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Sur le « Walk of Fame » de Lodz, on fait honneur au réalisateur. HuBar/Wikimédia, CC BY-SA

Polanski aux César : corporatisme contre combats féministes

Mardi 24 janvier, après plusieurs jours de polémique, Roman Polanski a annoncé renoncer à la présidence de la 42ᵉ cérémonie des César. Une victoire au vinaigre : il aurait été préférable que cette destitution soit due à une prise de conscience générale de l’académie plutôt qu’au « sacrifice » personnel du réalisateur, et l’on peut craindre d’entendre bientôt des marques de sympathie pour cette « courageuse décision » pendant que, encore une fois, la question de la moralité reste éludée.

Cette décision de nommer Polanski, prise une semaine avant, n’avait pas manqué de heurter tous ceux qui voyaient mal quelle légitimité un homme accusé de viol sur Samantha Geimer, 13 ans au moment de l’affaire, pouvait avoir pour animer une soirée culturelle de renommée mondiale. Une pétition pour sa destitution a ainsi été lancée dans la foulée par Clémentine Vagne, qui a également écrit une tribune au vitriol pour le magazine L’Express.

Une tribune rapidement supprimée, puis republiée dans une version largement censurée par la rédaction, et surtout, assortie d’une réponse d’Éric Mettout, directeur adjoint du même journal, titrée « Féministes contre Polanski : vous vous trompez de combat ».

Cette tribune, qui s’appuie sur le vieux prétexte de la séparation homme/artiste agrémenté à la sauce de la culture du viol, entend expliquer à Clémentine Vagne pourquoi les féministes devraient s’abstenir sur ce sujet.

Les dérives de la politique de l’auteur

On constate rapidement et une nouvelle fois que le prestige de l’auteur, le fanatisme qu’il peut créer, semble faire de ce dernier une entité supérieure inattaquable, qui bénéficie de privilèges spéciaux, d’une impunité, un être qui n’est pas soumis aux mêmes règles morales et juridiques que le commun des mortels.

Un état de fait que soulignait déjà en 2006 Nathalie Heinlich dans son ouvrage L’élite artiste, où elle décrit comment les artistes ont acquis une autorité supérieure dans la sphère publique.

Plus récemment, Mirion Malle sur son blog Commando Culotte, profitant de la polémique Johnny Depp/Amber Head, a refait le point sur la manière dont les hommes célèbres étaient sans cesse protégés et défendus quand ils sont accusés de pédophilie, viols ou violences conjugales, et a montré que ces accusations n’entravent en rien leur carrière.

On en arrive à l’argument si souvent proféré, particulièrement quand les crimes sont avérés, qu’il faut « séparer l’homme de l’artiste », preuve que ce dernier n’est pas à considérer comme n’importe quel humain… C’est dire le poids du prestige de l’auteur. Et quand bien même on considérerait qu’un artiste aux mœurs problématiques ne devrait pas empêcher l’étude d’œuvres brillantes, rappelons qu’ici c’est bien Polanski qui est invité à présider les César et à se mettre en avant, pas la boîte DVD de l’intégrale de ses films.

L’entre soi des intellectuels

Et comme Polanski n’a pas seulement des fans mais aussi des amis, une partie de la corporation du cinéma et affiliés s’est également dressée pour le défendre. L’acteur Gilles Lellouche a déclaré « En France, on fait des polémiques de tout. On meurt de ça dans ce pays. » Une référence aux dessinateurs assassinés de Charlie Hebdo, peut-être ? Pourtant ce n’était pas une polémique : il n’y avait pas eu échanges de mots. Personne ne sort sur une civière des combats par mots interposés ; en revanche, on meurt bien des violences faites aux femmes et aux filles.

Sur Twitter, le producteur Vincent Maraval ne s’est même pas embarrassé de mettre les formes, regrettant « le grand retour de la morale » et affirmant « Les petites pleureuses, on les en… merde ».

Capture d’écran du Twitt de Vincent Maravl, effacé depuis.

À croire que l’absence de toute valeur est devenue plus désirable dans le milieu du spectacle que la lutte contre la banalisation du viol. Cette bande d’amis si complaisante entretient joyeusement un des nombreux aspects de la culture du viol : présenter les violeurs – surtout quand ils sont blancs et cultivés – comme des « types bien » qui ont seulement eu « un moment d’égarement » aussitôt regretté.

Lellouche, dans son plaidoyer pro-Polanski, a également usé de l’argument suivant : « même la victime en a marre ». Or il n’est pas inutile de rappeler que si elle en a « marre », c’est justement suite au matraquage médiatique qu’elle a subi de la part de journalistes désireux de lui faire payer l’affront fait à l’un des leurs : un intellectuel, un artisan de LA culture légitime. S’il est bien sûr nécessaire de respecter le pardon de Samantha Geimer pour son agresseur et de la laisser en paix, ce pardon ne constitue en aucun cas un argument pour dédouaner l’auteur de son viol, ou suggérer qu’il n’en était finalement pas un.

Là où Lellouche a raison, c’est lorsqu’il trouve aberrant de se déchaîner 40 ans plus tard : c’est effectivement dès son arrivée en France que Roman Polanski aurait dû faire l’objet d’un boycott au lieu d’être accueilli fièrement par le pays des droits de l’Homme – ou plutôt des droits de l’homme.

Messieurs, nous n’avons pas besoin que vous guidiez notre lutte

Enfin, un mot tout particulier au sujet de la réponse d’Éric Mettout. Certaines féministes considèrent que les hommes n’ont rien à faire dans leur cause. C’est une opinion avec laquelle on peut se sentir mal à l’aise, considérant qu’il n’est pas forcément productif de bouder l’éventuel soutien de la moitié de l’humanité, et encore moins de leur reprocher son approbation.

Mais là où, évidemment, le bât blesse, c’est quand l’homme se pose en sauveur ou en guide des femmes. Éric Mettout est visiblement dans ce cas, puisque qu’il prend très à cœur de nous dire ce que les femmes devraient ou ne devraient pas défendre. Toute féministe qui se respecte le sait : un discours qui commence par « vous vous trompez de combat » a peu de chance de viser juste, rejoignant les « tu dessers ta cause » et autres « le problème avec vous, les féministes… » parmi les expressions toutes faites qui déplacent en général le problème. Et pour cause : elles émanent d’une vision biaisée de la situation, et souvent traduisent un parti pris hostile – sans vouloir l’admettre.

Les partisans masculins du féminisme sont bienvenus, à la condition de toujours garder en tête qu’aussi empathiques qu’ils soient, la misogynie et les violences faites aux femmes est quelque chose dont ils ne pourront jamais parler aussi justement que les principales concernées, pour la simple raison qu’ils n’en font pas l’expérience. C’est ce qu’on a coutume d’appeler le biais sexué. Aucun homme n’a de légitimité pour dire qu’un sujet est à délaisser ou adopter par les féministes, ni quels sont les vrais ou les faux combats à mener. Aucun homme n’a de légitimité pour expliquer aux féministes… ce qu’est le féminisme.

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