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Orateurs, sachez éviter les travers des logiciels de présentation

Mal utilisés, les logiciels de présentation peuvent se transformer en instruments de torture… Shutterstock

Cet article a été co-écrit avec Harry Eliézer, consultant–formateur en média training et prise de parole en public.


Vous souvenez-vous de la dernière présentation PowerPoint à laquelle vous avez assisté ? Vous rappelez-vous du moment où vous avez commencé à regarder votre montre ou votre smartphone pour scruter l’arrivée d’un éventuel mail, d’un SMS, d’un « fil d’actualité » ? Même une pub aurait fait l’affaire. Malheureusement, pas le moindre message et la fin de la réunion était encore loin.

Après avoir évalué le contenu des diapositives de l’orateur, testé la solidité des arguments, médité le choix des illustrations, pesté contre le texte trop volumineux, soliloqué sur le manque d’harmonie des couleurs, traqué les fautes d’orthographe… vient alors l’irrésistible envie de s’attaquer à l’auteur de ce mortel ennui. C’est généralement à ce moment que nous nous rappelons que la semaine précédente notre présentation n’avait pas non plus déchaîné les foules.

Aussi, plutôt que de lui jeter au visage, pépin après pépin, les raisins de notre colère, profitons de l’occasion pour analyser ce qui nous pousse à réaliser de telles prestations. Outre le fait qu’ils révèlent utilement notre degré d’investissement, les logiciels de présentation offrent, dans moult situations, bien d’autres intérêts.

Intérêts pour « l’orateur débordé »

Aujourd’hui, il est quasiment inconcevable d’animer une réunion sans avoir mis au point une « préz ». Le nombre faramineux de « tutos » disponibles sur Internet pour réaliser une présentation « qui déchire » est représentatif de la place que cet usage a prise dans nos vies professionnelles.

Lorsque nous nous retrouvons dans la situation de « l’orateur débordé », PowerPoint & Co s’avèrent effectivement de précieux amis : ils nous permettent d’élaborer des diapositives à partir de contenus copiés-collés, organisés et mis en page de manière à servir de prompteur. Les diapositives sont ainsi remplies de textes denses, de longues listes à puces, le tout complété par des tableaux et graphiques chargés. Mais mine de rien, la fabrication de ces diapos prend du temps. Et souvent, dans la précipitation, nous oublions de mettre en avant les messages clefs et de vérifier que l’alignement entre texte et illustrations est immédiatement visible.

Concevoir et mettre au point un véritable exposé oral qui, respectant les principes de la rhétorique, transmette un message clair, concis, précis, agréable à entendre, fédérateur et mobilisateur, capable de s’inscrire durablement dans l’esprit des collaborateurs n’aurait sûrement pas été plus chronophage. Mais nous n’y avons même pas songé.

Il faut dire que le monde professionnel se veut sérieux et efficace. Les tentatives d’inventivité ou d’originalité sont rarement réellement valorisées et encouragées. Et pourtant… Ce n’est pas parce que sérieux et ennuyeux forment une rime riche qu’ils doivent forcément être associés. Comme l’écrivait Jean de La Fontaine « Une morale nue apporte de l’ennui : le conte fait passer le précepte avec lui. »

Seulement, noyés dans nos tâches quotidiennes et aux prises avec nos urgences routinières, nous faisons fi des conseils du fabuliste. De plus, partant du postulat que montrer sur un écran est plus adapté à notre époque marquée par l’omniprésence des technologies, nous évaluons une « prez » plus efficace et plus valorisante qu’une simple transmission orale. L’emploi de diapositives prend alors souvent le pas sur la construction du discours oral.

Intérêts pour « l’orateur timide »

PowerPoint présente un intérêt non seulement pour les orateurs « débordés », mais aussi pour les « timides ». Nous nous imaginons scrutés par l’œil censeur d’un auditoire prompt à nous juger (n’est-ce pas ce que nous faisons nous-mêmes lors de ces réunions ?). Quoi de mieux que de détourner les regards de sa personne vers un autre objet, l’écran en l’occurrence.

Plus il y a d’informations sur les diapos, plus l’assemblée doit se concentrer sur le support pour le lire et le comprendre. Jusqu’au point où il entend à peine notre voix. In fine, nous sommes devenus de simples accompagnateurs à la lecture et perdons alors toute autorité sur le propos, d’autant qu’en l’absence d’une sélection évidente des informations à retenir, nous laissons notre auditoire libre de choisir les éléments pertinents. Certes, nous réduisons le risque d’erreur dans le choix du message et donc de représailles, mais nous perdons par la même occasion tout crédit et devrions nous interroger sur la valeur ajoutée de notre présence.

Ironique, non ? À force d’être préoccupés par la mauvaise impression que nous pourrions laisser, notre « autocentrage » s’avère être le premier obstacle à la réussite de notre prestation. En effet, il nous fait oublier que notre rôle premier dans une prise de parole est d’être au service du message. En déviant le regard de l’assemblée vers l’écran, nous rompons le contact essentiel et nécessaire avec l’auditoire non seulement pour entretenir son intérêt, mais aussi percevoir ses réactions et ainsi pouvoir s’assurer de la bonne réception du message.

Intérêts pour « l’orateur vaniteux »

Contrairement aux orateurs « timides » qui cherchent à se cacher, les orateurs « vaniteux » trouvent dans les présentations PowerPoint & Co une occasion pour être vus. Quand l’envie de briller nous prend, quand nous ressentons le besoin de mettre en avant notre expertise, notre légitimité ou notre intelligence et notre connaissance – pour, finalement, être reconnu des autres – les logiciels sont là pour nous rendre service. Les diapos sont de formidables supports pour les mots savants, les sigles, les anglicismes et les formules grandiloquentes qui en imposent à l’auditoire.

En plus du contenu, il est également possible d’impressionner le public par notre maîtrise des animations et enchaînements (la mise au point de ces effets prend d’ailleurs un temps fou tellement le choix est grand) ou par l’utilisation d’illustrations particulièrement recherchées. Qu’elles soient humoristiques, originales ou artistiques, elles permettent de dévoiler de manière discrète notre individualité, notre finesse.

En même temps, un support particulièrement austère avec beaucoup de texte n’est guère plus adapté à appuyer notre message. Dans les deux cas, quand nous revêtons le costume du « vaniteux », nous succombons à la même tentation que le « timide » : nous reléguons le message et sa bonne réception au second plan pour privilégier notre image : celle que nous renvoyons et/ou celle que nous avons de nous-mêmes…

Tiens, ça y est ! L’orateur du jour aborde sa dernière diapositive. Nous voici au terme de cette poussive réunion. Tandis que nous quittons la salle, souvenons-nous que notre tour reviendra bientôt. Il nous reste juste assez de temps pour soulever une question : pourquoi développons-nous tant d’ingéniosité à offrir au monde une version moderne de « La Divine Comédie » ? Serait-ce parce que nous oublions que, prendre la parole, c’est avant tout s’intéresser aux autres, établir un rapport vrai et généreux en vue de transmettre ou de partager des informations, des connaissances ?

Alors, durant la préparation de notre prochaine réunion, interrogeons nos motivations et clarifions notre objectif, afin de nous remémorer que notre préoccupation première doit être la bonne compréhension et la mémorisation des éléments clefs de notre message par l’auditoire. Et ne laissons pas le « débordé », le « timide » ou le « vaniteux » s’emparer de notre présentation !

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