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Pollution numérique : manifeste pour une sobriété publicitaire

La numérisation des panneaux dʼaffichage est une source de consommation énergétique considérable, qui sʼattire les foudres des collectifs anti-pub, comme ici Les Déboulonneurs, à Lille en mars 2018. Collectif Les Déboulonneurs/Facebook, CC BY-NC-ND

Parmi les nombreuses activités humaines dont on mesure désormais l’influence sur le réchauffement climatique, l’économie numérique suscite une attention grandissante.

Si, avec des échanges tendant à être de plus en plus organisés sur la base d’infrastructures connectées via Internet, cette numérisation génère d’un point de vue économique des gains considérables, sur le plan énergétique, pourtant, la facture apparaît chaque année plus élevée.

Certes, ces technologies ont rendu possible ou permis d’améliorer l’efficacité de certains services (du covoiturage à la visioconférence). Mais ces gains sont largement excédés par la surconsommation de ressources nécessaires à la fabrication des équipements, composés notamment de terres rares.

Par ailleurs, le fonctionnement de ces terminaux et des infrastructures dont ils dépendent représentent une part croissante de la consommation d’électricité mondiale : 6 à 10 % actuellement, avec une progression de 5 à 7 % tous les ans.

Face au développement des usages et au perfectionnement des services, la hausse de cette consommation des ressources paraît inéluctable. Les appels à lutter contre la « pollution numérique », qui visent notamment la plateforme de streaming vidéo Netflix, se multiplient dans les médias. Paradoxalement, un des pans de ce secteur est souvent passé sous silence : la publicité numérique.

Un impensé énergétique

Apparue en 1994 avec la première bannière publicitaire en ligne, la publicité numérique représente désormais plus de la moitié des investissements publicitaires dans le monde, dépassant ainsi les médias traditionnels. Présente sur ordinateur et sur mobile, elle englobe principalement la publicité sur les réseaux sociaux et applications, les bannières et vidéos, recherches sponsorisées, e-mails et comparateurs. Ces publicités mobilisent l’énergie des terminaux, ainsi que de la bande passante sur les réseaux de télécommunications.

Par ailleurs, la publicité numérique induit une consommation d’énergie importante par des opérations réalisées « en arrière-plan », c’est-à-dire entre le moment où l’annonceur paye pour un espace et celui où le message publicitaire est affiché sur le terminal de l’internaute. Ces opérations sont importantes en volume, car en 25 ans d’existence, la publicité sur Internet a fortement gagné en complexité technique.

Les annonceurs, en interne ou par l’intermédiaire d’agences média, achètent désormais la plupart du temps les espaces publicitaires via des plates-formes d’enchères automatisées. On parle alors de « publicité programmatique ». Les processus d’allocation se déroulent souvent en temps réel, tandis que des opérations supplémentaires viennent permettre la personnalisation sur la base des données collectées, ainsi que la mesure de l’audience et des performances.

Un calcul complexe

Toutefois, calculer la consommation énergétique que représente la publicité en ligne constitue un programme de recherche hardi, tant l’infrastructure technique du web est complexe, les échanges imbriqués et les intermédiaires nombreux. Les opérations d’allocation publicitaire, réalisées massivement et en permanence, mobilisent des espaces de stockage, une capacité de calcul et de la bande passante dans des proportions considérables mais difficilement mesurables.

L’une des études récentes les plus abouties estimait, non sans admettre une grande proportion d’incertitudes, que la consommation mondiale en énergie de la publicité numérique se serait élevée en 2016 à 106 térawattheures (TWh). À titre de comparaison, cela correspond à 1,5 fois la consommation annuelle (2016) d’électricité de la région Ile-de-France. La même étude estime les émissions de CO2 de la publicité sur Internet à 60 mégatonnes en 2016, soit l’équivalent de 60 millions d’allers-retours Paris-New York en avion. À plus long terme, il faudra ajouter à cet état actuel la croissance annuelle des flux de données, ainsi que le déploiement des équipements individuels et d’infrastructures.

Au-delà de la publicité numérique, la numérisation des supports publicitaires traditionnels constitue également un enjeu énergétique crucial. Les médias développent désormais leurs offres « numériques ». L’affichage extérieur a par exemple entamé sa transition depuis plusieurs années en investissant l’espace public à travers de nouveaux dispositifs d’affichage numériques.

Actuellement, les usagers du métro parisien voient ainsi le remplacement progressif des traditionnelles affiches papier par des panneaux numériques énergivores. Leur déploiement fait l’objet de critiques de plus en plus fortes sur son impact environnemental.

Des pistes pour réduire la voilure

La croissance et le perfectionnement technique de la publicité numérique s’inscrivent dans l’évolution d’Internet dans son ensemble. Elle en est d’ailleurs l’une des sources de financement les plus importantes, puisque la majorité des contenus en libre accès sur Internet reposent sur un modèle de revenus publicitaires.

Elle contribue également à la compétitivité des marques et demeure un outil historique indispensable à l’activité économique globale. En revanche, l’industrie publicitaire devrait songer, en cohérence avec les annonceurs et les pouvoirs publics (qui bénéficient parfois directement des revenus publicitaires, à l’image de la RATP), à réduire sa dépense énergétique.

Différentes pistes sont envisageables sur le plan technique.

Par exemple, diffuser des vidéos en formats bas qualité, éviter le lancement automatique de celles-ci, abandonner la diffusion massive d’e-mails ou encore réduire le tracking tous azimuts. Notons à ce propos que le Règlement général sur la protection des données personnelles entré en vigueur en mai 2018 impose de demander leur consentement aux internautes pour la collecte de données personnelles et réduit de ce fait le traçage global et la dépense énergétique qui est associée.

Un autre chantier est celui de la lutte contre la fraude publicitaire, qui aurait généré 13,87 mégatonnes de CO₂ en 2016. Ces escroqueries, notamment la fraude au clic, représentent une nuisance globale, pour l’environnement comme pour le marché.

Éviter la saturation publicitaire

De manière plus générale, la publicité pourrait participer à la lutte contre le réchauffement climatique et ainsi prendre sa part aux efforts collectifs fournis notamment par les consommateurs. Cet objectif pourrait être inclus dans la politique de responsabilité sociale et environnementale des marques.

Notons qu’une réduction du volume publicitaire n’irait pas nécessairement à l’encontre de l’amélioration de son efficacité. La recherche en marketing a identifié depuis plusieurs décennies que l’encombrement des contenus éditoriaux par de la publicité était néfaste à la perception de celle-ci par les consommateurs. Ce niveau de saturation diffère suivant les individus, mais dépend aussi du contexte, une publicité plus contextualisée étant mieux tolérée. Avec un volume moindre et à budget constant, la qualité et l’efficacité des publicités pourraient être améliorées.

Ces quelques pistes pourraient conduire les acteurs du marché publicitaire à s’interroger sur la nécessité de déployer des moyens toujours plus énergivores. La clé de l’acceptation et de l’efficacité de la publicité en ce début de XXe siècle réside peut-être dans davantage de sobriété. Après tout, ne savons-nous pas, depuis plus de cinquante ans, que « le médium, c’est le message » ?

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