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Vue de Mars depuis l'espace. Kevin Gill/Flickr, CC BY-SA

Planète Mars : les premiers séismes jamais détectés

Si, après la Terre, Mars est de loin la planète la plus étudiée du système solaire, seule sa surface commence à nous être familière : nous ne savons en effet presque rien de ce qui se trouve en dessous. Comme toutes les planètes telluriques, la planète rouge possède une structure interne composée de trois couches : croûte, manteau et noyau. Mais nos connaissances sur l’épaisseur, l’état (solide ou liquide), la densité et la composition de ces enveloppes sont très approximatives. Or la structure interne est fondamentale pour comprendre l’origine et l’évolution géologique d’un corps planétaire, tout comme son potentiel à accueillir le vivant.

Objectif Mars : que cherche-t-on ?/Université de Paris.

La mission InSight de la NASA a été envoyée vers Mars pour résoudre l’énigme de ses profondeurs, avec un atout principal, un sismomètre ultrasensible et ultrarésistant d’origine française, SEIS. Après un atterrissage en fanfare le 26 novembre 2018, puis la dépose et l’installation du sismomètre au niveau du sol poussiéreux de la plaine d’Elysium entre décembre et février 2019, l’instrument s’est mis à l’écoute de l’activité sismique martienne. Une année plus tard, les premiers résultats, publiés dans Nature, sont aussi spectaculaires qu’inattendus.

De Viking à InSight, quarante ans d’attente pour le premier sismomètre martien

La première tentative pour percer les mystères de l’intérieur de la planète rouge par le biais de la sismologie avait eu lieu dès 1976, avec les atterrisseurs américains Viking, les premiers à parvenir intacts à la surface de Mars. Si cette mission a été l’un des plus grands succès de la conquête spatiale, les sismologues étaient restés sur leur faim : le sismomètre de l’atterrisseur Viking 1 ne put être mis en service, et entre 1976 et 1978, celui de Viking 2 n’enregistra que les secousses provoquées par les assauts répétés du vent sur la structure de la sonde.

Quarante ans plus tard, la première chose que le sismomètre SEIS mesura sur Mars, lors de sa mise en route sur le pont d’InSight, fut également… les vents. Avec ses panneaux solaires, l’atterrisseur est même deux fois plus sensible aux bourrasques que les sondes Viking. Mais cette fois ci, nous avions tout prévu. La construction de cet instrument, fruit d’une vingtaine d’années de recherche, nous avait été confiée par la NASA car nous étions, à l’époque, la seule équipe dans le monde avec les compétences nécessaires.

Grâce à son bras robotique, et contrairement à Viking, la sonde InSight fut capable de déposer son sismomètre directement sur le sol, puis de le recouvrir avec un bouclier de protection éolien et thermique diablement efficace. Dans cette configuration, le bruit causé par le vent parvient en effet à être diminué d’un facteur pouvant aller jusqu’à 1000. Les effets de cette opération à haut risque qui demanda deux mois furent stupéfiants : lorsque l’instrument, les pieds plantés dans la poussière ocre, fut rallumé sous sa cloche, il ouvrit pour les planétologues une fenêtre vers un domaine de fréquences et de vibrations jusqu’alors inconnu et inaccessible.

Le sismomètre SEIS, sous son bouclier blanc de protection thermique et éolien, photographié à la surface de Mars par la caméra ICC de l’atterrisseur InSight (NASA/JPL-Caltech). NASA

Très rapidement, l’analyse des premières données montra que la période la plus propice aux observations se situait en soirée, quelque part entre le coucher du soleil et minuit (en heures martiennes). À ce moment-là, l’environnement martien devient incroyablement calme, et le niveau de bruit, qui parasite les mesures, s’effondre. La plaine d’Elysium est alors si tranquille et paisible que les sismologues peuvent détecter des tremblements infimes de la surface, correspondant à des déplacements équivalents au diamètre d’un atome, et explorer en toute liberté des bandes de fréquence qui sont saturées de signaux parasites sur Terre.

Dans l’insolite et déconcertante plénitude de la nuit martienne, les premières secousses sismiques se mirent à apparaître sur les spectrogrammes. Le premier séisme jamais enregistré sur la planète rouge s’est produit le 7 avril 2019 (sur le calendrier de mission, il s’agissait du sol 128 ; un jour martien s’appelle un sol, et le premier sol, le sol 0, correspondant à l’atterrissage). Et avec lui est née une nouvelle discipline : la sismologie martienne.

Entre 17h00 et minuit, SEIS bénéficie de conditions exceptionnelles pour écouter l’activité sismique de Mars (IPGP/Nicolas Sarter). IPGP

Les premiers séismes

Le séisme du sol 128 était pourtant très timide. Classée parmi les séismes de haute fréquence, la majeure partie de son énergie vibratoire était située au-dessus de 1 Hz (c’est-à-dire une vibration par seconde). Son intensité était si faible que son épicentre n’a pas pu être localisé sur la grande mappemonde de Mars. Pourtant, il prouvait que la planète rouge était bel et bien active sismiquement. Ce séisme fut également le premier d’une très longue série. Parmi les quelque 300 événements détectés jusqu’à aujourd’hui, ceux de haute fréquence sont effectivement les plus nombreux.

Les secousses de haute fréquence demeurent également mystérieuses : leur nombre ne cesse d’augmenter au fil des mois, ce qui signifie qu’elles sont peut-être liées à un phénomène cyclique, impliquant un réchauffement saisonnier et des ébranlements de surface (glissements de terrain, chutes de pierre), ou le parcours de Mars sur son orbite. De plus, la plupart seraient indétectables si elles n’étaient pas intensifiées par une étrange résonance située à 2,4 Hz. Le sismomètre SEIS capte en effet continuellement un ensemble de vibrations, qui se répètent 2,4 fois par seconde, et qui gagnent en force quand un événement de haute fréquence se produit. D’origine inconnue, ce phénomène agit comme un amplificateur sismique naturel, pour le plus grand bonheur des sismologues.

Il y a cependant encore plus intéressant que les séismes de haute fréquence : ce sont ceux de basse fréquence (dont le contenu énergétique est situé cette fois-ci en dessous de la valeur seuil de 1 Hz, c’est-à-dire une vibration par seconde). Beaucoup plus rares, ces derniers sont aussi plus puissants, et proviendraient de zones bien plus profondes. Si les séismes de haute fréquence semblent confinés dans la croûte martienne, les séismes de basse fréquence pourraient prendre naissance aussi bien dans la croûte que dans le manteau.

Schéma illustrant les différentes catégories d’ondes sismiques générées par un séisme (IPGP/David Ducros). IPGP

De la poignée de séismes de basse fréquence observés jusqu’ici, celui du sol 173 (23 mai 2019) est assuré de rester dans les livres d’histoire des sciences. Avec une magnitude respectable de 3,6, il permit pour la première fois aux sismologues de pointer avec précision l’arrivée du front des ondes P (ondes de dilatation-compression désignées ainsi car elles arrivent en premier sur les stations sismiques), puis celui des ondes S de cisaillement (moins véloces, elles arrivent généralement en second).

Le pointage des ondes P et S permit de déterminer la distance du séisme : environ 1600 kilomètres de la sonde InSight. L’étude de la polarisation des trains d’ondes permit ensuite d’effectuer une opération habituellement très délicate quand on ne possède qu’un seul sismomètre en action, et non pas un grand nombre : l’estimation de l’azimut, c’est-à-dire la direction de l’épicentre par rapport au nord. Les scientifiques découvrirent alors que le séisme du sol 173 avait pris naissance à 1600 kilomètres à l’est d’InSight, dans un secteur de la surface martienne dénommé Cerberus Fossae.

Les failles de Cerberus Fossae

Cette région très vaste zébrée d’immenses failles avait depuis longtemps été repérée depuis l’orbite par les sismologues. De nombreux indices laissaient en effet penser que l’endroit avait encore été très récemment – moins de 10 millions d’années – le siège d’une activité tectonique et volcanique. La découverte, sur certains versants abrupts, de traces très fraîches laissées par la chute de lourds blocs rocheux, suggérait même qu’ici, le sol n’avait en fait jamais vraiment cessé de trembler. Si les analyses menées sur les données fournies par SEIS se confirment, les sismologues ont vu juste : Cerberus Fossae n’est rien de moins que la première zone sismique active jamais découverte sur la planète rouge.

Une faille de la zone de Cerberus Fossae, observée par la caméra surpuissante de la sonde américaine Mars Reconnaissance Orbiter. NASA/JPL/University of Arizona

Comme un bonheur ne vient jamais seul, au cours du sol 235 (26 juillet 2019), SEIS détecta un second séisme de basse fréquence dont l’épicentre était également situé dans le secteur de Cerberus Fossae. D’une magnitude équivalente à celle du sol 173, la secousse du sol 235 permit de surcroît aux scientifiques d’observer pour la première fois une réplique : 35 minutes après le séisme principal, le sismomètre enregistra un nouvel évènement, frère jumeau du premier.

Le voile se lève sur la structure interne de Mars

Grâce aux deux séismes significatifs des sols 173 et 235, les géophysiciens purent commencer à sonder l’intérieur de Mars, et en particulier la croûte supérieure. En analysant la façon dont certaines ondes P se convertissent en ondes S lorsqu’elles rencontrent des discontinuités, ils mirent en évidence la présence d’une couche d’environ 10 km d’épaisseur, constituée de matériaux volcaniques altérés et endommagés. En dessous de cette dernière se trouveraient des roches plus saines et compactes, et ce jusqu’au manteau.

Pour sonder le sous-sol de son site d’atterrissage, les sismologues de la mission InSight s’appuient sur trois techniques : résonance du berceau de support du sismomètre, ondes générées par l’enfouissement du pénétrateur HP3 dans le sol, et enfin passage des tourbillons de poussière (IPGP/Nicolas Sarter). IPGP

Plus proche de la surface, pour caractériser le site d’atterrissage, les scientifiques d’InSight mirent en œuvre trois techniques innovantes de sondage. En étudiant la résonance des trois pieds coniques du sismomètre, ils furent d’abord en mesure de déterminer l’élasticité d’une couche durcie du sol de quelques centimètres d’épaisseur, appelée duricrust. En écoutant les milliers d’à-coups provoqués par le pénétrateur HP3 dans son effort pour s’enfoncer sous la surface, il fut ensuite possible d’estimer l’épaisseur et certaines propriétés physiques du régolite situé sous la cuirasse de la duricrust. Enfin, grâce aux tourbillons de poussière qui traversent, très nombreux, la plaine d’Elysium, et qui soulèvent imperceptiblement le sol en l’aspirant le long de leur passage, SEIS a pu contempler ce qui se trouve sous ses pieds, jusqu’à environ 10 mètres et estimer l’épaisseur de la partie très peu consolidée qui ne semble pas dépasser 3 mètres.

Vers la structure profonde de Mars

Si les résultats de cette première année d’étude sont décidément très encourageants, les sismologues martiens ne sont cependant pas au bout de leur peine. Certes, il ne fait plus aucun doute que Mars est une planète sismiquement active, mais sur les quelque 300 événements identifiés jusqu’à ce jour, la plupart sont de faible intensité, et donc insuffisants pour parvenir aux couches les plus profondes de la planète. Jusqu’à présent, les séismes martiens ne génèrent pas non plus d’ondes de surface, y compris celles capables de faire un tour complet de la planète, et qui auraient dû permettre aux sismologues de réaliser une mesure de vitesse sur une distance très bien connue : la circonférence de Mars !

Structure générale de la planète Mars. Du centre vers l’extérieur : noyau métallique, manteau, croûte et enfin atmosphère (IPGP/David Ducros). IPGP

Un autre phénomène, dû à l’immense fracturation de la croûte, vient également fortement perturber les mesures. Soumise au martelage continu de chutes d’astéroïdes sur de très longues périodes, la croûte martienne est effectivement intensément concassée et fissurée. Lorsqu’elles doivent la traverser, juste avant de rejoindre SEIS, les ondes sismiques se réverbèrent dans toutes les directions. Forcés de parcourir des distances supplémentaires, certains trains d’ondes prennent du retard et arrivent à la station en même temps que d’autres ayant suivi des chemins différents.

Les conséquences d’un tel phénomène sont redoutables pour SEIS : lorsqu’un séisme se produit, au lieu d’entendre de manière très nette le craquement bref de la rupture des matériaux rocheux (les ondes sismiques se propageant en effet dans le sol avec des lois proches de celles du son), l’instrument détecte une succession d’échos, qui s’étirent dans le temps sur plusieurs dizaines de minutes. Sur Mars, ce phénomène semble intermédiaire entre ce qui est observé sur Terre et sur la Lune, ouvrant tout à la fois les perspectives d’une approche comparée en sismologie planétaire, mais créant également de nombreux défis pour les scientifiques chargés d’expliquer au mieux ces nouvelles données.

Cerberus Fossae est la première zone sismique active jamais découverte sur Mars. Située à environ 1 600 kilomètres à l’est de la sonde InSight, cette immense structure tectonique extensive a été l’épicentre de deux importantes secousses au cours des sols 173 (23 mai 2019) et 235 (26 juillet 2019) (IPGP/SEIS Team). IPGP

Mars a toujours été une planète difficile d’approche, qui demande à ses explorateurs persévérance et efforts incessants, avant d’accepter enfin de livrer ses secrets. Pour l’instant, seule la croûte supérieure a pu être investiguée, et sur la première carte de séismicité martienne, seuls trois séismes sont punaisés : ceux des sols 173 et 235, ainsi qu’un autre, détecté au cours du sol 183 (3 juin 2019) et placé pour l’instant à côté de la structure énigmatique d’Orcus Patera (une dépression elliptique qui pourrait être un cratère d’impact ou un volcan). À l’exception de ce triplet, tous les autres sont disposés sur de grands cercles, situés à plus ou moins grandes distances de l’atterrisseur InSight, sans qu’il soit possible de leur affecter un azimut, c’est-à-dire une direction.

Inlassablement, par l’intermédiaire de SEIS, les sismologues continuent donc d’écouter l’activité sismique martienne. Chaque jour, ils espèrent désormais apercevoir sur les spectrogrammes la trace du premier grand séisme martien. Celui qui permettra enfin de traverser le Moho, cette discontinuité qui sépare la croûte du manteau. Celui qui permettra enfin d’atteindre, des milliers de kilomètres sous la surface, le noyau métallique, le cœur de la planète rouge.

SEIS, une aventure spatiale. Dans cette web-série de cinq épisodes réalisée par l’Université de Paris, découvrez le travail des ingénieurs et chercheurs de l’IPGP sur le sismomètre SEIS de la mission NASA/InSight.

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