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Pfizer et Allergan : cure de rajeunissement ou méga tour de passe-passe fiscal ?

Etablissement de Pfizer à Citywest Campus Dublin. Déjà sur place… William Murphy / Flickr, CC BY-SA

Pfizer et Allergan ont annoncé le 23 novembre qu’ils étaient sur le point de concrétiser une alliance à près de 150 milliards d'euros (160 milliards de dollars) en vue de créer le plus grand groupe mondial pharmaceutique. Quelles sont les véritables raisons qui poussent ces deux acteurs de la « Big Pharma » à se rapprocher ?

La course à la première place mondiale

Pfizer, numéro un mondial de la pharmacie jusqu’en 2009-2010 a perdu sa place de leader en 2013, dépassé par son rival suisse Novartis. À fin 2014, le groupe helvète réalisait 59,9 milliards de dollars de chiffre d’affaires contre 49,6 milliards de dollars pour Pfizer. Plus préoccupant, les ventes du groupe pharmaceutique américain n’ont cessé de baisser depuis 2010. Cette perte de chiffre d’affaires est directement liée à l’expiration de brevets ou licences des produits phares développés et commercialisés par Pfizer. Dès lors que les brevets tombent dans le domaine public, les produits autrefois vedettes (et les plus profitables) se trouvent concurrencés par des génériques.

Pour ne citer que quelques exemples, le brevet du Viagra est tombé dans le domaine public à partir de juin 2013 en Europe, en mai 2014 pour le Japon et l’Australie. Celui du Lyrica a connu le même sort en juillet 2014 sur la plupart des marchés européens or ce traitement contre les douleurs neuropathiques et contre l’épilepsie générait encore plus de 10 % du chiffre d’affaires de Pfizer en 2014. D’autres brevets sont également tombés dans le domaine public en 2015 comme l’antibiotique Zyvox.

Sans nouveaux produits pour prendre le relais, Pfizer devait donc s’allier à un concurrent à même de lui apporter un portefeuille de produits de premier choix. Allergan semblerait être le candidat idéal. Avec le Botox, fameux traitement antirides (et qui pourrait aussi être utilisé pour de pathologies plus sérieuses) ou le Restasis, gouttes vendues en dosette à prix d’or et permettant de lutter contre la sécheresse oculaire, le groupe irlandais ouvrirait à Pfizer la porte vers des marchés prometteurs et rémunérateurs. Le regroupement des deux acteurs devrait leur permettre de réaliser plus de 65 milliards de dollars de chiffre d’affaires et ainsi de redevenir le numéro un mondial de la pharmacie.

Une longue tradition d’acquisitions et de cessions

Tout au long de son histoire, Pfizer a mis en oeuvre une stratégie d’acquisitions et de cessions. En 2000, Pfizer, alors numéro 7 mondial rachetait Warner-Lambert (9e) pour près de 90 milliards de dollars et devenait le numéro deux mondial du secteur. En 2006, Pfizer cédait ses activités de médicaments sans ordonnance à Johnson & Johnson. En 2009, le laboratoire avait racheté Wyeth, autre société américaine pour 68 milliards de dollars pour faire face à l’expiration de licences sur des produits clés et se diversifier dans de nouveaux domaines notamment celui des compléments alimentaires. En 2010, le nouvel ensemble réalisait 67,8 milliards de dollars de chiffre d’affaires. En 2011, Pfizer poursuivait son développement dans les compléments alimentaires avec l’acquisition de Ferrosan et en 2012 Pfizer rachetait Alacer Corporation, une société spécialisée dans la distribution d’Emergen-C, des boissons énergétiques supplémentées en vitamines. En 2012 également, Pfizer finalisait le rachat de NextWave Pharmaceuticals, détenteur du Quillivant XR, médicament pour le traitement de l’hyperactivité. Et plus récemment, en septembre 2014, le groupe américain absorbait InnoPharma, une société privée dans le développement pharmaceutique.

Malgré ces diversifications et ces acquisitions, les ventes ont continué à chuter. Pfizer a donc voulu réaliser une opération de très grande envergure. En 2014, l’américain tentait d’acquérir AstraZeneca pour 100 milliards de dollars, mais le projet d’OPA avait finalement été abandonné. Dans un secteur qui connaît cette année de nombreuses fusions-acquisitions avec des transactions annoncées s’élevant à plus de mille milliards de dollars selon le Financial Times du 23 novembre, rien de surprenant donc que Pfizer se lance dans la plus grosse acquisition de son histoire.

Une « fusion à l’envers » à caractère fiscal

Certes redevenir numéro un, diversifier le portefeuille de produits et mieux rémunérer les actionnaires sont des motifs mis en avant, mais il semblerait que le but poursuivi soit surtout de réduire les impôts à payer par le nouveau groupe.

L’opération a été avalisée par les Conseils d’Administration dimanche, le nouveau groupe serait basé à Dublin (République d’Irlande), patrie d’origine d’Allergan et où le taux d’impôt sur les sociétés est un des plus attractifs au monde : 12,5 % seulement contre 25 % à 35 % aux États-Unis. Dans une déclaration publiée par le groupe Pfizer sur son site, il est clairement écrit que la transaction constitue une reverse takeover transaction et que de ce fait ce sont les lois fiscales irlandaises sur les acquisitions qui s’appliquent.

Ce mécanisme conduit à la « tax inversion » ou « inversion fiscale » à savoir lorsqu’une entreprise américaine acquiert une entreprise étrangère qui représente au moins 25 % de sa taille, elle peut bénéficier des lois fiscales du pays de la société achetée. Techniquement ce ne serait a priori pas Pfizer qui rachèterait Allergan mais l’inverse, soit une « fusion à l’envers » pour pouvoir bénéficier d’économies d’impôts considérables. Selon le Financial Times du 23 novembre, ce serait l’opération d’inversion la plus importante jamais réalisée, « permettant à Pfizer d’échapper aux impôts américains sur plus de 128 milliards de dollars de profits en déménageant le domicile du groupe en Irlande. Un type d’opération fortement controversé par le monde politique aux États-Unis et en Europe ». Jusqu’à présent les opérations d’inversion fiscale réalisées n’étaient pas de cette ampleur et n’avaient pas conduit à une délocalisation conséquente des emplois.

Alors, s’agit-il d’un beau cadeau aux investisseurs à quelques jours de Thanksgiving ? Au-delà de l’annonce, rien n’a été clairement communiqué sur la stratégie future ou le nouveau business model qui pourrait résulter de cette opération. Il n’est pas à exclure que le nouvel ensemble combiné Pfizer-Allergan se réorganise ensuite en plusieurs segments pour séparer les médicaments encore sous brevets et hautement rentables des autres médicaments plus anciens et subissant la concurrence des génériques. Mais il convient surtout de s’interroger sur le risque fiscal non négligeable que présente cette opération.

Il y a de fortes chances que le Trésor américain intervienne d’une manière ou d’une autre contre ce projet d’OPA car si une telle fusion était finalement approuvée, ce serait ouvrir la porte à d’autres montages financiers de la sorte, principalement motivés pour des raisons fiscales. Si Pfizer poursuit dans cette direction, le groupe risque de devoir mener une lutte acharnée contre le Trésor américain qui ne voit pas d’un bon œil l’exode fiscal des grandes entreprises et cela pourrait bien conduire à un changement de loi sur l’inversion fiscale.

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