ivoire-la-production-d-anacarde-est-estimee-a-1-million-de-tonnes-en-2021">1 million de tonnes d’anacardes en 2021</a> (1er rang mondial) et 250 000 petits producteurs regroupés en coopérative ont commencé à assurer la transformation en amandes de cajou (3<sup>e</sup> exportateur mondial). C’est également dans les savanes au nord que 130 000 petits exploitants ont produit <a href="https://www.agenceecofin.com/coton/1005-88052-la-cote-d-ivoire-prevoit-une-recolte-record-de-580-000-tonnes-de-coton-en-2021/2022">580 000 tonnes de coton en 2021</a> (2<sup>e</sup> rang africain).</p>
<p>Quant aux fruits essentiellement destinés à l’Europe, ils représentent <a href="https://agritrop.cirad.fr/594999/">300 000 tonnes de bananes</a> et <a href="https://agriculteurivoirien.org/ananas.html">170 000 tonnes du fameux « ananas de Côte d’Ivoire »</a> qui occupe la seconde place sur les marchés européens.</p>
<p>Deux questions (de simple bon sens) viennent alors à l’esprit.</p>
<h2>Des cultures qui stockent du carbone</h2>
<p>D’abord, s’il est vrai qu’il a fallu déforester pour introduire les cultures de rente qui font la prospérité de la Côte d’Ivoire, n’a-t-on pas ensuite « reforesté » en plantant, dans l’ordre d’apparition dans les paysages, des caféiers, des cacaoyers, des palmiers à huile, des hévéas et des anacardiers ?</p>
<p>N’a-t-on pas remplacé la forêt dite « primaire » par une autre forêt, composée d’arbres ou d’arbustes dont la capacité de puits à carbone n’est pas forcément inférieure ? Car même le palmier à huile affiche un <a href="https://controverses.minesparis.psl.eu/public/promo13/promo13_G10/www.controverses-minesparistech-2.fr/_groupe10/index19a2.html?page_id=268">assez bon bilan en termes de stockage de carbone</a>.</p>
<p>Quant au cacao, les experts européens ont-ils perdu de vue (ou jamais su) qu’il s’agissait d’un arbuste qui pousse généralement sous ombrière naturelle, à l’abri d’arbres plus haut que lui, donc en pleine forêt, même si celle-ci n’est plus « primaire » ?</p>
<h2>Une population multipliée par 8 depuis 1960</h2>
<p>Ensuite, n’a-t-on pas d’abord déforesté pour simplement se nourrir ? L’emblématique culture sur brûlis, encore très largement pratiquée notamment sur les fronts pionniers dits « forestiers » des régions de climat tropical, répond d’abord aux besoins alimentaires d’une population dont on rappelle – au risque de passer pour néo-malthusien – <a href="https://ideas4development.org/demographie-et-insecurite-croissantes-dans-le-sahel-trois-scenarios-davenir/">qu’elle a été multipliée par cinq depuis 1960</a> dans la zone sahélienne, où l’élevage bovin est très répandu et où les troupeaux ont probablement suivi une courbe démographique similaire.</p>
<p>Quant à la population de la Côte d’Ivoire, <a href="https://www.ins.ci/RGP2021/RGPH2021-RESULTATS%20GLOBAUX_VF.pdf">elle a été multipliée par huit dans le même temps</a> (de 3,504 millions en 1960 à 29,389 millions au recensement de 2021). Produire huit fois plus de produits vivriers suppose de multiplier par huit soit les rendements soit les surfaces cultivées.</p>
<p>Le pacte vert européen entend stopper les importations de produits issus de la déforestation. Mais une telle décision aura des impacts considérables sur les populations qui dépendent de ces cultures.</p>
<p>En 2021, la Côte d’Ivoire <a href="https://www.fao.org/faostat/en/#data/QCL">a consacré plus de 2 millions d’hectares de terre</a> à sa production d’igname (4,970 millions de tonnes), de manioc (2,047 millions de tonnes), de banane plantain (1,519 million de tonnes), de riz (673 000 tonnes) et de maïs (608 000 tonnes). Combien de centaines de milliers d’hectares nouveaux ont été défrichés (donc déforestés) pour cela ?</p>
<p>Et ce calcul ne tient pas compte des besoins en bois de chauffe, alors que cette source d’énergie domestique est loin d’être remplacée par des produits de substitution, dont on aimerait qu’ils soient de préférence « verts ».</p>
<h2>Déforestation postérieure à 2020</h2>
<p>Certes, on admettra peut-être (ou pas) le raisonnement qui précède, selon lequel on a remplacé des forêts par des arbres. En contrepartie, on objectera sans doute qu’on a bouleversé la biodiversité. C’est exact. Mais c’est aussi ce que l’Europe avait fait en remplaçant ses bocages par de l’openfield, et cette transformation était liée – déjà – à des questions de rendement et de productivité. </p>
<p>Avons-nous de meilleures propositions à formuler pour le continent africain ?</p>
<p>Heureusement, les directives de l’Union européenne affichant l’objectif de ne retrouver sur le marché européen d’ici trois ou quatre ans que des produits « zéro déforestation » ne sont pas drastiques. Elles exigent que les opérateurs vérifient que le cacao, le café, ou l’huile de palme importés ne soient pas issus d’une déforestation postérieure à 2020.</p>
<p>Les contrôles pourront être effectués avec l’aide de Copernicus, le programme européen d’observation de la terre, sorte de caméra de vidéosurveillance dont on pourra rembobiner les images. Les nouveaux plants de cacao sous une vieille ombrière y échapperont-ils ?</p>
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<figcaption><span class="caption">Déforestation importée : quel est l’impact de nos choix alimentaires ? Conso Mag, 24 décembre 2019).</span></figcaption>
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<h2>Risque de fragiliser une partie de la population</h2>
<p>On ne peut qu’être sensible aux préoccupations des responsables européens lorsqu’ils se penchent sur l’avenir de la planète. Mais ils vont inévitablement buter sur la contradiction majeure qui surgit quand on commence à vouloir agir : le danger n’est-il pas de fragiliser, voire de mettre en péril, une partie de la population du monde, parmi les plus pauvres, en prenant des mesures radicales au nom de la protection de l’environnement ?</p>
<p>On le voit déjà : interdire l’exploitation du charbon risque de priver d’électricité les habitants des townships sud-africains. Préserver la biodiversité dans des forêts classées d’Afrique de l’Ouest permet à la mouche tsé-tsé de se reproduire et d’y prospérer avant de se répandre dans les zones peuplées en diffusant la maladie du sommeil.</p>
<p>Il conviendrait donc que les décideurs de l’Union européenne, élus et technocrates, relisent attentivement leur copie en pensant davantage aux centaines de millions d’Africains qui vont souffrir de la mise en œuvre de ces mesures de lutte contre « l’importation de déforestation », alors qu’ils ne sont guère responsables du changement climatique, vu qu’ils émettent peu de gaz à effet de serre.</p>
<p>Dans ce contexte d’écologie politique, il faudra aussi se pencher un jour ou l’autre sur le problème de l’eau virtuelle, c’est-à-dire facturer l’eau africaine qui a servi à produire le cacao, l’huile de palme, l’ananas, la banane, etc. Mais la facturer à qui ? Certes c’est un autre sujet, mais c’est le même problème.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/187952/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Bouquet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le pacte vert européen entend stopper les importations de produits issus de la déforestation. Mais une telle décision aura des impacts considérables sur les populations qui dépendent de ces cultures.Christian Bouquet, Chercheur au LAM (Sciences-Po Bordeaux), professeur émérite de géographie politique, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1890792022-08-28T18:09:49Z2022-08-28T18:09:49ZMali : Fallait-il renouveler le mandat de la Minusma ?<p>Le 29 juin, le Conseil de sécurité de l’ONU a décidé de <a href="https://press.un.org/fr/2022/cs14953.doc.htm">renouveler pour une année supplémentaire le mandat</a> de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma).</p>
<p>Créée en avril 2013, cette mission, forte de 13 000 soldats, avait pour objectifs, entre autres, de faciliter l’application de l’accord de paix issu du processus d’Alger, signé entre l’État malien et les groupes représentant la <a href="https://www.rtbf.be/article/cinq-questions-pour-comprendre-la-rebellion-touareg-au-mali-7742212">rébellion touareg</a> déclenchée l’année précédente, de renforcer l’autorité de l’État dans le centre du Mali et de protéger les civils. Neuf ans plus tard, il n’est pas certain que ces objectifs aient été atteints.</p>
<h2>La Minusma dans le viseur d’un mouvement malien pro-junte et pro-Russie</h2>
<p>Le mouvement panafricaniste et pro-russe « Yèrèwolo, debout sur les remparts » est conscient de ces faiblesses et pourrait être sur le point de faire regretter sa décision au Conseil de sécurité.</p>
<p>Moins d’un mois après le renouvellement du mandat, le 20 juillet 2022, son « sulfureux » porte-parole Adama Ben Diarra – qui est par ailleurs membre du Conseil national de transition, l’organe législatif de la transition malienne – s’était déplacé en personne au quartier général de la Minusma afin de remettre à ses responsables une lettre leur demandant de quitter le Mali avant le 22 septembre, date commémorative de l’<a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/mali/3-le-mali-depuis-l-independance/">Indépendance du Mali</a>.</p>
<p>Le 5 août 2022, le mouvement a tenu un <a href="https://www.africanews.com/2022/08/06/mali-pro-junta-group-demands-peacekeepers-leave-country-by-september/">meeting à Bamako</a> pour réitérer sur ses revendications.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1556996520939081729"}"></div></p>
<p>Ces développements n’auraient pas eu une grande importance, ni retenu notre attention, si le mouvement Yèrèwolo (qu’on pourrait traduire du Bambara par « dignes fils ») ne nous apparaissait pas comme ayant été le fer de lance de la dénonciation de la présence militaire française au Mali.</p>
<p>Cette dynamique a donné lieu à ce que beaucoup ont appelé un <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/face-a-la-montee-du-sentiment-anti-france-au-sahel-une-cooperation-en-question_2168012.html">« sentiment anti-français »</a> qui s’est <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/patrick-robert-par-dela-le-cas-du-mali-pourquoi-le-sentiment-anti-francais-augmente-en-afrique-20220822">étendu à d’autres pays de la région ouest-africaine</a> et qui s’est soldé par la <a href="https://theconversation.com/fin-de-loperation-barkhane-au-mali-mythe-ou-realite-166291">fin prématurée de l’opération Barkhane</a> (commencée en 2014, comprenant 5 100 soldats) et la task force <a href="https://theconversation.com/quels-sont-les-accords-qui-encadrent-les-interventions-militaires-au-mali-175869">Takuba</a> au Mali (commencée en 2020, comprenant 900 soldats). En conséquence, les relations franco-maliennes s’en sont trouvées très fortement détériorées.</p>
<p>D’où la question suivante : face à l’opposition populaire, et aux contraintes qui lui sont imposées par le gouvernement malien, était-il raisonnable de renouveler le mandat de la Minusma ? Ou bien la mission de maintien de la paix des Nations unies est-elle sur le point d’être la proie de Yèrèwolo, comme l’ont été les opérations militaires françaises ?</p>
<h2>L’influence de Moscou au Mali</h2>
<p>Il est important de rappeler que Yèrèwolo a été formé en 2019 dans le but explicite de pousser la France hors du Mali et de laisser la place à la Russie. Depuis le <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/sommet-russie-afrique-sotchi-peut-reellement-parler-d-un-retour-des-russes-sur-le-continent">sommet Russie-Afrique qui s’est tenu en octobre 2019 à Sotchi</a>, il aurait <a href="https://www.jeuneafrique.com/1266344/politique/mali-qui-sont-les-relais-du-soft-power-russe-a-bamako/">reçu des fonds</a> pour soutenir la propagande russe dans le pays.</p>
<p>Il a notamment cherché à le faire en organisant régulièrement des <a href="https://www.reuters.com/world/africa/thousands-take-streets-bamako-anti-french-protest-2022-02-04/">manifestations</a> anti-françaises (et pro-russes). Dès janvier 2019, Diarra a remis à l’ambassade de Russie au Mali une pétition qui aurait recueilli 9 millions de signatures, réclamant l’intensification de la coopération militaire entre son pays et la Russie. Lors des manifestations qu’il organisait, il a également vendu à son public l’idée très séduisante que les Russes étaient les seuls à pouvoir mettre fin à la guerre au Mali en six mois.</p>
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<p>À l’époque, les revendications de Yèrèwolo – qui relevaient quelque peu de l’utopie – n’étaient pas assez prises au sérieux. Il reste à savoir si le rapprochement actuel avec la Russie résulte réellement d’une volonté stratégique de réorientation du partenariat dans le domaine de la sécurité et la défense ; ou s’il est le résultat de la pression populaire, à un moment où le soutien de la population apparaissait comme la seule ressource politique dont dispose la junte malienne face à une classe politique nationale, et à une <a href="https://ecowas.int/?lang=fr">Cédéao</a> (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) hostiles au maintien au pouvoir des militaires.</p>
<h2>Le gouvernement pousse-t-il les partenaires occidentaux hors du Mali ?</h2>
<p>Suite au <a href="https://theconversation.com/inside-malis-coup-within-a-coup-161621">« coup d’État dans le coup d’État »</a> du 24 mai 2021, et après que la décision de concrétiser le partenariat militaire avec la Russie a été actée par la junte, il semble que cela ne pouvait s’appliquer qu’en poussant définitivement la France – devenue dès lors encombrante – hors du Mali.</p>
<p>Le gouvernement de transition a cherché à atteindre cet objectif par une série d’actes inamicaux à l’égard de la France, parmi lesquels : l’<a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/le-mali-expulse-lambassadeur-de-france-1383360">expulsion de l’ambassadeur français</a>, l’<a href="https://rsf.org/fr/mali-un-journaliste-fran%C3%A7ais-expuls%C3%A9">expulsion de journalistes français</a>, l’interdiction pour un avion-cargo allemand transportant des soldats de Takuba de survoler le territoire malien, l’<a href="https://www.france24.com/en/africa/20220124-mali-demands-denmark-immediately-withdraw-its-special-forces">expulsion du contingent danois</a> venu également dans le cadre de Takuba et l’<a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/04/28/au-mali-les-medias-francais-rfi-et-france-24-definitivement-suspendus_6124002_3212.html">interdiction des chaînes de radio (RFI) et de télévision (France 24) françaises</a> accusées d’être des instruments de propagande contre la junte.</p>
<p>Nous voyons très bien que les conditions du maintien de Barkhane et Takuba n’étaient plus réunies, d’où la décision contrainte de la France et ses partenaires européens de déclarer leur fin.</p>
<h2>La question des droits de l’homme</h2>
<p>L’indésirabilité’ de la Minusma serait en partie due à la différence profonde de lecture entre celle-ci et le gouvernement malien sur la question cruciale des droits de l’Homme, et du droit international humanitaire, à un moment où la stratégie militaire malienne sur le terrain a changé en devenant beaucoup plus offensive. Il s’agit là d’une importante remarque que l’on a pu faire à partir de la fin 2021, depuis l’arrivée des soldats russes au Mali (sans égard au fait qu’ils soient mercenaires ou instructeurs de l’armée régulière).</p>
<p>Des <a href="https://www.hrw.org/news/2022/04/05/mali-massacre-army-foreign-soldiers">rapports de témoins</a> ont par ailleurs confirmé que les deux partenaires opèrent ensemble sur le terrain, et cela a visiblement conduit à un changement de doctrine, sans que l’on sache toutefois clairement comment il se traduit en des résultats concrets.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/inside-malis-coup-within-a-coup-161621">Inside Mali’s coup within a coup</a>
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<p>Par exemple, nous savons que les soldats maliens n’attendent plus passivement dans leurs camps, en position défensive, que les djihadistes viennent les attaquer.</p>
<p>Dans plusieurs cas, ils sont à l’origine d’opérations visant à débusquer les djihadistes, comme celles de <a href="https://whowasincommand.com/fr/organization/view/25b641df-5af6-4f14-b45a-c47c20a41f90/">Maliko</a>, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=HEeul2TfQvs">Kèlètigui</a>, et <a href="https://www.jeuneafrique.com/1062247/politique/mali-larmee-malienne-affirme-avoir-repris-farabougou-assiege-par-des-jihadistes/">Farabougou Kalafia</a>. Les autorités militaires ont qualifié ces opérations de « montée en puissance » des Forces Armées Maliennes (FAMA). Elle se traduit par des opérations souvent très meurtrières contre des personnes présentées comme djihadistes par les FAMA, mais que la Minusma et les <a href="https://www.hrw.org/news/2022/04/05/mali-massacre-army-foreign-soldiers">organisations de défense des droits de l’homme</a> qualifient souvent de civils.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ptPE4pyBTZg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Mali : une enquête journalistique accuse Bamako et Wagner d’exactions, TV5 Monde, 15 mars 2022.</span></figcaption>
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<p>Dans de telles situations, il incombe à la Minusma d’entreprendre des enquêtes sur d’éventuelles violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire, ce à quoi la junte <a href="https://www.france24.com/en/africa/20220420-un-investigators-prevented-access-to-site-of-mali-killings">s’oppose systématiquement</a> lorsque les accusations portent sur l’armée.</p>
<p>En outre, le gouvernement a refusé à la Minusma l’autorisation de patrouiller dans certaines localités et, depuis l’arrivée des Russes, lui a imposé une vaste zone d’exclusion aérienne. Cela fait que la force onusienne ne peut faire voler ses avions sans demander l’autorisation et sans préavis, ce qui complique ses opérations.</p>
<p>Le 20 juillet 2022, le gouvernement de transition est allé jusqu’à <a href="https://peacekeeping.un.org/fr/la-minusma-regrette-lexpulsion-de-son-porte-parole-par-le-gouvernement-malien">expulser le porte-parole de la Minusma</a> pour des commentaires qu’il avait faits sur le réseau social Twitter au sujet de <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/08/14/les-49-militaires-ivoiriens-accuses-d-etre-des-mercenaires-ont-ete-inculpes-et-ecroues_6138041_3212.html">l’arrestation par le Mali</a> de 49 soldats ivoiriens le 10 juillet. Cette décision a été immédiatement suivie de la <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220714-le-mali-suspend-les-rotations-militaires-de-la-minusma">suspension immédiate</a> de « toutes les rotations des contingents militaires et policiers de la Minusma, y compris celles déjà programmées ou annoncées ».</p>
<p>Plus récemment, en août 2022, malgré « d’intenses négociations entre les ministres de la Défense allemand et malien », le gouvernement malien a de nouveau refusé <a href="https://www.spiegel.de/politik/deutschland/mali-verweigert-bundeswehr-verstaerkung-der-eigenen-truppen-a-284e6bcd-5fa6-46d9-8ceb-f2c44c8c3e1b">d’autoriser la Bundeswehr</a> à effectuer un vol devant acheminer dans le nord du Mali « une solide unité d’infanterie de montagne » pour protéger l’aéroport de Gao, dont la sécurisation incombait auparavant à Barkhane. Cette énième manifestation d’hostilité poussa le gouvernement allemand à <a href="https://information.tv5monde.com/info/mali-l-allemagne-suspend-ses-operations-militaires-apres-un-nouveau-refus-de-survol-ministere">suspendre la mission de la Bundeswehr</a> au Mali le 13 août 2022.</p>
<p>Selon le journaliste français <a href="https://twitter.com/SimNasr/status/1556979739134394368">Wassim Nasr</a>, le gouvernement malien est allé jusqu’à demander à la Minusma de ne pas communiquer publiquement sur l’aide qu’elle apporte aux FAMA, notamment en matière d’évacuation des blessés de guerre. Une manière de ne pas afficher l’utilité de la mission onusiennne auprès du public malien.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/480070/original/file-20220819-1165-e3lzru.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/480070/original/file-20220819-1165-e3lzru.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/480070/original/file-20220819-1165-e3lzru.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/480070/original/file-20220819-1165-e3lzru.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/480070/original/file-20220819-1165-e3lzru.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=560&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/480070/original/file-20220819-1165-e3lzru.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=560&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/480070/original/file-20220819-1165-e3lzru.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=560&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Une telle <a href="https://adf-magazine.com/2022/08/hostility-from-malis-junta-raises-questions-about-minusma-future/">hostilité envers la Minusma</a> n’est guère surprenante. Lors des discussions du Conseil de sécurité de l’ONU sur le renouvellement du mandat, l’ambassadeur du Mali auprès de l’ONU, Issa Konfourou, a été <a href="https://adf-magazine.com/2022/08/hostility-from-malis-junta-raises-questions-about-minusma-future/">très clair</a>, expliquant que son « gouvernement ne pouvait pas garantir la liberté de mouvement des Casques bleus qui se déplacent dans le pays pour enquêter sur les violations des droits de l’homme… Le Mali ne permettrait pas à la mission renouvelée de remplir son mandat ».</p>
<h2>Le Mali pourrait-il (immédiatement) se passer de la Minusma ?</h2>
<p>En tout état de cause, un retrait prématuré et désordonné de la Minusma aurait un impact négatif sur la vie de nombreux Maliens vivant dans les zones où elle est déployée. En effet, les <a href="https://lamenparle.hypotheses.org/669">recherches</a> que nous avons menées montrent que si la majorité des habitants estiment que la force de maintien de la paix est inefficace dans la protection des civils, ils la trouvent utile dans son implication dans des projets socio-économiques et de développement.</p>
<p>Par exemple, les <a href="https://minusma.unmissions.org/en/quick-impact-projects-qips">projets à impact rapide</a> destinés aux groupes vulnérables, mais surtout les programmes d’insertion professionnelle pour les jeunes, permettent d’éviter que ces derniers ne soient tentés de rejoindre les groupes armés moyennant rétribution. À travers ces actions, la Minusma remplit des fonctions que l’État malien seul ne semble pas pouvoir assurer à court terme.</p>
<p>En conclusion, il apparaît insensé d’avoir renouvelé la mission sans obtenir au préalable la garantie du gouvernement malien qu’il travaillerait en étroite collaboration avec la Minusma. Maintenant que le Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas réussi à le faire, l’avenir de la mission semble très précaire.</p>
<p>Deux hypothèses principales émergent : soit le gouvernement de transition malien souhaite mettre fin à la Minusma, soit sa stratégie consiste à transformer la Minusma en quelque chose de plus sobre, moins pointilleux sur les questions de droits de l’homme et de droit international. Idéalement, une mission qui serait vidée des partenaires occidentaux plus regardants sur ces questions.</p>
<p>Au-delà de l’influence de Yèrèwolo, il convient de chercher à savoir qui cherche en définitive à affaiblir ou à évincer la Minusma. Ces décisions du gouvernement de transition sont-elles souveraines ou dictées de l’extérieur, notamment par le nouveau partenaire russe ? Si l’on considère la façon dont les relations avec les partenaires occidentaux se sont détériorées avec l’arrivée d’individus russes qui ont été présentés par le gouvernement de la junte comme des instructeurs militaires et par la communauté internationale comme des <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/en/country-files/mali/news/article/statement-on-the-deployment-of-the-wagner-group-in-mali-23-dec-2021">mercenaires de Wagner</a>, la deuxième option ne semble être qu’une possibilité trop réelle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189079/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Boubacar Haidara ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La junte au pouvoir au Mali, qui a déjà obtenu la fin de l’opération française Barkhane et s’est largement rapprochée de Moscou, s’en prend désormais à la Minusma, mission de l’ONU dans le pays.Boubacar Haidara, Chercheur sénior au Bonn International centre for conflict studies (BICC) ; Chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le Monde (LAM), Sciences-Po Bordeaux., Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1864242022-07-28T19:54:28Z2022-07-28T19:54:28ZProjet ATLAS : Les autotests VIH, un outil pour pallier le manque d’accès au dépistage en Afrique de l’Ouest<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/475119/original/file-20220720-10209-8mqqfw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C39%2C844%2C1113&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le développement d'autotest VIH, facile d'accès et clairement expliqué par un manuel d'utilisation, permet d'atteindre des populations qui ne se faisaient pas dépister.</span> <span class="attribution"><span class="source">Projet Atlas / SOLTHIS / Jean-Claude Frisque</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>L’épidémie de VIH n’est pas terminée.</p>
<p>En Afrique de l’Ouest, selon les <a href="https://aidsinfo.unaids.org/">pays</a>, 0,5 % à 3 % des adultes en population générale sont infectés. La prise d’un traitement antirétroviral permet d’interrompre la transmission, mais pour cela il faut que les personnes infectées soient dépistées. Or, dans cette sous-région, 23 % des personnes vivant avec le VIH ne connaissent par leur statut.</p>
<p>Certaines populations dites « clés » sont particulièrement touchées : travailleuses du sexe (TS), usagères et usagers de drogues (UD), hommes qui ont des relations avec des hommes (HSH). En Afrique de l’Ouest du Centre, en 2020, 45 % des nouvelles infections auraient eu lieu dans ces populations clés et 27 % parmi leurs partenaires sexuels et clients, <a href="https://www.unaids.org/en/resources/documents/2021/2021_unaids_data">selon l’Onusida</a>.</p>
<p>Les activités communautaires sont efficaces pour toucher les populations clés qui s’identifient en tant que telles, notamment dans les associations.</p>
<p>Par contre, celles et ceux en périphérie (TS occasionnelles, HSH clandestins…) sont difficiles d’accès, ce qui est aggravé par la <a href="https://www.unaids.org/fr/resources/documents/2022/20220301_zero-discrimination-day-brochure">stigmatisation</a> à laquelle ces populations font face, voire la criminalisation de leurs pratiques. Leurs partenaires et clients sont peu pris en compte dans les stratégies actuelles. Ces groupes sociaux, qualifiés de « populations cachées », ne sont pas des groupes homogènes ; les populations périphériques ont peu accès au dépistage du VIH.</p>
<h2>L’autodépistage : une nouvelle stratégie de dépistage</h2>
<p>Avec la mise au point d’autotests pour le VIH, l’autodépistage (ADVIH) permet aux personnes de se tester elles-mêmes : un <a href="https://fr.oraquick.com/media/wysiwyg/3001-3559_0222_OQ_HIV_Self-Test_IFU_UK_CE_FRE_V1_Issue_2.pdf">manuel d’utilisation</a> et une <a href="https://youtu.be/wryHdQp1zHg">vidéo</a> sont fournis avec le test, qui donne en une vingtaine de minutes un résultat d’orientation : s’il est négatif, la personne n’est pas porteuse du VIH et peut éventuellement être orientée vers des services de prévention ; s’il est positif, elle doit recourir à une structure de santé pour réaliser un test de confirmation.</p>
<p>La faisabilité, l’acceptabilité et l’efficacité de cette innovation ont d’abord été validées en Afrique australe et de l’Est où le dépistage est une pratique banalisée (<a href="https://www.psi.org/fr/project/star/">initiative STAR</a>, financée par l’agence de santé mondiale <a href="https://unitaid.org/#en">Unitaid</a>).</p>
<p>Le projet <a href="https://atlas.solthis.org/">ATLAS</a> (Autotest : libre de connaître son statut VIH) porté par l’<a href="https://www.solthis.org/fr/">ONG Solthis</a> et financé également par Unitaid s’est donné pour objectif d’introduire et d’étendre cette innovation dans trois pays ouest-africains : Côte d’Ivoire, Mali, Sénégal. L’<a href="https://www.ird.fr/">IRD (Institut de recherche pour le développement)</a> <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33478470/">a accompagné ce projet par la recherche</a> afin de comprendre les obstacles, limites et acquis du projet.</p>
<p>Son acceptabilité sociale par les populations clés a été étudiée en abordant non seulement l’acceptabilité de l’autotest mais aussi celle de son mode de distribution.</p>
<p>Cet article répond à l’une des principales questions que soulève le projet : les populations qui ne vont pas dans les structures de dépistage utilisent-elles l’ADVIH et, si oui, dans quelles circonstances et à quelles conditions ?</p>
<p>Pour explorer ces aspects, nous avons utilisé deux méthodes en particulier : des <a href="https://youtu.be/kMpq2t-NfdA">entretiens qualitatifs</a> et une <a href="https://joseph.larmarange.net/IMG/pdf/poster_kouassi_et_al_atlas_enquete_telephonique_afravih_2022.pdf">enquête téléphonique anonyme</a> auprès des utilisatrices et des utilisateurs des trois pays.</p>
<p>L’ADVIH est <a href="https://youtu.be/LlWo7Irx4mk">apprécié par ses utilisatrices et utilisateurs</a> pour plusieurs raisons, qui apparaissent dans les entretiens réalisés à Dakar, Mbour et Ziguinchor (Sénégal), Bamako et Kati (Mali) et Abidjan, Maféré et San Pedro (Côte d’Ivoire) : en premier lieu, il permet de choisir où, quand, et comment pratiquer son autotest. Chacun peut donc le réaliser quand il/elle se sent prêt·e psychologiquement, le faire en toute confidentialité, sans risquer d’être vu·e dans un service connoté VIH, et sans dépendre de tiers, en plus des gains de temps et du caractère « pratique » et « user-friendly » de la technique.</p>
<p><em>[Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>.]</em></p>
<h2>Distribution primaire et secondaire</h2>
<p>Il est possible d’obtenir des kits d’autodépistage auprès d’associations, de professionnels de santé ou de paires-éducatrices/pairs-éducateurs dans le cadre de sorties au sein des communautés : c’est la distribution primaire. La personne peut alors pratiquer l’ADVIH pour elle-même, ou le remettre à une autre personne : c’est la <a href="https://youtu.be/TJM3DbAAL-0">distribution secondaire</a>. C’est là que l’ADVIH représente une véritable innovation.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/iNLMoJesGFE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>L’<a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/17455057221092268">enquête qualitative</a> a montré que les personnes redistribuent l’ADVIH dans leur réseau social, avec diverses motivations parmi lesquelles : la volonté pour une TS de connaître le statut d’un client afin de décider de l’utilisation du préservatif ; la vérification du statut d’un partenaire ou d’un client qui se déclare séronégatif et refuse le préservatif ; la proposition à un conjoint réticent au dépistage usuel et qui a des comportements à risques, parfois depuis de nombreuses années. L’ADVIH est aussi utilisé dans les réseaux des populations clés, ainsi qu’avec leurs conjoints ou partenaires réguliers, des membres de leurs familles et des pair·e·s « caché·e·s ».</p>
<blockquote>
<p>« J’ai aussi un client chez qui je me rends […] Je lui ai donné trois kits parce qu’il m’a montré clairement qu’il a une autre partenaire […] donc il voulait que celle-là aussi fasse avec l’autotest. » (TS, Mali)</p>
</blockquote>
<p>Cette distribution secondaire est apparue acceptable.</p>
<p>Comme décrit en <a href="https://journals.plos.org/plosmedicine/article?id=10.1371/journal.pmed.1002166">Afrique de l’Est</a>, l’étude ne rapporte qu’exceptionnellement des effets sociaux « indésirables », tels que des réactions violentes à une proposition d’autotest ou à l’annonce de son résultat, ou des pressions de tiers. Ceci tient sans doute aux précautions que prennent les personnes pour sélectionner celles ou ceux à qui elles proposent l’autotest, en évitant les conflits et les situations où la proposition provoquerait des violences ou l’interruption brutale de la relation.</p>
<h2>Les personnes qui se testent pour la première fois</h2>
<blockquote>
<p>« J’ai tout le temps refusé de me faire piquer avec le dépistage classique, mais à cause de l’autotest, j’ai découvert que j’étais infecté. » (HSH, Mali)</p>
</blockquote>
<p>L’<a href="https://youtu.be/ACrzZhherkg">enquête téléphonique</a> auprès des personnes qui ont fait leur autotest montre qu’au moins un tiers d’entre elles ont reçu ce dernier en distribution secondaire et 41 % déclarent qu’elles ne s’étaient jamais dépistées. La distribution secondaire permet aux TS d’atteindre des hommes souvent en couple par ailleurs et de toucher leurs partenaires/conjointes, et aux HSH de toucher des « HSH cachés » et des femmes partenaires.</p>
<p>Ainsi, l’ADVIH permet de toucher, au-delà des populations clés, des personnes vulnérables qui ne s’étaient jamais dépistées. D’un point de vue de santé publique, cette stratégie complète des approches plus visibles dans l’espace public, par exemple les offres de test dans les sites de travail sexuel, les lieux de socialisation homosexuelle ou de consommation de drogues.</p>
<p>L’ADVIH n’induit pas de rupture de lien avec les services de santé. Dans l’enquête qualitative, la quasi-totalité des personnes interrogées dont l’autotest était positif (7/8 personnes) y ont effectué un test de confirmation du VIH. Dans l’enquête téléphonique, cela concernait une personne sur deux.</p>
<p>Quand la confirmation a lieu, c’est en général dans un laps de temps court (moins d’une semaine pour la majorité). Surtout, l’enquête a montré que la moitié des personnes qui ont fait un test de confirmation se sont rendues dans des structures de santé « tous publics », plus discrètes que les structures dédiées aux populations clés. Toutes les personnes enquêtées confirmées séropositives ont initié un traitement antirétroviral.</p>
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<img alt="Gros plan sur un homme assis sur un banc, le kit à côté de lui" src="https://images.theconversation.com/files/475129/original/file-20220720-18-iatot6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/475129/original/file-20220720-18-iatot6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/475129/original/file-20220720-18-iatot6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/475129/original/file-20220720-18-iatot6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/475129/original/file-20220720-18-iatot6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/475129/original/file-20220720-18-iatot6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/475129/original/file-20220720-18-iatot6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les kits peuvent être distribués directement ou par un intermédiaire. Cette distribution secondaire permet d’élargir le dépistage à un public caché autrement inaccessible.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Projet Atlas/SOLTHIS/Jean-Claude Frisque</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Un outil d’empouvoirement</h2>
<p>L’ADVIH est un outil de triage et d’orientation, mais aussi de sensibilisation pour la prévention. Parmi les personnes dépistées, 50 % se percevaient comme n’étant pas à risque d’infection par le VIH. Il est apprécié parce qu’il va dans le sens du respect des droits humains en permettant de connaître son statut VIH « quand on veut, où on veut et si on veut ».</p>
<p>Il donne aux utilisatrices et aux utilisateurs la possibilité de se tester sans la présence d’un prestataire, de garder le résultat pour soi, de choisir, le cas échéant, où faire un test de confirmation et, aux femmes en particulier, le « pouvoir de proposer » de connaître son statut.</p>
<p>C’est aussi un outil efficace d’un point de vue populationnel pour atteindre des groupes ou individus vulnérables cachés, en particulier dans des pays de faible prévalence. Ces avantages sont particulièrement importants à l’heure où les modes de socialisation des rencontres sexuelles évoluent (contacts inter-individuels par des applications en ligne et éparpillement des lieux de rencontre).</p>
<p>L’ADVIH est aussi essentiel alors que les capacités de dépistage VIH sont fragilisées dans plusieurs pays ouest-africains par l’accroissement de l’homophobie structurelle sociétale et par la fragilité sécuritaire et politique qui, dans des zones du Sahel, interrompt l’activité des services de santé.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/LTmo4vHoxg4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<hr>
<p><em>Les auteurs tiennent à remercier Odette Ky-Zerbo (IRD TransVIHMI) qui a mené les entretiens, Arsène Kra Kouassi et Arlette Simo Fotso (IRD Ceped) qui ont conduit l’enquête téléphonique, et Anthony Vaultier (Solthis, directeur technique ATLAS) pour leur contribution à cet article.</em></p>
<p><em>L’<a href="https://www.psi.org/fr/project/star/">initiative STAR</a> ainsi que le projet ATLAS sont financés par l’agence de santé mondiale <a href="https://unitaid.org/#en">Unitaid</a>.</em></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Science et Société se nourrissent mutuellement et gagnent à converser. La recherche peut s'appuyer sur la participation des citoyens, améliorer leur quotidien ou bien encore éclairer la décision publique. C'est ce que montrent les articles publiés dans notre série « Science et société, un nouveau dialogue », publiée avec le soutien du <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr">ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186424/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Pour lutter contre l'épidémie de Sida en Afrique de l'Ouest, les tests d'autodépistage s'avèrent être une stratégie efficace. Bien acceptée, elle bénéficie d'une bonne distribution.Joseph Larmarange, démographe en santé publique, Institut de recherche pour le développement (IRD)Alice Desclaux, Anthropologue de la santé, TransVIHMI, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1842652022-06-07T18:18:01Z2022-06-07T18:18:01ZBonnes feuilles : « Entrer en guerre au Mali »<p><em>Nous publions un extrait du nouvel ouvrage de Johanna Siméant-Germanos, Grégory Daho et Florent Pouponneau, enseignants-chercheurs en science politique, respectivement au département de Sciences sociales de l’ENS, au département de Sciences Politique de l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne, à Sciences Po Strasbourg <a href="https://presses.ens.psl.eu/598-a-paraitre-entrer-en-guerre-au-mali.html">« Entrer en guerre au Mali »</a>, paru dans la Collection « Sciences sociales » de Rue d’Ulm. Ce passage s’intéresse à l’opération militaire Serval menée par l’armée française au Nord Mali en 2013-2014.</em></p>
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<h2>La stratégie française en Afrique</h2>
<p>Serval ne serait-il qu’un énième soubresaut de la Françafrique ? En matière d’interventions africaines de la France, une rupture marque le milieu des années 1990. La mise en cause du rôle de la France au Rwanda, la doctrine Balladur conditionnant le soutien à l’alignement sur les critères du Fond monétaire international et de la Banque mondiale, puis la doctrine jospinienne du « ni ingérence ni indifférence », ont contribué à un retour en grâce du discours évoquant la <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03459581/">fin de la Françafrique</a>. </p>
<p>Le redéploiement de la stratégie française qui semble s’opérer en Afrique, et avec quelques exceptions unilatérales, <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2007-1-page-85.htm">notamment en Côte d’Ivoire en 2002</a>, se matérialise à travers la promotion multilatérale de nombreux programmes de coopération visant une régionalisation de la sécurité du continent : Renforcement des Capacités Africaines de Maintien de la Paix (RECAMP), Réformes du Secteur de la Sécurité (RSS), Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR). Si l’appui aux groupements régionaux est le principe autour duquel la France articule aujourd’hui sa diplomatie sécuritaire – à l’image de la mobilisation de la Cédéao en amont de l’opération Serval, le regain d’intérêt américain pour le continent se manifeste par une autre option : le soutien direct à <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-afrique_les_strategies_francaise_et_americaine_niagale_bagayoko_penone-9782747556712-16054.html">certains États-pivots</a> (Afrique du sud, Éthiopie, Kenya, Ouganda, Sénégal).</p>
<p>Pourtant, c’est bien la France, et non l’Union européenne ou une force onusienne, qui est entrée en guerre au Mali. Serval semble constituer sous cet aspect un « unilatéralisme régionalisé » : si la mise en œuvre unilatérale de l’intervention militaire ne fait aucun doute (malgré, on le verra, la dépendance aux moyens de transport et de surveillance américains et l’appui sur les troupes tchadiennes), sa préparation et sa légitimation empruntent un registre multilatéral. La politique africaine de la France continue donc à se traduire par « une <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03459581/">ingérence ointe du Saint-Sacrement multilatéral, onusien, africain ou européen</a> dans lequel elle ne respecte jamais vraiment le jeu multilatéral et africain qu’elle prétend jouer ». </p>
<p>En d’autres termes, la gestion multilatérale des crises africaines n’est pas incompatible avec les logiques unilatérales héritées de l’histoire coloniale. La France a moins abandonné sa tradition néocoloniale qu’elle n’a été poussée à le faire du fait de la <a href="https://www.routledge.com/French-Defence-Policy-Since-the-End-of-the-Cold-War/Pannier-Schmitt/p/book/9781138084629">rétraction de ses moyens et de l’affaiblissement de sa légitimité</a>. Et les interventions de l’UE s’effectuent avec un pays leader qui a toutes les chances d’être un <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/09639480802201560">ancien pays colonial</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Serval, une brigade au combat (Ministère des Armées, 29 avril 2015).</span></figcaption>
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<h2>La lutte contre le terrorisme</h2>
<p>Une autre particularité distingue Serval dans l’histoire des interventions françaises en Afrique. On a certes affaire à une opération éclair rendue possible par l’héritage colonial – des accords de défense, des forces prépositionnées, des savoir-faire et des attentes réciproques entre autorités françaises et maliennes. Mais le Mali ne faisait pas partie historiquement du pré carré foccartien, et les affinités entre élites politiques malienne et française n’avaient rien à voir avec celles qui caractérisaient à l’inverse le Congo, le Cameroun, le Gabon, la Côte d’Ivoire – voire le Sénégal.</p>
<p>En 1960, le Mali avait annoncé brutalement son indépendance, et opté pour une voie socialiste. Considéré comme un <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9781315796307-18/french-military-intervention-mali-exactly-fran%C3%A7afrique-definitely-postcolonial-isaline-bergamaschi-mahamadou-diawara">État aux faibles ressources naturelles</a>, le Mali est un « pays pauvre très endetté » (PPTE) dont la France reste le 2<sup>e</sup> bailleur de fonds en matière d’Aide publique au développement (APD). Si intérêt économique à intervenir il y avait, il renvoyait d’abord au Niger voisin, pourvoyeur d’uranium. L’intervention ne relève donc pas simplement du jeu classique des transactions de la Françafrique.</p>
<p>L’intervention au Mali doit donc être replacée dans la séquence qui s’ouvre à partir de 2001 aux États-Unis et une dizaine d’années plus tard en France : la systématisation de la « lutte contre le terrorisme ». On ne peut simplement considérer cette narration comme un habillage rhétorique tant ses effets sont structurants sur la légitimation et l’énonciation des façons de faire la guerre, de la justifier et de la financer. En particulier, l’opération Barkhane, qui suivra Serval, est souvent décrite à la lisière de l’anti-terrorisme et du <em>State building</em>.</p>
<h2>La légitimité de l’opération Serval</h2>
<p>En premier lieu, la légitimité politique de ces interventions provient des mandats internationaux même si, en toute rigueur, la justification multilatérale de l’action française en Côte d’Ivoire en 2002 ou au Mali en 2013 intervient <em>a posteriori</em>. Ensuite, la légitimation d’une intervention passe par l’opportunité : dans le cas malien, en plus de la « colonne » matérialisant la menace, les mauvais calculs des « groupes djihadistes ». En troisième lieu, l’intervention nécessite des ressources financières obérées par le remboursement des déficits publics. Ces ressources conditionnent les effectifs et les moyens utilisés (hommes au sol, soutien aérien, système de surveillance, location d’avions de transport de troupes et de matériel). Enfin, le soutien national constitue le dernier niveau de préparation d’une intervention : au-delà de l’implication des corps intermédiaires et autres relais d’opinion (journalistes, parlementaires, industriels, chercheurs…), la plupart des travaux montrent que ce soutien décline sur la durée.</p>
<p>Autrement dit, l’ancienneté de la présence militaire en Afrique n’est qu’un facteur, majeur certes, parmi d’autres pour expliquer la morphologie d’une opération éclair (en tout cas prévue comme telle à son enclenchement), au même titre que la participation régulière aux interventions multilatérales post-guerre froide, la réactivité de la chaîne décisionnelle ou l’expertise professionnelle reconnue aux officiers par les autorités politiques. C’est par l’articulation de l’ensemble de ces facteurs que les autorités françaises ont pu conforter la légitimité multilatérale de l’intervention tout en conservant une forte autonomie opérationnelle par rapport aux Nations unies.</p>
<p>Le cadrage anti-terroriste de l’intervention au Mali contribue à deux effets non intentionnels : la <a href="https://academic.oup.com/ia/article-abstract/96/4/895/5866425">recherche par les États</a> d’une <a href="https://www.cairn.info/la-guerre-au-mali--9782707176851-page-76.htm">rente internationale</a> de la [lutte antiterroriste], et, sur le plan analytique, une lecture étroitement sécuritaire dépolitisant les enjeux locaux. Or l’histoire des irrédentismes septentrionaux, touaregs en particulier – et leur articulation croissante aux bouleversements sahéliens, montre que le ralliement aux thématiques dont les organisations « djihadistes » étaient porteuses renvoie aussi à l’histoire longue des <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03159007/document">insatisfactions</a>, et de <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-d-etudes-africaines-2019-2-page-453.htm">leur politisation</a>, au Nord du Mali.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/466945/original/file-20220603-25-pitvuk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/466945/original/file-20220603-25-pitvuk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=839&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/466945/original/file-20220603-25-pitvuk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=839&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/466945/original/file-20220603-25-pitvuk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=839&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/466945/original/file-20220603-25-pitvuk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1054&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/466945/original/file-20220603-25-pitvuk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1054&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/466945/original/file-20220603-25-pitvuk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1054&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Entrer en guerre au Mali, Luttes politiques et bureaucratiques autour de l’intervention française – Grégory Daho, Florent Pouponneau et Johanna Siméant-Germanos.</span>
<span class="attribution"><span class="source">ENS PSL</span></span>
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<p>Le <a href="https://www.jstor.org/stable/42003346?seq=1">soulèvement initial</a>, provenant du MNLA, animé par des jeunes <a href="https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2011-1-page-160.htm">Touaregs</a> éduqués, ralliés par des aînés qui revenaient de Libye, a vite été « doublé » par des organisations « djihadistes », parmi lesquels Ansar Dine, dirigée par Iyad al Ghaly, qui profitèrent de la déstabilisation provoquée pour prendre le dessus au Nord. Les logiques du ralliement ont varié selon les lieux de leur ancrage et ce qu’elles proposaient : le Mujao, par exemple, a essentiellement recruté à Gao dans les premiers temps, en s’appuyant notamment sur un conflit foncier ancien entre Peuls et Touaregs, avant d’être rallié par de grands commerçants, trafiquants et notables de la communauté Lemhar. On comprend que le discours répandu chez une partie des officiers de l’armée française d’un MNLA partenaire potentiel, s’il a sa propre rationalité, néglige les logiques particulièrement complexes du ralliement aux soulèvements du nord.</p>
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre du colloque « Modernités africaines. Conversations, circulations, décentrements », qui a lieu du 9 au 11 juin 2022 à l’ENS-PSL, sur les campus Jourdan et Ulm. <a href="https://www.ens.psl.eu/agenda/conference-olivier-legrain-sciences-et-societe/2022">Retrouvez ici le programme</a> de ces échanges</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184265/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Johanna Siméant-Germanos est membre de la Ligue des Droits de l'Homme. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Florent Pouponneau et Grégory Daho ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Entre lutte contre le terrorisme et interrogations sur la pérennité de la Françafrique, quelle légitimité pour l’intervention française au Mali ?Johanna Siméant-Germanos, Professeure de science politique, École normale supérieure (ENS) – PSLFlorent Pouponneau, Maître de conférences en science politique, Sciences Po Strasbourg – Université de StrasbourgGrégory Daho, Maître de Conférences en science politique, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.