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Planetary Boundaries : un outil pour limiter l'impact environnemental de l'industrie textile

Les déchets textiles sont des polluants majeurs dans les pays d'Asie du Sud-Est comme le Bangladesh. Swapan Photography / Shutterstock

Beaucoup d’entreprises sont conscientes que leur survie à moyen voire long terme dépend des ressources naturelles que notre planète est susceptible de leur fournir. Un nombre croissant de rapports et d’études portant sur le développement durable des entreprises intègrent des expressions ou propose de grands titres tels que « réduire notre empreinte environnementale », « diminuer les émissions de CO2 » ou encore « réduire de moitié notre consommation d’eau ».

Bien que ces déclarations puissent dénoter de véritables intentions, les actions concrètes qui permettent effectivement de poursuivre ces objectifs affichés restent toutefois à identifier, tant que les entreprises ne pourront pas connaître précisément leurs impacts en termes de pollution et de consommation de ressources naturelles au niveau régional, national et international.

Processus interdépendants

Dans ce but, il peut alors être pertinent de mobiliser le cadre d’analyse Planetary Boundaries (« limites planétaires »), présenté en 2009 dans la revue « Nature ». Cet outil vise à fournir des mesures quantitatives sur le niveau d’acceptabilité de l’activité humaine par rapport aux ressources naturelles disponibles sur neuf facteurs biophysiques interconnectés influençant les écosystèmes terrestres :

  • le changement climatique, avec l’augmentation des concentrations en dioxyde de carbone dans l’atmosphère ;

  • la diffusion d’aérosols dans l’atmosphère, liée à la pollution et au changement d’affectation des terres qui augmente le dégagement de poussière et de fumée ;

  • l’utilisation de l’eau douce, dont le cycle est fortement influencé par le changement climatique ;

  • les nouveaux polluants, c’est-à-dire les émissions de composés toxiques tels que les polluants organiques synthétiques, les matières radioactives, les nanomatériaux et les microplastiques ;

  • la transformation des écosystèmes terrestres tels que les forêts, les zones humides et d’autres espaces de végétation principalement convertis en terres agricoles ;

  • les flux biochimiques dont les cycles de l’azote et du phosphore ont été radicalement modifiés par l’homme du fait des processus industriels et agricoles ;

  • l’acidification des océans liée au CO2 dissout ;

  • l’intégrité de la biosphère et la diversité biologique touchées par la disparition d’espèces végétales et animales due aux activités humaines ;

  • l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique, conséquence de la concentration de substances chimiques entraînant un amincissement de cette couche protectrice.

Ce cadre est à la fois novateur et ambitieux dans sa conception. Il propose une perspective systémique afin de mesurer les dommages environnementaux. La mesure des dommages environnementaux ne peut être traitée comme une question isolée, mais doit être considérée comme faisant partie d’un ensemble complexe de processus interdépendants.

Estimation de l’évolution des différentes variables de contrôle pour les neuf limites planétaires de 1950 à aujourd’hui. Steffen et coll., 2015

Solutions alternatives

L’industrie textile est responsable d’un nombre important de dommages environnementaux. Sa chaîne logistique est divisée en quatre grandes étapes : la production des fibres, la fabrication, la distribution et la vente au détail, et enfin le recyclage et la mise au rebut.

La culture du coton utilise de grandes quantités d’eau, de pesticides et d’engrais, et les différents processus industriels et logistiques émettent énormément de gaz à effet de serre. Pour calculer la quantité d’eau qu’une entreprise peut utiliser ou retirer d’une source donnée sans mettre les écosystèmes en danger, deux méthodes doivent être combinées : une approche ascendante basée sur une évaluation des besoins en débits environnementaux et une analyse descendante à l’échelle mondiale des liens entre les cycles hydrologiques et les autres écosystèmes dépendants.

La fabrication de vêtements et de textiles génère de grandes quantités d’eaux usées fortement polluées ainsi que des poussières contaminées. La présence de composés chimiques dangereux et de métaux lourds rend les effluents textiles très toxiques. L’application de composés chimiques de remplacement pour réduire la toxicité des effluents n’en est encore qu’à ses débuts et demeure une option coûteuse pour la plupart des entreprises dont la priorité est de réduire les coûts.

« Pourquoi s’habiller pollue la planète » (Le Monde, 13 décembre 2018).

L’industrie du vêtement et du textile doit aussi trouver des solutions alternatives aux perturbateurs endocriniens, aux fibres plastiques et aux produits chimiques perfluorés (les fameux PFC utilisés pour traiter le textile afin qu’il soit facile d’en éliminer les taches). Il existe suffisamment de preuves pour comprendre la toxicité et les dommages causés par l’utilisation de ces produits chimiques et des plastiques. Malheureusement, les chercheurs craignent que nous ayons déjà dépassé les limites acceptables pour la planète.

La phase de distribution est liée au type de marché auquel il est destiné : les marchandises sont achetées auprès de grossistes ou de sociétés commerciales ou livrées par la distribution directe. Bien que l’utilisation d’emballages plastiques soit une préoccupation environnementale majeure, la principale question est celle des émissions provenant des flux de transport.

Étant donné l’hétérogénéité spatiale des flux de biens qui forment les chaînes logistiques du textile, une évaluation du cycle de vie des émissions totales de CO2 devient nécessaire. La concentration atmosphérique des émissions de CO2 de 350 ppm (parties par million en volume) a déjà été dépassée. Les chaînes logistiques textiles dans leur ensemble devraient argumenter la manière dont elles entendent réduire leur contribution aux émissions de CO2 et gaz à effet de serre.

Les méthodes actuelles restent insuffisantes

Les systèmes de reprise des produits et de recyclage jouent un rôle fondamental pour l’empreinte environnementale de l’industrie textile. À la fin de leur vie, les vêtements peuvent être recyclés, souvent par des structures mixant organisations à but non lucratif et privées fournissant des services de ramassage et de tri. Une étude confirme que la réutilisation et le recyclage des textiles pourraient réduire sensiblement l’impact environnemental par rapport à l’incinération et à la mise en décharge, la réutilisation étant même plus bénéfique pour l’environnement que le recyclage.

Malgré ces impacts négatifs, les méthodes de contrôle actuelles dans l’industrie, telles que l’indice de Higg, ne permettent toujours pas de mesurer quantitativement l’impact des organisations sur les écosystèmes terrestres. En outre, la nécessité d’une plus grande durabilité dans cette industrie est accrue par la hausse des niveaux de consommation.

L’application d’un cadre de lecture fondé sur les Planetary Boundaries fournirait les données nécessaires pour aider l’industrie textile à transformer ses pratiques commerciales et à stimuler des solutions novatrices. À titre d’exemple, une collaboration plus étroite entre designers et consommateurs pour personnaliser les vêtements afin d’augmenter leur durée d’utilisation pourrait constituer une opportunité intéressante.

En intégrant tous les facteurs qui ont un effet négatif sur l’environnement, le cadre d’analyse des Planetary Boundaries permet donc d’intégrer les préoccupations de durabilité à toutes les étapes de la chaîne logistique. L’intérêt majeur de cette approche est qu’elle donne aux acteurs de l’industrie une vue globale des limites acceptables de pollution et d’utilisation des ressources naturelles.

Actuellement, les organisations industrielles travaillent surtout avec des données relatives qui ne fournissent pas les informations nécessaires pour mesurer les seuils que la planète peut supporter. Au niveau des organisations, le cadre des Planetary Boundaries peut aider à faire des choix plus rationnels en matière de durabilité, définis par la valeur d’un ou plusieurs seuils. Au niveau des nations, il peut assister les décideurs pour mettre en cohérence les initiatives nationales et les défis environnementaux mondiaux.

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