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Pourquoi devons-nous enseigner « la Guyane »

Les manifestants Guyanais durant la grève de mars 2017. Jody Amiet/AFP

Comment comprendre la richesse multiculturelle qu’offre la Guyane, ce département d’outre-mer français situé en Amérique du Sud ? Le multilinguisme est l’une des clefs possibles permettant d’observer les spécificités de la société guyanaise. Ces dernières se retrouvent au cœur des manifestations qui ont animé pendant près d’un mois ce territoire de 84 000 km² où vivent près de 265.000 habitants.

Les manifestants et intellectuels guyanais soulignent ainsi l’importance de mieux former et éduquer les citoyens – en France et y compris en Guyane- aux multiples langues et cultures présentes dans ce département.

Trente langues sur un même territoire

En effet l’histoire de la Guyane, ponctuée de vagues d’immigration successives (colonisation, esclavage, transportation…) depuis 1604, a fait d’elle un territoire multiethnique et multilingue.

Cette réalité, qui illustre le quotidien des Guyanais vient pourtant se confronter à l’affirmation que « la langue de la République est le français », selon la constitution française.

Certes, de par son statut politico-administratif, toutes les lois de la République française sont applicables dans leur intégralité moyennant des adaptations lorsque nécessaires.

Mais du point de vue sociolinguistique, nous sommes en présence d’une situation de multilinguisme inédit en France où une trentaine de langues sont utilisées sur ce territoire.

On retrouve notamment des langues amérindiennes telles que le lokono, teko, kali’na, palikur, wayana, wayampi, d’autres à base lexicale anglaise, (aluku, ndyuka, pamaka, sranantongo) voire portugaise (saamaka) et d’autres enfin à base lexicales française : créoles guyanais, guadeloupéen, haïtien, martiniquais, saint-lucien.

Dans une première phase s’est développé un « pidgin » du point de vue phonétique et phonologique (lexical et syntaxique) pour dire les « choses » les plus simples et les plus fondamentales de la vie. Puis ce pidgin s’est enrichi pour devenir un créole.

Dans son volet linguistique, il s’agit d’un contact de langues amérindiennes, européennes, et africaines dans le cadre de la société de plantation.

Peuples autochtones de Guyane durant la journée internationale des peuples autochtones, 2013. AFP PHOTO/JODY AMIET

Dans cette tour de Babel, certaines langues ont une fonction véhiculaire, c’est-à-dire qu’elles participent à la communication extra communautaire. Le nengee tongo dans l’ouest et le créole sur le littoral jouent ce rôle et sont utilisées selon la situation à des fins commerciales, politiques, administratives et dans certaines campagnes de santé. Leur place sur ce marché linguistique est limitée, toutefois elles sont utilisées pour cibler certains messages.

En 2013 durant une grève, les manifestants s’expriment également en créole. Sophie Alby, CC BY

D’autres langues européennes dans leur version sud-américaine ou caribéenne existent également : anglais du Guyana, espagnol, français, néerlandais, portugais. Viennent enfin les langues asiatiques : le chinois (cantonais, hakka) et le hmong (langue venant sud de la Chine et parlée par une frange de la population issue de ce pays et vivant principalement au village de Cacao situé en Guyane).

De premiers pas soulignent l’importance de la langue et de la culture maternelles

L’école, appliquant les textes est avant tout monolingue, utilisant le français, même si des avancés sont notées ici et là.

À titre d’exemple, en 1999 les langues amérindiennes, nenge, les créoles à base lexicale française et le hmong font partie du patrimoine linguistique de la France.

Un CAPES de créole créé 2001, des classes bilingues (8 écoles et 11 classes pour le créole), le dispositif Intervenant en langue maternelle (ILM) aux côtés des enseignants titulaires dans le premier degré, illustrent bien qu’il y a un début de prise de conscience dans le domaine des langues maternelles.

Affichages bilingues dans des classes de l’académie de Guyane. Sophie Alby, CC BY

Les cours de linguistique créole, les modules liés au patrimoine culturel immatériel guyanais dispensés à l’université, la didactique des langues à l’ESPE de Guyane témoignent aussi, depuis les années 80, de cette évolution.

La sociolinguiste Sophie Alby fait cependant remarquer qu’un bilan didactique et de la mise en œuvre de ces dispositifs s’impose afin que toutes les actions convergent en direction des besoins rééls des publics concernés.

Une meilleure politique linguistique nécessaire

Ainsi, ces avancés aussi louables soient-elles, sont néanmoins nettement insuffisantes tant au niveau d’une plus grande reconnaissance des langues maternelles qu’au niveau des moyens pour la recherche et la formation afin qu’il y ait une réelle politique linguistique en Guyane. Ainsi, le nombre d’ILM ne correspond pas aux besoins. De nombreux apprenants se déscolarisent aussi peu à peu.

Selon l’Insee, En 2011, plus de 9 000 jeunes ayant entre 18 et 24 ans se retrouvent hors du système scolaire sans diplôme plus élevé que le brevet des collèges. La part des sortants précoces du système scolaire a significativement baissé ces dernières années, tombant à 38 % en 2011 contre 53 % il y a vingt ans.

Cette situation peut s’expliquer en partie par le fait que les programmes en usage dans les écoles ne sont pas adaptés à cette situation de multilinguisme et de plurilinguisme. L’accès au sens est difficile à cause de la barrière de la langue, cela est observable et observé dans toutes les disciplines. Il arrive que certains professeurs de lycée professionnel aient recours à une autre langue que le français pour expliquer une consigne.

Affichage dans une classe de primaire invitant à mieux connaître l’histoire et les cultures guyanaises. Sophie Alby, CC BY

Enseigner en Guyane, c’est aussi enseigner la Guyane. C’est comprendre cette région à travers l’histoire de son peuplement, à travers sa diversité et ses spécificités linguistiques et culturelles. C’est saisir dans leur environnement géographique et culturel, dans leurs coutumes, leurs traditions, leurs langues les différentes populations qui la composent.

L’ensemble du personnel enseignant devrait être sensibilisé et être formé à cette problématique. Cette démarche n’aurait pas pour but d’en faire des spécialistes mais un moyen pour ne pas se réfugier dernière le tout français en s’appuyant sur les textes officiels. Ainsi, la reconnaissance de l’existence de la langue de l’autre serait un premier pas. En suite, les autorités devraient opter pour une politique linguistique qui s’inspirerait d’expériences qui sont menées dans d’autres pays d’Amérique du sud. Il est bon de rappeler que cette démarche a aussi un coût. Des moyens financiers seraient nécessaires.

Ce problème se pose avec acuité car c’est l’ensemble de la société aussi que tous les acteurs institutionnels, qui doivent y apporter une réponse… Réponse qui doit prendre appui sur une réelle volonté politique.

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